« Les derniers passagers du vol BA1534 à destination de New York sont priés de se rendre à l'enregistrement de leurs bagages. » La honte. Jamais Chloé n'avait été si en retard. Certes, elle était loin d'être ponctuelle et c'était sûrement un de ses principaux défauts. Mais en cette belle journée ensoleillée, elle avait péniblement slalomé entre touristes et poussettes se baladant tranquillement dans la capitale anglaise, et cela lui avait fait perdre un temps considérable. Si bien que pour la première fois, elle se sentit personnellement concernée par une annonce aéroportuaire. Oui, elle faisait bien partie des quelques grands retardataires en récidive qui apprenaient via un haut parleur résonnant dans tous les locaux de l'aéroport que leur vol risque de leur passer sous le nez. Tout en courant à en perdre haleine, Chloé se remémora ses quelques derniers jours. Elle avait eu l'opportunité de reprendre des forces dans une ville qu'elle chérissait, dont elle connaissait tous les rouages, et avec un voyage à l'oeil en plus. Car si Chloé avait désormais une situation plus qu'aisée, les avantages de travailler au sein d'une des meilleures chaînes de télévision lui apportait beaucoup d'avantages bonus, à l'image de celui d'obtenir des billets d'avion gratuits. Et pour une fois, Chloé avait eu l'accord de son boss pour s'octroyer une semaine de détente et de repos. Des congés bien mérités qui lui permirent de revoir les Londoniens dont elle était restée proche malgré la distance et les évènements passés. Elle avait séjourné chez une amie tout ce temps, et malgré la pluie et autres mésaventures météorologiques, Chloé était ravie de s'être évadée comme cela. À une chose près. Londres était la ville qu'elle portait le plus dans son coeur, mais à la fois, elle haïssait ses rues, ses parcs, ses restaurants, ses boites, son London eye ... autant de souvenirs qu'elle avait jadis partagé avec Simeo. Des années s'étaient écoulées depuis leur rupture, mais le quiproquo auquel elle avait dû faire face et surtout, la déception de voir qu'il ne croyait pas ses propos l'avait abattue à jamais. Leur rupture avait été injuste, et avait sonné le glas du bonheur à l'état brut dont elle bénéficiait auprès de lui. *JINGLE AÉROPORTUAIRE* Chloé sortit soudainement de ses pensées : elle était enfin arrivée à bon port. Enregistrement de bagages, et course à pied de nouveau jusqu'à la porte d'embarquement. Alors même que les officiers s'apprêtaient à clore les entrées et à fermer définitivement l'accès au couloir menant à l'avion, Chloé, haletante, se jeta sur le comptoir. Devant tant d'efforts, les officiers ne pouvaient que la laisser passer. C'est donc avec une chance inouïe qu'elle finit par pénétrer dans l'avion, direction la grosse pomme. Elle tendit son billet à une des hôtesses de l'air, qui sembla agacée. Evidemment, recevoir des retardataires ne devait pas être très plaisant car cela retardait (de quelques secondes ou minutes à peine) le départ, mais elle se devait d'être professionnelle et accueillante. Ce ne fut pas le cas, et Chloé lui aurait sans doute fait remarquer si elle n'avait pas été essoufflée comme jamais. L'hôtesse mal-aimable lui fit donc traverser la classe économique pour la faire ensuite passer derrière un rideau, celui de la classe affaires. Cela faisait bien longtemps que Choé n'avait plus de problèmes d'argent, et elle était habituée à voyager confortablement, mais cela la rendait toujours mal à l'aise d'être cachée derrière un rideau, comme si les personnes assises en classe éco ne valaient pas le coup d'être vues. C'était ridicule. Une fois même, elle avait demandée à être déclassée pour ne pas restée assise à côté d'un homme guindé, bourré de fric, et qui reluquait avec lourdeur son décolleté. Elle préférait largement être assise à côté de quelqu'un de plus simple, comme elle, quitte à passer un voyage moins douillet. Autant dire que c'était la même sensation à chaque découverte de siège : qui allait être son voisin pendant dix heures ? Un homme d'affaires plongé dans son travail et qui ne lui dira même pas bonjour ? Une femme enceinte et qui aura juste envie de papoter ? Un insupportable fils à papa ? La surprise était toujours au rendez-vous, qu'elle soit agréable, ou pas. Pour le coup, en ce jour, la surprise semblait plutôt agréable.. de dos. C'était apparemment un jeune homme de son âge, qui vestimentairement était tout à fait son style. Elle afficha donc un grand sourire et s'assit doucement. « Bonjour, moi c'est Chl.. » Sa respiration fut coupée, son sang ne fit qu'un tour et son coeur rata un battement. Impossible. Tout ce temps à essayer de se remettre, de l'éviter, pour tomber nez-à-nez avec lui. Il eut à peine le temps de tourner partiellement son visage vers elle qu'elle le reconnut : Simeo. Elle avait l'impression que le temps s'était arrêté, que toutes les personnes sauf eux deux dans cet avion étaient figées. C'était comme si tout ralentissait : le temps, la vie, son cerveau, elle, lui. Chloé resta sans doute la bouche semi-ouverte et les yeux écarquillés pendant plusieurs longues secondes sans s'en rendre compte, avant de se renfoncer dans son siège et de fixer droit devant elle un point invisible. « C'est pas possible.. » prononça-t-elle alors même que l'avion prenait l'élan nécessaire à son décollage. De toutes les manières possibles, elle serait cloitrée dans le même engin aérien que l'homme qui a brisé son coeur en mille morceaux.

