Un grognement lourd de sens s’échappa d’entre ses lèvres. Est-ce qu’il était humaine possible de supporter une telle douleur ? Loan en doutait sincèrement et chaque jour devenait un peu plus insupportable. Elle ignorait où elle tirait cette force qui lui permettait de se redresser dans son lit tous les matins, mais le fait est qu’elle y parvenait quand bien même avait-elle l’impression que tous ses os allaient se briser un à un sous son poids. Ses chevilles étaient une vraie torture, sans parler des douleurs dans son dos et la jeune femme attendait avec une grande impatience ce jour où, enfin, elle allait mettre au monde les jumelles – puisqu’à présent elle connaissait leur sexe. Néanmoins, pour le moment elle devait se contenter dans son emploi du temps routinier et donc de se rendre à l’hôpital pour passer deux bonnes heures avec tout un tas de femmes enceintes qui, comme elle, se préparaient au futur accouchement. Même si la philippine n’était pas associable, ces deux heures qu’elle passait au Lenox Hill ne l’enchantaient pas le moins du monde et c’était à reculons qu’elle s’y rendait avant d’en sortir plus épuisée que jamais. Elle avait l’impression que le moindre de ses mouvements lui demandaient un effort surhumain et elle rêvait de pouvoir s’effondrer sur un fauteuil ou autre à chaque pas qu’elle pouvait faire.

Cependant, elle ne pouvait pas se permettre de retourner chez elle, pas alors qu’elle avait promis à Nolan de passer le voir dans la journée. Lui expliquer le fait qu’elle était enceinte, qu’il allait être un grand frère s’était révélé encore plus compliqué que ce qu’elle avait pu imaginer, mais le petit garçon ne semblait pas s’en formaliser et accueillait plutôt bien la nouvelle, aussi étonnant que ça puisse être pour la philippine. Ainsi, ce fut lentement qu’elle prit la direction de l’appartement de Caleb après être parvenue à arrêter un taxi – et surtout à monter dedans. La tête en appuie contre la vitre de la portière, Loan ferma les yeux et se laissa bercer par le véhicule, lui permettant ainsi de souffler avant d’arriver à destination. Le fait de voir Nolan la rendait toujours très joyeuse, mais elle ne pouvait pas cacher que sa relation avec Caleb n’était pas spécialement au beau fixe malgré le fait que tous les deux faisaient pas mal d’efforts pour leur fils. Arrivée à destination, elle ne put s’empêcher de bénir le génie qui avait inventé l’ascenseur, invention qui lui permit de ne pas mourir dans les escaliers menant à l’appartement de Caleb qui lui ouvrit après qu’elle ait donné quelques coups contre la porte. Mais l’accueil le plus chaleureux vint de Nolan qui courut en direction de l’entrée à peine sa mère arrivée et s’arrêta à quelques mètres d’elle.

« Il est encore plus gros ton ventre. » Malheureusement oui, bien qu’elle se passa de l’avouer à haute voix et se contenta d’un large sourire en guise de réponse tandis que, déjà, Nolan l’entraînait vers le salon sans qu’elle ne remarque la présence de sa sœur. « Loan... » Brusquement tout son corps se figea. La dernière fois qu’elle avait eu l’occasion de revoir Salem autant dire que les choses ne s’étaient pas très bien passées. Lentement, elle se tourna vers sa jumelle et s’efforça de lui adresser un léger sourire. « Je savais pas que tu allais passer, si Caleb m'avait dit, j'aurais... » Sa jumelle n’eut pas même besoin de terminer sa phrase, la philippine l’avait parfaitement compris. Nolan tenant toujours sa main, il regarda les deux jeunes femmes avant de lâcher sa mère et de courir chercher la peluche que sa tante lui avait apporté en la traînant comme il le put avec lui. « Oui, je me doute … » Déclara-t-elle doucement pour lui faire comprendre de vive voix qu’elle savait qu’elle ne serait pas venue si elle avait su. « Mais ça me fait plaisir de te voir. » Tenta-t-elle doucement avant de poser les yeux sur Nolan caché derrière son énorme peluche panda, un sourire aux lèvres. « T’as vu le cadeau de tata ? » Demanda-t-il tout heureux en décalant sa tête sur le côté pour pouvoir voir les jumelles. « Difficile de ne pas le voir, je ne te vois même plus derrière. » Lâcha-t-elle amusée en passant une main dans les cheveux de son fils qu’elle ébouriffa, son regard se posant ensuite sur sa sœur. « Ça te dérange pas que je reste ? » Loan n’avait pas la moindre envie de s’imposer alors que sa sœur avait probablement envie de passer un peu de bon temps avec Caleb et son neveu.

