Tout s’était considérablement accéléré dernièrement. Plus rien ne roulait comme c’était prévu, et Neige peinait grandement à reprendre le contrôle de son existence. Ses crises d’angoisse se multipliaient, Jarvis n’avait de cesse d’être sur son dos pour qu’elle consulte un psy ou à la rigueur n’importe quel autre spécialiste et comme bien souvent, la discussion tournait au vinaigre. Ils n’étaient pas en couple, bordel ! Ils étaient simplement partenaires aussi ferait-il mieux de se concentrer sur sa part habituelle du marché sans chercher midi à quinze heures trente. Neige gérait très bien le reste, et surtout le côté sentimental de la chose… du moins c’est ce qu’elle voulait bien faire croire. Mais la vérité, c’est qu’elle ne trouvait plus le sommeil qu’en pointillé, lequel était souvent parsemé de détestables images de sa fausse couche et du départ d’Amaury. Jarvis l’avait harcelée une fois de trop à ce sujet, tant et si bien qu’elle avait pris une veste, des baskets et s’était engouffrée dans la nuit sans même vouloir se retourner. Le pire, c’est qu’elle n’avait même pas pris son portable. S’il lui arrivait quelque chose, elle ne pourrait prévenir personne et surtout pas ce crétin étant sans arrêt après elle en ce moment. Mais quelque chose lui disait qu’elle ne risquait pas d’être préoccupée uniquement par son portable pour le reste de cette étonnante soirée. Alors qu’elle se baladait dans une rue plutôt mal famée, des cris l’alertèrent au loin. Voix masculines d’après ce qu’elle avait pu capter, et ils semblaient s’en prendre à quelqu’un assit par terre, incapable de rétorquer quoi que ce soit pour une raison lui étant… inconnue. Neige était trop loin pour connaître les détails de l’altercation mais sans savoir pourquoi, alors qu’elle n’était pas franchement connue pour se préoccuper d’autrui, elle voulu faire quelque chose. Restait à savoir quoi…

Par chance, une voiture se trouvait justement à côté d’elle. Pratique pour se cacher, encore plus pour faire fuir tous ces abrutis de là. Neige parvint à ouvrir la serrure sans mal, à pénétrer à l’intérieur et à tripatouiller les fils jusqu’à mettre le contact en marche. Comme quoi, il n’y avait pas que dans les films que cela marchait… elle ne capta qu’ensuite qu’il s’agissait d’une voiture de police alors forcément, l’envie de mettre le gyro et de beugler dans le micro fut diablement tentante ! « Dégagez de là plus vite que ça !! » Neige donna un coup d’accélérateur pour menacer de les écraser s’ils ne détalaient pas comme des lapins, et finalement, ce fut une mission rondement bien menée… du moins jusqu’à ce qu’elle ne soit face à l’homme en imper manifestement dans un sale état. « Hey, vous m’entendez ?! » Neige tenta de le secouer légèrement avant de se raviser : il possédait une arme. Probablement de service vu l’étuis, mais ça ne lui inspirait pas confiance pour autant !

Oh dear. Non seulement Neige venait de prendre un risque pour rien mais en plus elle venait de constater que l’homme qu’elle avait sauvé n’était rien d’autre qu’un ivrogne. Magnifique pioche, Hengel ! Pour un peu, elle se serait giflée. Mais à la place, elle se contenta de grogner légèrement tout en croisant ses bras contre son corps fin et musclé par de nombreuses heures de cambriolage. Celui-là n’avait strictement rien de sympathique, contrairement à l’historien dont elle avait fait la curieuse connaissance quelques temps plus tôt. Il cuvait plutôt sa vinasse sans aucune glace et lui donnait désormais envie de passer son chemin sans se retourner… foutue conscience, tiens ! Il fallait qu’elle pense à s’en débarrasser définitivement si elle ne voulait pas continuer à se foutre dans des situations impossibles comme celle-ci. « C’est vrai que vous êtes tellement beurré comme un p’tit Lu que vous ne risquez pas de savoir toucher à une machine à laver tout seul comme un grand… » La fierté allemande, sans doute, ou l’incroyable inconscience dont elle savait si bien faire preuve parfois. Jarvis n’avait de cesse de le lui reprocher mais sans cet extraordinaire trait de caractère, elle se serait fait sauter le caisson depuis très longtemps. « Vous pouvez toujours essayer » lança-t-elle de façon on ne peut plus insolente sans pour autant lâcher le moindre sourire en pâture dans la fosse aux lions où ils semblaient désormais entrer. « Mais vous tenez déjà à peine debout et puis… je cours vite. D’autant que j’ai réussi à démarrer votre voiture sans vos clefs, ça fait pas mal d’avantages sur vous… flic en papier bulle. Petit Lu deviendra pas grand ! »

