Quelques semaines s’étaient écoulées depuis le drame et fatalement, Quinn allait mieux d’un point de vue physique. La douleur s’était pratiquement effacée, mais ses cauchemars et sa fragilité psychologique perduraient bien évidemment. La jolie brunette tentait tant bien que mal de reprendre le dessus, même si elle avait reçu tout le soutien possible et imaginable de la part de Léo : il avait pris de nombreux congés, l’appelait très souvent lorsqu’il devait s’absenter et c’était même en le menaçant à moitié que Quinn avait fait en sorte qu’il reprenne son poste de capitaine. Les troupes de la criminelle avaient besoin de lui, nul ne le savait mieux que le lieutenant blessé… mais depuis qu’il avait repris du service, Quinn broyait du noir. La seule chose qui l’empêchait totalement de sombrer était sa fille, Rose, un véritable rayon de soleil dans les ténèbres qui l’entouraient actuellement. A chaque fois que l’écossaise pensait à faire une connerie, sa fille la rappelait à l’ordre, machinalement. Mais en cette journée brumeuse et terne, Quinn voyait ses questions existentielles lui sauter à nouveau à la gorge. Elle était incapable de se tenir dans le salon plus de deux minutes d’à filée, celui-ci lui rappelant de bien trop mauvais souvenirs, et à l’image du fait que le couple Weatherfield n’ait pas encore pu déménager malgré l’urgence se faisant sentir, la brunette étouffait dans cette maison. Mais le cercle était vicieux, car si cette maison lui donnait l’impression d’être enfermée en plein mausolée, elle n’avait plus été capable de mettre un seul pied dehors depuis son retour de l’hôpital. Impossible, elle angoissait trop. Le simple fait que le facteur puisse sonner à la porte la poussait à se réfugier dans le placard à côté de l’escalier et d’y rester parfois des heures, à attendre que son angoisse s’amenuise. Et aujourd’hui, son angoisse était telle qu’une fois enfermée dans son placard, elle regardait le couteau de cuisine qu’elle avait saisi par réflexe d’un air concupiscant. Il serait tellement simple pour elle de se tailler les veines et d’en finir une bonne fois pour toute avec son angoisse… mais elle ne pouvait pas laisser Léo, l’homme qu’elle aimait, ou même leur fille, c’était impossible. Aussi, si elle se coupa légèrement l’index à force de le passer et le repasser contre la lame, cette blessure était dérisoire. « Léo ? C’est toi ? » murmura-t-elle d’une petite voix, restant toujours à l’abri dans son placard, cachant légèrement son couteau en attendant une réponse. Pitié que ce ne soit pas un cambrioleur… pensa-t-elle subitement, tout en gardant ses genoux contre elle. « Léo ? » répéta-t-elle.

Nouveau réflexe des plus incontrôlables, Quinn filait immédiatement dans le placard dès que la sonnette retentissait, que la porte s’ouvrait ou qu’elle voyait du monde s’approcher un peu trop de la maison. Au début, la jolie brunette avait tenté de lutter contre cette crainte insupportable mais rien n’y avait fait. Surtout que parfois, elle en ressortait tout de suite, faisant mine de ne pas avoir fait une crise de panique en bonne et due forme, mais parfois, cela durait un long moment. Toujours les pleurs de Rose ou de Léo junior la ramenaient à la réalité, mais comme ceux-ci dormaient à poings fermés autant l’un que l’autre, Quinn n’avait pas encore réussi à sortir du placard… et autant dire qu’elle sursauta au point d’en faire tomber le couteau tenu précédemment entre ses mains aux pieds de Léo. Diable, possible qu’il hurle, à moins qu’il parte du principe qu’elle avait pris une arme pour se défendre… bah, si elle s’amusait à lui mentir en mettant en avant cela, il risquait de l’accuser de le prendre pour un con et loin d’elle cette idée saugrenue. « Heu… je ne sais pas… » murmura-t-elle d’une petite voix intimidée, ayant l’impression d’avoir été réincarnée en petite fille que l’on venait de prendre en faute. Techniquement parlant c’était un peu le cas vu qu’elle faisait joujou avec un couteau de cuisine extrêmement bien aiguisé, mais ça Léo allait s’en tamponner comme de son premier costume du flic et dans tous les cas, elle allait passer un sale quart d’heure. « J’y arrive pas. Dès que la sonnette retentit, dès que la porte s’ouvre je peux pas rester en face. Je me sens bien dans ce placard… il me donne l’impression d’être moins vulnérable » lui expliqua-t-elle comme elle pouvait.