La situation était étrange voir même pesante. La dernière fois que les jumelles avaient été dans la même pièce les choses ne s'étaient pas réellement très bien déroulées. Kiara éprouvait de la rancœur envers sa sœur que Loan avait mis du temps à comprendre mais qu'elle était tout de même incapable d'encaisser. Elles s'étaient brièvement revues avant le départ de la jeune femme pour l'Afghanistan et depuis c'était le silence radio. Son retour, elle le vivait aussi tranquillement que possible, tentant tant bien que mal de s'adapter à son congé et d'occuper ses journées pour ne pas devenir folle. La philippine faisait un travail considérable sur elle-même pour tâcher de s'améliorer et gommer les plus mauvais côtés de sa personnalité. En somme, elle essayait de grandir, de mûrir et d'être digne de l'intérêt que lui portait son petit garçon car, clairement, c'était avant tout pour Nolan qu'elle agissait de la sorte. Jamais elle n'aurait pensé trouver sa jumelle chez le père de son fils, mais à bien y réfléchir ce n'était pas si surprenant que ça. Caleb et Kiara avaient toujours été proches au point que sa sœur le considérait véritablement comme leur frère ce que Loan ne parvenait à faire et ne voulait pas faire, éprouvant depuis toujours des sentiments qui allaient au-delà d'une simple relation frère et sœur. Toutefois, même si elle restait surprise de voir Kiara à quelques mètres d'elle, la philippine s'efforça d'être polie et de lui faire comprendre qu'elle se doutait qu'elle ne serait pas venue si elle avait su que Loan allait passer. Il était triste de voir combien elles pouvaient s'être éloignées au cours de toutes ces années qui s'étaient écoulées, mais Salem restait sa sœur et ce qu'importe les conflits qui pouvaient exister entre elles.

Quant à Nolan, le petit garçon ne tarda pas à réclamer l'attention de sa mère, traînant avec lui une peluche quasiment deux fois plus grande que lui que sa tante lui avait apporté, mais ce ne fut pas assez pour parvenir à détendre Loan qui sentait chacun des muscles de son corps se crisper comme si ce dernier devinait par lui-même qu'elle n'était pas totalement à sa place dans cet appartement ce jour-là. Ce fut d'ailleurs ce qui la poussa à demander à sa sœur si rester ne lui posait pas de problème. Loan n'avait pas envie d'être de trop, elle était bien trop fatiguée et à bout pour parvenir à lutter contre ses sauts d'humeur qu'elle devait à ses hormones de femme enceinte. « Bien sûr... » Un petit sourire étira ses lèvres, ravie que Kiara n'ait rien contre sa présence, après tout peut-être seraient-elles enfin capable d'avoir une conversation civilisée voire même d'essayer de repartir un tant soit peu sur de bonnes bases. « C'est un sacré ventre, que t'as là. » Instantanément, le regard de la philippine se posa sur son ventre sur lequel elle posa sa main dont le pouce caressa affectueusement le tissu de son haut. « Y en a deux ! Même que je serais leur grand frère ! » L'enthousiasme de Nolan la fit sourire. La jeune femme redressa la tête vers sa sœur, un léger sourire toujours peint sur ses lèvres. « Deux raisons de plus d'avoir l'impression que je vais exploser. C'est vrai que j'aurais peut-être dû t'en informer, mais je me suis dit que tu avais probablement assez à faire dernièrement. » En clair, Loan avait eu vent de l'altercation entre le père des jumelles et Austin l'une des rares fois où Richard daignait se souvenir qu'il n'avait non pas une, mais deux filles et cette nouvelle l’avait conforté dans l’idée que le moment n’était pas encore venu pour elle de revoir Kiara qui avait déjà bien assez de problèmes sans avoir à rajouter les tensions qui pouvaient exister avec sa jumelle.

tu pardonneras la médiocrité de cette réponse mais j'ai l'impression que ma mâchoire va exploser

