Cela faisait désormais plusieurs semaines que Caleb n’avait pas vu Loan et pourtant, il n’avait eu de cesse de penser à elle. A chaque instant, il se demandait ce qu’elle faisait, où elle se trouvait et surtout : si tout se passait « bien » pour elle et son unité. Lorsqu’elle lui avait annoncé qu’elle allait partir en Afghanistan, tout semblait s’être écroulé aux yeux du militaire. Lui qui comptait sur elle pour rattraper le temps perdu auprès de Nolan… Comme si le sort s’acharnait, il avait voulu qu’elle parte au moment même où elle avait enfin décidé d’accepter ses responsabilités. Et quoi qu’il fasse, Caleb ne pouvait pas s’empêcher de penser au pire. Et s’il lui arrivait quelque chose ? Et si elle ne revenait pas ? Après tout, il était assez bien placé pour savoir que l’Afghanistan n’était pas la meilleure des destinations pour un soldat. De plus, il devait également faire face aux questions de Nolan, et sa curiosité n’arrangeait rien. Mine de rien, le petit garçon semblait avoir conscience de l’importance que Loan allait prendre dans sa vie, et il ne se passait pas une journée sans qu’il ne demande à quel moment elle allait revenir. Incapable de lui expliquer les raisons de son absence, Caleb se contentait de lui assurer qu’elle rentrerait bientôt, quand elle aurait moins de travail.

Seulement voilà, plus les jours passaient et moins Caleb parvenait à se sortir Loan de la tête. Quoi qu’il en dise, il était mort d’inquiétude et chaque coup de téléphone lui faisait craindre le pire. Profitant des bons services de Mia qui avait souhaité garder son fils, le militaire avait donc décidé de se rendre dans un endroit bien précis. Un endroit que lui avait indiqué Loan avant de partir, où il pourrait trouver Tayla. En effet, elle lui avait assuré que la jeune femme serait la première au courant si quelque chose tournait mal. N’y tenant plus, Caleb avait donc rangé sa fierté au placard, et s’était lancé à la recherche de ce bar a priori encore fermé : le Scorpio. Il était entré dans l’établissement un peu au hasard et, entendant du bruit au-dessus de lui, avait emprunté le monte-charge.

A peine eut-il croisé le regard de Tayla que son visage s’illumina d’un sourire. Ca faisait tellement longtemps qu’il ne l’avait pas vue… Tout ce qui avait pu se passer après son départ de l’USAFA lui donnait l’impression que cette époque remontait à une éternité. « Quelle surprise ! Wow, ça fait combien de temps maintenant, trois, quatre ans ? » S’approchant pour offrir à Tayla une brève étreinte, Caleb répondit : « Tu l’as dit, ça fait une éternité ! Comment tu vas ? » Même s’ils ne s’étaient toujours côtoyés que par ‘intermédiaire de Loan, le fait de la retrouver faisait plaisir à Caleb. Dans un sens, sa présence lui rappelait de bons souvenirs. Des souvenirs de sa relation avec Loan notamment, mais aussi de la période qu’il avait passé à l’USAFA et pendant laquelle il était devenu ce qu’il était aujourd’hui. Bref, cette situation lui faisait un peu l’effet d’un brusque retour dans le temps et ce n’était pas désagréable. Le regard du jeune homme se balada ça et là dans l’immense pièce qui l’accueillait et, malgré sa surprise, il afficha un petit sourire. « C’est sympa ici ! C’est… c’est à toi tout ça ? »

Comme s’ils ne s’étaient jamais vraiment perdus de vue, Caleb avait serré la jeune femme dans ses bras. Son sourire, et le regard qu’il portait sur elle ne laissaient d’ailleurs aucun doute possible. Il était vraiment heureux de la revoir. Et même s’il faisait d’ordinaire preuve de beaucoup plus de distinction, le militaire ne put s’empêcher d’observer Tayla de haut en bas. Dans un premier temps, il avait voulu être discret. Mais plus ses yeux glissaient sur elle, plus son regard se faisait absent, presque rêveur. Il fallait dire que Tayla avait largement de quoi faire tourner les têtes, et le jeune homme dut presque se faire violence pour reprendre ses esprits, et continuer une conversation normale. En même temps, rien ne l’étonnait vraiment. Même à l’époque de l’USAFA, Tayla avait un certain nombre d’atouts qui lui assuraient d’être vue et « appréciée » en toutes circonstances. « Ca va aussi ! Je suis content de te revoir ! »

