Depuis qu’il s’était remis au travail, l’appartement de Chris était redevenu ce joyeux capharnaüm qu’il avait toujours été, pavé de maquettes en tous genres, d’outils et de dessins divers. Et au milieu de ce bazar, l’étalagiste peignait, griffonnait, clouait ou collait tout un tas d’éléments afin que ses idées prennent vie. Si certains de ses collègues exigeaient des ateliers démesurés pour mener à bien leurs projets, Chris n’en demandait pas temps. Son atelier à lui, c’était son appartement. Et tant pis pour le désordre, de toute façon, il était le seul à y vivre et ne dérangeait personne. A l’époque à laquelle Kat passait du temps chez lui, il faisait quand même quelques efforts et prenait soin de ranger ses affaires après avoir fini de travailler. Mais désormais, tout était redevenu comme avant, et il vivait à nouveau dans cet atelier grandeur nature. Agenouillé devant une de ses dernières maquettes, le jeune homme y apportait les derniers détails. Et même s’il n’était jamais totalement satisfait de ce qu’il faisait, il devait bien avouer que cet avion en bois allait trouver une place parfaite dans la nouvelle vitrine qu’il avait imaginée. Cette maquette était assez grande pour occuper une importante partie du salon, et Chris se demandait encore comment il allait la transporter jusqu’au magasin dans lequel il avait prévu de l’installer. Mais qu’importe, pour le moment sa priorité était de le terminer.

Mais alors s’attelait à peindre les ailes de son appareil, le jeune homme entendit la sonnette retentir. Et aussitôt, son cœur s’emballa. Car il savait très précisément qui l’attendait derrière sa porte d’entrée. Quelques semaines plutôt, Kat avait fait irruption chez lui pour récupérer Tiger, mais le canadien n’avait pas été en mesure de lui donner la cage du chaton. L’ayant oubliée chez sa sœur, il lui avait promis de la prévenir dès qu’il l’aurait récupérée. Suite au message qu’il lui avait envoyé, Chris s’attendait donc à ce qu’elle passe non pas pour lui rendre visite, mais pour récupérer la cage. Et c’était déjà ça. Toutes les occasions étaient bonnes pour la voir, et pouvoir croiser son regard ne serait-ce qu’une fois de plus. Et depuis que l’étalagiste avait appris qu’elle lui avait écrit tous les jours ou presque durant son séjour en Namibie, il s’était prit à espérer de nouveau. Espérer qu’elle ne l’avait pas totalement oublié, qu’elle n’avait pas tout à fait tiré un trait sur leur histoire et surtout, qu’elle n’avait rencontré personne d’autre depuis leur rupture. Posant précipitamment tous ses pinceaux, Chris détala donc vers l’entrée de son appartement, et ouvrit en s’empêchant de sourire trop largement. Même s’il était heureux de la voir, son visage lui rappelait à chaque seconde qu’il avait tout gâché, et qu’il l’avait perdue à cause de ses erreurs.

Mais à sa plus grande surprise, Kat n’était pas venue seule et très vite, son regard se posa sur un petit garçon qui lui tenait la main. Et tout à coup, le coup de téléphone qu’elle avait reçu lorsqu’elle était chez lui lui revint à l’esprit. Il devait s’agir de l’orphelin dont elle devait s’occuper pendant un temps. Sans se dépeindre de son sourire, Chris regarda tour à tour Kat et l’enfant à côté d’elle, puis se décala pour les laisser entrer : « Salut… » Il aurait voulu la saluer autrement, mais la présence du petit garçon l’intimidait, en quelque sorte. Alors il se contenta de sourire en refermant la porte derrière eux. « Ca va ? » finit-il par demander en désignant l’enfant d’un regard discret, histoire de savoir comment Kat s’en sortait avec lui.