« Wow... » Une légère grimace déforma quelque peu le visage de la jeune femme qui baissa les yeux sur son ventre. Elle se doutait que l’annonce de cette grossesse devait être une surprise pour sa sœur, alors le fait d’apprendre d’un coup qu’il s’agissait de jumeaux était encore pire. Néanmoins, la jeune femme ne fit pour seul commentaire que le fait qu’elle pensait que sa jumelle avait bien assez à faire sans avoir besoin de connaître les péripéties par lesquelles sa jumelle pouvait passer. Loan n’avait pas la moindre idée du fait qu’il aurait peut être mieux valu pour elle d’éviter de faire allusion au fait qu’elle était plus ou moins au courant des problèmes de sa sœur. Il était vrai que le fait que leur père lui en ait parlé était plutôt surprenant lorsque l’on connaissait la relation que père et fille entretenaient depuis des années, cependant il s’avérait que quand leur père avait besoin de faire part de son mécontentement vis-à-vis de l’une de ses filles il se tournait vers l’autre. Le plus souvent, Kiara avait donc été celle qui en avait entendu le plus concernant la colère de leur paternel et elle n’aurait pas même été surprise que sa sœur soit étonnée du fait qu’elle soit au courant, mais c’était le cas. Toutefois, elle ne s’était pas rangée une seule fois du côté de Richard, elle s’était juste contentée de l’écouter s’énerver sans prononcer le moindre mot sachant pertinemment qu’elle n’aurait fait que l’énerver d’autant plus. Elle connaissait sa jumelle. Salem était la plus réfléchie des deux.

Elle connaissait également Austin et savait ce par quoi son ami était passé si bien que dans cette histoire il était improbable que la philippine se range du côté de Richard et pour une fois ça n’avait strictement rien à voir avec le fait qu’elle en voulait énormément à son père pour bien des choses. Il fallait bien dire que Loan s’était décidée à passer à autre chose. Son père ne daignait pas faire attention à elle, sauf au besoin ? Grand bien lui fasse, elle ne comptait pas chercher éternellement son attention et se pourrir la vie, il était temps pour elle d’aller de l’avant. Seulement, s’il y avait bien une personne avec qui elle souhaitait arranger les choses c’était bien sa jumelle et Loan savait qu’elle avait du pain sur la planche. « Hm, oui, on peut dire ça... En tout cas, félicitations, pour ta grossesse. » La jeune femme la gratifia d’un petit sourire sans parvenir à ne pas regretter le fait d’avoir plus ou moins fait part à sa jumelle du fait qu’elle était au courant pour Austin, ce qui visiblement ne semblait pas enchanter Kiara. « Tu connais les sexes ? » Loan arqua un sourcil tout en posant les yeux sur sa sœur tandis que la question de cette dernière faisait son bonhomme de chemin jusqu’à son cerveau. « Oh … euh … oui, ce sont des filles. » Deux petites filles, ce qu’elle avait espéré avoir même si elle craignait toujours autant le jour où elle allait avoir réellement ces deux enfants comme responsabilités. Nolan chassa bien rapidement ces pensées de son esprit et agitant sa peluche pour attirer l’attention des deux jeunes femmes, poussant Loan à poser les yeux sur lui tout en lui ébouriffant les cheveux. « Tu as de nouvelles de Connor ? » Demanda-t-elle dans une tentative de trouver un quelconque sujet de conversation qui ne serait pas gênant pour Salem ou pour elle-même et qui ne demandait pas le fait que Nolan ne soit pas dans les parages.

okay faut qu'on leur trouve un truc pour booster tout ça xD

Parfois elle éprouvait certaines difficultés à ce dire que fût une époque où toutes les deux avaient été proches. Elle avait souvent l’impression que cette vie-là remontait à loin, tellement loin qu’elle doutait parfois qu’il s’agisse de la même existence. Enfant, elle avait eu à cœur de protéger sa petite sœur. Longtemps ceci avait été son devoir, celui qu’elle s’était imposée et elle avait toujours fait en sorte de remplir ce rôle à la perfection, parfois peut-être un peu trop. Elle n’avait jamais aimé voir les autres maltraiter sa sœur et elle avait encore moins supporté qu’on fasse remarquer à quel point elle pouvait être différente des autres. Certes, c’était le cas mais si sa jumelle était différente c’était simplement parce qu’elle les surpassait tous, c’était une tête et longtemps la philippine avait été fière d’elle et pour tout dire c’était toujours le cas. Mais les années et ses erreurs les avaient doucement séparées. En moins de temps qu’il faut pour le dire, elles s’étaient éloignées au point d’être quasiment des étrangères. Elles avaient pris des chemins complètement différents et elles s’étaient perdues de vue, c’était aussi simple et triste que ça. Bien sûr, souvent la jeune femme en venait à regretter cet éloignement.

