« J’ai une tronche à avoir besoin qu’on me chouchoute ? » lança froidement Sullivan. Oh Az était bien la seule personne à ne pas avoir à prendre pour argent comptant tout ce qu’il pouvait bien dire comme conneries, et était d’ailleurs bien la seule personne au monde avec sa fille qu’il aimait sans condition ni réserve, mais l’ancien soldat n’était simplement pas d’humeur dans la seconde. Il laissa sa sœur cadette entrer, s’avançant jusqu’au salon en observant sa tenue d’infirmière d’un drôle d’œil. Tout ce qui touchait désormais à l’environnement hospitalier lui collait indiciblement de l’urticaire. On ne lui facilitait pas la tâche et plus il pensait à cette foutue opération, plus il culpabilisait et moins il dormait la nuit. Cela faisait de lui l’homme irritable des très mauvais jours, incapable de se contrôler et particulièrement virulent dans ses propos. « Je me doute que tu n’es pas envoyée par maman pour me faire la leçon sur cette foutue opération alors crache ta valda que je puisse aller rattraper ma nuit de sommeil pourrie. A moins que tu ne veuilles t’allonger à côté de ton vieux frère auquel cas je peux passer sur ton arrivée en tenue d’infirmière juste pour m’emmerder. » Ces derniers temps, Sullivan ne souriait plus, pas même à sa sœur. Le doute et la colère avaient pris le pas sur tout le reste, faisant immanquablement s’éteindre cette petite flamme autrefois présente dans le fond de ses yeux d’un bleu eau-de-mer. Il était fort probable qu’Az finisse par le secouer comme un prunier pour tenter une autre approche plus punchy, mais il y avait fort à parier que le jeune homme ne réagirait pas d’une différente façon… trop préoccupé par ce qu’était désormais sa vie, emprisonné dans cette coquille vide et inutile. « J’attends, Az. Dans cinq minutes chrono je vais me recoucher ! »

« Cela fait partie de mon charme plutôt ! » plaisanta-t-il sans forcément y mettre beaucoup de cœur, tandis que son visage gardait toujours le même sérieux affligeant. Sullivan connaissait sa sœur, du moins se plaisait-il à le croire et l’imaginer se détruire de cette façon le déglinguait littéralement. Autrefois, elle ne se serait jamais radinée en mode infirmière sexy chez son frère, même si elle aimait bien l’emmerder de temps à autre ! La donne avait considérablement changée depuis l’accident, bien que l’ancien soldat soit en train de plaider pleinement coupable : il était le premier à l’écarter soigneusement de son quotidien car il ne pouvait pas gérer une autre personne que lui-même… et encore, il avait déjà bien du mal avec son propre corps meurtri ! « Je casse peut-être ton trip mais est-ce que j’ai une tronche à donner dans l’inceste ?! » Sullivan leva les yeux au ciel, épuisé de son altercation simultanée avec Victoria ET son père biologique que leur mère avait eu la mauvaise idée d’appeler à l’aide. Rien que d’y penser, le néo-zélandais se passa aussitôt une main contre son visage, soudainement nerveux. « Je n’ai pas dit que c’était mal. Mais j’avais besoin d’être seul, et tu me connais, je ne fais pas de choses n’ayant pas de sens pour moi : répondre à mon foutu téléphone alors que j’ai envie d’envoyer tout le monde chier, cela manque de logique ! Ce n’était pas spécialement dirigé contre toi je te rassure. Quant à maman, quand tu sais qu’elle a sorti mon paternel biologique du placard pour me pousser à me faire opérer, on se demande si elle ne serait pas capable de faire péter le Dalaï-lama en couche Pampers pour chercher à obtenir le même résultat ! »

