Pourquoi est-ce qu’on m’avait encore mise aux urgences ? Je savais qu’il fallait que je passe du temps dans tous les services soit disant pour que je puisse faire un choix l’année prochaine quand je serais résidente, mais si je ne savais pas quelle spécialité je préférais, je savais parfaitement que la trauma n’était absolument pas dans ma liste. Bon, ma psychiatre pensait aussi que retourner aux urgences pourrait me faire du bien et m’aiderait à tourner la page. Et pourtant, à peine entrais-je dans la salle que je revoyais toute la scène qui s’était passé quelques semaines auparavant. La scène se déroulait parfaitement devant mes yeux, comme une hallucination. Des ambulanciers amenant des enfants qui s’étaient pris dans un carambolage. Moi, seule, n’arrivant à joindre aucun titulaire. Je me revoyais courir auprès de tous, m’occuper d’eux un par un, et n’arriver à n’en sauver qu’un. Sur vingt et un. Je soufflais lentement, tentant de faire disparaître ces espèces de flashbacks bien trop réels à mon goût. Je détestais ça ! Ma mémoire était bien mieux lorsqu’elle n’était que photographique, c’était certain ! Je prenais le dossier d’un nouveau patient, qui s’était écorché la main. Bon au moins, il ne risquait pas de mourir, c’était déjà ça. Quelques points de sutures, et ce serait bon. Avec un peu de chance, aucun accident n’aurait lieu pendant ma journée aux urgences. A qui je voulais faire croire ça ? Nous traversions l’une des pires tempêtes que New York n’ait jamais connue, mais bien sûr, aucun accident n’aurait lieu ! Je roulais des yeux contre moi-même. Allant à l’encontre du patient, j’eus un petit doute en le voyant. Je détestais quand cela m’arrivait. Je regardais le dossier. Bien sûr, la personne n’avait pas coché le f ou le m, ce qui rendait la situation encore plus délicate. Bon, j’avais une chance sur deux non ? Enfin franchement, ça aurait été plus simple s’il/elle avait indiqué son sexe dans la fiche de renseignements ! « Mi-Nam McCatamney ? » demandais-je dans un sourire, en tentant d’éviter le monsieur ou madame. « Et si vous me racontiez ce qu’il s’est passé ? » le/la questionnais-je ensuite, tout en prenant sa main dans la mienne.

J’avais réellement espéré que maintenant que mon internat commençait à toucher à sa fin – enfin encore quelques mois quoi, mais j’étais plus proche de la fin que du début ! – je pourrais enfin commencer à me spécialiser, et donc au moins arrêter de me retrouver aux urgences, vu que je ne voulais clairement pas devenir chirurgien traumatique. Bon, je savais que je ne choisirais ma spécialité que lorsque je deviendrais enfin titulaire. Après deux ans à être résidente, donc. Mais tout de même, je devenais résidente dans quelques mois, et je pouvais bien commencer à rester dans les services qui m’intéressaient le plus, non ? Et bien apparemment, non. On avait un quota d’heures dans chaque spécialité à respecter, et je n’avais pas atteint mon quota aux urgences. Comme si ce n’était pas compréhensible que je ne veuille plus me retrouver dans un endroit où la plupart des patients qui y entraient, mourraient avant même qu’on ait pu les ausculter. Spécialement en cas d’accident. Et étant donné que New York traversait l’une des pires tempêtes jamais vue dans le pays, il était clair que je serais plus utile à aider en salle d’opération plutôt qu’à accueillir les morts aux urgences, simplement pour les déclarer morts. Et encore, alors qu’on savait pertinemment que le patient était mort, on ne pouvait pas abandonner et on devait faire des soins de réanimation – tout en sachant que cela ne marcherait pas – pour pouvoir dire aux familles que l’on avait tout essayé pour sauver leur proche, sans succès. Donc je comprenais que l’on devait bien ça aux familles, mais pendant que l’on tentait en vain de sauver une personne déjà morte, on ne pouvait pas aider d’autres personnes bien vivantes et qui avaient besoin de notre aide. Mais soit, pour le moment, je m’occupais d’un/une patiente qui s’était bien écorchée la main. Au moins, je reprenais les urgences par quelque chose d’assez facile. « J’ai glissé sur une plaque de verglas … Et des malin ont surement cassé une bouteille à cet endroit car je suis tombé sur des bouts de verre… » soupira la jeune femme. J’acquiesçais lentement. Apparemment, certaines personnes ne connaissaient pas les poubelles. « J’ai évité au maximum de bouger la main, histoire que les bouts de verres ne s’enfoncent pas trop profondément, j’espère qu’il y en a pas beaucoup sous la peau ? » continua-t-elle. « Vous avez bien fait. » répondais-je dans un petit sourire, avant de regarder sa main plus en détail.« Il y a quand même quelques bouts de verre sous la peau, mais ça aurait pu être bien pire. » continuais-je tout en prenant une petite pince.

