Vioryna n’avait jamais été une fashion victim. Elle détestait même le shopping au-delà des mots et se surprenait de plus en plus au fil des secondes d’avoir osé mettre les pieds dans ce maudit centre commercial. Ce n’était pourtant pas faute que son médecin lui ait déconseillé de quitter le lit hormis pour les besoins vitaux… la jeune russe était plus têtue qu’une mule et risquait de devenir chèvre si on la privait des deux seules choses dans cette vie qui la rendait pareille à cette brunette piquante qu’elle savait si bien être : le violon d’une part, et le sport d’autre part. On ne pouvait pas dire qu’elle soit en passe de faire un jogging, surtout pas armée de son ventre s’arrondissant de jour en jour, mais un peu de marche à pied ne saurait lui faire du mal après cette énième altercation avec Sergeï. Celles-ci s’espaçaient de moins en moins à cause des hormones particulièrement violentes de la jolie violoniste. Elle n’y pouvait rien, c’était biologique. C’est comme si on lui demandait de raconter le premier Noël dont elle se souvenait. Celui-ci se résumait à un merveilleux mot : fiasco. Sofya n’avait pas eu suffisamment d’argent pour acheter un cadeau pour sa jeune sœur et Vioryna l’avait gonflée jusqu’à ce qu’elles ne s’engueulent. Cela restait probablement le pire souvenir d’enfance de son existence et rien qu’à voir les magasins de jouets, elle en était à la limite du malaise… comme quoi, même en étant future maman, elle ne risquait pas d’évoluer là-dessus.

Mais ce n’était pas le plus grande dans tout ça. Vioryna avait beau se sentir légèrement mal à l’aise en voyant les jouets et autres peluches exposés dans les vitrines si bien décorées des magasins, elle n’en n’était pas pour autant au bord de l’évanouissement. On ne pouvait pas en dire autant une fois que trois adolescents stupides l’eurent bousculée et faite tomber sans même s’excuser une seconde. « Vous pourriez dire pardon ! » maugréa la jeune russe d’une voix aussi forte que possible tandis qu’elle tentait vainement de se relever. Une fois encore : quel fiasco ! Son ventre arrondit l’empêchait d’user de son habituelle souplesse et puisque personne ne lui venait en aide… elle risquait d’être encore là demain.

Le problème lorsque l’on est enceinte, et à plus forte raison de jumeaux, c’est que sa souplesse laisse souvent à désirer. Ce fut le cas pour Vioryna qui n’aurait jamais pu espérer se relever sans l’aide d’une bonne âme… sans même savoir qui serait ladite bonne âme en question. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’une jeune femme d’une classe et d’un charisme à couper le souffle vint lui prêter main forte, l’aidant à se relever sans aucune peine tout en lui offrant un petit aperçu du fond de sa pensée. Vioryna n’en n’était pas à faire ce genre de généralité, mais pour aujourd’hui, elle avait eu sa dose de stupidité c’était l’évidence même. « Je ne suis même pas sûre que ce genre de choses soit appris de nos jours » renchérit-elle avant de lui offrir un sourire de reconnaissance, particulièrement touchée qu’elle ait été au dessus de la foule ayant assisté à la scène et n’ayant pourtant pas bougé même le petit doigt afin de lui porter secours. La jolie violoniste lui tendit par conséquent la main avec conviction, sans que son sourire ne s’amoindrisse une seule seconde, avant d’annoncer avec un air presque solennel : « Je vous remercie sincèrement pour votre aide. Je crois que j’étais partie pour rester par terre un très, très long moment si vous ne m’aviez pas secourue… et je suis enchantée par la même occasion ! Je m’appelle Vioryna Vassilievykh ! »

La jolie violoniste était à des lieues d’imaginer que cette jeune femme puisse être la veuve de Dimitri, le jumeau de Sergeï. Pourtant, elle n’aurait pas pu se présenter d’une autre façon étant donné qu’elle s’était récemment mariée à l’homme d’affaires russe… et elle n’avait aucune raison de se méfier de quelqu’un ayant autant de politesse et de prestance non plus, bien que Sergeï présenterait cela comme de l’extraordinaire naïveté dans le cas de Vioryna ! « Vous alliez quelque part peut-être ? Je peux vous accompagner pour vous remercier ? »