Neige n’avait aucune envie d’être insultante de prime abord mais il l’avait cherché. Aucun merci, aucune gratitude, il aurait mérité qu’elle le laisse pourrir dans son trou et qu’il se fasse saigner comme un vulgaire porc mené à l’abattoir. La conscience, une fois encore. « Si vous êtes pas content je pense que je peux vous trouver des abrutis pour vous trouer le bide comme le suicidaire que vous êtes. Après tout, vous devez être anesthésié depuis le temps ! »

« Arrête de me traiter de gamine t’as l’air à peine plus âgé que moi ! Ou plutôt si, ça doit être le fait de mal cuver ton vin, flicaille ! » Neige détestait que l’on s’oppose à elle de cette façon et surtout sans raison apparente. Après tout, ne lui avait-elle pas tout de même sauvé la mise ? « Tu sais ce qu’il te dit mon air con et ma vue basse ? » Mais quel choc lorsqu’elle vit la photographie de Willow, SA Willow entre les mains de ce sale flic en mousse… autant dire qu’elle eut tôt fait de la lui arracher des mains tout en sentant sa respiration devenir diablement irrégulière. S’il lui arrivait quoi que ce soit alors qu’elle s’était promis de garder un œil sur elle et de la protéger, elle ne pourrait jamais se le pardonner. Ce fut presque un réflexe pour Neige que de s’emparer de son téléphone pour appeler ce fameux neurochirurgien qu’elle ne connaissait que peu mais qui lui avait laissé son numéro en cas de besoin. Pourvu qu’il ne soit pas en chirurgie mais bien chez lui et soit donc en mesure de lui répondre malgré l’heure… une sonnerie, deux sonneries, Neige était au comble de l’inquiétude et se sentait capable de casser la gueule au premier couillon qui aurait l’audace de lui baver sur les rouleaux. Par chance, ce bon Wayne finit par décrocher… d’accord, sa voix n’était pas forcément l’amabilité incarnée, mais au moins… il avait décroché ! « Doc au dieu soit loué ! C’est Neige ! Je suis désolée de vous appeler aussi tard mais Wiwi m’a dit que vous l’hébergiez quelques jours et je voulais être sûre qu’elle était toujours chez vous… » Bonne réponse. Elle dormait à points fermés et même du sommeil du juste selon les paroles du chirurgien. « Merci ! Veillez sur elle, surtout. »

Neige déglutit avec difficulté, se tâtant à aller la chercher pour s’assurer qu’elle resterait en sécurité, mais la connaissant, Willow n’allait pas vouloir que la jeune femme se fasse du mouron pour elle. D’autant qu’elle ne lui avait pas encore officiellement dit pour sa fausse couche. « Que les choses soient bien claires, mauvais flic. Vous ne l’interrogerez pas si je ne suis pas présente et vous ne lui ferez aucun mal ou c’est moi qui vous arrache direct les yeux, vu ? »

