Il paraît que la nuit, c'est fait pour dormir. De toute façon contrairement à ce que vous pouvez penser, je ne sors pas tous les soirs. C'est seulement parce qu'il y a encore quelques mois, c'était les vacances et qu'on voulait tous en profiter. Mais les cours ont repris, bien évidemment et en plus, j'ai eu mon père au téléphone il n'y a pas longtemps ... Autant dire que, vu que Kat a abandonné ses études, ses attentes reposent légèrement un peu beaucoup sur moi à présent. Pas que ça me gêne particulièrement, non, car dans l'ensemble, je n'ai rien à reprocher à mes études de droit. Certes mon père voulait quelque chose de "prestigieux" mais j'ai eu mon mot à dire aussi. Bref, j'essaie de bien commencer l'année et ça passe par éviter de déconner au niveau des sorties. Enfin plus ou moins. Parce que là, il est deux heures du matin et pourtant, je ne dors toujours pas. Impossible de fermer l'oeil depuis plusieurs heures, à mon plus grand désespoir, alors que j'ai cours dès huit heures demain matin. C'est génial, absolument génial. Du coup, au-cas-où je ne connaissais pas encore le plafond de ma chambre par coeur, c'est maintenant chose faite ! Je soupire et me pose pour la énième fois sur le dos. C'est sûrement parce que c'est le foutoir dans ma tête, je vois que ça comme raison. Ma soeur est de retour depuis presque deux mois maintenant. On a repris nos habitudes, notre vie à deux si on peut dire ça comme ça. C'est presque comme si elle n'était jamais partie. Presque. J'ai beau me persuader du contraire, j'ai l'impression qu'il y a quelque chose qu'elle ne me dit pas et ça me tracasse. J'imagine que je ne dis rien parce que ... parce que j'ai pas envie que les choses se dégradent encore entre nous.

Seulement voilà, tant qu'il y a encore des secrets entre nous, on ne peut pas vraiment retrouver notre "vraie" relation. Mais disons qu'en grandissant, ça devient de plus en plus compliqué ... Par exemple, je parle d'elle qui me cache un truc alors que je ne lui ai toujours pas dit que j'avais revu Hazel l'autre jour à une soirée. Connaissant l'amour qu'elles se portent toutes les deux, j'ai un peu de mal à me décider à ce niveau. Donc je lui cache des trucs aussi ... Ouais, c'est sûrement à cause de ça. Surtout qu'il y a quelques jours, Danjel est venu me voir pour me parler de Rory. Elle a fait des cauchemars quand elle était avec lui. Oui j'ai préféré ne pas poser plus de questions sur le pourquoi du comment il sait ça. En tous les cas c'était pas joyeux apparemment. Donc ça me conforte dans l'idée qu'il y a bien quelque chose et que je ne suis pas en train de me faire des idées. Ma soeur n'est plus la même depuis son retour. Je veux bien croire qu'elle ait vue des choses très graves mais ... C'est quoi ce bruit ? Je reste immobile dans mon lit, en train de me demander si j'ai rêvé ou pas. Quelques secondes de silence passent. Alors que je commence à me dire que je deviens réellement taré, le bruit recommence. Plus fort. Ce n'est pas qu'un simple bruit, ça ressemble plus à un gémissement, à un cri. Un cri ... Merde ! J'ai littéralement bondi de mon lit en comprenant ce qu'il se passe. Pourquoi ? Pourquoi je ne lui ai pas demandé de me parler au lieu de faire l'autruche ? Et surtout, comment j'ai fait pour ne pas remarquer ses cauchemars ? Je suis sorti de ma chambre et ai traversé les quelques mètres qui séparent la mienne de la sienne comme une flèche. « KAT ! » ai-je fait en entrant dans sa chambre. Je me précipite vers elle, dans l'espoir de la réveiller au plus vite. Elle s'agite, dans tous les sens dans son lit, continuant de gémir et de murmurer des choses incompréhensibles, comme si les pires démons la poursuivent dans son cauchemar. J'allume la lampe posée sur sa table de chevet. « Réveille toi Kat ! C'est qu'un cauchemar, réveille toi ! » ai-je continué en la secouant légèrement.

