La musique s’échappant de cette salle était proprement enchanteresse. Pour la première fois de son existence toute entière, Vioryna sentait son cœur prêt à faire une envolée terrible dans un océan de sentiments, et ce alors que la donne ne pouvait être plus dangereuse. Non. Elle était là pour une raison précise et ce maudit violoniste capable de faire vibrer son cœur au gré de ses notes serait son reproducteur ou elle n’était plus russe ni même femme d’affaires impitoyable à la tête de l’ancien patrimoine de son paternel. Voilà pourquoi elle pénétra à l’intérieur de la salle où s’entraînait chaque jour le virtuose avec acharnement à la toute fin de sa partition, lorsqu’il démarra la dernière note, et ce sans la moindre douceur. Vioryna n’était pas habituée à en faire preuve et toute sa prestance embauma d’ailleurs la pièce à peine eut-elle posé un pied à l’intérieur : elle n’était pas là pour bavasser mais pour obtenir quelque chose, l’évidence n’aurait pu être plus percutante. « J’aurais pensé que vous seriez plus malin et donc plus difficile à trouver, Monsieur le violoniste… votre adresse était limite écrite en gros dans le bottin ! Souhait d’être adulé ou manque d’habitude peut-être ? » Certes, cet homme ne connaissait pas encore la notoriété qu’il méritait mais la jolie russe prenait cela pour un manque total de malice. « A moins que vous n’attendiez un public qui soit capable d’applaudir votre talent ? » Avare de compliments comme elle l’était, Vioryna ne risquait pas d’être ce fameux public. Mais qu’importe… elle n’était pas là pour le caresser dans le sens du poil. Il constituait simplement le parfait patrimoine génétique, point barre. Elle lui laissait volontiers le sentimentalisme.

« Rien à m’offrir ? C’est bien ce qui vous trompe ! » lança-t-elle sans douceur alors que ses pas ne cessaient de la rapprocher de ce fameux violoniste qu’elle jugeait presque trop fragile pour ne pas être totalement détruit une fois qu’il serait passé sous ses doigts. Il ne s’en relèverait sûrement jamais, comme beaucoup d’autres avant lui et ce bien qu’il soit certainement la première cible qu’elle eut choisi pour être reproductrice. Ce Sergeï ne connaissait pas l’honneur lui étant fait mais peut-être était-il bien trop ancré dans son romantisme d’artiste pour voir le véritable intérêt de la manœuvre. Enfin, disons que l’intérêt allait évidemment à Vioryna, puisqu’elle n’aurait très vite que faire de l’état d’âme du musicien… « Qui me transporte ? Je n’ai aucune minute à perdre avec ce genre de billevesées. Les sentiments affaiblissent le cœur et transforme quelqu’un de fort en une véritable loque humaine, alors merci je m’en passe très bien ! » En vérité, la musique était pour ainsi dire son seul point faible et ce maudit violoniste avait su la toucher bien plus sûrement que n’importe quel autre virtuose en ce monde. En soi, il avait accompli un miracle, et ce sans même s’en rendre compte. « Vous ne cherchez pas d’auditoire mais jouez pour moi » ordonna-t-elle soudainement avant de ne prendre une grande inspiration, consciente que le prendre à rebrousse poil n’aurait aucun effet positif… « Je vous prie. »