Salem était sa petite sœur et malgré ce que l’une ou l’autre pouvaient dire, elle était sa moitié, rien ni personne ne serait capable de changer ça. Elle l’avait jalousé vis-à-vis de la relation qu’elle entretenait avec leur père. Elle lui en avait voulu lorsqu’elle lui avait tourné le dos quand la vérité au sujet de Caleb avait éclaté, mais malgré tout ça elle n’avait jamais cessé d’aimer sa jumelle, elle n’avait jamais cessé de s’inquiéter pour elle même si elle avait compris qu’elle ne faisait plus réellement partie de sa vie. La revoir éveillait toujours une sensation étrange en elle. Ce n’était pas celle qui lui donnait l’impression de faire face à une inconnue – elle connaissait bien trop sa jumelle pour ça – mais elle ne pouvait pas nier le fait qu’elle ressentait plus que jamais cette petite fissure entre elles lorsqu’elle faisait face à Kiara. Si Loan s’était enfin décidée à faire des efforts, que ce soit pour elle ou pour son petit garçon, il était probablement temps pour elle d’en faire également avec sa propre sœur. La philippine faisait de son mieux pour se racheter auprès des gens qu’elle aimait – exception faite de leur père – et même si c’était encore nouveau pour elle et surtout pour sa fierté, elle se battait pour réussir à atteindre son but. Elle avait passé trop de temps à jouer avec le feu, elle s’était brûlée à maintes reprises, il était temps de devenir une véritable adulte même si elle avait conscience que jamais elle ne serait parfaite.

« Décidément ! Des mini-toi... » Un léger sourire étira les lèvres de Loan. Des minis elle … elle n’y avait encore pas pensé, mais elle espérait sincèrement que sa sœur ne voyait pas juste parce qu’elle allait avoir d’autant plus de pain sur la planche si c’était le cas et que pour rien au monde elle ne souhaitait que ses filles connaissent la même vie que la sienne, mais elle resta silencieuse, gardant cette pensée pour elle. Quant à la conversation qu’elle tenta de lancer … et bien Loan se sentit ridicule. Même si sa sœur n’était pas une inconnue à ses yeux ça ne changeait pas le fait qu’elle n’avait pas la moindre idée du sujet qu’elle pouvait ou non aborder avec Kiara et, quelque part, ça la blessait. « Pas depuis un moment, non... J'ai pas vraiment eu l'occasion d'appeler à la maison, ces dernières semaines. » La philippine agita doucement la tête d’avant en arrière sans quitter sa jumelle du regard. Sans trop savoir pourquoi elle sentait que la raison qui la poussait à ne pas appeler « chez elles » avait un lien avec leur père … sans doute l’habitude. « Tu veux pas aller mettre ton gros panda dans ta chambre ? Il serait beaucoup plus à l'aise, je pense. » Le regard de Loan alla se poser sur son petit garçon qui était devenu silencieux depuis quelques instants alors qu’elle avait pour habitude de l’entendre parler pendant des heures sans pouvoir s’arrêter, ce qui l’avait toujours fait sourire.

Même si elle sentit que Nolan n’avait pas la moindre envie de partir, il s’exécuta en silence, tenant toujours son énorme peluche contre lui. « Je suis vraiment contente que tu passes du temps avec Nolan. C'était tout ce dont il avait besoin... Et vraiment, je te souhaite tout le bonheur du monde avec les deux à venir... et bon courage. » Si Loan lui adressa un léger sourire et laissa un court rire lui échapper, son regard n’était désormais plus fixé sur le visage de sa sœur mais sur des hématomes qu’elle venait de distinguer. Malgré les années, malgré l’éloignement, son réflexe de sœur aînée protégeant sa cadette la submergea et une vague de colère s’empara d’elle. « Salem, c’est quoi ça ? » À vrai dire, elle ne lui laissa pas le temps de répondre. Elle fit quelques pas en avant pour s’approcher de sa jumelle et ne lui laissa pas plus de temps pour reculer que déjà elle examinait les bleus dissimulés par les vêtements que portait sa sœur. « Il … il m’a pas dit qu’Austin avait … Salem ! Qu’est-ce qui s’est passé ? » Enfin Loan leva les yeux vers la jeune femme. Ses sourcils se froncèrent, preuve de son inquiétude. Elle plongea son regard dans celui, identique, de l’astrophysicienne, un moyen qu’elle avait de lui faire comprendre que quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse elle pouvait rêver pour qu’elle la laisse s’en sortir sans une bonne explication.

