« Voilà, c’est exactement ça. Finalement, je pense pas que ce soit tellement l’âge, mais… le travail, les responsabilités, c’est tellement sérieux ! Regarde les, eux, ils ont aucun compte à rendre, un papier à écrire pour dans trois mois et rien d’autre à se préoccuper… ». Avalon s’intéressa à la foule de jeunes qui se pressaient non loin d’elles et esquissa un petit sourire. La mexicaine voyait très bien où Yasmine voulait en venir puisqu’elle ressentait effectivement la même chose. Entre elle et la plupart des jeunes de son âge, il y avait parfois un énorme décalage. Fort heureusement, il y avait aussi certaines exceptions comme Yasmine et Enzo. « Je te mentirais si je te disais que je ne regrette pas cette période de ma vie où tout était aussi simple, mais quelque part, d’autres jeunes de notre âge n’ont pas la chance de s’épanouir dans leur vie professionnelle… On doit s’estimer heureuse d’avoir trouvé notre voie même si, pour ça, on a dû faire quelques sacrifices. » répondit-elle en s’accoudant au bar avant de se mettre à pouffer de rire. « Ok, j’arrête avec mes discours de vieux. » ajouta-t-elle, avant de faire le signe de Scouts. Yasmine s’intéressa alors au sujet qu’elle traitait actuellement et, en toute honnêteté, Avalon n’avait pas très envie d’entrer dans les détails parce qu’elle en avait un peu honte. « Urh, ça semble tellement ennuyeux ! » répondit Yasmine, provoquant un signe de tête approbateur de la part d’Avalon. « T’as pas idée… Le seul bénéfice que j’en tire, c’est de pouvoir discuter avec un jeune patron assez séduisant. ». Sur ce, elle haussa plusieurs fois les sourcils pour lui faire comprendre que le jeune patron en question était totalement son genre : grand, brun et sexy à souhait. « J’espère que ta mère se portera mieux. C’est vraiment bien que tu sois allée vivre avec elle pour l’aider ! ». En guise de remerciement, Avalon esquissa un petit sourire modeste et n’osa pas relevé. Pour elle, c’était un geste parfaitement normal : sa mère l’avait porté pendant 9 mois, l’avait éduqué et avait pris soin d’elle. « Oh, ravie de te compter parmi mes fidèles téléspectatrices ! Enfin, en ce moment, je fais pas grand-chose… Je veux dire, j’ai pas bougé de New York depuis des mois. Avec les émissions, toute cette médiatisation, je suis débordée… Je veux dire, j’aime ça, hein ! Mais le terrain me manque, j’ai à peine eu le temps d’être vraiment reporter avant d’être simplement la gratte-papier que je suis ces derniers temps. Un bon sujet, à la source, c’est ça qu’il me faudrait… Ou des vacances à Hawaii… ». Rien qu’à l’évocation de l’archipel américaine, Avalon se mit à rêver. Elle n’avait jamais visité Hawaii, mais l’île faisait partie de sa liste de lieux à visiter de toute urgence lorsque la pression au travail se ferait moins ressentir. Tout comme Yasmine, elle attendait la bonne occasion pour s’y rendre. « Tu peux toujours joindre l’utile à l’agréable ! Je suis sûre qu’il y a manière à faire un bon article là-bas. » proposa Avalon en toute innocence. Finalement, la discussion dévia sur sa vie sentimentale. « D’ailleurs, tes amours ! Dis-moi que tu t’es mis quelque chose sous la dent récemment, que je puisse vivre par procuration de toi ! ». Avalon grimaça légèrement pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas grand-chose à lui rapporter, malheureusement. « Désolée de te décevoir, très chère, mais ma vie sentimentale est aussi aride que le désert de Gobie. Les hommes me fuient parce que je me pose trop de questions : déformation professionnelle, j’imagine. J’en déduis que nous en sommes au même point ? Life sucks. » se lamenta-t-elle avant de boire une longue gorgée de son Apple Martini. « J’ai l’impression que l’option vivre ne faisait pas partie de notre contrat quand on l’a signé. » ronchonna-t-elle, contredisant ainsi ses propos précédents.