Plus Caleb regardait autour de lui, et plus il était impressionné. Tout avait l’air flambant neuf, et prêt à accueillir une masse de clientèle dont le jeune homme ne parvenait cependant pas à s’imaginer la nature. L’énorme scorpion au-dessus du comptoir, les barres dispersées dans l’ensemble de la salle… Cette ambiance fit sourire Caleb, mais il ne se formalisa pas. A bien y réfléchir, c’était du Tayla tout craché, et ça n’avait vraiment rien d’étonnant. Ce qui était plus surprenant en revanche, c’était que Loan l’avait conseillée. Mais le militaire ne put néanmoins pas s’empêcher de sourire devant le trop-plein d’enthousiasme de son interlocutrice, qui levait les bras comme si elle s’était trouvée sur une scène en train de présenter son œuvre. Caleb acquiesça d’un hochement de tête, et ajouta avec une mine impressionnée : « Je vois… T’as fait du bon boulot ! Tu ouvres bientôt ? »

Installé sur un des tabourets placés devant le comptoir, Caleb laissa aller son regard autour de lui pendant quelques secondes supplémentaires, avant de se reconcentrer sur Tayla. Ne sachant pas vraiment comment aborder le sujet, il passa d’abord un long moment à la fixer en silence. En fait, il cherchait ses mots, s’apprêtait à parler puis se reprenait au dernier moment, pour chercher encore un peu. Mais, conscient de son attitude pour le moins ridicule, le jeune homme se résigna et afficha une petite grimace. « Euh… Tayla ? Je peux te demander quelque chose ? » commença-t-il d’un ton quelque peu hésitant. « En fait… Loan m’avait dit que tu serais la première à savoir si quelque chose se passait mal pour elle et… comme je n’ai pas de nouvelles depuis son départ… je me demandai si… enfin tu vois ! Est-ce que tu sais quelque chose ? »

« Il me reste encore quelques travaux à faire, mais quoiqu'il en soit j'ai pas l'intention d'ouvrir sans Loan ; c'est elle qui m'a donné l'idée, je veux absolument qu'elle soit là pour l'ouverture. » Caleb acquiesça en affichant un léger sourire, tout en continuant son « inspection » des lieux. Même si ce bar ne ressemblait a priori pas vraiment à ceux qu’il fréquentait d’habitude, le militaire ne pouvait que saluer l’initiative et surtout la réussite du projet de Tayla. Et le fait que Loan l’ait aidée et soutenue dans cette entreprise n’ôtait rien à l’intérêt que ce bar allait certainement prendre pour Caleb. « C’est super, vraiment. J’espère que j’aurai mes entrées V.I.P hein ! Quand Loan sera rentrée… »

Loan, justement. Malgré son enthousiasme, Caleb n’en oubliait pas pour quelle raison il était venu jusqu’ici. Car c’était bel et bien son angoisse et ses inquiétudes qui l’avaient guidées jusqu’à Tayla. Et à peine eut-il osé poser la question qui lui brulait les lèvres depuis des semaines que la jeune femme se mit à sourire. Sans pouvoir s’en empêcher, le militaire laissa échapper un léger soupir de soulagement. Sans en avoir entendu plus, le sourire de Tayla lui avait en quelques sortes assuré que tout allait bien pour Loan. « Aux dernières nouvelles, elle est vivante - j'ai reçu que ça, tiens. » déclara-t-elle en lui tendant son téléphone portable. Aussitôt, et presque fébrilement malgré le soulagement qu’il avait ressenti un peu plus tôt, Caleb s’empara du téléphone et se lança dans la lecture du message en question. Alors qu’il parcourait l’écran, Tayla lui demanda s’il voulait boire quelque chose… ce à quoi il répondit d’un air complètement absent. « Hm… moui… ce que tu veux. »

Loan a écrit:

Be greatful that you can reach me girl ... Actually I'll come back sooner than I expected, I had some problems with my unit but I can't really tell you by phone. Anyway I miss you ...

Le message de Loan indiquait effectivement qu’elle était vivante, mais il lui apprenait également qu’elle allait rentrer plus tôt que prévu. Son unité avait visiblement eu quelques problèmes, et l’imagination de Caleb s’empressa de prendre le relai. « Rassuré ? » Le jeune homme leva un regard mi-inquiet vers son interlocutrice en répondant : « Oui et non… C’est tout ce que tu as eu ? Est-ce que tu sais ce qu’elle entend pas “petits problèmes ” ?! Elle… elle va bien ? » Le fait que Loan soit vivante était une chose, le fait qu’elle soit en seul morceau en était une autre. Et Caleb était malheureusement assez bien placé pour pouvoir s’imaginer tout un tas de choses plus horribles les unes que les autres ce qui, en soi, ne l’aidait pas vraiment à se rassurer.