Chris regarda le petit garçon entrer chez lui d’un air satisfait, sans quitter ce léger sourire qu’il affichait depuis le début. Kat était là, tout près de lui, et ça lui suffisait pour se sentir bien. Evidemment, il aurait préféré pouvoir la prendre dans ses bras et l’embrasser comme avant… Mais dans l’état actuel des choses, le fait d’être dans la même pièce était déjà une grande satisfaction pour lui. En refermant la porte derrière eux, Chris se mordit même la lèvre inférieure pour tenter d’arrêter de sourire bêtement comme il le faisait depuis qu’il avait aperçue Kat. « On a été faire du shopping, aujourd'hui. » déclara-t-elle alors en enfonçant la casquette sur la tête du petit garçon, apparemment très fier de ses emplettes du jour. Sans pouvoir s’en empêcher, le jeune homme se mit à rire en regardant la scène, et les oreilles qui dépassaient de la casquette. « Oui je vois ça ! Je suis jaloux… » ajouta-t-il en regardant Narmer, et en désignant sa casquette de marque. Visiblement, Kat n’avait pas compté sa peine ni son argent pour rhabiller le petit garçon de la tête aux pieds. Et il la reconnaissait bien là… C’était du Kat tout craché, et c’est aussi pour ça qu’il l’aimait. Cette constatation fit que le cœur du canadien se serra, et il laissa malgré lui échapper un petit soupir. Elle lui manquait tellement… Et même s’il était heureux de l’avoir à ses côtés, il savait que ce moment serait éphémère, et qu’il finirait forcément par se retrouver tout seul dans cet appartement qui était subitement devenu trop calme après son départ.

« Et toi ? Je vois que tu t'es remis au boulot. » En regardant le bazar derrière lui, Chris grimaça et haussa légèrement les épaules. « Je… ouais. C’est un peu le bazar du coup… » A vrai dire, il était un peu gêné de la faire entrer une nouvelle fois dans un appartement en désordre. Mais au moins, son avion valait beaucoup mieux que les bouteilles de whisky qui avaient jonché le sol pendant des semaines entières. Sans prévenir, le petit garçon lâcha la main de Kat, et Chris le vit partir derrière eux sans toutefois trop s’en inquiéter. Il pouvait bien aller visiter un peu après tout, ça ne le dérangeait pas. Mais en se retrouvant seul face à la jeune femme, le sourire que Chris avait affiché jusque là se fana un peu. « Oui, je suis allé récupérer la cage chez Anna, elle est là... » répondit-il en désignant l’objet qui trônait contre le mur.

En se retournant pour la laisser prendre la cage tranquillement, le regard de Chris tomba sur Narmer planté devant son avion. Un petit sourire attendri prit alors place sur son visage. Il s’avança doucement vers lui, et s’accroupit à côté de lui, le regard toujours dirigé vers sa maquette. « Il te plait ? »

Dès que Chris remarqua l’intérêt du petit garçon pour sa maquette, son visage s’éclaira d’un sourire et il ne put s’empêcher de s’approcher de lui pour lui demander son avis. A vrai dire, si le jeune homme faisait ce métier, c’était un peu à cause de ça. Emerveiller les enfants n’avait pas de prix, et il était toujours assez friand de leurs réactions face à son travail. D’ailleurs, ils étaient bien les seuls à être totalement honnête, et il n’y avait qu’avec eux que l’étalagiste était certain d’être jugé correctement. Alors lorsque Narmer hocha timidement la tête en signe d’approbation, le sourire de Chris se fit encore plus large. Après tout ce temps passé sans avoir la moindre inspiration ni la moindre envie de tenter quoi que ce soit, il avait désormais la confirmation qu’il se remettait peu à peu sur les rails. Et même si cet avion ne représentait qu’une infime partie de la vitrine toute entière qu’il avait imaginée, ça n’en restait pas moins un bon point de départ.

