Interminable gala. Chaque nouvelle soirée du genre restait une torture aux yeux d’Elvia. A sa décharge, elle ne pouvait pas revêtir de grande robe de couturier comme la plupart des jeunes femmes actuellement présentes dans cette immense salle de bal… à la place, elle était abonnée aux costumes sur-mesure, aux cravates et autres instruments de torture qui l’éloignaient tous de sa féminité naturelle. Mais ce n’était pas la seule raison pour laquelle la jolie brunette avait le cafard ce soir. Une énième dispute houleuse avec son père lui restait en travers de la gorge, notamment à cause du fait qu’il lui ait interdit tout entraînement de patinage jusqu’à nouvel ordre. Or, qui disait interdiction d’entraînement revenait à dire adieu à sa participation supposée aux prochains Jeux Olympiques d’hiver… autant dire que cela la rendait malade. Elvia avait eu beau hurler plus tôt dans la journée, elle était tout de même venue, tel un bon petit chien obéissant, à ce maudit gala donné en l’honneur de son abominable père. Oh, elle l’évitait comme la peste, tout comme elle évitait soigneusement la compagnie féminine qui la reluquait de haut en bas depuis son entrée remarquée dans cette petite sauterie… Elvia préférait se pendre haut et court plutôt que de gâcher une seule seconde à s’adonner à un verbiage tout à fait inutile en présence d’un invité. Elle se dirigea donc de façon plutôt automatique vers le bar, bousculant plusieurs personnes sans même s’excuser dans le lot, ne se rendant pas compte que dans ce fameux lot se trouvait… Aaron, un jeune homme particulièrement élégant ce soir et qui plaisait diablement à la gent féminine de part sa prestance et son charme. Elvia, d’ordinaire, l’appréciait à sa juste valeur. Il était même l’un des rares à connaître son odieux secret sans pour autant la juger comme folle… mais ce soir, la jolie suisse n’avait d’yeux pour personne. Elle ne supporterait la présence que d’une seule chose : un verre de scotch gouleyant et qui était certain de lui être d’une formidable compagnie. « Un double ! » précisa-t-elle avec force et conviction. Le premier fut bu cul sec, de même que le deuxième et le troisième. Ce n’est qu’après un regard haineux de la part de son père, qu’elle intercepta malheureusement, qu’elle fut contrainte de déguster son quatrième… à son plus grand regret. « Je ne veux pas voir le fond de ce verre… faites en sorte d’égayer ma soirée, voulez-vous. »

L’administratif le dépassait clairement. S’il avait intégré l’armée s’était bien pour le terrain mais maintenant qu’il ne pouvait plus y mettre les pieds, le jeune Hastings avait voulu continuer à servir son pays. Il faisait donc de l’administratif pour l’armée, pour son pays et avait parfois la chance de se transformer en reporter de guerre et d’aller sur le front pour rendre des comptes. Oui enfin ça on lui avait promis mais depuis qu’il était arrivé sur le sol new yorkais le quatre juillet dernier, jour de la fête nationale, il n’en était encore pas reparti et il se doutait bien qu’aucun de ses supérieurs ne prendraient le risque de le faire s’éloigner de l’hôpital alors qu’il devait avoir un lien spécial avec l’hôpital pour avoir les résultats de ses examens à chaque fois qu’il en faisait… Et ceux-ci ne se révélaient pas bon en plus. Au final, il devait se cantonner à de la paperasse mais aussi à revêtir son plus beau costume lorsqu’il devait représenter certaines personnes de l’armée dans de grandes soirées. Ces soirées il les trouvait longues en général mais il pouvait aussi bien rigoler et faire de belles rencontres là bas c’est pour cela qu’il continuait d’y aller et ne trouvait pas d’excuse pour décliner les invitations. En plus, la dedans c’était un cercle sans fin, lorsqu’on commençait à aller à une soirée on était ensuite invité pour une autre et ainsi de suite… Juste une horreur… Une horreur encore plus ce soir alors qu’il n’avait pas la tête à cela. Son nom venait d’être inscrit sur la liste des gens en attente d’une greffe et ceci restait dans sa tête. Il avait appris cela dans la matinée et ne s’était pas senti d’annuler la soirée car il aurait dû se justifier comme c’était monnaie courante dans ce milieu. Bref, il faisait bonne figure ici et préférait la compagnie du bar et de son verre à celle des autres. Cependant son regard qui allait jusqu’à maintenant dans le vide fut attiré par Elvia lorsqu’elle pointa son nez au même bar qui était son meilleur ami depuis son arrivée. Il la regarda s’enfiler ses verres les uns après les autres et un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle n’avait pas l’air des plus heureuses non plus et en voyant le regard que son père portait sur elle, il parierait avec n’importe qui qu’il avait quelque chose à voir là dedans. Le jeune homme fit déguerpir les deux personnes qui le séparaient de la brunette et glissa sur les tabourets pour se retrouver à côté d’elle. Il s’enfila son verre avant de demander au serveur de les resservir généreusement tous les deux. « Je crois deviner l’attitude d’une personne qui passe une mauvaise soirée ! » Ce n’était pas vraiment difficile de deviner ce qu’il se cachait derrière cette attitude puisqu’il adoptait la même depuis qu’il était entré dans la pièce mais pas pour les mêmes raisons.