Léo n’avait pas encore fait de commentaire au sujet du couteau mais le simple fait qu’il foute un coup de pied dedans n’était guère annonciateur de calme et paisible discussion à venir. Quinn en tremblait d’avance et il lui fallut s’exercer à la relaxation pendant de longues minutes pour qu’elle mette un pied en dehors du placard. Elle ne referma cependant pas la porte derrière elle, elle en était bien incapable. Un pas à la fois, n’est-ce pas ? « Voilà, je suis sortie… » énonça-t-elle d’une petite voix juste avant que le fait qu’il lui dise qu’il en avait marre de lui fasse faire marche arrière et refermer la porte. Un réflexe qu’elle n’avait pas pu contrôler et pour lequel elle se maudissait déjà, mais elle n’y pouvait rien, son corps lui donnait l’impression d’agir de lui-même, sans avoir consulté son esprit au préalable. « Je suis désolée… je suis désolée mais je n’y arriverai pas si tu cries… » Quinn gardait la clinche entre ses doigts tremblants sans décemment pouvoir l’ouvrir. De longues larmes s’écoulaient le long de ses joues alors qu’elle se dégoûtait d’être aussi anormale, victime d’une agoraphobie à son plus haut degré. Quinn avait beau essayer de prendre sur elle-même, de faire tous les efforts du monde, sa peur revenait toujours en cavalant sur le devant de la scène. « J’essaye, Léo… j’essaye d’être normale, de combattre ma peur, j’essaye de toutes mes forces et je sais que je t’impose des choses que je ne devrais pas t’imposer… mais tu crois que je ne voudrais pas être différente ? Redevenir cette femme dont tu es tombé amoureux et que tu as épousé ?! »

Quinn n’avait pas le choix. Léo avait pris la décision pour elle et bien que la jolie brunette sache pertinemment qu’il le faisait par amour et pour l’aider, l’écossaise avait l’impression qu’il s’agissait d’une seconde agression. Ils allaient sortir tous les deux, dans la rue, là où il y aurait du monde, mille fois plus de chance pour elle que d’être agressée et ils ne faisaient pas cela pour voir un spectacle burlesque en amoureux… mais bien pour trouver une nouvelle maison. Oh la brunette ne s’opposa pas à sa décision, elle baissa même la tête, accueillant la « sentence » avec humilité mais si elle avait mis une jolie robe et fait l’effort de venir jusqu’à la porte d’entrée… ce fut tout. « Je peux pas » répéta-t-elle à nouveau, les yeux brillants de panique, le pouce douloureux à force qu’elle ne triture la blessure qu’elle s’était faite. Quinn ne pouvait pas approcher de la porte à moins de quinze centimètres, au-delà elle sentait l’air provenant de l’extérieur et son angoisse reprenait immédiatement ses droits. « Je ne peux pas rester ici ? Tu es sûr que tu veux que je vienne ? Léo je peux pas !! Tu ne peux pas me forcer, t’as pas le droit !! » s’emporta-t-elle aussitôt, reculant en tremblant de toutes ses forces, comme si elle était en plein cauchemar et qu’elle se débattait quitte à s’en faire mal au bout du compte. « Je peux pas… je voudrais pouvoir sauter à l’extérieur et ne pas avoir envie de hurler mais je ne peux pas… m’impose pas ça je t’en prie… »