Ce qui devait être un agréable voyage, utile pour se détendre en classe affaire et y rédiger quelques lignes de sa future chronique venait en une fraction de seconde de se transformer en un horrible cauchemar. Chloé aurait d'ailleurs tout donné, tout, pour se réveiller et sortir indemne de ce mauvais rêve. Mais malheureusement pour elle, il ne s'agissait pas seulement d'un mauvais rêve. Lui, ce voisin qu'elle avait jadis tant chéri, tant aimé, était là, à quelques centimètres d'elle. Il n'avait évidemment plus le même statut qu'auparavant et n'était pour la demoiselle qu'une page qu'elle souhaitait un jour réussir à tourner. Ce qu'elle n'avait encore, jusqu'à aujourd'hui, jamais réussi à faire. C'était comme renoncer à une partie de son être, et dit comme cela, une quelconque rancoeur semble impossible à imaginer. Et pourtant.. Chloé avait la rage contre lui, elle ressentait des sentiments si forts qu'elle aurait aimé à la fois se blottir contre lui que lui décoller un poing dans la figure. Toujours est-il qu'à ce moment précis, fixant un point invisible devant elle, Chloé déchantait. Elle se décomposait en pensant que le compte à rebours était lancé et qu'elle en avait pour dix longues heures. Impossible. 'De toute évidence si...' Ses mains se crispèrent. Mais pour qui se prenait-il ? Elle soupira lentement et pris sur elle. ''C'est pas de chance pour toi en tout cas. J'imagine que tu aurais préféré te retrouver assisse à côté d'un de mes autres amis' Et il enchaînait l'insolent ! Chloé n'avait jamais été physiquement bagarreuse (thanks to her education) mais jamais elle ne s'était laissée faire. Ja-mais. Ce n'était certainement pas ce petit minot à gueule d'ange qui allait commencer. Elle se retourna vivement vers lui, les nerfs à vif. Dieu qu'il était beau. Il n'avait pas changé, il était toujours celui dont elle était éperdument tombée sous le charme. Celui qui faisait fondre n'importe quelle fille, et celui qui l'avait choisie, elle. La belle australienne sentit son coeur se resserrer. « Tu n'imagines pas à quel point ! » Pour le coup, elle avait mis les pieds dans le plat, en marchant dans son jeu. C'était terminé les moments d'une longueur infinie pendant lesquels elle s'égosillait à tenter en vain de lui faire comprendre qu'elle n'avait jamais eu ne serait-ce que l'intention de le tromper. Non, ça c'était avant. Car même si Simeo était toujours quelqu'un de secrètement très important dans son coeur, sa vie et son esprit, il était hors de question qu'elle se mette à genoux une fois de plus. Elle se sentait suffisamment humiliée depuis leur rupture pour tenter une nouvelle réconciliation, de quelque manière que ce soit. Aussi, pour tenter d'échapper au mieux à cette mascarade, Chloé attendit que l'avion finisse son décollage et se stabilise pour lever le bras et chercher du regard une hôtesse de l'air. Pas de bol, elle retomba sur la mal aimable. « Excusez-moi, resterait-il, par le plus grand des miracles, un autre siège de libre au bord de l'avion ? Peu importe lequel, même une chaise en bois me conviendrait ! » elle était très agacée, et cela se voyait. 'Je suis désolée mademoiselle, l'avion est complet, plus aucun siège n'est libre sur ce vol et puis.. vous êtes en très charmante compagnie..' dit-elle avant de draguer ouvertement Simeo et de repartir vaquer à ses occupations. Chloé eut envie de se lever et de lui arracher les cheveux. C'était trop, elle lui annonçait dédaigneusement la plus mauvaise nouvelle de la journée et en plus, elle faisait du charme à son ex. Non mais quel culot ! Elle posa sa tête dans une de ses mains, tournée à l'opposée de son voisin. Voyant à travers les hublots que la nuit commençait à tomber, elle pensa soudainement qu'elle pourrait faire semblant de dormir pour qu'il l'ignore. Mais elle n'y parviendrait pas. Et puis, Simeo la connaissait par coeur, il aurait sans doute compris son petit manège.
Le pied de Chloé tapait frénétiquement sur le sol, pour s'empêcher de se retourner et lui dire ses quatre vérités, une fois de plus. Avec lui, elle ne faisait que se contredire et pour preuve, dix minutes auparavant, elle ne lui aurait adressé la parole pour rien au monde, souhaitant au mieux éviter de se justifier sur les conséquences de cette malencontreuse entrevue avec le meilleur ami de Simeo. Mais d'un autre côté, cela la rongeait de l'intérieur. Elle se sentait tellement mal qu'il ne veuille pas ouvrir les yeux un jour, qu'il se borne à croire son soi-disant meilleur ami en carton. « En tous cas, t'es toujours aussi con. » Le dernier mot lui avait totalement échappé. Jamais elle n'aurait voulu l'insulter de la sorte, mais les circonstances de ces particulières retrouvailles et l'autre peau de vache qui l'avait dragué avait eu raison de la patience de Chloé. Oui, elle trouvait pour le coup qu'il avait vraiment été bête, qu'il était borné. Et c'était sans doute la première fois qu'elle lui attribuait ce mot blessant.