Il n’y avait rien de pire que les urgences selon moi. J’étais dans ma troisième année d’internat maintenant, et en septembre prochain, je serais résidente – si je réussissais l’examen, mais je n’avais aucun doute là-dessus, cet examen étant encore porté sur les connaissances ; et avant ma mémoire photographie et autobiographique maintenant, autant dire que l’examen ne m’inquiétait absolument pas. Donc pourquoi continuer d’imposer des quotas d’heures ? C’était ridicule quand même, alors que j’allais bientôt pouvoir choisir ma spécialité. Je ferais donc mieux de rester dans les services qui m’intéressaient, pour pouvoir ensuite faire un choix. Parce que oui, j’hésitais encore entre plusieurs spécialités. La neuro, bien sûr. Le cerveau m’intriguait réellement, et il y aurait toujours de nouvelles choses à apprendre. La cardio aussi, forcément. Après tout, tenir un cœur entre ses mains était une expérience assez … forte en émotions on va dire. Et la pédiatrie. Pour la pédiatrie, c’est finalement un mélange de plusieurs spécialités – donc le trauma, malheureusement – mais sur des enfants. Et aussi, il fallait être l’avocat de l’enfant, auprès des parents. Parce que oui, un enfant, sauf à être proche de la majorité, ne prenait pas lui-même ses décisions. Et c’était donc à nous de défendre ses intérêts. Venant d’une famille d’avocats, peut-être que j’avais cela dans le sang, après tout. Mais bon, là maintenant, j’étais aux urgences et devais m’occuper d’une main entaillée par des bouts de verre. « Tant que je ne me suis rien cassé, ça me va, j’ai assez donné avec les plâtres… c’est chiant et quand ça gratte c’est l’horreur ! » dit ma/mon patient en riant faiblement. «  Oui, je confirme.  » répondais-je dans un petit rire. Je m’étais déjà cassée un bras, pendant mon adolescence, et j’avais réellement détestée cette expérience. Je prenais ma pince et commençais à retirer un à un les bouts de verre. « Vous savez s’il va y en avoir pour longtemps ? Et s’il y aura besoin de points de suture ? » me demanda-t-il/elle. «  Il faut d’abord que je retire les bouts de verre, avant de savoir s’il y aura besoin de points de suture. »

Je me rappelais encore du jour où Kristina Plana, qui était le bas de la pyramide, était tombée, nous faisant donc toutes chuter par la même occasion. J’étais alors tombée sur mon bras, le cassant immédiatement. Et la convalescence fut douloureuse. Déjà, j’avais dû m’estimer heureuse d’être tombée sur le bras gauche, sinon j’aurais été incapable d’écrire – et mes notes auraient donc chutées. Mais j’avais réellement détesté me casser le bras, et je me rappellerais toujours du soulagement que j’avais ressenti lorsque l’on m’avait enfin retiré le plâtre ! « Vous vous êtes déjà cassé quelque chose ? Le bras ? Ou la jambe ? » demanda mon/ma patient/e. Je lâchais un petit rire – même si ce n’était pas vraiment drôle. « Oui, le bras, quand j’étais adolescente. Et je n’ai vraiment pas aimé ça. » m’exclamais-je dans un sourire. Je lui annonçais alors qu’il fallait que je retire les bouts de verre de sa main, pour constater la profondeur de sa blessure. Et donc pour savoir si oui ou non, il/elle aurait besoin de points de sutures. « D’accord, je vais appeler mon patron, sinon il va me tuer. » m’annonça-t-il/elle, soupirant. J’acquiesçais doucement, avant de lui répondre. « Dîtes-lui aussi que vous aurez un mot de l’hôpital pour vous excuser. » rajoutais-je en haussant doucement les épaules. Après tout, il n’y avait pas de raison que son patron le prenne mal, non ? Elle était blessée, aurait la preuve de cela avec un mot signé et tamponné, et voilà. Et pourtant, son patron n’eut pas eu l’air d’apprécier. Alors que je continuais à retirer un à un les bouts de verre, je pouvais entendre ses cris. « Et dire que je suis simplement vendeur à la cafeteria de Columbia. A croire que c’est un poste très important… » soupira mon/ma patient/e avant de poser son téléphone sur la table disposée à ses côtés. Je levais les yeux au ciel.« Poste important ou pas, vous êtes blessé et vous devez vous soigner. Point. Il n’a rien à redire là-dessus, que vous soyez ministre ou vendeur. »

