Lorsque je sortis de chez moi, il était à peine huit heures du matin et les rues étaient encore complètement désertes ; elles n’allaient cependant pas continuer à le rester encore longtemps et je savais que je devais me dépêcher afin de ne pas me retrouver emprisonné dans les cohues matinales coutumières de la Grosse Pomme. Je détestais au plus haut point être pris au piège par ces hordes de gens qui se pressaient en rangs serrés vers leur travail et j’abhorrais être obligé de me compresser autant que mon squelette me le permettait dans les transports en commun avec eux, respirant un air fait d’odeurs composites, allant des parfums bon marché acheté en plein milieu du Bronx à la transpiration d’un vieux chômeur obèse, en passant par les odeurs corporelles nauséabondes d’un ouvrier mal lavé et les relents du sandwich périmé que mangeait avec avidité un adolescent couvert de boutons dont la seule préoccupations était de répandre le plus de miettes et de restes possible sur ses voisins immédiats. J’étais ravi de pouvoir, dès que j’en avais l’occasion, m’échapper de cette torture que représentait le trajet de chez moi à mon travail et lorsque j’arrivai au bar, j’étais en pleine forme, revigorée par une marche agréable et sereine.

Bien entendu, ma félicité ne devait pas durer, et il me suffit de quelques heures en service pour n’avoir plus qu’une idée fixe en tête : massacrer tout Brooklyn. Les clients avaient chaud, faim, envie d’en découdre une bonne fois pour toutes avec leur déjeuner ; ils étaient impatients, malpolis, avares et pressés et je vis avec hâte la fin de la journée arriver. Je n’avais qu’une hâte, rentrer chez moi, retrouver ma fille et remercier la nourrisse pour me ressourcer un peu, et pour cela je n’avais pas le choix : je devais prendre le métro, en dépit de mon horreur pour ce mode de transport. Si je décidais de rentrer à pied, cela me prendrait trop longtemps et je n’étais de toute façon même pas sûr d’avoir suffisamment d’énergie pour me le permettre. Je m’entassai donc avec mes concitoyens et attendit patiemment, coincé entre une vieille femme à l’odeur de chien mouillé et la vitre du wagon, priant pour arriver le plus rapidement possible à ma station, qui semblait extraordinairement loin ; la rame me paraissait aussi particulièrement lente ce soir-là et lorsque je vis arriver le quai de ma station, j’eus peine à retenir un soupir de soulagement. Je ne me retins pas lorsque je fus sorti de la bouche de métro et que je fus enfin de retour à l’air libre, au milieu de Greenwich Village ; je n’étais plus qu’à quelques pâtés de maisons de chez moi, et je parcourus le chemin qui me restait jusqu’à ma maison avec un soupçon d’allégresse. Puis, presque arrivé, j’aperçus ma voisine, Seavanie Cassiepains qui sortait de chez elle, et la saluai de la main, un grand sourire aux lèvres.

« Salut Seavanie ! »