Elle avait l'impression que l'humidité passait au travers de son beau manteau noir pour geler sa peau. New York était plongé dans une sorte de brume désagréable depuis le début de la matinée. Toute la journée elle avait évité tant bien que mal les flaques d'eau, s'était cachée derrière son parapluie et emmitouflée sous son écharpe, mais rien n'y faisait. Elle était gelée de la tête au pied, et la nuit n'arrangeait rien à son labeur. Il y avait vraiment des moments où elle rêvait de repartir au Mexique, profiter du sable fin et de la chaleur perpétuelle qui y régnait, mais son père en avait décidé autrement. Trop d'affaires croustillantes l'attendaient aux États-Unis, et des opportunités grosses comme le monde lui avait permis d'accéder au club si sélect des personnalités. Bianca avait trouvé ça plutôt sympas. Les soirées mondaines, les journalistes qui lui posaient de temps en temps des questions, apparaître dans une page de magasine sortant d'une boutique, tout ça faisait partit de son univers. Son père n'était pas vraiment ainsi. Il attaquait ou défendait pour le respect des lois et uniquement pour cela. Il n'en avait rien à faire du beau monde, il exerçait juste son métier avec passion.
Bianca tendit la main pour appeler un taxis. Celui-ci s'arrêta et elle grimpa à l'intérieur avec élégance, ordonnant de l'emmener vers les bureaux de son père direction central Manhattan, 5eme avenue. En plus d'être une soirée pluvieuse et glaciale, les bouchons n'en finissaient pas. Un accident sur l'axe principal selon la radio. Elle soupira. Tout était fait pour la mettre en rogne. Elle avait tellement de choses à faire pourtant ! Entre son dossier qu'elle voulait absolument envoyer à Yelle parce qu'elle avait été refusée la première fois (qu'elle humiliation) et son travail à la fac, elle était débordée. Tout aurait été plus simple si elle avait directement été acceptée dans la prestigieuse école. Tout ça à cause d'un élève se plaignant de brimade. C'est vrai qu'elle était un peu dure, mais le scandale avait été excessif, sans compter que son père, défenseur de la justice, avait vraiment péter un câble en apprenant ses agissements. Elle ne savait pas ce qui avait été le pire, reconnaître qu'aucune fac de renommée ne voulait d'elle, ou la crise de son père lorsqu'elle était rentrée à la maison ? Elle secoua la tête en frisonnant, et sortit du taxi lorsqu'ils furent enfin arrivé à destination.
Les bureaux de son père prenaient un étage entier dans un de ses immeubles modernes qui s'élevaient le plus haut possible, quitte à rivaliser avec la tour de Doubaï. L'immeuble était chique, pas du genre à laisser entrer n'importe qui. Un portier surveillait d'ailleurs tout ceux qui s'y présentait. Il salua Bianca très poliment, et lui ouvrit la porte sans concession. Elle traversa l'immense hall d'entrée, et prit le large ascenseur qui la guida tout droit vers l'étage désiré. Lorsque les portes s'ouvrirent, elle tomba nez à nez avec la secrétaire, une bonne femme qui se la jouait allumeuse avec tous les hommes qui débarquaient ici. Elle traversa la pièce principale, et se rendit vers la salle d'attente de son père qui devait être en principe vide à cette heure ci. Sans plus d'élégance, elle donna un coup de pied dans la porte pour l'ouvrir (elle avait les bras chargés de ses cours et de son sac) et balança le tout sur un siège juste à côté. « Qu'elle journée de merde » soupira-t-elle en retirant son écharpe. C'est alors que du coin de l'œil, elle vit une silhouette sagement assise sur l'un des nombreux fauteuils de la salle. Elle sursauta et avala de travers. Elle ne s'attendait pas du tout à ce que quelqu'un attende encore maintenant. Son père avait un rendez vous dans une pièce avec d'autres avocats et ce monsieur Rossi, un mec pas recommandable qui la faisait flippé des qu'elle le croisait dans les bureaux.
« Qu'est-ce que vous faites ici ? » demanda-t-elle d'une manière assez abrupte avant de se reprendre pour prendre le ton poli qu'on lui avait apprit quand elle était petite. « Je crains que Monsieur Fernandez n'attend pas plus de rendez-vous pour la soirée, il est déjà occupé en ce moment même. La secrétaire à du oublier de vous le signaler. »
"Tu parles. Elle a du tellement flasher sur lui, que je suis sûre qu'elle a fait exprès de lui dire que papa est libre juste pour qu'il reste quelques minutes de plus." songea Bianca.
