Du papier encore et toujours du papier. Partout du papier. Sur le bureau, sur les meubles et même par terre. Ariel travaillait, d’arrache pied sur son projet depuis des mois, peut-être bien même plus d’un an. Elle aimait son travail, elle l’aimait plus que tout. Cela lui a permis d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses. Nouvelles cultures, nouvelles langues, nouvelles personnes, de nombreuses rencontres qui l’ont marqué à tout jamais dans son faible esprit. Surligneurs d’une main, crayon de bois de l’autre, elle griffonnait quelques mots, quelques phrases, quelques schémas sur sa feuille. Après de longues heures de travail, elle se redressa, faisant tomber sur son bureau tout ce qu’elle tenait entre ses mains. Elle s’étira longuement, comme fatiguée par cette recherche intellectuelle. Elle lança un regard sur son horloge mural, constant avec un grand désarroi l’heure qu’il était. Un joli « et merde… » s’échappa de sa bouche. Elle semblait être en retard. Elle ne prit pas la peine de se remaquiller, ni même de se recoiffer. Ce n’est pas grave, elle allait juste retrouver son cher et tendre père, Jake, et sa belle-mère Leila pour célébrer leurs huit ans de mariage. Huit, ça se fête, n’est-ce pas ? Bien entendu, il ne fallait pas oublier Karim et Ismaël qui étaient eux aussi de la partie. Elle attrapa son sac par-dessus le canapé puis partie de son appartement… Lorsqu’elle arriva dans la demeure des Rhodes-Hissan, elle n’était pas si en retard que cela. Karim n’étant pas encore arrivé. Elle salua à un à un les trois membres de cette nouvelle famille, d’une famille recomposée qui faisait parler un bon nombre de personnes. Un couple mixte, pour certains, ça dérangeait. Conneries tout cela, ce n’était que des vieux connards stéréotypés avec de la merde dans les yeux. « Regarde ce que la maitresse m’a donné à l’école ! Une image… elle a dit que j’étais très sage ! » lança avec grande joie le petit Ismaël. Aussitôt, Ariel se baissa, afin de se mettre à sa hauteur et de se saisir de la petite carte colorée qu’il lui montrait. « Elle est très jolie dis-moi ! » s’exclama-t-elle. Un sourire attendri au bout de ses lèvres. Puis, elle passa la main dans les cheveux du petit garçon avant de se relever. « Karim n’est pas encore là ? » demanda-t-elle tout en s’approchant du plan de cuisine. Elle regarda avec une gourmande curiosité ce que sa belle-mère leur avait concocté. « Il ne devrait pas tarder ! » s’exclama son père, en entrant dans la cuisine. Alors même qu’il venait de dire cela, un bruit de porte retentit. Aussitôt, Ismaël se mit à courir en direction de l’entrée en hurlant un « Kariiiiiiiiiiim » à s’en perdre la voix. Ariel en ria. Elle décida à son tour d’aller rejoindre son demi-frère, Karim, afin de l’accueillir. En passant, elle chipa un bout de concombre qui était joliment présenté dans une assiette. « Ariel, reposa ça tout de suite ! » lâcha Leila. Elle lui fit un petit clin d’œil, mettant la nourriture dans sa bouche. Ariel n’eut guère le temps d’aller s’aventurer dans le corridor d’entrée de la maison, Karim était déjà arrivé. « Enfin là ! T’as été jouer dans un bac à sable pour être si en retard que cela ? » s’exclama alors Ariel.

Ariel choisissait toujours le bon pour intervenir dans les conversations. Elle venait juste d’entrer dans une conversation entre le petit Ismael et le grand (et stupide) Karim. Elle avait bien de la vaine, tiens. Elle ne put, comme à son habitude, faire remarquer le retard à son cher demi-frère. Ce dernier ne mit guère de temps à lui répondre. Réponse tout aussi agréable que ce que venait de lui dire la jeune femme… « Moi aussi je suis content de te voir la grosse. Sois pas jalouse parce que je sais me faire attendre et toi pas. ». La grosse… Non, mais pour qui se prenne-t-il lui ? Il croyait qu’il parlait à l’une de ces nanas avec qui il fricotait ? Non, mais elle rêvait là ? Ariel lâcha un soupir à l’écoute des quelques mots de ce bon vieux Karim. Pas si vieux que cela, certes. C’est alors qu’il lui donna une légère tape amicale sur la tête, un « hé » s’échappa de la bouche de la jeune femme. On pouvait déjà entendre gémir Leila Hassan d’un « Oh ! Vous n’allez tout de même pas commencer vos enfantillages ? » dans la cuisine.