Peu lui importait ce qui avait pu se dérouler par le passé. Peu lui importait les tensions qui avaient pu régner entre elles et les mener à de nombreuses disputes au cours des années écoulées, Salem restait sa sœur, son sang, son double et la personne qu’elle protégerait en allant jusqu’à donner sa vie s’il le fallait. Elle était sa jumelle et c’était un lien qu’elle était bien incapable d’effacer et qu’elle refusait de refouler au plus profond de son être, une raison pour laquelle leurs nombreuses disputes avaient été si douloureuses. La Philippine n’avait jamais été facile à vivre, elle en avait conscience. Elle avait été un véritable monstre dès leur départ de Palapag et les années n’avaient fait que multiplier ce caractère insupportable qui était le sien. Pourtant, la colère qu’elle n’avait eu de cesse de développer au fur et à mesure du temps qui passait n’avait jamais été tournée contre sa sœur, néanmoins ce n’était pas ce qui l’avait empêché de déraper à quelques occasions avec cette dernière. Elle détestait être en conflit avec Kiara, elle ne supportait pas l’idée de savoir que sa jumelle pouvait lui en vouloir pour une raison x ou y, mais elle n’était pas parvenue à arranger les choses ces dernières années. La jeune femme n’était pas très douée dès lors qu’il s’agissait de se plonger dans une relation, amicale comme autre d’ailleurs. Elle n’était pas douée pour les sentiments parce qu’elle n’avait pas réellement eu l’occasion de développer ce côté de sa personnalité, bien trop plongée dans la rancœur qu’elle éprouvait envers son père et celle qui, désormais, était son ex belle-mère.

Cependant, Loan possédait ce petit côté contradictoire car, quand bien même était-elle handicapée dès qu’il s’agissait d’être sentimentale, elle n’en était pas moins altruiste et très protectrice, que ce soit envers sa famille ou ses amis. Toutefois, Salem possédait le petit plus de la chose. Elle n’était pas seulement sa famille, elle était sa jumelle, une part d’elle-même et sa petite sœur, que des raisons qui la pousseraient à la protéger à tout jamais, de quoi expliquer la réaction que la Philippine en apercevant quelques hématomes sur les bras de sa sœur. Même si elle ne cachait plus le fait d’avoir des difficultés avec son père, ce dernier ne semblait pas s’en préoccuper et dès qu’il avait l’occasion de se plaindre, il ne manquait pas une seule occasion. Loan avait été néanmoins surprise d’entendre Richard avoir autre chose que des propos élogieux sur Kiara même si sa conversation – à sens unique le plus souvent – tournait avant tout autour d’Austin. La jeune femme connaissait ce dernier. Il était son ami et même si elle savait qu’il avait connu des périodes difficiles, jamais elle n’aurait imaginé qu’il puisse lever la même sur Salem et pourtant ce fut la première chose à laquelle Loan pensa en voyant ces bleus, sans doute trop dirigée par les paroles colériques du père des jumelles. « Non, non ! » Son rythme cardiaque s’était brutalement accéléré sous l’effet de la panique, de la crainte que quelqu’un ait osé lever la main sur elle sans que la Philippine le sache, sans qu’elle ait eu l’occasion de lui faire passer un sale quart d’heure comme lorsqu’elles étaient plus jeunes.