Elvia ne serait pas satisfaite tant que son sang ne baignerait pas dans une montagne d’alcool. A cette vitesse, elle serait malheureusement en coma éthylique avant même que de s’en être rendu compte… mais il s’agissait du gala de trop. Une nouvelle soirée qui la séparait de ses entraînements bien aimés en patinage, et donc de son souhait de départ pour la Suisse. Autant de raisons qui la poussaient immanquablement vers la bouteille, compagne idéale qui ne répond pas, ne se fâche jamais, est toujours à l’écoute bien que celle-ci ait une fâcheuse tendance à laisser un affreux mal de crâne une fois le petit matin venu. Le serveur n’étant pas là pour la juger, il se contentait de la servir comme si de rien n’était, du moins jusqu’à ce qu’une nouvelle présence masculine ne fasse son entrée… un jeune homme qu’Elvia n’était pas sans connaître, et vers qui elle se tourna dès lors qu’il eut ouvert la bouche. Par chance, il mit son éventuel sermon de côté et eut la merveilleuse idée de commander deux nouveaux verres au barman. Diantre, il ensoleillait littéralement sa soirée, il n’en n’avait même pas idée ! « Aaron Hastings, tiens donc… » se contenta-t-elle de dire en faisant mine de ne pas le connaître personnellement. Mais en vérité, il était bien l’un des rares à connaître son secret et à savoir qu’elle n’avait strictement rien d’un homme sous ce costume pourtant on ne peut plus masculin. « Tu n’es pas dans un autre pays pour un reportage aujourd’hui ? » lança-t-elle d’un air faussement narquois jusqu’à ce que le barman ne s’éloigne afin de servir d’autres clients à l’autre bout de son bar. Dieu soit loué, ils pouvaient parler tranquille ! « Nom d’un chihuahua enragé, tu ne sais pas à quel point tu ensoleilles ma soirée ! J’avais l’impression que je préfèrerai me mettre une balle dans le pied plutôt que de rester une seule seconde de plus dans cet enfer… d’autant que je sens le regard de mon père sur moi et c’est plus insupportable de seconde en seconde. Tu crois que si je continue à m’alcooliser gentiment, il va finir par remuer son derrière ou rester précieusement vers ses invités à la noix ? Bah… inutile de répondre, je sais déjà ce qu’il ferait. » Mais cela n’empêcha pas Elvia de lever son verre afin de trinquer à celui qui avait sauvé quelques unes des soirées les plus humiliantes de sa vie. Autrement dit, il restait et resterait toujours un allié de choc ! « Je ne savais même pas que tu étais invité à cette petite sauterie, sinon je t’aurais cherché… tu vas bien ? » Pitié qu’il ne soit rien arrivé de dommageable, sans quoi, avec tout l’alcool qu’elle avait déjà ingéré, Elvia serait capable de se mettre à chialer en pleine assistance… et qu’importe les conséquences potentielles d’une telle chose. « Si seulement on pouvait se barrer d’ici ce serait le rêve, je trouve. »

Mauvaise journée, il en avait eu une mais heureusement, en arrivant ici et en voyant la bouille decrepie d’Elvia, il avait deviné qu’il n’était pas le seul dans cette situation et rien que de savoir cela il s’était senti déjà mieux. Il n’allait pas aller l’embêter avec sa journée pourrie, non il allait juste tenter de lui remonter le moral, de la faire rire, de lui faire passer un bon moment, ce qui par la même occasion lui ferait oublier ses soucis à lui notamment ses soucis de santé. En fait c’était de la générosité de sa part mais aussi une certaine forme d’égoïsme car s’il faisait cela s’était avant tout pour lui, même si la jeune femme n’était pas au niveau zéro dans son estime quand même ! « Oui Aaron Hastings en personne à côté de la très chère Elvia, reporter de nom mais jamais envoyé en mission … Si tu veux tout savoir… » Il disait cela sur le ton de la rigolade mais c’était loin de le faire rire. Il avait bien compris qu’il serait envoyé lui en mission reportage sur le terrain que le jour où tous les autres ne seraient pas disponibles ou déjà partis ! L’administration militaire préférait le garder dans les bureaux parce qu’il faisait du bon boulot et ne brassait pas du vent à longueur de journée comme certains feignants, mais aussi parce qu’elle ne voulait pas prendre de risque par rapport à son insuffisance qui s’aggravait de jour en jour. « Pour commencer à connaitre un minimum ton père… Je pense que si tu continues sous ses yeux de t’alcooliser, il va finir par venir te demander de te lever gentiment et te trainer dans un petit coin sombre pour te remonter les bretelles en te disant que tu lui fais honte… Après je peux me tromper… Mais si ce n’est pas le cas j’ai peut être une solution ! » Elle avait le regard de son père sur elle mais il l’avait aussi maintenant vu qu’il venait de payer un verre à sa fille et ce n’était juste pas agréable du tout de se sentir observer ainsi. « Tout d’abord sache que je suis toujours invite dans les plan ennuyeux au possible, c’est pour cela que dès que tu t’ennuies, tu es dans le devoir de me chercher… » Aaron lui avait dit cela sur un ton très naturel mais affichant un grand sourire sur ses lèvres. « Ensuite, j pense que je peux réaliser ton rêve, enfin à moitié… Si tu te diriges sur le balcon en te faufilant au milieu de la foule, je pense que tu peux réussir à semer ton père, et je me faufile de mon côté par un autre endroit sur ce même balcon… Mais bien sur il ne faut pas oublier ton verre car je ne viendrais pas seul ! » Le jeune homme lui faisait une proposition d’évasion mais malheureusement elle ne pouvait peut-être pas s’éclipser de la sorte, cependant c’était tentant et elle n’avait qu’à acquiescer pour qu’il mette son plan en action.