Encore une journée de boulot qui venait de se terminer. Il était un peu plus de vingt et une heure quand je saluais distraitement le gardien de mon immeuble. Un des inconvénients de mon travail était les horaires totalement décalés voire imprévisibles. Si je n’avais jamais eu à me plaindre avant depuis que j’avais découvert l’existence de Katniss, c’était une autre paire de manches. Heureusement après moult et moult entretiens, j’avais réussi à accorder ma confiance à une adolescente pour garder ma terreur. Oui, une terreur car Katniss était le diable sur pattes. Retournez-vous et vous la perdiez de vue sans avoir eu le temps de dire ouf. Ajoutez à cela sa manie de hacker tous les ordinateurs à sa portée et vous aviez le portrait de la petite Del Toro. Malgré le peu de temps qui s’était écoulé depuis la découverte de ma paternité, je ne pouvais m’empêcher de l’aimer déjà et donc, de me montrer plus que protecteur. C’est l’urgence qui me poussa à me montrer moins exigeant et à embaucher Lucy Dickens mais je n’avais pas eu à le regretter. La seule règle que je m’étais fixée concernant la demoiselle était de ne pas la faire travailler trop tard mais un client m’avait prévenu au dernier moment et je n’avais pas pu la confier à Ayhalina. Aussi, avais-je demandé à Lucy de me rendre service mais en contrepartie, je lui donnerai une prime et la ramènerait chez elle. Un moindre geste j’en convenais.
Je poussais donc la porte de mon appartement quand une musique parvint à mes oreilles. Adorateur de la musique et musicien également, je trouvais le morceau agréable et très bien joué. Ma fille aurait-elle également la fibre musicale comme son père ? Apparemment non car ce n’était pas elle qui jouait de la guitare mais sa baby-sitter. Sans me faire repérer, je l’écoutais jouer mais ma fille me repéra rapidement et se jeta sur moi pour un câlin que je lui donnai avec plaisir. « Holà little querida, tu as passé une bonne journée ? » lui demandais-je tout en déposant un baiser sur le sommet de son crâne. « Oui papa et promis, je n’ai hacker aucune entreprise aujourd’hui par contre j’ai trouvé ton nouveau mot de passe ! » rigolait-elle tandis que je soupirais. Puis, je me tournais vers Lucy. « A-t-elle été sage ? Je suis désolé d’arriver si tard mais le rendez-vous de mon client a été plus long que prévu. Bien sûr je te paierai les heures supplémentaires et te ramènerait chez toi vue l’heure. A moins que je vous invite mesdemoiselles à McDo ! » Demandais-je à la cantonade.
Tout en écoutant leurs réponses, j’ôtais ma veste noire et sortie mon arme de mon holster pour aller l’enfermer dans le coffre-fort. J’avais été très clair avec Katniss sur le sujet et pour une fois, ma fille m’avait écouté religieusement. Puis, je retroussais les manches de ma chemise blanche sur mes avant-bras avant de me retourner vers Lucy. « Tu joues de la guitare depuis longtemps ? »