Mais, visiblement, sa sœur semblait vouloir lui faire comprendre l’inverse de ce qu’elle avait peiné à formuler à voix haute, se protégeant également d’une nouvelle osculation de sa part. « C'est... Non, Loan, il ne m'a pas touchée ! Je sais que tu as dû entendre la façon dont il était quand il a rencontré Papa mais... C'était une autre personne. » Les sourcils de Loan se froncèrent face à sa suspicion. Une autre personne ? Il s’agissait du genre d’excuse qu’une personne battue formulait pour défendre celle qui lui avait fait du mal et pourtant la Philippine resta silencieuse. Son regard toujours posé sur sa sœur, elle laissa celle-ci s’expliquer sans pour autant parvenir à faire taire son angoisse. « J'ai juste eu un accident de moto, il y a quelques semaines, rien de bien grave. Ils ne m'ont même pas gardée plus d'une nuit à l'hôpital. » La jeune femme ouvrit la bouche, prête à lui répliquer qu’elle ne comptait pas se satisfaire du fait qu’elle avait eu des blessures minimes, mais un simple regard avec sa jumelle lui fit comprendre que cette dernière l’avait également saisi. « Austin s'était enfui de son centre... j'ai voulu le suivre, et on a eu un accident sur la grande voie près des quais... Mais je te jure que depuis ce jour-là, plus rien n'a tourné mal, Austin est sevré, il a récupéré Lua et... Ça sera parti dans quelques semaines, et ça fait pas mal, t'en fais pas. » L’expression du visage de Loan parvint à se radoucir, mais son regard ne quittait plus celui de sa jumelle.

Si d’un côté elle était rassurée de savoir qu’Austin n’était pas celui qui avait causé ses hématomes, une partie d’elle-même n’appréciait pas tellement le fait qu’il soit tout de même la cause de ces blessures, mais qui était-elle pour les juger alors que ses propres relations avaient été bien plus chaotiques ? Loan humidifia ses lèvres et passa une main sur son visage afin de se reprendre, son rythme cardiaque redevenant stable. « Ne pas m’en faire risque d’être difficile, je suis ta sœur et savoir que tu as été blessée, peu importe la manière, ça ne me rassure pas. » Parce que, qu’elle s’en rende compte ou non, Loan était bien plus maternelle que ce qu’elle pouvait imaginer, bien plus protectrice surtout. Un petit soupire lui échappa comme pour tenter de décompresser et, sans mot dire, la Philippine alla se laisser choir sur le canapé non loin ayant senti que ses jambes n’allaient plus la tenir très longtemps. Une fois assise, elle redressa la tête et reporta son regard en direction de Kiara. « Je suis désolée d’avoir imaginé la pire chose, c’était simplement la peur que quelqu’un ait osé te toucher qui m’a fait réagir au quart de tour sans réfléchir. » Se justifia-t-elle tant bien que mal en adressant un sourire à la fois timide et désolé à Salem. « Est-ce que … ça se passe bien ? Je veux parler de ta relation avec Austin. Tout va bien maintenant, tu en es vraiment sûre ? » A présent que son inquiétude vis-à-vis de sa jumelle avait été réveillée, Loan allait avoir de grande difficulté à la faire taire et se connaissant elle risquait probablement d’assommer Kiara avec un tas de questions pour se rassurer.

Salem était sa petite sœur quand bien même avaient-elles passé ces dernières années à ne quasiment plus se parler, mais Loan ne la blâmait pas, tout du moins plus maintenant. Elle avait passé les premières années butée sur le fait qu’elle n’était pas totalement fautive concernant la situation dans laquelle elle s’était mise, bien trop fière pour avouer qu’elle avait tant joué avec le feu qu’elle s’était brûlée. Il lui avait fallu un temps considérable avant de prendre conscience des erreurs qu’elle avait pu faire et qui lui avait coûté sa famille même si son père était loin de lui manquer autant que lorsqu’elle était enfant, mais sa sœur … c’était autre chose. Etant sa jumelle, la tension qui avait pu exister entre elles était bien plus insupportable que toutes celles qu’elle avait pu connaître avec d’autres personnes, probablement parce que lorsque ça concernait sa sœur la jeune femme avait l’impression qu’une partie d’elle-même lui manquait, qu’on lui avait arraché contre sa volonté alors que, clairement, c’était uniquement de sa faute. Mais désormais, la Philippine avait réalisé ses erreurs et elle s’efforçait de se corriger, de grandir et de prouver qu’elle valait la peine qu’on ait de l’espoir pour elle.