A sa plus grande surprise, le jeune homme vit Kat arriver à leur hauteur, et s’agenouiller elle aussi auprès de Narmer. Mais malheureusement, ses intentions n’étaient pas exactement celles qu’il aurait espérées. Elle voulait partir, et vite. Ne désirant visiblement pas s’attarder chez lui, la jeune femme voulait emmener le petit africain manger une glace… ce qu’il refusa en souriant. Silencieusement, Chris observait la scène en dissimulant du mieux qu’il pouvait son amusement, mais aussi son soulagement. Si le petit ne voulait pas partir, Kat serait obligée de rester elle aussi. Et chaque seconde supplémentaire passée à côté d’elle était une sorte de bonus aux yeux du canadien. C’est alors que le petit garçon émit timidement l’envie de faire comme Chris, de continuer son travail en quelque sorte. L’étalagiste fut un peu surpris, mais aussi touché. Seulement voilà, une fois de plus, Kat ne semblait pas l’entendre de cette oreille. « Mais c'est le travail de Chris, si tu fais mal, c'est lui qui aura des ennuis après. » Concédant finalement à s’interposer, Chris secoua la tête en affichant un nouveau petit sourire. « Tu sais, il peut le faire s’il en a envie, laisse… C’est pas très compliqué !» Puis soudain, une autre idée traversa l’esprit du jeune homme qui s’exclama, à l’attention de Narmer. « Oh ! Attends, j’ai une idée ! Viens avec moi… » Entrainant le petit garçon un peu hésitant vers sa chambre, le canadien se mit à fouiller au fin fond d’un énorme carton… pour en ressortir un avion identique, pas encore peint et beaucoup plus petit. Une maquette qu’il avait réalisé en tout premier lieu, pour se donner une idée de l’assemblage et de l’effet qu’un tel objet pourrait faire dans sa vitrine. « Il est pour toi, il ne reste plus qu’à le peindre et tu pourras le garder… » annonça-t-il alors fièrement en tendant l’avion à Narmer, qui ne tarda pas à s’en saisir avant de détaler vers le salon afin de montrer son cadeau à Kat.

C’est donc un Chris tout sourire qui regagna à son tour le salon. Voir ce petit garçon si excité à la simple vue de cet avion avait quelque chose de magique pour le canadien, et il ne s’en lassait pas. Pour le coup, il en aurait PRESQUE oublié la présence de Kat, et ce sentiment de malaise qui ne les quittait plus dès qu’ils se croisaient. Sans attendre Chris, Narmer s’agenouilla au milieu du salon, là où l’étalagiste avait laissé étalés ses outils, et s’empara d’un pinceau pour commencer son œuvre. Le jeune homme se porta alors à la hauteur de Kat, et déclara tout en regardant le petit garçon d’un air bienveillant : « Il peut rester un peu si ça lui fait plaisir… Il ne me dérange pas ! » Chris se baissa alors pour attraper un pinceau et aider Narmer, puis après un bref moment d’hésitation, en prit un deuxième et releva les yeux vers Kat en le lui tendant. « Tu veux nous aider ?

En quittant la chambre à la suite du petit garçon, Chris entendit malgré lui une exclamation qui lui serra le cœur. Et cette dernière venait de Narmer lui-même, qui affirmait comprendre pour quelles raisons Kat l’aimait. Elle l’aimait. Et en l’absence des lettres qu’elle lui avait promises avant son départ, il s’était prit à en douter. D’autant qu’il lui avait donné toutes les raisons de ne plus l’aimer, en la trompant comme si elle ne comptait pas pour lui, et qu’il la considérait simplement comme une histoire éphémère. Mais le retour de la jeune femme, et surtout le fait de savoir qu’elle lui avait bel et bien écrit avait un peu atténué les doutes de l’étalagiste. Ca ne réglait rien, bien au contraire, mais c’était un soulagement quand même. Le canadien décida de ne pas relever la réflexion de Narmer, plus par pudeur que par volonté de ne pas en savoir plus, et changea immédiatement de sujet à peine fut-il arrivé à hauteur de Kat. Cette dernière ne put visiblement rien contre l’enthousiasme des deux garçons, et finit par capituler en se saisissant du pinceau que Chris lui tendait. Agenouillée à côté de lui, elle se mit alors à peindre délicatement une des ailes de l’avion. De temps à autres, le jeune homme lui lançait de petits regards en coin, juste histoire de sonder l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait. Mais comme à chaque fois, le silence qui s’installait peu à peu en disait long… Et Narmer ne leur était pas d’une très grande aide puisque, extrêmement concentré, il ne levait pas le nez de son ouvrage une seule seconde.