Dans la cuisine… c’était là le cœur de la maison, ou tout du moins, il fallait le croire. Toute la petite famille venait de se regrouper là. Cela devait bien faire des mois que la jeune famille ne s’était pas retrouvée, que tous les cinq ne s’étaient pas retrouvés sous le même toit. Certes, Ariel voyait bien de temps en temps son père et sa belle-mère lorsqu’ils lui demandaient de pouvoir garder si gentiment le petit Ismaël pour une journée ou deux. Karim demanda aussitôt ce qu’il y avait à manger. A croire que cela faisait partie de ses priorités à celui-là, la nourriture. Ariel souffla derrière lui, très discrètement ou tout du moins assez fort pour qu’il ne soit le seul à l’entendre, un « un vrai estomac sur pattes, celui-là… ». Mais personne ne répondit à la question du jeune homme ou tout du moins, ils laissèrent planer le mystère. En effet, Leila qui s’occupait du repas lui répondit qu’il allait bien le découvrir dans son assiette, ou quelque chose comme cela. Enfin Ariel se fichait bien de savoir ce qu’ils allaient bien pouvoir manger de toute façon. Tant qu’elle était avec sa famille, c’était le plus important. « On pourrait aller prendre l’apéritif, non ? demanda alors Ariel, tout en se tournant vers son père. Qu’en dis-tu papa ? ». L’homme d’un certain âge approuva d’un signe de la tête ce que sa fille venait de dire et invita ses enfants à s’installer dans le grand salon. Ariel s’installa sur l’un des grands fauteuils en cuir de vachette, tant dit que Karim et Ismael colonisèrent déjà le canapé. Leur père vint avec quelques bouteilles d’alcool, et une canette de Coca-Cola qu’il donna aussitôt au petit garçon. Car oui, Ismael était bien trop petit pour boire de l’alcool. Jake leur demanda chacun à leur tour ce qu’il désirait prendre en apéritif. Ariel répondit qu’elle voulait du Whisky. Puis les regards se tournèrent vers Karim. Ariel imaginait encore son demi-frère aussi jeune et naïf que la première fois qu’elle l’avait rencontré. Elle ne l’imaginait pas être un garçon de son âge, vous savez : l’alcool, les filles, les soirées qui tournaient toujours mal, la baise et encore la baise… Pour Ariel, Karim était resté ce petit garçon. Et elle l’imaginait pas boire une seule goute d’alcool.

«Juste une bière s’te plaît. » déclara-t-il alors. Une bière, juste une bière. Ariel arqua un sourcil, avant de s’ébroua doucement la tête. Une bière… Se serait-il cru dans un bar rempli d’hommes répugnants et suintants l’alcool ou quoi ? Ariel voulut oublier ce fâcheux épisode et reposa son attention sur son père qui partit donc à la recherche d’une canette de bière pour Karim. Bientôt, il allait se mettre à roter et péter à table. Répugnant, dégoutant, pour ne pas dire dégueulasse. Les enfants de la famille Rhodes-Hissan se retrouvèrent dés lors en tête. Juste le temps que leurs parents viennent à vrai dire. Karim prit alors la parole, alors qu’Ariel s’était levée afin de faire un petit tour du salon. Observant avec une certaine curiosité tous les bibelots venus d’ailleurs, venus d’Afrique à vrai dire, que son père entreposait sur des meubles. «Alors, quoi de neuf la grosse ? Tu bosses toujours autant ? » lui demanda-t-il alors. Quoi de neuf, la gros, ‘bosse’, la classe verbale était inexistante chez Karim, c’était un fait. Ariel se tourna brièvement vers lui. « Toujours autant, faut-il croire ! » déclara-t-elle. «Je suis passé chez toi l’autre jour pour te rendre une petite visite de courtoisie mais t’étais pas là. Je t’ai laissé un petit mot gentil du coup, j’espère que tu l’as bien eu. ». Ariel plissa les yeux, tentant de se remémorer d’un mot qu’elle aurait pu trouver dans sa boîte aux lettres… Elle s’en rappela oui, elle l’avait lu très certainement oui, mais il devait être enfoui dans un amas de feuilles inutiles. Elle affirma alors d’un signe de la tête. « Tu sais, Karim, j’ai un objet magique que j’ai en ma possession, ça s’appelle un « portable », tu sais ce gadget dont tous les jeunes de ton âge sont accros… souffla-t-elle alors, un petit sourire au bout des lèvres. Tu n’avais qu’à me passer un coup de fil ou bien m’envoyer un texto la prochaine fois que tu voudras passer, d’accord ? » lui dit-elle dans un ton totalement posé et zen. Prendre les choses du bon côté, toujours. Tel était l’un des crédos de la jeune femme. Et c’est alors que les deux stars du jour firent enfin leur entrée. Stars du jour, c’était leur anniversaire de mariage après tout ! Karim fit une remarque à sa mère, comme quoi ils commençaient à penser qu’elle préférait déjeuner seule avec sa cuisine plutôt qu’avec eux… cela c’était juste Karim qui pensait cela à vrai dire. Ariel ricana de la remarque de son jeune demi-frère, tout comme sa mère d’ailleurs. Après tout cette brave femme n’allait tout de même pas en pleurer.