« Avec grand plaisir ! T'es mon premier client, t'as intérêt à t'en montrer digne. » Caleb aurait pu être flatté ou amusé, mais il s’était déjà jeté sur le téléphone que lui tendait Tayla et, lancé dans a lecture du message de Loan, il se contenta d’afficher un maigre sourire. L’inquiétude le rongeait, et le pire était qu’il ne savait même pas s’il ressentait tout ça pour son fils ou pour lui-même. Il savait Nolan tellement enthousiaste à l’idée de revoir Loan que le simple fait de penser qu’il puisse lui arriver quelque chose en Afghanistan le rendait malade. Comment serait-il censé l’expliquer à son fils ? Comment lui ferait-il comprendre qu’après quelques entrevues seulement, sa mère s’était déjà volatilisée et qu’il ne la verrait plus jamais ? Non, Loan n’avait définitivement pas d’autre choix que de revenir en un seul morceau, et c’est pour cette raison que Caleb prenait ce message avec autant de sérieux.

Mais même après avoir parcouru le message de Loan plusieurs fois, le militaire resta un peu sur sa faim. Pire, son inquiétude, même si elle s’était légèrement calmée, n’était pas totalement apaisée pour autant. Certes, la jeune femme était bien vivante mais elle avait également parlé de quelques « complications » que son unité avait rencontrées. Mais bien vite, Caleb constata avec une certaine satisfaction que Tayla faisait tout pour le rassurer. Et autant dire que ses arguments étaient de taille ! Le jeune homme savait qu’elle connaissait Loan au moins aussi bien que lui, si ce n’était plus. Alors il ne pouvait pas la contredire, et fut bien obligé d’admettre qu’elle avait raison. Loan était assez forte et débrouillarde pour se sortir de tous ses faux pas sans trop de mal. « Et je suis sûre qu'elle te contactera dès qu'elle en sera capable. En attendant, bois un coup, ça va te détendre ! » Tout en acquiesçant, Caleb sembla enfin se détendre et s’autorisa même à sourire en trinquant avec Tayla. En même temps, comment lui résister ? La jeune femme savait y faire, et le petit cocktail qu’elle leur avait concocté n’était qu’un élément supplémentaire qui permettrait au militaire de se détendre et de profiter pleinement de ses retrouvailles avec Tayla.

Attrapant le verre qui trônait devant lui, Caleb trinqua avec la jeune femme et avala ensuite une grande partie du breuvage avant d’écarquiller les yeux. Avec un cocktail de ce calibre, le militaire ne pouvait QUE remonter la pente, et c’était probablement l’effet escompté par Tayla. Doucement, il se mit à rire et avoua : « Wow ! Il est costaud… mais délicieux ! » Le jeune homme termina ensuite son verre d’une seule traite. Après tout, si c’était le seul moyen d’effacer son inquiétude, ce n’était pas si désagréable que ça… « Si tu as d’autres trucs à tester avant l’ouverture hein… Je suis ton homme ! » ajouta-t-il avec un brin d’ironie.

Le mélange détonnant que lui avait servi Tayla était fameux, mais son effet ne se fit pas prier pour venir embuer l’esprit d’un Caleb somme toute peu habitué à ce genre de traitement. Autrefois, il avait été bien plus fêtard mais depuis l’arrivée de Nolan, il ne pouvait plus vraiment se permettre ce luxe-là. Il avait désormais des responsabilités, un petit bonhomme sur lequel il devait veiller et son simple statut de père avait suffit à faire taire toutes les petites voix qui l’incitaient à sortir et faire la fête comme avant. Seulement ce soir, c’était un peu différent. Nolan n’était pas là, et il allait même passer la nuit entière chez Mia, ce qui sous-entendait que le militaire n’était contraint par aucun horaire ni aucune échéance. A vrai dire, Caleb n’avait pas spécialement prévu de s’éterniser dans ce bar même pas encore ouvert. Il comptait récupérer les informations dont il avait besoin sur l’état de santé Loan, et repartir aussitôt. Mais, une fois rassuré sur le fait que son ex-petite amie et la mère de son fils soit toujours en vie, ses projets avaient quelque peu évolué. Il fallait dire que le fait de revoir Tayla l’enthousiasmait vraiment. Cela faisait tellement longtemps qu’ils ne s’étaient pas croisés… Caleb ne pouvait tout simplement pas partir comme un voleur sans passer plus de temps avec celle qu’il avait un peu considérée comme une amie quelques années auparavant. Et puis il devait avouer que la jeune femme avait des arguments plutôt convaincants pour le faire rester…