Elle voulait autant se prouver à elle-même qu’elle était capable d’être adulte que prouver à Caleb qu’il avait eu raison de lui demander d’entrer dans la vie de leur fils, un petit garçon avec lequel elle adorait passer du temps tout en regrettant de l’avoir rejeté à sa naissance. Désormais, c’était auprès de sa sœur qu’elle comptait se rattraper parce que malgré les disputes qui avaient pu se mettre en travers de leur relation ces dernières années, il ne se passait pas un seul instant sans que Loan en vienne à se demander si tout se passait bien pour sa cadette, si elle parvenait à s’en sortir et si elle continuait de clouer le bec à bien des personnes avec son intelligence. Cet attachement qu’elle continuait d’éprouver pour sa sœur se fit d’autant plus ressentir lorsqu’elle imagina le pire – ce dont elle s’en voulu presqu’aussitôt que Kiara l’eut assuré du contraire – et même savoir que personne n’avait réellement levé la main sur elle ne parvenait pas totalement à calmer l’angoisse qui l’avait si brusquement envahi. « C'est pas grave... » Une grimace désolée prit place sur le visage de la Philippine. A ses yeux c’était grave. Elle devait avoir plus confiance en sa sœur que ça et également en Austin qu’elle connaissait ce qui était sans doute le pire dans sa réaction, le fait qu’elle connaissait l’Américain et que, pourtant, elle avait imaginé qu’il avait été capable du pire envers sa petite sœur, mais elle resta silencieuse bien que toujours coupable jusqu’à vouloir s’assurer que désormais tout allait bien dans la vie de couple de Kiara.

« Oui... Vraiment, depuis qu'il a récupéré Lua, il va mieux. Il est sobre, ils l'ont laissé sortir du centre. Et encore nous aussi... Il faut encore amadouer Lua, mais... je vis pratiquement chez lui. » Loan opina du chef, rassurée par les paroles de sa sœur qu’elle écouta avec attention. « Tant mieux, vous méritez d’être heureux tous les deux, enfin tous les trois. » Commença-t-elle alors que son petit sourire reprenait place sur ses lèvres. « Ne laisse pas Richard venir tout gâcher, il a un don pour ça. » Difficile de cacher l’amertume dans sa voix, cependant Kiara la connaissait tout comme elle connaissait la colère que la Philippine continuait d’alimenter envers leur père qu’elle n’était pas même capable d’appeler « papa ». « Je peux... demander, ... pour le père des petites ? » Son regard s’ancra d’autant plus dans celui de sa jumelle tandis qu’un nœud se formait au creux de son estomac. Avec difficulté elle avala sa salive et se mordilla la lèvre inférieure avant de prendre la parole. « Hm … tu te souviens d’Elijah Vryzakis avec qui je passais du temps à Palapag ? C’est … c’est lui. » Son regard quitta celui de Salem pour aller se poser en direction du sol. Elle n’aimait toujours pas le fait de reparler de lui, de parler de cette relation qu’ils avaient pu avoir avant qu’il ne quitte le pays et la laisse développer une rancœur sans limite à son égard, à tel point qu’elle refusait même qu’il puisse voir leurs filles un jour. « C’est l’une des erreurs pour lesquelles j’ai visiblement un don. » Souffla-t-elle sans pour autant relever la tête vers sa sœur. Une erreur ? Était-ce réellement le cas ? Probablement, mais pas sur le coup, pas alors qu’elle avait véritablement aimé Elijah avant que ce sentiment se transforme en haine.

Peut-être que tout n’était pas perdu. Peut-être que malgré les tensions qui avaient pu s’installer entre les deux sœurs, leur relation pourrait s’améliorer et être même plus forte que ce qu’elle avait pu être lorsqu’elles étaient plus jeunes. Loan avait conscience de croire un peu trop au Père Noël par moment, d’être un peu trop rêveuse concernant le fait que ses proches pouvaient lui pardonner et que sa vie pourrait être plus calme qu’elle ne l’avait jamais été jusque-là, mais elle continuait d’y croire. Elle n’était pas un monstre. Elle n’était pas dénuée d’humanité et même si elle avait toujours fait en sorte de ne jamais montrer ses faiblesses et de ne laisser parler que sa fierté, elle avait beaucoup souffert de ce manque d’amour qui grandissait en elle. La relation qu’elle aurait dû avoir avec son père avait été le pire, mais la Philippine avait su passer au-dessus récemment et si Richard et elle-même partageaient le même sang, cela s’arrêtait là pour la jeune femme. Toutefois, elle ne pouvait pas ressentir la même chose pour le reste de sa famille. Elle ne pouvait pas rester sur un conflit avec sa jumelle, pas à présent qu’elle acceptait enfin de reconnaître ses torts. Que leur conversation se déroule bien mieux que la dernière fois où elles s’étaient vues lui faisait le plus grand bien. Leur ton ne montait pas, leur conversation était posée même si Loan parvenait à ressentir une certaine gêne entre elles alors qu’elle n’aurait pas dû être présente, pas entre des jumelles.