J’étais en train de glisser mes clés dans la porte d’entrée de mon appartement quand je me surpris à sourire de contentement. Depuis l’accident qui avait plongé Grace dans le coma, j’avais passé le plus clair de mon temps à survivre plus qu’à vivre mais c’était avant. En réalité, si je réfléchissais bien à la question, mon arrivée à New York avait changé bien des choses dans mon existence. La première fut Ayhalina. Ma protégée, la personne en qui j’avais le plus confiance après mon meilleur ami et patron Peter. Revoir mon amie m’avait fait un bien fou et m’avait donné le sentiment d’être enfin de retour chez moi après une longue absence. Puis, il y avait eu Katniss qui avait déboulé dans ma vie tel un buldozzer détruisant tout sur son passage. Qui ne serait pas retourné si un beau matin, cela sonnait à la porte de votre appartement et que derrière celle-ci, se trouvait une gamine de onze ans, criant un : bonjour papa avant de vous sauter dans les bras. Ce jour-là, je me suis cru en pleine 4ième dimension. Pourtant, j’avais pris la chose assez calmement comme si tout mon être savait qu’elle était ma fille. Il faut dire que j’avais toujours eu envie de fonder une famille nombreuse mais Grace étant stérile, j’avais mis tout cela au fond d’un trou. Quoique. Avant l’accident, nous parlions justement de l’éventualité d’avoir recours à une mère porteuse ou à l’adoption et voir Katniss en chair et en os m’avait retourné. Réellement. Depuis, elle était devenue mon monde, ma raison de vivre.
Aussi, quand ma fille se jeta sur moi après m’avoir repéré, je ne puis que lui faire un gros câlin comme nous les aimions. Il était beau le garde du corps sans sentiment et impassible. Auprès de ma fille, je ne devais un père somme tout banal. « Petite terreur ! J’ai beau inventé de nouveaux mots de passe, tu finis toujours par les trouver » râlais-je en essayant de me montrer sévère mais la bouille satisfaite de ma chipie m’acheva comme d’habitude. C’est pourquoi je m’enquis de savoir si elle avait sage. Avant Lucy, elle avait épuisé deux baby-sitters professionnelles avant que je me tourne vers une personne lambda sous les conseils d’amis. Lucy était donc ma dernière chance. « Katniss !! Ce n’est pas poli de faire ça ! » Réprimandais-je ma fille. « Désolée papa.. désolée Lucy » minauda-t-elle en réponse mais je savais très bien qu’elle recommencerait. De tous les enfants, il avait fallu que j’hérite d’un petit génie. « Si elle recommence n’hésite pas à la priver d’ordinateur, elle sait très bien que c’est mal de faire ça. » m’adressais-je à Lucy avant de m’excuser d’avoir été si long à revenir du travail. Je proposais donc à ces demoiselles de manger au McDo du coup et si ma fille salua l’idée d’un grand YES, je notais la légère grimace de Lucy. Toutefois, je ne dis rien alors qu’elle rangeait ses affaires. Je ne pus m’empêcher néanmoins de lancer le sujet sur la guitare de la demoiselle. « Oui, mon oncle m’a appris à jouer du panio, de la guitare et du saxophone. C’était un véritable adorateur de jazz & blues et il m’a transmis son virus. Je crois que dès que j’ai été en âge de comprendre et de jouer la musique, on m’a mis une guitare dans les bras. » Me rappelais-je avec tendresse de mon oncle aujourd’hui décédé. « Dis-moi, si tu n’es pas pressée, j’aimerais bien une démonstration de ton talent. »

En écoutant Lucy me rassurer sur le contenu auquel ma fille avait eu accès, je ne pus que pousser un souffle de soulagement. Depuis que j’étais père, j’avais toujours l’impression de marcher sur des œufs. J’avais peur de ne pas être trop sévère et de l’autre d’être trop laxiste. Ce n’était pas évident pour moi de me découvrir une paternité sur le tard même si j’adorais ce nouveau rôle. J’avais tellement eu envie d’un enfant et cela depuis des années que la présence de Katniss était une bénédiction en soi. Toutefois, j’avais raté onze années de sa vie et cela me frustrait. Je n’avais pas vu ses premiers pas, ni entendu son premier mot et encore moins pu lui faire l’avion pour l’aider à manger etc. Non, j’étais passé directement à une enfant éveillée qui s’était révélée être un petit génie. Ma fille se serra un peu plus dans mes bras comme si elle venait de comprendre le cheminement de mes pensées. Mon petit démon, ma petite terreur. Je l’aimais comme un fou, j’en étais même gaga et cela faisait que quelques semaines que j’avais fait sa connaissance. Dios, qu’est-ce que ça sera dans des années ?! A mon avis, je ferais partie des pères qui sortent les fusils quand les hommes approchent de trop près de leur progéniture. Je me souvins d’une chanson française qui disait qu’une fille était le cadeau de dieu, cadeau du diable. Katniss était exactement cela. Quoiqu’il en soit, Lucy pour revenir à elle, m’intriguait beaucoup. Depuis que je l’avais engagé comme baby-sitter, je n’avais pas réellement eu loisir à discuter avec elle et à faire plus ample connaissance mais ma fille l’adorait et c’était le principal. « Oh non, le japonais et moi, ça fait deux ! Tu m’aurais dit l’espagnol, sans aucun soucis voire le français mais non, pas le japonais » fis-je tout en rigolant. Je m’installais donc sur le canapé, Katniss sur mes genoux. Un vrai pot de colle celle-ci mais elle adorait les câlins. Sa mère ne lui ayant rarement fait.