« Hm, pour ce qui est des cocktails, je compte bien engager des gens pour faire des mélanges encore meilleurs que les miens – et c'est un challenge. » déclara-t-elle avant d’engloutir un nouveau shot cul-sec sous le nez d’un Caleb quasi-médusé… mais qui ne put néanmoins pas se retenir de sourire en la voyant faire. Puis, pour répondre à « l’offre » que lui avait faite le militaire, Tayla enchaina sur les shows qu’allait accueillir son futur bar. Evidemment, en voyant le décor qu’elle avait mis ne place Caleb s’était douté du genre de chose qu’il se passerait ici, mais lorsqu’elle lui proposa une démonstration, le sourire qu’il affichait s’étira un peu plus. Arquant un sourcil d’un air surpris, il acquiesça néanmoins et pivota sur son tabouret afin de la suivre du regard jusqu’à la barre devant laquelle elle se posta. Alors comme ça, elle avait connu le monde du cirque ? Caleb l’ignorait, mais en réfléchissant bien, il réalisa qu’il ignorait en fait une grande partie de la vie de Tayla. Après tout, la seule chose dont il était vraiment sûr, c’était qu’elle et Loan étaient les meilleures amies du monde. Sorti de là, il ne savait plus rien.

Les vapeurs d’alcool aidant, Caleb ne semblait plus se rendre compte de ce qui était en train de se tramer dans ce bar. Naïvement, il avait accepté la proposition de Tayla sans ciller, et il était maintenant planté là en attendant sa démonstration. Quelque part, le jeune homme aurait eu envie de s’approcher, de la rejoindre, mais il se savait tellement gauche en ce qui concernait ce genre de chose qu’il préféra rester vissé sur son tabouret, se contentant de profiter du spectacle de loin en luttant pour ne pas laisser ses pensées déplacées prendre le dessus.

Caleb était tellement absorbé par la démonstration que lui offrait Tayla qu’il en avait totalement oublié l’existence de son verre. Son regard était rivé sur la jeune femme, épousant le moindre de ses mouvements, la moindre de ses courbes. Il fut même contraint de se reprendre après quelques instants d’absence, en s’apercevant que sa bouche s’était malencontreusement entrouverte. Tout à coup assez mal à l’aise, Caleb se dandina sur son tabouret et baissa les yeux, attrapant du même coup son verre pour y prélever une interminable gorgée. Et au moment où il reposa son regard sur Tayla, cette dernière terminait sa démonstration en souriant. « Bien sûr, ce sera pas moi qui dansera, j'engagerais des filles pour ça, mais grosso modo... Ce sera ce que j’attends d'elles. » déclara-t-elle fièrement devant un Caleb encore profondément perturbé par ce à quoi il venait d’assister. En guise de réponse, la jeune femme n’eut d’ailleurs droit qu’à un bref sourire quasi-timide, attestant bien que les pensées du militaire étaient encore occupées par des images et des idées pour le moins déplacées. « Alors, t'en penses quoi ? » continua-t-elle innocemment en ingurgitant un nouveau shot.