Sur le moment, je me suis senti impuissant, et autant dire que je déteste ressentir un tel sentiment, surtout quand il concerne ma soeur. Je me suis traité de tous les noms, en la voyant se débattre dans son lit contre un ennemi que je suis incapable de voir ou même d'imaginer. Je me suis traité de tous les noms parce que je n'aie pas assez insisté à son retour pour qu'elle me raconte, pour qu'elle me parle tout ce qu'elle a pu voir et vivre là-bas ... J'ai fait des tentatives hésitantes, ce qui n'a au final servi à rien. Depuis quand j'hésite à demander des trucs à ma soeur d'abord ? N'importe quoi ! Et maintenant la voir dans cet état c'est juste ... Plus question d'hésiter. Enfin déjà, il faut que j'arrive à la réveiller, ce qui prend quelques secondes encore d'affolement total, avant qu'enfin, Kat n'ouvre les yeux. Sauf que forcément, j'ai à peine le temps de réaliser la chose que je me fais pousser violemment et manque de tomber en arrière. Dans la précipitation, elle ne fait pas encore la différence entre son cauchemar et la réalité. Durant cet infime instant, je suis cet ennemi qui la terrorise et que je suis incapable de voir. Cet ennemi qui ... Putain qu'est-ce que je raconte ? Le manque de sommeil commence sérieusement à m'atteindre faut croire. Je reste immobile, dans la pénombre, le souffle court, comme si j'étais celui qui faisait le cauchemar ... J'attends qu'elle retrouve ses esprits, qu'elle réalise que tout va bien qu'elle est en sécurité ici. Le regard hagard de Kat me laisse perplexe. Nos yeux se croisent. Je pose une main sur sa joue. J'aimerais pouvoir être capable de lui dire quelque chose à cet instant précis mais tout reste au fond de ma gorge. A tel point a-t-elle changé depuis son retour d'Afrique ? Ai-je déjà vu cette lueur auparavant dans son regard ?

C'est fini, on ne peut plus faire comme si de rien était. Je ne peux plus faire comme si de rien était, me dire que le fait qu'on se soit retrouvés est tout ce qui compte quand je sais qu'il s'est passé quelque chose là-bas, à des kilomètres d'ici, et qui la met dans un tel état. Rapidement, ses yeux se remplissent de larmes et je la prends dans mes bras avant qu'elle ne craque. Enfin. Bien sûr je déteste la voir ainsi mais si ça peut l'aider à me parler. Je ne sais pas exactement ce qu'il se passe mais peu importe, je l'ai serrée de toutes mes forces pour qu'elle comprenne que je suis là et que je ne la lâcherai pas. « Shhhht ... t'es en sécurité, tout va bien. » ai-je murmuré le menton posé sur le haut de son crâne. Quand elle va mal, je vais mal. On est jumeaux, ça va par paire tout ça. Même aux pires moments, on a toujours été là l'un pour l'autre, et je ne vois pas pourquoi ça ne sera pas le cas pour celui-là. Donc les minutes ont passé, doucement. Elle a pris le temps qu'il a fallu pour se calmer un peu et moi j'ai attendu, toujours fidèle à mon poste. Quand elle s'est écartée de moi, je ne l'ai pas quittée du regard. Regard inquiet bien évidemment. « Désolée, je voulais pas te réveiller... » a-t-elle fini par dire. « C'est rien, je dormais pas de toute façon. » Je la regarde, comme si ... comme si j'attendais qu'elle me parle, qu'elle se lance elle-même pour m'expliquer ... mais rien ne vient. Elle tremble toujours près de moi. Je soupire. Non vraiment là, je peux pas passer à côté de ça. Quel frère digne de ce nom je ferais sinon ? Seulement, à quel point c'est grave pour qu'elle n'en parle pas, même à moi ? Je me suis installé un peu mieux sur le bord de son lit. « Kat, je t'en prie parle-moi ... » ai-je demandé d'un ton suppliant.

Quelque chose a changé, quelque chose est différent depuis qu'elle est rentrée. Je ne sais pas quoi mais ça me paraît évident et je n'aime pas ça du tout. La relation privilégiée qu'on a ensemble, je ne veux pas qu'elle change. Les gens, les autres m'ont souvent dit qu'elle finirait par changer, que c'était impossible en grandissant, qu'on reste aussi proches ... Je n'ai pas envie de leur donner raison, tous mais pas ça. Donc quand j'ai entendu son cri de ma chambre ... De toute façon c'est pas la première fois que je fais ça. Quand ce genre de choses arrivaient durant notre enfance, je faisais la même chose. Me glisser doucement dans sa chambre et faire en sorte qu'elle se réveille pour l'avertir qu'elle est en sécurité. Là c'est la même chose, enfin presque. En la voyant aussi agitée et se réveiller en sursaut, en sachant tout ce qui a pu passer ces derniers temps et sa mission en Afrique, je ... Nos peurs d'enfants ont disparu, laissant place à celles que les adultes ont, plus horribles, plus sombres et plus cruelles. Je la laisse réaliser que je suis là, que tout va bien. Je la laisse reprendre son souffle et revenir à la réalité qui normalement, est plus douce que dans son cauchemar. Je ressers mes bras autour d'elle quand l'inverse se produit juste avant, comme pour l'empêcher de me laisser à nouveau, comme pour lui dire que je ne l'abandonne pas. Cette fois, je ne ferai pas demi-tour en faisant l'autruche sur les impressions que je peux avoir à son sujet. Il s'est passé quelque chose, s'est évident et je ne peux définitivement pas la laisser dans un tel état. Je serais indigne d'être son jumeau si je faisais une telle chose. Alors le moment est venu oui, il faut que ça le soit parce qu'elle ne peut pas rester ainsi. Quoiqu'il se soit passé, ça la ronge de l'intérieur et ... c'est ma jumelle. Dans ce genre de moment j'ai l'impression de ressentir tout ce qu'elle ressent.