« Et ta soeur, ça va ? » Partagé entre la surprise et la satisfaction qu’elle lui pose une telle question, Chris leva un regard éberlué vers Kat… puis s’empressa de baisser les yeux vers l’avion. L’air de rien, il continua à peindre doucement et répondit en tentant de se donner un air détaché. « Oui… oui ça va. » Comme relancement de conversation, on avait déjà vu mieux. Mais à vrai dire, Chris ne savait pas exactement comment il devait prendre cette question. Etait-ce simplement un moyen de combler le silence ? S’inquiétait-elle vraiment de la santé de sa sœur ? Se sentait-elle encore assez proche de Chris pour s’autoriser à prendre des nouvelles de sa famille ? Malgré lui, le canadien ne pouvait s’empêcher de chercher ce qui se cachait sous cette question pourtant si banale. « On a passé quelques jours ensemble, chez elle. C’était sympa… on avait un peu l’impression de revenir en… » L’étalagiste fut soudain coupé dans son discours par un coup de pinceau malencontreux de la part de Narmer, qui laissa sur sa main une large trace bleue. « Hey ! » s’exclama-t-il amusé, en répliquant immédiatement. D’un geste vif, il donna un coup de pinceau sur le bras du petit africain puis, pour faire bonne mesure, prit son courage à deux mains et fit de même sur la main de Kat. Il restait silencieux, mais le regard qu’il lançant à Narmer et son sourire espiègle laissait clairement deviner ses intentions.

Bien que la situation soit globalement très bizarre, Chris semblait apaisé. La simple présence de Kat à ses côtés, même si l’on pouvait clairement sentir une espèce de tension entre eux, suffisait à le rendre un tant soit peu heureux. Elle lui avait tellement manqué ces derniers mois, il avait tant de fois pensé à elle en se disant qu’il ne la reverrait peut-être jamais, que cet instant qu’ils partageaient avec Narmer avait tout d’un doux rêve qui pouvait s’évaporer en un instant. Et pourtant… Elle était bel et bien là, tout près de lui, peignant la maquette qu’il avait construite de ses mains pour le plus grand bonheur du petit africain dont elle s’occupait du mieux qu’elle le pouvait. D’ailleurs, leur relation avait quelque chose d’attendrissant, qui ne surprenait pas Chris outre mesure. Il connaissait par cœur, au point de savoir qu’elle n’hésitait jamais lorsqu’il s’agissait de venir en aide à quelqu’un. Et la bouille craquante de Narmer n’avait sans doute été qu’une raison de plus pour l’accueillir chez elle comme un petit roi. Visiblement ravi de pouvoir personnaliser le cadeau que Chris venait de lui offrir, le petit garçon était très concentré sur son œuvre… jusqu’à ce coup de pinceau malheureux qui s’écrasa tout droit sur la main du canadien. Plus amusé qu’autre chose, il ne tarda pas à répliquer, en profitant pour embrigader Kat dans la bataille. Et à sa plus grande surprise, cette dernière ne fut pas du tout réticente à l’idée de barbouiller les deux garçons de peinture.