« Naaan c’est pour ça que je dis souvent « fontaine, je ne boirais pas de tonneau », c’est plus radical » lança Sullivan tandis qu’il se hissait sur son lit avec difficulté. Depuis quelques semaines, le néo-zélandais avait l’impression de ramollir détestablement. Ce n’était pas faute d’être passé maître dans l’art très noble du sport en chambre, surtout avec la cure qu’il s’était faite dernièrement, mais ses bras n’étaient plus aussi robustes que par le passé. Sans doute le passage de son paternel l’avait-il tout bonnement poussé à se terré dans son cocon protecteur sans vouloir en sortir… hélas, les deux hommes se ressemblaient, et comme il était aisé de le comprendre, la confrontation avait été épuisante. « Si tu connais mon air aimable numéro trente-trois bis et mon charme naturel, tu imagines facilement comment ça s’est passé. » En définitive, il fallait comprendre par là que Sullivan avait tenté de le laisser s’exprimer, avant qu’il ne lui sorte un discours qu’il n’avait aucune envie d’entendre et ne le pousse vers la porte… l’ancien soldat n’avait pas de temps à perdre avec des hommes d’affaires se croyant arrivés. Sur le terrain, il avait connu des personnes valant mille fois mieux qu’eux. « Ca c’est net, emmerdeuse c’est ton deuxième prénom et je déplore le fait de ne plus avoir la possibilité de t’éjecter de mon lit de célibataire endurci… ah, c’était vraiment la belle époque ! Mais pour te répondre, si ça me clouait juste sur un fauteuil, ce serait presque le paradis et je ne serais pas con au point de refuser le truc ! Mais j’peux très bien crever lors de l’intervention alors forcément, ça me freine un brin. »

« Ouais, endurer c’est mon prénom dès que t’es avec moi j’te signale ! » grogna-t-il avant de pousser un pénible soupir, n’en pensant bien évidemment pas un mot. La suite lui arracha cependant une large grimace qu’il ne put retenir : il désapprouvait ô combien l’addiction de sa sœur, et la donne ne datait hélas pas d’hier. Az avait toujours eu le chic pour se plonger dans des plans pourris, inquiétant de fait son frère sans qu’il ne sache si elle en avait conscience ou si elle était foncièrement égoïste à ce sujet. Vraiment, Sullivan était paumé les trois quarts du temps en présence de sa sœur, cela ne changeait foncièrement pas de d’habitude. « Emmerdeur fini ça c’est sûr ! Fier de l’être en prime ! Les chiens font pas des chats, je tiens ça de ma maternelle ET de mon foutu paternel. Mais ça ne fait pas une opération réussie, tu oublies un peu trop souvent que je n’ai pas une tronche à croire aux contes de fées. Y’a pas marqué Cendrillon sur mon front ! » L’ancien soldat haussa les épaules, bien conscient qu’au pire, il crevait et au moins ses souffrances prendraient fin. Mais la chose qui le dérangeait, c’était Lou. La pauvre était déjà bien assez perdue avec sa folle de grand-mère, si elle perdait son père en plus… la lumière dans son formidable petit regard risquait de s’éteindre et ça, c’était insupportable pour Sullivan. « Ce n’est pas pour te faire chier ou me transformer en crevard, mais tu avais déjà promis la chose et tu n’as pas tenu le truc sur la longueur. C’est pas franchement une garantie de déglingo ton truc ! » Il ne la jugeait pas, mais comme à son habitude, il mettait froidement en lumière des choses lui sautant au nez… que ce soit agréable à entendre ou pas. Mais d’un autre côté, elle savait qu’il pourrait toujours compter sur lui, comme l’attestait le bras qu’il plaça au dessus de ses épaules en vue de la garder contre lui.