Quand je lui demande de me parler, redoutant la suite, elle plante un regard presque effrayé dans le mien sans pour autant dire quoique ce soit. C'est sûr, je pourrais me lever de son lit, lui dire bonne nuit, la laisser se rendormir et surtout, la laisser tranquille mais je suis sure que ce n'est pas la bonne solution. Les secrets entre nous font souvent que les choses se terminent mal alors ... Alors je ne flanche pas. Elle baisse les yeux. Mon inquiétude grandit. Son comportement ne fait que confirmer tout ce que je pense depuis quelques temps.« Je – je vois pas de quoi tu parles... » balbutie Kat les yeux baissés. Ma mâchoire se crispe mais non, je ne flanche toujours pas. Bordel, mais qu'est-ce qui a pu se passer à l'autre bout du monde pour ... ça. Mais je me dis que depuis toutes ces années, j'ai toujours su comment lui parler, si on oublie toute la période avec Chris bien sûr. Je me dis que je ne veux pas la forcer à me dire ce qu'elle ne veut pas me dire, je me suis toujours dit ça en fait mais là ... Je ne peux tout simplement me permettre une telle chose et la laisser s'enfoncer dans ses cauchemars. « Je peux pas... » J'ai soupiré, non par lassitude mais ... enfin je sais pas comment expliquer ça exactement. Léger silence. Toutes les questions dans ma tête. Mon envie de l'aider, mon envie de la calmer et de lui redonner le sourire. Ce sont ses envies qui priment avant mes doutes et mon inquiétude. Du bout des doigts, je lève doucement son menton pour qu'elle arrête de fuir mon regard et préférer sa couette de lit à mes yeux. « Et moi je ne peux pas te laisser comme ça. Je ne vais pas bouger de ta chambre tant que tu ne m'auras pas dit quelque chose. Je resterais toute la nuit s'il le faut. » ai-je fait très sérieusement en lui laissant sous-entendre que je ne lui laisse pas le choix même si oui, la forcer à dire quelque chose qui a l'air aussi douloureux pour elle ne me fait pas plaisir. Et ce que je ne lui dis pas non plus c'est qu'elle me parle ou non, je resterai quoiqu'il arrive avec elle cette nuit pour m'assurer que ses cauchemars la laissent tranquille. Comme quand on était petits, en Egypte et à Londres. J'ai enlevé mes doigts de son menton pour ensuite, serrer sa main, fort, fort, fort. L'avantage c'est qu'on n'a plus besoin de se parler pour se comprendre. Par ce geste et même sans j'ai envie de dire, elle sait très bien que je suis là pour elle et qu'elle peut tout me dire. J'espère. Puis soudain, je réalise qu'il y a un petit problème. Je n'ai pas été très honnête non plus, sur la façon dont s'est déroulé la soirée qui aurait dû être la plus mémorable de notre vie. Ma main quitte la suite, vague passage dans mes cheveux. « Je viens de réaliser que je te demande d'être honnête avec moi alors que moi je ne l'ai même pas été complètement avec toi ... » ai-je murmuré en secouant doucement la tête. Oh putain. Je suis à des lieues d'imaginer le secret de ma soeur mais l'idée de dire le mien me donne presque mal au ventre. J'ai limite honte en fait et vraiment ... je n'ai aucune envie qu'une autre personne que Chandler sache. Seulement voilà, j'ai commencé et ... dans une situation pareille il faut que je lui dise. Alors j'inspire profondément et prends sur moi. « Quand tu m'as demandé ce que j'avais fait le 17 et que je t'ai répondu la fête avec les autres ... C'était faux. » A mon tour de baisser les yeux quelques instants. « En fait je me sentais pas du tout de faire la fête pour fêter notre anniversaire sans toi. Alors j'ai bu ... un peu trop bu et je suis resté à la maison tout seul. Une ... amie est passée me voir et paraît que j'ai vraiment merdé avec elle et ... et voilà. »ai-je terminé en relevant à peine les yeux vers elle. Je réalise en prononçant les derniers mots qu'elle pourrait prendre ça de travers soit en pensant que j'essaie de la faire se sentir coupable et/ou qu'elle se sente maintenant obligée de me raconter ce qui lui est arrivé. Alors que pas du tout, enfin peut-être un peu pour la deuxième idée quand j'y pense ... Même sinon je ne veux pas ... Peu importe, c'est fait maintenant.