« On se comprend alors, le plâtre c’est l’horreur. » affirma mon/ma patient(e) à propos des plâtres, me faisant lâcher un rire. J’acquiesçais dans un hochement de tête pour seule réponse. J’espérais en effet pour lui/elle qu’il/elle n’aurait pas besoin de plâtre. Mais cela dépendait de la profondeur de ses blessures. Si l’un des bouts de verre avait touché un os par exemple, le plâtre ne sera pas une option. Mais avec un peu de chance, sa blessure ne serait que superficielle. « Merci beaucoup, c’est gentil. » me remercia-t-il/elle après que je lui ai annoncé que l’hôpital lui fera un mot d’excuse pour son travail, prouvant ainsi qu’il/elle n’avait pas menti et avait bien été en incapacité de se rendre à son travail. « Non, c’est normal voyons. Là maintenant, il faut vous concentrer sur votre guérison, pas sur votre patron, pas sur les répercussions que vous pourriez avoir suite à votre retard au travail. Votre patron aura donc la preuve de ce que vous affirmez. » lui répondais-je dans un sourire, sans m’arrêter de retirer un à un les bouts de verre coincés. Puis en levant les yeux au ciel, je lui affirmais que post important ou pas, la santé passait avant tout le reste. Qu’il/elle soit ministre ou simple vendeur. Même si malheureusement, je me doutais bien qu’un ministre pourrait plus facilement s’affirmer à ce sujet, n’ayant pas peur de perdre son travail pour si peu, à la différence d’un vendeur dont le patron avait l’air d’être un … abruti. « Je verrais bien, quand il verra ma main il me dira de rentrer, je ne peux pas servir les clients avec la main blessée… » J’acquiesçais dans un sourire que je voulais rassurant, tout en retirant un nouveau bout de verre. « De toute façon, même si vous vous en tirez sans plâtre, vous aurez obligatoirement un bandage, et vous devrez utiliser le moins possible votre main pendant un temps. Donc servir d’une main risque d’être compliqué. »

« Je changerai bien de boulot, mais bosser à la fac, me convient alors. » me dit la personne que je soignais. « De toute façon, un travail est un travail. Mais il faut bien faire comprendre à votre patron que si vous ne travaillez pas, ce n’est pas par plaisir, bien au contraire, mais pour votre santé. » lui répondais-je dans un petit sourire, sans quitter sa main du regard. Je ne supportais pas ces patrons qui, sous prétexte que leurs employés avaient besoin de leur travail, se permettaient de les traiter n’importe comment. Il y avait des priorités dans la vie, et la santé était la priorité numéro une. Même si nos situations n’étaient pas comparables – après tout, j’avais la formelle interdiction de venir au travail avec une grippe par exemple, ce qui semblait logique, puisque je ne pouvais pas prendre le risque de donner une infection à un patient en chirurgie – je n’aimais vraiment pas ce type de patron. Peut-être justement parce que j’avais eu la chance de ne pas avoir besoin de travailler, et de l’avoir fait simplement pour le plaisir – après tout, le mannequinat était bien plus un loisir qu’un réel travail. « Vous n’avez pas tout à fait tort… Surtout que pour porter les plateaux et tout quand il y a de grande commande… Je demanderais à mon frère de me remplacer. » me répondit-il/elle, lorsque je le/la prévenais que, de toute façon, il/elle aurait un bandage sur la main et ne pourrait donc pas aller au travail pendant un moment, le temps que sa main cicatrise. « Oui, demandez à quelqu’un de vous remplacer. Sinon, si vous décidez tout de même de travailler malgré tout, vous prendriez le risque d’abimer encore plus votre main et d’avoir des dommages irréversibles. » rétorquais sans le/la regarder. Ce n’était pas que je voulais lui faire peur, mais je voulais qu’il/elle comprenne bien les risques de travailler sans être totalement soigné.« Et dire qu’il y a des poubelles dans les rues tous les trente mètres si c’est pas moins… Fallait que ça tombe sur moi. » marmonna-t-il/elle, me faisant lâcher un petit rire. « Si seulement les gens étaient bien élevés, nous aurions bien moins de patients aux urgences … »