« Non mais, tu marques un point quand même. C'est vrai qu'on a de la chance, que beaucoup aimeraient même être à notre place, mais... il y a toujours ce petit truc, tu vois. La jeunesse. ». La jeunesse. Honnêtement, Avalon avait l’impression de ne pas en avoir assez profité et le fait de s’être enrôlée dans une carrière journalistique aussi prenante que la sienne ne l’aidait pas vraiment à en profiter. Avalon avait d’ailleurs soufflé sa 26ième bougie avec beaucoup d’amertume en décembre dernier, mais elle avait bien l’attention de se rattraper un jour : c’était sûrement à cause de ça que sa mère l’avait poussé à ne pas se décommander pour la soirée. Sa fille avait besoin de prendre l’air, de se changer les idées et de penser autre chose qu’au fait qu’elle avait failli la perdre et que son père était revenu dans sa vie pour son propre intérêt. Dans les métiers comme le leurs, le temps était une chose très précieuse qui s’écoulait beaucoup trop rapidement pour qu’elles ne puissent réellement en profiter. Elle ne doutait pas un seul instant que Yasmine partageait ce problème d’emploi du temps, mais la jeune femme semblait mieux gérer ses journées que la mexicaine. Avalon fut presque soulagée que la syrienne détourne la conversation sur un autre sujet même si ça ne l’aidait pas vraiment à se sentir comme toutes ces femmes qui croquent la vie à pleine dents. Elle avait redoublé d’efforts dans sa vie professionnelle au détriment de sa vie sentimentale qui était réellement désastreuse : à chaque fois qu’elle s’intéressait un tant soit peu à un homme, Avalon finissait toujours par en être déçue. « C'est horrible. Je pense que même si j'avais quelqu'un, j'aurais pas assez de temps pour lui. Enfin, du coup, je me dis... Tu sais, Filip, le chorégraphe, mon partenaire ? Les rumeurs vont déjà bon train sur nous, et il est du genre, à pas se prendre la tête, peut-être tout juste ce dont j'ai besoin en ce moment. Je veux pas... retomber amoureuse. ». Finalement, elle partageait son point de vue : le célibat lui convenait très bien pour l’instant et elle trouva même l’hypothèse de Yasmine plutôt tentante. Avalon voyait aussi très bien où la jeune femme voulait en venir en lui précisant qu’elle ne voulait pas tomber amoureuse, mais l’amour ne se commande pas et vous tombe dessus sans prévenir, vous blesse également lorsque vous vous y attendez le moins. « Ouais, je vois ce que tu veux dire… Et pour ce qui est de Filip, je vois aussi très bien de qui tu parles. » dit-elle en haussant plusieurs fois les sourcils. « Et donc, ton patron ? ». Avalon afficha une petite moue de gamine et leva les yeux au plafond en réfléchissant à une description qui résumerait Zachaël. « Grand brun avec les cheveux en bataille, des yeux bleus perçants, un petit côté à la fois bad boy et adorable et un côté mystérieux qui me fait fondre. C’est tout à fait mon type, mais c’est aussi mon patron… Tu vois le dilemme ? J’ai peur de lui rentrer dedans et de passer pour la fille qui couche pour réussir, ça ne serait pas digne de moi. » dit-elle en haussant les épaules avant de boire une nouvelle gorgée de son Apple Martini. « Tu sais, le fait qu’on soit ici à parler de nos vies sentimentales me rappelle la dernière fois que je suis sortie dans un night-club comme celui-ci avec une amie, une vraie harpie, on s’est mise au défis de se faire offrir la consommation par tous les hommes du bar et on conservait les décorations comme trophées ; à la fin, nous étions tellement bourrées qu’on a jamais réussi à les compter correctement. » pouffa-t-elle en secouant la tête de gauche à droite. « Je comprends ceux qui disent que nos années à l’école sont les meilleures de toute notre vie. ».

« Wow, c’est une bombe atomique ton patron ! » s’exclama-t-elle, faisant ainsi rire et rougir la journaliste qui, à première vue, semblait presque être le genre de femmes à être intimidée par tout et n’importe quoi. « Je te le fais pas dire, s’il me dit oui, je ne lui dit pas non en tout cas ! » répondit-elle en affichant un sourire innocent. C’était la première fois qu’elle avouait à quelqu’un fantasmer sur son nouveau patron, cependant la jeune femme s’était bien gardée de dire à Yasmine que ce n’était pas un rédacteur-en-chef comme elle le sous-entendait, mais le patron de l’entreprise qu’elle avait infiltré pour le besoin d’un article et son sourire s’effaça quelque peu en y repensant. Une relation avec Zachaël n’était pas envisageable même s’ils s’étaient un tantinet rapprochés ; Avalon avait déjà honte de ce que son vrai patron lui faisait faire alors elle osait à peine imaginer comment Zachaël réagirait s’il venait un jour à l’apprendre. « Je vois encore mieux le dilemme, oui ! Je comprends que tu ne veuilles pas passer pour la fille qui couche pour réussir, mais après, faut savoir placer des priorités ! On s'en fout de ce que tes collègues pensent ! Je pense que le seul souci serait que tu risquerais ton job, genre, si quelque chose tourne mal entre vous... » . Si les paroles de Yasmine étaient censées la rassurer, ce fut loin d’être le cas. Elle se sentait encore plus mal et afficha une petite moue boudeuse. Avalon était à deux doigts de tout lui avouer parce qu’en plus d’être son amie, Yasmine était également familière au monde journalistique et l’aiderait peut-être à faire un choix, mais Avalon n’était pas encore prête à lui avouer qu’elle n’était plus la journaliste intègre qu’elle avait rencontré, apprécié et avec laquelle elle avait fini par se lier d’amitié. « Je sais déjà que c’est voué à l’échec. » bougonna-t-elle en buvant une nouvelle gorgée de son cocktail ; si Avalon continuait sur cette fois, elle serait assez saoule pour tout lui dire sans aucun complexe car l’alcool avait toujours eu le don de lui délier la langue. « Toi aussi t’en as fait des belles ! C’est tellement jouissif de se faire offrir des verres, j’ai jamais fait le compte comme toi mais c’est un jeu très divertissant ! Un petit papillonnement des paupières, hop ! Sourire ! Hop ! Tu vois, je suis sûre que là tu crèves d’envie de m’offrir un verre. » . La mexicaine éclata de rire. « Bien vu ! » sourit-elle avant de faire signe à la barmaid de type asiatique (Lula en guest star !) de leur servir la même chose. « Il est sympa ce nouveau bar, mais c’est la première fois que je vois une femme employée comme videur et obligée de porter une jupe… Elle n’avait pas l’air d’apprécier, d’ailleurs… » dit-elle, en jetant un regard à la porte d’entrée en cherchant à apercevoir la dénommée Blodwin. « Ca ne te tenterait pas de tester tes charmes sur les mâles ici présents ? Ca nous détendrait un peu, on est jeunes ! » s’exclama-t-elle, lui rappelant ainsi qu’elles n’avaient que 24 et 26 ans.