Cependant, c’était un bon pas en avant, une preuve qu’elle pouvait continuer d’espérer que sa relation avec sa sœur allait s’arranger avec le temps car elle était prête à tout accepter, à laisser autant de temps que possible s’écouler pour récupérer sa petite sœur parce qu’à présent elle se rendait compte ô combien la famille était importante pour toute personne, y compris pour elle. « Merci... » Loan opina du chef, un léger sourire aux lèvres. Kiara n’avait pas besoin de la remercier, ses paroles étaient sincères et elle espérait réellement voir sa petite sœur heureuse avec Austin et Lua. Elle souhaitait que rien ne vienne gâcher son bonheur, raison pour laquelle elle ne put s’empêcher de lui dire de ne pas laisser leur père interférer, chose pour laquelle Richard Duke était très doué lorsqu’il ne voyait pas les choses de la même manière que ses enfants. « J'avoue espérer toujours pouvoir les réunir... un jour. » Une légère moue se dessina sur le visage de la Philippine qui préféra ne rien dire. Elle ne parvenait pas à voir leur père de la manière dont sa sœur semblait le voir, sans doute parce que contrairement à elle, Richard ne lui avait jamais porté tellement d’intérêt. Peut-être serait-elle capable de parvenir à ses fins ? Loan ne pouvait pas le savoir et elle lui souhaitait sincèrement, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de douter que cela arrive un jour ce qu’elle garda dans un coin de sa tête puisqu’elle n’avait pas la moindre envie de faire partir cette conversation en une nouvelle dispute. Même parler d’Elijah lui semblait être moins dangereux que rester à parler de leur père et puisqu’elle ne voyait pas l’intérêt de mentir à sa sœur, elle lui avoua l’identité du père des jumelles sans trop de problème. « Oh... Elijah, Francis ? » Loan acquiesça d’un mouvement de la tête pour répondre à la question de Kiara.

Il s’agissait bien de lui, du dernier enfant des Vryzakis, celui avec lequel la Philippine avait passé les trois quarts de son temps à se chamailler sans parvenir pour autant à réellement s’éloigner de lui. « Enfin... Ça t'apporte quand même deux belles boules de bonheur, mh ? » Son regard s’était brièvement posé sur son ventre désormais bien rebondi avant qu’elle ne redresse la tête pour porter son attention en direction de sa jumelle. Sans le moindre mal, un large sourire vint étirer ses lèvres tandis qu’elle caressait son ventre du bout du pouce. « Oui. J’ai beau le détester maintenant elles n’ont rien demandé et j’ai toujours eu un lien assez compliqué avec lui … ce qu’on a compris trop tard et trop rapidement. » Une grimace passa sur son visage. Tellement rapidement qu’à présent elle attendait ses filles même s’il était désormais hors de question qu’il s’approche d’elles, ce qu’il n’avait que très peu apprécié l’unique et dernière fois qu’elle l’avait eu au téléphone après le départ du jeune homme. Cependant, Loan chassa cette pensée de son esprit assez rapidement lorsque l’expression qu’elle lut dans le regard de sa sœur éveilla sa curiosité. « Salem … Tu sais que je te connais, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? » Malgré les années et la distance, il y avait certaines expressions chez sa jumelle qu’elle continuait de connaître sur le bout des doigts comme la tristesse, l’angoisse ou le fait que quelque chose lui était douloureux, ce qui était actuellement le cas. Bien que ce fût avec difficulté, la Philippine se releva du canapé et fit quelques pas en direction de sa sœur, penchant la tête sur le côté en tentant de capter son regard, moyen de lui faire comprendre qu’elle était là si elle voulait se confier.