Quinn essayait de se concentrer sur la voix de Léo mais rien à faire, sa crainte était toujours là, pesante, oppressante, prête à lui faire mordre la poussière à la moindre faiblesse. Il ne savait pas à quel point elle aurait rêvé de sauter dans la rue, de marcher main dans la main avec lui en le regardant amoureusement mais au lieu de ça, il lui énonçait des paroles qu’elle ne voulait pas entendre et il la forçait en clamant que c’était pour son bien. Mais en attendant, son bien lui faisait mal, atrocement mal. Sa respiration devenait de plus en plus douloureuse et elle voulut exploser mais Léo ne lui en laissa pas le temps, la soulevant dans ses bras, rendant son corps aussi tendu que la corde d’un arc, surtout quand il la déposa dans la voiture. Quinn serrait tellement ses ongles contre la paume de sa main qu’elle parvenait à se faire mal mais dans une certaine mesure, la douleur l’empêchait de perdre totalement le sens des réalités. Même si là encore, elle en avait très envie, envie de sombrer, de lâcher définitivement prise. « J’ai du mal à respirer » commença-t-elle, le front plein de sueur, en totale crise de panique. Quinn peinait même à déglutir et si elle tâchait de se concentrer sur le bruit du moteur, celui des battements de son cœur, totalement emballé, revenait forcément sur le devant de la scène. Forcément, elle tenta de sortir de la voiture au premier feu rouge, n’ayant pas envie de se blesser en sautant de la voiture en route mais c’était bien le seul contrôle dont elle était capable de faire preuve. « LAISSE MOI SORTIR !! JE PEUX PAS RESPIRER LAISSE MOI TRANQUILLE !!!! C’EST TROP PETIT J’ÉTOUFFE !! »

Quinn ne contrôlait plus rien, c’était pire que tout ce qu’elle avait vécu jusqu’à maintenant au niveau de ses crises d’angoisse. Heureusement, le cri de Léo parvint à la ramener sur terre, et son baiser acheva de la calmer dans un premier temps. La brunette le regardait comme si sa vie en dépendait, tentant de calmer sa respiration devenue anarchique tout en sentant le cœur de Léo battre sous ses doigts. Cette méthode fut beaucoup plus efficace que tout ce qu’il avait tenté jusqu’à présent… et Quinn ressentit aussitôt une culpabilité sans nom car elle n’avait pas réussi, tant et si bien qu’elle ne pouvait retenir ces larmes libératrices de s’écouler contre ses joues pâles et froides. « J’ai échoué… » murmura-t-elle d’une voix faible, éraillée par cette crise d’angoisse lui ayant ôté toute volonté et toute force. « Je me rappelle ces vacances… il a fait beau durant tout le séjour, et je ne voulais pas te laisser sortir de la couette pour autant. » Quinn pleurait toujours mais un petit sourire perça subitement sa carapace, le premier en des semaines. Cette méthode était définitivement la plus efficace car non seulement la brunette se calmait au fil des minutes mais en prime, elle eut le réflexe de se blottir contre les bras de Léo, fermant un instant les yeux alors que ses tremblements avaient cessés. « Je t’aime tellement Léo si tu savais… je veux redevenir comme avant, mais je n’arrive pas à me sentir autrement que prisonnière dans cette maison. J’essaye pourtant… je fais tout ce que je peux mais dès que j’arrive à calmer un brin ma peur et que j’essaye de sortir, elle me reprend illico presto. Je suis dans un cercle vicieux mais je n’arrive même pas à sortir pour consulter quelqu’un. Ça me tue car je n’ai pas l’impression d’être normale et encore moins d’être une femme pour toi, celle que tu mérites ! Je ne veux pas te perdre Léo je t’en prie ne m’abandonne pas… »