Comme c'était le cas sur pas mal d'affaires, Jefferson avait besoin de quelques informations concernant l'une de ses cibles, avant de faire quoi que ce soit. Il ne faudrait pas qu'il se trompe sur la personne et ne commette un meurtre qui n'aurait jamais du arriver. Enfin ça lui était déjà arrivé de tuer de parfaits innocents. Sans en éprouver la moindre gêne d'ailleurs. Pour autant, il ne souhaitait pas empirer la chose ce coup ci. D'autant plus que l'homme qui lui avait été dépeint, était une horreur de la nature, clairement. Ce qui signifiait que le tueur à gage allait vraiment prendre tout son temps pour le liquider. Qu'il le ferait préalablement bien souffrir, pour qu'il ne meurt pas aussi facilement que cela. Après toutes les atrocités qu'il semblait avoir fait en ce bas monde, c'était bien là ce qu'il méritait. Une punition exemplaire. Pour le mener tout droit en enfer. Parce qu'il semblait évident que c'était plutôt par là bas qu'il irait après sa mort. Tout comme le tueur à gage lui même. Il en était pleinement conscient. Les types comme lui ne finissaient pas au paradis. C'était l'évidence même. Et à vrai dire, il s'en fichait bien. Sans doute parce qu'il s'était déjà fait à cette idée depuis bien longtemps. Forcément, ça ne semblait pas si grave que ça pour lui. Il savait et acceptait tout ce qui lui arriverait. Parce que c'était ce qu'il méritait. Alors à quoi bon tergiverser à ce sujet ? Ca ne servirait à rien.
Et puis il était un fin calculateur. Il savait toujours où se rendre pour obtenir les informations dont il avait besoin concernant ses cibles. Ce coup ci, c'était dans un cabinet d'avocat qu'il se trouvait. Après avoir répondu un sourire purement poli, aux avances de la secrétaire qui dégainait sa poitrine comme atout de séduction, il se rendit dans la salle d'attente. Elle lui avait bien expliqué que l'homme avec qui il désirait parler, était très occupé et n'aurait sans doute pas plus de deux minutes à lui octroyer. Mais il s'en fichait. Il savait être persuasif quand il le voulait vraiment. Donc, il devrait pouvoir faire durer leurs échanges, un peu plus que de minuscules minutes. L'homme serait coopératif. Tout le monde l'était avec le brun qui, au premier abord, ne semblait pas bien mauvais. Enfin, pas quand il faisait un minimum d'effort pour avoir l'air aussi humain que tout le monde. Il est vrai que lorsqu'il oubliait d'en faire, un simple regard pouvait glacer d'effroi n'importe qui. Et ce fut le genre de regard noir et impénétrable, qu'il accorda à la jeune femme qui s'adressa à lui sur un ton vraiment si peu courtois. Il s'adoucit à peine quand elle reprit sur un ton plus calme. Jeff ne supportait pas qu'on lui manque de respect. « Oh non, elle n'a guère omit ce détail. » Soupira-t-il en haussant les épaules, preuve qu'il s'en fichait bien de savoir si l'homme était affreusement occupé ou non. « Mais j'ai absolument tout mon temps. Alors je vais attendre. »
Quand elle était rentrée dans la pièce, elle n'avait rien vu de particulier. Puis elle avait remarqué cet homme, assit sur l'un des sièges. Pas commode. Étrange même. La mine et les yeux sombres, de ceux qui n'ont pas envie de rigoler. Elle s'en fichait, de toute façon elle ne voulait pas rire non plus. Elle était fatiguée, énervée contre le temps, contre sa vie d'étudiante si complexe, contres ses tracas au sujet des examen, bref, contre tout. Alors elle ne cherchait pas à savoir ce qu'avait cet homme pour être aussi renfrogné et froid, elle se disait seulement que chacun avait ses petits problèmes, sans se douter un instant avec qui elle allait discuter. De toute façon, ceux qui venaient au bureau de son père était rarement ravis de patienter dans cette salle d'attente pourtant récemment rénovée. Bianca lui demanda d'un ton peu polis ce qu'il faisait ici. La réaction de l'homme fut celle de son père lorsqu'elle jurait. En 1000 fois pire. Il lui jeta un regard noir comme jamais on ne lui avait lancé. Un truc qu'on peu pas décrire, mais qui vous file la chaire de poule. Un frisson lui parcourut l'échine. Contre toute attente, elle eut un léger sentiment de colère, parce que si elle lui avait parue impolie, lui l'était également à présent, même si un simple regard ne voulait rien dire de la politesse des gens. Ce fut à son tour de froncer légèrement les sourcils. Il était bizarre ce mec.
