« Merci Martha t’es un amour ! » « Allez file gamin ! » Soufflant un autre merci à ma collègue, je me précipitai à l’extérieur. Depuis le temps que j’habitais à New-York, j’avais appris à avancer vite dans la masse compacte des gens sans bousculer personne. Me faufilant avec aisance entre les passants, je bifurquais au coin de la rue. Il fallait que je passe chez moi me changer et pour ça, direction le métro. Dire que j’avais faillis rater l’horaire. Tout ça parce qu’un de mes collègues étaient tombés malades, alors le chef m’avait demandé de le remplacer. Oui mais voilà, moi j’avais prévu de voir faire une surprise à Norah aujourd’hui. Heureusement que Martha avait accepté de me remplacer, sinon, c’était mort. Seigneur, dire que j’allais enfin revoir mon amie d’enfance ! M’engouffrant dans un wagon, je trouvais par miracle une place libre. Dans dix minutes je serais chez moi. Je laissais donc mon esprit vagabonder en direction de la demoiselle que j’allais voir. Ca faisait tellement de temps qu’on ne s’était pas vu. Je me souvenais très bien de mes parents répétant que nous étions trop mignons quand nous nous tenions la main, quand on disait qu’on était « amoureux ». C’était la bonne époque. Parfois, je donnerai tout pour retourner en enfance. Pas seulement pour revivre ces moments, mais aussi pour changer certaines choses. Comme parler à mes parents de la violence du père de Norah. Pourquoi avais-je tenu ma promesse bon sang ? J’aurais dû en parler. Mais je n’avais que cinq ans, je ne pouvais pas savoir que c’était si grave. Et j’étais parti, la laissant seule dans son calvaire. Dieu que je m’en veux. Elle avait été violée. Ma meilleure amie d’enfance a été violée par son père, mise enceinte par ce connard. Je m’en veux, je m’en veux. J’aurais pu éviter tout ça. Il suffisait que j’en parle, que je laisse échapper une info… n’importe quoi. Mais non, je n’avais rien dit. Comme le pauvre imbécile que je suis. Je ne peux même pas imaginer le calvaire qu’elle avait vécu. Je donnerais tout pour faire payer à son paternel les choses qu’il a fait, à elle et à ses sœurs. Seigneur, des gens comme ça ne devraient pas exister. C’est totalement inhumain. Fermant les yeux un instant, j’apaisais mes pulsions. J’avais tendance à être un peu trop impulsif parfois moi. Heureusement que j’avais appris à me calmer avec le temps.

Une voix impersonnelle résonna, annonçant ma destination. Quelques minutes plus tard, j’étais à l’air libre, marchant en direction de mon appartement, que je partageais avec Andrew. Un mot sur le frigo m’informa qu’il donnait un cours. Tant mieux, je n’avais pas le temps de papoter. Filant dans ma chambre, j’enlevais mon jean et mon t-shirt, les pliants soigneusement – oui je suis maniaque – et attrapait une chemise verte émeraude avec un jean noir. Remettant un peu de gel dans mes cheveux, j’appliquais une touche de parfum avant d’enfiler une paire de converses verte et noire et de ressortir précipitamment de l’appartement. Direction le centre de Manhattan. Un petit trajet en métro, et c’était ok. Bon, il fallait quand même traverser tout Midtown mais bon. Cette fois-ci, pas de places assises. Génial. Je vous le dis, à la fin du trajet, je ne sentais plus mes jambes. Enfin bon. Arrangeant vite fait ma coiffure dans la vitre du Starbuck, je repérais Norah, accoudé au bar, discutant avec une autre serveuse. Le cœur battant à cent à l’heure, j’entrais. Aucune des deux ne m’entendit et ce n’était pas étonnant, vu le boucan dehors, les discussions et la musique. Croisant mes bras sur le bar, juste à côté de Norah, je réalisais enfin qu’elle était vraiment là. « Salut beauté. » J’avais pris l’habitude de l’appeler comme ça, car il fallait l’avouer, elle avait bien grandi. Mais je ne l’aime que comme une meilleure amie. Ce sera toujours comme ça entre nous et jamais autre chose. Et puis, notre histoire d’amour de nos cinq ans nous suffit.