Le premier réflexe de Caleb fut de laisser échapper un petit rire, avant de reporter un regard qu’il voulut admiratif sur Tayla. Seulement voilà, les vapeurs d’alcool qui encombraient de plus en plus l’esprit du jeune homme eurent tendance à empreindre ce regard d’un certain désir, que Caleb essayait de réprimer depuis la première seconde à laquelle Tayla s’était mise à danser. « Ce que j’en pense ? C’est dommage que ce ne soit pas toi qui danse tous les soirs… Mais si tes danseuses ont autant de talent que toi, ton bar va faire un carton, tu peux en être sûre ! » Le militaire se retourna ensuite pour faire face au comptoir et poser ses coudes sur celui-ci. De cette manière, il avait moins de chance de croiser le regard de Tayla et donc de laisser ses envies prendre le dessus. Car plus le temps passait, plus l’ivresse laissait place à des idées frisant l’indécence dans la tête de Caleb. Pourtant, il était encore assez lucide pour savoir qu’il n’était pas en droit de faire une telle chose. Non pas parce qu’il était encore amoureux de Loan, ça ne l’avait pas empêché d’avoir des aventures depuis le jour où ils avaient rompu. Mais Tayla était la meilleure amie de Loan, et craquer pour elle alors que on ex-petite amie était au fin fond de l’Afghanistan avec son unité n‘était certainement pas la meilleure des choses à faire. Le timing était loin d’être parfait, et Caleb usait donc de toutes es forces pour rester de marbre face aux atouts indéniables de la propriétaire des lieux. Et pour ce faire il lui paraissait essentiel de changer de sujet au plus vite, histoire de dissiper les souvenirs qu’avait laissé la démonstration précédente. C’est donc d’une voix qui se voulait être neutre que le militaire reprit : « Alors… tu as déjà bossé dans un cirque, c’est ça ? J’ai toujours rêvé de vivre dans un monde comme ça… » Un petit sourire étira ses lèvres alors qu’il retournait la tête vers Tayla sans même s’en apercevoir. Son regard resta accroché à celui de la jeune femme pendant quelques instants où un léger flottement se fit sentir. Mais très vite, Caleb attrapa son verre pour le secouer au-dessus du comptoir. Est-ce que… je peux réclamer une nouvelle tournée ? » L’alcool n’était une solution ni pour changer de sujet, ni pour arranger la situation dans la tête de Caleb mais c’était bel et bien le seul moyen qu’il avait trouvé pour continuer un semblant de conversation normale.

L’alcool et le fait d’être totalement envoûté par Tayla aidant, Caleb avait totalement oublié la raison de sa venue au Scorpio. Son regard plongé dans celui de la jeune femme, il semblait incapable de penser à autre chose ou même de bouger de son tabouret. Il la savait séduisante, mais jamais auparavant il ne s’était prit à l’admirer de la sorte, peut-être parce qu’à l’époque à laquelle ils s’étaient fréquentés, toute son attention était tournée vers Loan. Et même si dans un sens c’était toujours un peu le cas, ce soir, Caleb voyait la jolie brune d’une toute autre manière.

Comme pour se redonner un semblant de contenance, l’américain réclama une nouvelle tournée que Tayla sembla lui offrir avec grand plaisir. Après tout, s’il était son tout premier client, il se devait d’étrenner le comptoir n’es-ce pas ? Mais alors que la jeune propriétaire vidait un énième shot en même temps que Caleb, le jeune homme sentit subitement l’ambiance changer. Le regard de Tayla, son petit sourire nostalgique… il n’en fallait pas plus pour lui faire comprendre qu’elle était soudain très sérieuse et même sincère. « Le cirque c'est... ouais, plutôt exceptionnel. Surtout pour moi, à l'époque. J'avais pas de parents, personne pour vraiment s'occuper de moi, et ce cirque qui est arrivé en ville... Il était pas vraiment connu quand j'y suis rentrée, j'avais genre 10 ans. Ils ont accepté de m'avoir en tant qu'apprentie, se sont débrouillés avec mon orphelinat et après ça... j'ai vécu 4 années magiques, vraiment. La vie sur les routes, les autres enfants du cirque – même si je leur ai plus parlé depuis que je suis partie – et surtout les numéros... les acrobaties, tout ça, c'était vraiment la folie, j'adorais ça, tu pouvais me laisser toute la journée sous le chapiteau, tu me trouverais toujours sur mon fil en revenant le soir ! » La bouche entrouverte sous le coup de la surprise, Caleb s’accorda quelques secondes pour réaliser la masse de révélations qu’il venait de recevoir. Il avait beau la connaître depuis un bout de temps, jamais Tayla ne s’était confiée à lui de la sorte. Et en quelques secondes à peine, il en avait appris bien plus sur elle qu’en plusieurs années. « Wow… » murmura-t-il, se trouvant brusquement mal à l’aise par tant de révélations. « Je… j’ignorai tout ça… c’est… je comprends mieux pourquoi tu es tellement douée ! » ajouta-t-il avec un petit sourire. Le militaire détourna alors son regard d’elle. D’un air distrait, il fit tourner son petit verre entre ses doigts, en se répétant intérieurement tout ce qu’elle venait de lui dire. Puis, il laissa échapper un petit rire quasi-amer et haussa les épaules sans pour autant reposer son regard sur Tayla. « Finalement… on ne se connait pas tant que ça… » lâcha-t-il presque pour lui-même, sans s’apercevoir qu’en réalité il parlait à voix haute.