Je fermais les yeux pour mieux m’imprégner du morceau. Je faisais toujours cela quand j’écoutais de la musique. Oublier tout le reste si ce n’est le morceau, vivre de cette mélodie douce et harmonieuse qui appelait des paroles. Lucy avait vraiment du talent et je sentais à travers les notes qu’elle jouait, toute sa passion. Nous avions cela en commun, une fois qu’on nous mettait un instrument de musique dans les mains, plus rien d’autre ne comptait. Malgré moi, je fus transporté bien des années en arrière et l’image de ma femme s’imposa à mon esprit mais étrangement, son visage était flou et une rivière dorée prenait peu à peu la place puis, ce fut un visage. Un visage que je connaissais fort bien, trop bien. Tout cela était perturbant. « C’était magnifique. Tu as du talent Lucy, n’en doute pas et c’est une très bonne chose que de l’entretenir en travaillant. Je comprends mieux Katniss quand elle dit qu’elle adore t’entendre jouer. » lui dis-je tout en souriant. « J’ai bien vu que McDo t’intéressait pas, on peut commander autre chose si tu veux. Cela me ferait plaisir que tu restes à diner, j’aimerais en savoir plus sur toi. Après tout, je te confie souvent mon petit trésor » lui avouais-je tout en couvant d’un regard tendre ma fille, ma nouvelle raison d’avancer dans la vie. « Si tu veux, on peut faire livrer des pizzas à tes amis pour me faire pardonner de te retenir. C’est moi qui invite ! »

J’avais vraiment envie de la connaître et j’espérais qu’elle ne déclinerait pas mon invitation. Après tout, je ne connaissais pratiquement rien d’elle et une chose en moi, me poussait à croire qu’elle valait la peine d’être connue.

Une mère poule. Voilà comment je pouvais résumer la petite Lucy Dickens vis-à-vis de ses camarades. Cela ne pouvait que me satisfaire et me conforter dans mon choix de lui confier ma fille. Je pensais que passer par des agences spécialisées était le meilleur gage possible mais je m’étais vite rendu compte que pour beaucoup, c’était de l’abatage industriel. Je ne voulais pas d’une nounou pour Katniss, le genre je suis payé à faire cela donc je le fais avec un emploi du temps coincé où je pense. Non, Katniss est une gosse trop vivante, trop imprévisible et je voulais qu’elle ait un rapport humain et chaleureux. De par mon travail, je suis souvent amené à travailler de soirée voire de nuit mais je faisais tout mon possible pour que cela ne pénalise pas notre vie de famille. Il y a quelques semaines déjà, j’avais embauché une jeune femme répondant au nom de Catherine pour m’épauler dans tout ce qui était administratif afin de me décharger de cette partie du boulot. Elle était très efficace et je n’en avais jamais eu à me plaindre. Puis, je songeais sérieusement à embaucher quelques gardes du corps pour me seconder. Ainsi, je pourrais avoir plus de temps à consacrer pleinement à ma terreur. Elle ne disait rien, ne se plaignait jamais mais je sentais qu’elle me voulait pour plus longtemps que quelques heures par-ci, par-là. Lucy revint à ce moment-là et me demanda un bout de papier. « Attends, je dois avoir ça dans le coin ! » lui répondis-je tout en farfouillant sur le buffet non loin après m’être relevé sous les grognements de ma petite puce. « Tiens, note-moi tout ça qu’on nourrisse tes amis ! » lui souris-je avant qu’elle ne me retende le papier où figurait une adresse.
Dix minutes plus tard, les pizzas étaient commandées, deux pour ses amis et deux pour nous. Nous n’avions plus qu’à attendre mais j’avais déjà hâte ! Mes mères avaient pour habitude de se moquer de mon appétit. Oui, j’étais un énorme gourmand mais je ne prenais pas un gramme en même temps, je brulais beaucoup de calorie à chacune de mes missions. « ‘paaaaaaaaaaa, c’est quand qu’elles arrivent les pizzas ? » me demanda Katniss avec un regard aussi affamé que celui que je devais faire à cet instant précis. « Dans moins d’une demi-heure chérie. Lucy, tu veux boire quelque chose en attendant ? Il doit nous rester du jus d’orange, de la limonade ou du coca-cola. Et toi puce ? » Demandais-je à la cantonade tandis que ma fille s’exclamait un puissant coca cola. Elle en était dingue mais je veillais à ce qu’elle n’en boive pas trop souvent. Je tenais à ce qu’elle ne me ruine pas côté dentiste. Blague à part, je servais les filles tout en servant également une bière bien fraiche puis revint vers elles. « Alors, si tu me parlais un peu de toi Lucy ? » avançais-je tout en reprenant ma place sur le canapé aux côtés de Katniss.