« Mouais… en même temps, y’a qu’à voir la trombine de sa tante pour s’apercevoir que dans le genre princesse en détresse douce et patiente, on peut carrément repasser ! » Les chiens ne faisant pas des chats, il était logique que Sullivan et Az soient rigoureusement semblables. A ceci près que s’il y avait bien une personne au monde à se foutre éperdument du fait d’être un prince charmant, c’était bien l’ancien soldat. Il s’en moquait, tout simplement. Même handicapé, il n’avait pas assez de temps pour contenir toutes les demandes féminines qu’il recevait, tant et si bien qu’il bénissait chacune des soirées entre mecs en compagnie de Dillon histoire de faire des paris… en général, ils étaient ex aequo au niveau du nombre. Mais viendrait forcément un jour où le néo-zélandais vaincrait l’américain ! Mais hélas, la vie ne se résumait pas qu’à un nombre de conquêtes dans une soirée. La vie était aussi teintée d’amertume et à ce moment précis, ladite amertume pouvait se lire aisément sur les traits du jeune homme. « La question c’est : pourquoi pas maintenant ? Vrai, tu as tenu ta promesse une fois. Mais depuis, que dalle… j’ai pas raison ? D’accord, je suis fier de toi pour ton job, sincèrement. Mais d’un autre côté… » Le problème, c’est que Sullivan allait la blesser. Il ne voulait pas l’enfoncer, il aurait même été le premier à lui botter le cul pour qu’elle recommence à se soigner mais quelque chose lui disait que la forcer ne servirait à rien. « C’est même ma première putain d’inquiétude. T’es au courant que maman a obtenu la garde ? Je l’ai une soirée par semaine et quelques weekend quand mâdâme a le temps. Le souci, c’est que si je me fais opérer et que je m’en sors pas, bonjour le tableau : d’un côté l’adjudant chef au cœur de pierre et de l’autre… Az je t’adore, tu sais que tu peux compter sur moi pour n’importe quoi mais je ne confierai pas ma fille à quelqu’un qui ne sait pas se gérer. Or… tu te déglingues. Et en même temps c’est moi que tu dézingues. » Finalement… même s’il tentait d’arrondir les angles et que toute vérité n’est pas bonne à dire, il ne pouvait pas se retenir. Pas avec la problématique pesant actuellement contre ses épaules. « En un mot, c’est la merde grave. Un peu comme jouer à pile ou face : pile je vis en m’imposant des nouvelles souffrances, face je crève. J’crois que bientôt j’vais à nouveau faire chier Dillon pour sortir. Je m’emmerde comme un rat mort ici et j’en ai ras le cul d’être comme un lion en cage. »

« Te carrer ton jugement où je pense ? A ton avis, quelle pourrait être ma réponse ! » Le ton que prenait désormais Sullivan ne laissait strictement rien augurer de bon et valait-il mieux prendre avec des pincettes chaque propos que l’on pouvait bien lui sortir. En ce moment, il n’estimait pas devoir avoir la moindre patience pour qui que ce soit, et autant dire que le fait de voir sa sœur se rhabiller et lui balancer une saloperie dans la tronche lui déplut fortement. « Dillon est mon meilleur pote. Techniquement parlant, si je l’appelle il se radine direct et clean en plus. » C’était la pire façon de faire comprendre à Az sa façon de penser mais Sullivan n’en connaissait pas d’autre. On ne pouvait pas dire que leur mère soit une femme excessivement douce, et l’expérience de vie qu’il supportait depuis des mois n’avait fait que le rendre d’autant plus dur. « Ah ouais, c’est moi qui suit effrayant et qui te fais faire des cauchemars ? Bichette ! Si j’ai trente secondes pour pleurnicher sur ton pauvre sort, j’te promets que tu auras de mes nouvelles. Mais en attendant c’est toi qui merdes et qui fait peur, alors n’inverse pas les rôles. Maintenant tu veux te barrer ? La porte est grande ouverte. Je ne t’ai pas appelée que je sache ! Quant au fait de me faire du café merci, je suis un grand garçon je sais brancher ma machine tout seul. Te fais pas de bile et fais ce que tu fais de mieux : prends la fuite ma belle. » Sullivan haussa les épaules et s’engouffra dans les couvertures jusqu’à ce qu’il ne puisse plus voir sa sœur, allant même jusqu’à se tourner sur le côté pour ne surtout pas supporter une dispute en prime… même s’il avait pleinement conscience d’avoir provoqué la chose.