Le nouveau coup de pinceau que Chris reçut sur la joue lui fit froncer les sourcils avec amusement. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de bouger, Kat s’attaquait de nouveau à un Narmer hilare et déjà bien plus barbouillé que les deux jeunes gens réunis. Pendant quelques secondes, Chris observa la scène d’un air attendri. La complicité entre Kat et Narmer crevait les yeux, même si ça ne les empêchait pas de se chamailler gentiment à grand coups de peinture bleue. D’abord désireux de les laisser s’amuser tous les deux, et de ne pas interrompre ce moment de complicité, l’étalagiste finit tout de même par craquer et flanqua un grand coup de pinceau qui toucha à la fois Kat et Narmer. Puis il se redressa précipitamment, avant de brandir son « arme » telle une épée. Le jeune homme riait sans pouvoir s’en empêcher, comme si les éclats de rire du petit garçon en face de lui avaient été contagieux. Et c’est donc sans hésiter qu’il se mêla à la bataille en se ruant à son tour sur Narmer pour le barbouiller de peinture sans aucune pitié. Ses gestes envers Kat étaient néanmoins un peu plus hésitants, mais sous l’impulsion du petit garçon, le canadien se montrait de plus en plus audacieux. Sans savoir qui était son allié ou son ennemi dans cette petite guerre, Chris se contentait de peindre tout ce qui pouvait lui passer sous le nez. Puis, au moment où il constata que sa position de force était remise en cause, le jeune homme se leva et s’éloigna un peu en riant. Mais Narmer n’avait visiblement pas dit son dernier mot, et après avoir échappé aux « griffes » de Kat, se précipita vers Chris pour l’attaquer de plus belle.

Bien loin de toutes les tensions qu’ils avaient pu connaitre il y a pourtant si peu de temps, Kat et Chris se trouvaient désormais dans la même pièce, en train de rire et s’amuser comme des enfants qui ne se seraient pas revus depuis trop longtemps. Et ce changement brutal de comportement n’était du qu’à une seule et même personne : le petit Narmer. Malgré son histoire qui semblait bien triste à Chris, même s’il ne la connaissait pas vraiment, le petit garçon avait su emmener avec lui une ambiance qui n’avait pas régné chez le canadien depuis bien longtemps. La proximité de Kat, ses éclats de rires et ses représailles lorsque Chris lui avait flanqué le premier coup de pinceau lui en faisait presque oublier qu’ils n’étaient plus ensemble. Certes, elle était beaucoup plus complice avec Narmer qu’avec lui et c’était bien normal, mais au fond, le jeune homme sentait bien que quelque chose était en train de changer. Une certaine liberté se dégageait de se petit jeu pourtant si anodin, et poussait Chris à s’autoriser à jouer et à rire comme il ne l’avait pas fait depuis des mois entiers.

En tentant d’échapper aux attaques incessantes du petit africain, Chris se releva et s’éloigna de « l’arène », observant alors la suite de la bataille qui se jouait sans lui. Kat semblait avoir prit les choses en main, et le pauvre Narmer dont les éclats de rire résonnaient dans tout l’appartement ne semblait plus avoir aucune chance… et pourtant. La jeune femme stoppa brutalement ses assauts, et en un seul regard le petit garçon sembla comprendre où elle voulait en venir. Le canadien du attendre de les voir se retourner tous les deux vers lui pour comprendre à son tour, et secouer frénétiquement la tête en signe de négation, sans pour autant pouvoir s’empêcher de sourire. Mais bien évidemment, tenter de les dissuader était peine perdue et en quelques instants à peine, ils fondirent sur lui pour le couvrir de peinture. Assailli par deux « ennemis », Chris avait bien du mal à refaire surface. Il se débattait et gigotait dans tous les sens pour essayer de se dégager, mais chaque mouvement lui valait un coup de pinceau supplémentaire. Soudain, dans un geste de recul probablement un peu trop brusque, il vint percuter Kat. De peur de la faire tomber, et plus par réflexe que par réelle intention, Chris passa son bras dans le dos de la jeune femme pour la retenir. Et là… le temps s’arrêta. Leurs corps se touchaient, leur visages n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, si bien qu’il pouvait sentir le souffle de Kat sur sa peau… Le sourire qu’affichait l’étalagiste se fana, mais pour laisser place à un regard des plus intenses. Malgré lui, ses yeux firent d’ailleurs un rapide aller-retour en direction des lèvres de Kat. Mais alors que rien ne semblait plus exister autour d’eux, un nouveau coup de pinceau de Narmer, juste dans son dos, vint réveiller l’étalagiste qui lâcha presque à contrecœur la jeune femme, et repartit à la poursuite du petit garçon qui s’était déjà enfui à l’autre bout du salon en riant.