Autant dire que la surprise de Vioryna fut particulièrement poussée alors que cette parfaite inconnue, que dis-je, sa sauveuse, sembla s’étonner lorsqu’elle prononça son nom de famille. Certes, Sergeï était un homme d’affaires rigoureusement connu en Russie et en Suisse, mais cela ne voulait pas dire que cette jeune femme au grand charisme en avait entendu parler. « Oui, c’est mon mari ! » Vioryna en était fière, c’est le moins que l’on puisse dire. Beaucoup considéraient le russe comme quelqu’un de froid, de sang cœur, d’extrêmement cruel mais il était à l’opposé de cet homme dans l’intimité de leur grande maison. La jolie violoniste parvenait à le faire s’ouvrir peu à peu au monde, à passer davantage de temps avec sa fille et autant dire qu’elle avait grande hâte que les jumeaux soient nés pour qu’elle puisse le voir ne s’ouvrir que davantage encore. Mais loin de Vioryna l’idée de déballer son bonheur et sa fierté aux oreilles et aux yeux de cette parfaite inconnue venant tout juste de se présenter. Meghan. Quel joli prénom. Un petit sourire se dessina progressivement contre ses lèvres alors qu’elle serrait davantage la main de son interlocutrice dans la sienne. « Vraiment enchantée. Vous avez un très joli prénom si vous me permettez ! »

Vioryna ne se laissa pas prier pour commencer à marcher lentement mais sûrement dans les grandes allées du centre commercial. C’est drôle, alors qu’elle allait devenir maman dans quelques mois, elle ne s’était même pas encore penchée sur la question des jouets à acheter ou même de la chambre à décorer. Il faut dire qu’ils allaient certainement changer de maison sous peu, il n’était pas utile de s’inquiéter pour l’heure, surtout qu’elle ne savait pas encore l’avis de Sergeï sur la question… « Ce sont des jumeaux, à vrai dire. Deux garçons. Nous avons déjà choisi les prénoms avec mon mari mais… je ne vous serais d’aucune utilité pour choisir un jouet pour votre fils à vrai dire ! Comment s’appelle-t-il, d’ailleurs ? »

« Audran, comme c’est joli et original ! » Depuis qu’elle était tombée enceinte, et à vrai dire depuis que Sergeï avait accepté l’idée d’être prochainement père sans y voir une trahison de la part de la jeune femme quant au « pacte » qu’ils avaient mutuellement accepté, la jeune russe avait une fâcheuse tendance à s’enflammer pour un oui ou pour un non. C’était diablement vrai depuis qu’elle avait subit une tentative de meurtre et qu’elle en avait réchappé, sans que les jumeaux n’aient subit le moindre dommage non plus. Elle voyait donc la vie d’un œil neuf, plus lumineux, et savait accepter chaque bonheur tel qu’il venait, tout simplement, sans chercher plus loin. Aussi, à ses yeux, rencontrer cette fameuse Meghan ne pouvait qu’être une merveilleuse chose. Comme elle se fourvoyait, hélas… elle était à des lieues d’imaginer à quel point Sergeï verrait cela d’un mauvais œil ! « Vous allez peut-être trouver cela dégoulinant de mièvrerie ou que je vous raconte ma vie, mais j’ai proposé à mon mari d’appeler le premier Dimitri, car son jumeau s’appelait comme ça. Je ne l’ai jamais connu mais il m’a toujours dit que c’était quelqu’un de formidable. Quant au deuxième, il l’a choisi lui, et ce serait Alekseï. » Vioryna esquissa un petit sourire, cherchant à détendre cette femme aussi charismatique que distante, étourdissante de beauté comme froide telle un matin d’hiver souffrant de grande envolées venteuses. « Et quel genre de jouet votre fils aimerait-il ? Je vous avoue que je suis ici depuis… peu de temps, je viens de Russie, et je ne connais pas bien ce centre commercial. Je crois que je vais vous laisser nous guider je ne serai d’aucune utilité en la matière ! »

A aucun moment Vioryna ne trouvait que cette Meghan agissait bizarrement, ou avec virulence ou encore avec cruauté. Elle la trouvait à l’écoute, en retrait bien sûr mais pouvait-on la blâmer pour cela ? Après tout, si elle était venue au secours de la jeune russe, elle ne la connaissait pas pour autant et il aurait été illogique qu’elle se confie complètement à elle d’entrée de jeu. Ce n’était pas ce que Vioryna attendait d’elle du reste, la jolie violoniste étant quelqu’un à part, donnant sa confiance bien trop facilement et ne le regrettant que par la suite, une fois trahie et désolée par la méchanceté de la race humaine. Mais sans doute était-ce ce trait de caractère dominant qui plaisait tant à Sergeï, car elle ne le considérait pas comme un monstre et qu’en retour, il lui rendait son amour en tentant de se montrer tendre à son égard. Ce n’était pas toujours évident mais elle aimait leur relationnel particulier à vrai dire… « Effectivement je confirme ! Votre accent est moindre car je ne l’avais même pas entendu… d’où êtes-vous originaire exactement ? » Pour un peu, Vioryna se surprit à avoir envie que Meghan s’ouvre davantage et ne lui donne ne serait-ce que des conseils d’un point de vue purement maternel. Elle souhaitait obtenir un maximum d’informations, n’ayant jamais eu de mère à proprement parler, afin d’être prête au moment de l’accouchement. Mais sans doute était-il prématuré de ne l’interroger à ce sujet… « Les jouets fascinants ? C'est-à-dire ? »