Elle omit l'hypothèse que la secrétaire avait du oublier de signaler le rendez-vous tardif de monsieur Fernandez, mais il répondit d'un ton entre lassitude et froideur qu'elle l'avait bien prévenue. Pour une fois qu'elle faisait correctement son boulot. Si ça n'avait tenu qu'à Bianca, elle l'aurait déjà viré depuis longtemps, heureusement que son père n'était pas si intransigeant. À côté d'elle, il avait l'air d'un saint. De toute façon, tout le monde disait que c'était un homme admirable quand on disait sur elle qu'elle était assez impitoyable, et ce, malgré son jeune âge. L'homme lui dit qu'il avait tout son temps, qu'il pouvait attendre. Bianca n'était pas ravie. Elle ne pût s'empêcher néanmoins d'avoir un sourire en coin, pas provocateur, mais juste compatissant à sa patience. « Vous risquez d'attendre longtemps alors, l'homme qui est à l'intérieur prend toujours énormément de temps. Les affaires qui le concernent sont très sérieuses, croyez en mon expérience. Il m'est arrivé de patienter ici des heures. Il serait plus sage de rentrer chez vous. La secrétaire mettra un point d'honneur à vous mettre premier sur la liste, j'en suis sûre. »
Bianca ne mentait pas. L'homme qui était avec son père n'était pas un saint, contrairement à lui. On ne lui expliquait jamais tous les détails, mais elle avait assez de tête pour savoir les grandes lignes à son sujet, voir même les petites. Il suffisait d'écouter. N'allez tout de même pas imaginer qu'elle fouinait, elle avait autre chose à faire, c'est juste que quand les confrères de son père en parlaient, elle écoutait d'une oreille attentive. Les histoires sur les hommes de ce genre lui semblaient toujours sortir tout droit d'un film de Tarantino.
Jeff ne mentait pas quand il affirmait qu'il avait tout son temps. Il savait être d'une patience redoutable quand il le fallait vraiment. Non, pas dans toutes les situations non plus, il fallait bien le dire. Mais à n'en pas douter, quand ça l'arrangeait lui. Comme tout le monde en fait, non ? Selon lui, oui, tout le monde était ainsi. Même s'il n'aimait que très moyennement d'être comparé au reste du commun des mortels. Pour la simple et bonne raison qu'il n'était pas un mouton parmi tant d'autres. Et il suffisait de le voir, de croiser son regard, pour en prendre connaissance. En fait, il était nettement différent. Il avait un truc qui mettait tout de suite le doute quant à son humanité. Il semblait si froid, si insensible, qu'il ne pouvait guère être humaine. Et il ne pensait pas l'être le moins du monde. Encore une chose qu'il assumait et ne vivait pas si mal que cela. Même quand il se trouvait face à des personnes somme toute, assez normales, de leur côté. Comme cette jeune femme qui venait de lui annoncer que l'avocat était très occupé. Et qu'il risquait donc de ne pas pouvoir recevoir Jefferson. Une pensée qui l'agaça prodigieusement. Mais il ne montra qu'une froide détermination. Il n'était pas venu ici pour repartir bredouille. Ce n'était absolument pas son genre de faire marche arrière et ce n'était pas un peu -ou beaucoup pour le coup- d'attente, qui allait le faire reculer. Jamais de la vie il ne ferait un truc pareil.
Et pourtant, la jeune femme insista. A quoi bon ? Ne voyait-elle pas qu'il était réellement déterminé à patienter autant de temps qu'il le faudrait, pour pouvoir voir et parler avec l'homme dont il était question ? « Et c'est pour l'une de ces affaires 'très sérieuses' que je suis ici. J'attendrai donc le temps qu'il faudra, même la nuit s'il le faut, m'ais j'attendrai. Parce que c'est une chose très sérieuse qui m'a poussé à venir trouver cet avocat. » Répondit-il toujours sur le même ton calme et impersonnel, en apparence presque posé. La personne qui parviendrait un jour à le faire changer d'avis à propos de quoi que ce soit, n'était pas encore née, c'était une certitude. Et ça lui convenait bien. Il était têtu comme pas permit. Encore l'une de ses innombrables et incroyables qualités -notez l'ironie de la phrase-. « De toute façon, je n'ai rien à faire, ni ce soir, ni cette nuit. Alors je peux bien attendre le petit matin, s'il le faut. » Ajouta-t-il en s'enfonçant un peu plus dans son siège, pour bien montrer qu'il ne comptait pas bouger de sitôt. Et il était on ne peut plus sérieux. Il n'avait plus ni femme ni enfant, susceptible d'attendre son retour avec une grande impatience. Il n'avait donc plus la moindre petite raison, de se hâter pour quoi que ce soit ou qui que ce soit. C'était une chose à la fois plutôt bonne ... Et à la fois, vraiment terrible.
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