Chris avait le souffle court. Pas tant à cause de la bataille acharnée qui faisait rage qu’à cause de sa très soudaine proximité avec Kat. Cette bousculade, puis ce réflexe qu’il avait eu avait « projeté » la jeune femme dans ses bras et ils se retrouvaient désormais l’un contre l’autre alors qu’a priori, tout le leur interdisait. Immédiatement, le vide se fit dans l’esprit de Chris, comme si tout leur passé venait de s’effacer. Le jeune homme était totalement concentré sur les yeux de Kat, avec en prime l’impression que plus rien n’existait autour d’eux. Même Narmer et ses éclats de rire lui paraissaient si loin qu’il ne les entendait plus. Les allers-retours de son regard sur les lèvres de Kat ne laissaient aucun doute possible : il avait terriblement envie de l’embrasser, d’agir comme s’ils ne s’étaient jamais quittés, comme s’il n’avait jamais rien gâché. Mais avant même que Chris n’ait eu le temps de s’approcher davantage de Kat, la réalité le rattrapa. Un coup de pinceau dans le dos, un nouvel éclat de rire, et cet instant hors du temps que venaient de vivre les deux ex-tourtereaux prit fin… aussi brusquement que ce qu’il avait commencé.

Ce n’est que lorsqu’il fut de nouveau lancé à la poursuite de Narmer que Chris prit réellement conscience de ce qu’il venait de se passer. Et la vérité le rendit presque honteux. Il s’appliqua donc assez consciencieusement à ne pas recroiser le regard de Kat, aussi loin soit-elle. Au lieu de ça, le jeune homme se concentra sur le petit africain qu’il venait de rattraper, et qu’il s’évertuer à colorier de plus belle. Néanmoins, le ton de leur petit jeu avait changé… Le canadien était comme absent, et ses gestes devenaient presque automatiques. Il souriait, mais ne parvenait même plus à rire sincèrement devant l’enthousiasme du petit garçon. Kat, elle, ne semblait plus vouloir bouger et restait figée à l’autre bout du salon. De temps à autres, Chris lançait quelques petits regards en coin dans sa direction mais rien n’y faisait : elle n’avait plus envie de jouer, et c’était bien normal. Même s’il ne le montrait pas, l’étalagiste ne savait plus du tout où il en était. Partagé entre le soulagement de ne pas avoir été repoussé par Kat et la crainte d’avoir entrainé un rapprochement bien trop brusque et prématuré, Chris ne savait pas s’il devait se féliciter ou au contraire se maudire.

Mais Kat coupa finalement court à toutes ses interrogations en déclarant : « Je crois qu'on va y aller... » à l’attention d’un Narmer visiblement peu convaincu à l’idée de quitter les lieux. Aussitôt, Chris se redressa et posa sa main sur l’épaule du petit garçon qui le regardait d’un air presque implorant. « Kat a raison… Tu devrais aller prendre une bonne douche tu ne crois pas ? Et puis… tu as encore une glace à manger il me semble! » Son ton se voulait enjoué mais au fond, le cœur n’y était pas vraiment. Après avoir accordé un bref regard à Kat, il entraina Narmer avec lui vers son avion. Il s’en saisit, puis le lui tendit en souriant : « Tiens, il finira de sécher en chemin. » D’un geste plein d’affection, Chris passa sa main sur la tête du petit africain puis le ramena à hauteur de Kat. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’autorisa à reposer ses yeux sur elle. Et, bien que mal à l’aise, il soutint son regard s’autorisant même à lui adresser un léger sourire teinté d'incertitude et d'espoir.