Jake, le père d’Ariel tendit à Karim sa canette de bière. « Tu m’excuseras p’tit, mais on n’a plus que celle-là ! ». Puis il versa le whisky dans trois gros verres, il en tendit un à Ariel, un autre à sa femme et s’en garda un pour lui. C’est alors qu’ils entamèrent enfin l’apéritif. Jake fut le premier à trinquer avec sa femme, et ce fut la chorale des verres et canettes qui s’entrechoquèrent. « Aux huit ans de mariage de Papa et Leila ! » lâcha Ariel en haussant la voix.

La réunion de famille s’était plutôt bien entamée, si ce n’est les remarques jugées puériles par Ariel de son jeune demi-frère Karim. En quelques semaines, il n’avait décidément pas changé. Dommage. Elle aurait pu croire qu’en quelques temps, il aurait grandi… ou plutôt devrait-on dire muri. Mais ses espoirs furent vains dés que Karim ouvrait la bouche. Son verre de whisky à la main, Ariel en but une gorgée, écoutant sans prétention les paroles du jeune homme se tenant à sa droite. «Alors, vous avez prévu quoi pour fêtez ça ? Vendre Ariel aux enchères ? C’est une très bonne idée ça ! Je n’sais pas si vous trouverez des acheteurs par contre. ». Elle secoua élégamment la tête, espérant qu’elle crut rêver de ce qu’elle venait d’entendre. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Elle soupira un instant, avant de poser un regard désolé sur ses deux parents, Leila et Jake. « Karim est un moulin à paroles toujours aussi intelligents » lâcha-t-elle ironiquement. Bien entendu, elle disait cela posément, tout en se moquant de ce jeune homme qui siégeait à ses côtés. Elle lança à la suite de ces propos un regard noir au dénommé Karim. Des regards mêlant attendrissement et légères moqueries se posèrent sur les deux aînés de la famille. Après quelques secondes de réflexion, Karim déclara qu’il leur avait amené un cadeau, à leurs parents. La jeune femme cligna quelques instants des yeux, un cadeau… elle était très certaine que ça n’allait pas voler très haut comme cadeau, quelque chose à l’image de son demi-frère, de puéril et d’inutile. Il ajouta qu’ils ne pouvaient pas rêver mieux comme cadeau. Ariel, silencieusement, arqua un sourcil, légèrement intriguée. Elle était certaine que ça n’allait pas être le cas. Puis à son tour, elle leva la tête en direction du couple de la journée. « J’en avais un moi aussi… mais avec ma tête d’étourdie, je l’ai oublié… lâcha-t-elle finalement, prenant une légère moue désolée. » Ce n’était pas réellement le cas à vrai dire, Ariel ne l’avait pas oublié, bien au contraire, ce précieux cadeau se cachait dans son sac. Son père lui dit que ce n’était pas grave, qu’un cadeau n’était pas obligé et que sa présence suffisait largement. Elle prit un sourire malicieux, tout en secouant la tête. Elle avoua finalement qu’elle avait bel et bien un cadeau. C’est alors que Karim revint dans la pièce, sa petite boîte enveloppée qu’il tendit à sa mère. Les regards intrigués se posèrent alors sur le cadeau de Karim. Cinq paires d’yeux posés dessus, ça faisait un bon nombre quand même. Alors que Leila était sur le point de l’ouvrir, Ariel fouilla dans son sac, sortant une enveloppe cachetée qu’elle tendit à son père. « Voilà pour ma part. Ce n’est pas grand-chose… mais je sais que tu en as toujours rêvé » dit-elle un brin songeuse à son paternel. Pas grand-chose, cela allait certainement être une question de point de vue et d’objectivité, c’était un fait. Alors que Leila ouvrait le paquet, Jake, quant à lui, décacheta l’enveloppe. Chacun à leur tour, ils sortirent le cadeau qu’ils découvrirent… Ariel regarda attentivement chaque réaction des deux parents de la famille Rhodes-Hissan. Leila prit un air surpris, offusqué voire même choqué. Ariel en ricana dans sa moustache inexistante, avant d’entendre son père s’exclamer. « Mais, il ne fallait pas…. ». Ce fut les quelques mots qu’il lu dit. « Arrête ! Je sais que ça te fait plaisir ! » s’exclama-t-elle. Un large sourire se dessina alors sur les lèvres d’Ariel. Puis il tendit les deux billets à sa femme afin de lui montrer les deux billets pour un séjour d’une semaine à Jérusalem. Au même moment, Ariel se tourna vers Karim, s’approchant discrètement de lui. « T’avais pas trouvé mieux comme cadeau dis-moi ? » lui chuchota-t-elle en lui montrant du menton son cadeau, qui n’était qu’un joujou sexuel en forme de canard.