Contrairement à Yasmine, Avalon était la championne en titre du pessimisme toutes catégories confondues et, à son sens, il n’y avait aucun moyen pour elle d’attirer Zach dans ses files et de l’en garder prisonnier. Cependant, ce n’était pas l’avis de l’anglo-syrienne qui ne se fit pas priée pour exprimer son point de vue personnel sur la question. « Pas forcément ! Il suffit de savoir ce que tu veux. C’est vrai qu’il y a des obstacles, que c’est pas particulièrement facile à gérer, surtout avec le boulot, mais… je suis sûre que si c’est ce que tu veux, ça peut marcher. ». La journaliste cessa alors de s’intéresser à ce qui se passait autour d’elles pour se concentrer sur son interlocutrice. Le regard qu’elle lui lança laissait deviner que la mexicaine cherchait à piser un peu de son courage et de son optimisme pour pouvoir avancer, mais il y avait cette crainte que Zachaël découvre les véritables raisons – loin d’être louables - de son intégration à la Stravinsky Corp. « Si tu t’ennuies et que tu veux passer à autre chose, je suis sûre que tu ferais des merveilles au courrier du cœur. » la taquina-t-elle. Avalon garda une fois de plus sous silence ce qu’elle mourrait d’envie de partager avec Yasmine pour se soulager d’un poids et lui demander conseil, mais plusieurs détails non négligeables l’obligeait à se taire ; elle craignait notamment que l’anglo-syrienne ne la voit autrement et que leur amitié en pâtisse. Si Avalon avait su que son intégrité allait sérieusement être mise à mal et que sa vie privée en serait chamboulée, Avalon aurait sûrement préférée un poste de journaliste pour un torchon local.

La conversation s’orienta bien vite sur le Woman Of My Dream, ou plus communément le Dream, qui avait ouvert ses portes en Janvier dernier. Avalon en avait vaguement entendu parler grâce à l’une de ses collègues qui avaient été chargées d’interviewer le gérant des lieux et qui était revenue légèrement énervée de s’être faite draguée aussi ouvertement par le dénommé William Slayers. Ca n’étonnait pas Avalon de savoir que tout le personnel féminin se voyait dans l’obligation de porter des jupes. « Surtout que ça doit pas être pratique, en cas de problèmes ! » nota Yasmine, tandis qu’Avalon approuvait d’un signe de tête. Finalement, Avalon proposa à son amie de tester le jeu auquel elle s’adonnait lorsqu’elle n’était encore qu’une étudiante et, bien que l’anglo-syrienne éclata de rire, la mexicaine fut en partie soulagée de la voir accepter. « Oh allez, pourquoi pas ? ». Après tout, cela ne ferait qu’ajouter un peu de piment à leur soirée entre filles. Pour quelqu’un qui avait été réticente à s’y rendre, Avalon semblait désormais beaucoup plus contractée. « Tu es venue en taxi, j’espère ? Parce que je ne voudrais pas être responsable d’un contrôle routier, d’une nuit en cellule de dégrisement ou d’un accident… Parce que bon, on est tellement sexy que ça ne m’étonnerait pas que l’on sorte d’ici avec deux grammes dans chaque œil. » dit-elle en se donnant un air à la fois sérieux et prétentieux. Cependant, Yasmine semblait déjà se prêter au jeu et désigna un homme assis un peu plus loin qui semblait ne pas être indifférent aux charmes de l’anglo-syrienne. « Perso, je pense avoir trouvé ma proie. ». Avalon esquissa un petit sourire et termina son verre déjà entamé d’une traite avant de s’éloigner à son tour. « Dans ce cas, je ferais bien de me mettre en chasse. Rendez-vous dans, mh, disons vers minuit ? » demanda-t-elle en reculant. C’est à ce moment précis qu’elle fut bousculée par un jeune homme et s’excusa aussitôt. Il était plutôt pas mal… Discrètement, Avalon se tourna vers Yasmine et lui adressa un clin d’œil pour lui faire comprendre qu’elle aussi avait trouvé son gibier et que la chasse pouvait commencer.