« Rha, mais la gamine elle t’emmerde aussi, irlandais de mes deux ! » C’était sorti tout seul. Et le pire, c’est que son accent allemand avait pris le dessus, sans compter qu’elle avait ponctué ses paroles par un bon vieux « scheiße » de circonstance. Neige ne supportait pas les gens irascibles. Cela lui collait une insupportable envie de foncer dans le tas ou d’être grossière. Ce n’était pas réellement son genre, pourtant, mais ce flic ne méritait aucune espèce de respect et encore moins le fait qu’elle garde son calme olympien. Après tout, merde, elle devait gagner bien plus que lui dans le moins –surtout si l’on gardait en tête que les flics sont toujours payés une misère. « Je t’empêche pas de faire ton job l’ami, je ne supporte pas ton verbe haut et ta façon de dire « ouais mais je suis flic alors forcément je m’y connais mieux que toi ». Garde tes leçons de morale en te les foutant là où je pense, vu ? » Neige avait sa propre fierté, bien que celle-ci ne vienne par d’Irlande. Bien qu’elle n’ait que vingt-cinq ans, elle avait passé l’âge de se laisser marcher sur les pieds par des vieux chnoques sur le retour. Elle était plus intelligente que cela, après tout ! Ah, fallait-il qu’elle adore sa Willow d’amour pour supporter ne serait-ce qu’une minute de plus la présence de ce flic lui donnant envie de tourner les talons illico presto. Seulement voilà, elle restait lucide envers et contre tout : quoi qu’elle en dise, Neige n’avait pas la possibilité de protéger sa Wiwi comme elle le voulait. Elle ne savait pas réellement se battre, détestait les armes qu’elles soient à feu ou blanches, et la violence dans son intégralité lui donnait envie de se jeter du haut du mont Rochemore. En définitive, contrairement aux idées reçues, ce flic ne payant franchement pas de mine était son seul espoir de continuer à faire perdurer la promesse qu’elle s’était faite à propos de Willow… paye ton avantage en mousse tiens ! « On t’a jamais appris à dire s’il te plaît dans ta cambrousse ? Je vais venir avec toi, et ce n’est pas une question, c’est une affirmation. Tu as peut-être trois fois plus de ressources que moi pour l’aider, mais je ne donne pas l’adresse à voix haute dans une ruelle pourrie de New York, question de bon sens. Elle est hébergée par un ami à elle, quelqu’un de confiance. Soit je t’accompagne, soit tu peux t’accrocher le minou que tu n’as pas et sonner l’heure. »

« Ce que j’attends ? Que tu la ferme pour apprécier un merveilleux silence, voilà ce que j’attends ! » Décidément, fallait-il qu’elle adore Willow pour effectivement poser son exceptionnel petit cul dans la voiture de ce flic pourri qui avait vécu des jours meilleurs semble-t-il. D’ordinaire, Neige était bien la dernière à émettre un jugement, mais puisqu’il la prenait de haut, elle allait tout faire pour l’emmerder, question de principe. Qu’il aille donc se plaindre à qui il voulait, alcoolisé comme il était, il ne serait sûrement d’aucune utilité à Willow. La jolie allemande allait devoir s’assurer que sa petite blonde était protégée par les personnes qu’il fallait puisqu’elle ne pouvait, de toute évidence, aucunement accorder la plus petite confiance en cet homme tenant à peine debout et optant toujours pour un vocabulaire aussi désagréable que châtié. « Mes airs de Rambo t’emmerdent, au fait. J’suis sûre que sur une enquête je serais mille fois plus efficace que toi, espèce de poivrot fini ! Oh et pour info, ce n’est pas que je n’arrive pas à te saquer, tu m’es parfaitement indifférent. Tu n’existerais pas, ce serait du pareil au même pour moi alors ferme-là et conduit, rends-toi au moins utile pour une chose monsieur je sais tout mieux que tout le monde ! » Neige n’allait pas culpabiliser pour un flic ayant oublié d’avoir une vie géniale, pas vrai ? Chacun sa merde, après tout. La vie de l’allemande était bien assez complexe pour qu’elle ne s’embrouille l’esprit avec des conneries du genre. Non, vraiment, ce flic allait disparaître de sa vie aussi rapidement qu’il était apparut, et elle se promit de ne plus jamais porter secours à des types comme lui… ou plutôt à ne plus porter secours à qui que ce soit, point barre final.