J’avais été très surprise lorsque Xander m’avait appelée pour me proposer de m’inviter à dîner au restaurant. Agréablement surprise bien sûr. Je connaissais Xander depuis quelques années maintenant, lorsqu’il vivait une de ses pires périodes. Il était au chômage, à la rue, sans argent pour vivre. Je l’avais donc connu pour la première fois par l’intermédiaire de mon association, lui donnant des plats que je cuisinais, des vêtements chauds pour l’hiver aussi, mais surtout mon oreille attentive. Beaucoup pensaient que parler aux personnes démunies ne servait à rien, mais ce n’était pas mon cas. Au contraire d’ailleurs, je pensais que c’était le plus important. Bien sûr manger était nécessaire à la survie, mais parler et surtout être écouté étaient nécessaire pour pouvoir ensuite se réinsérer. Et Xander avait réussi cela à la perfection. J’étais énormément fière de lui, fière qu’il ait réussi à y arriver. Nous étions restés proches et je le considérais comme un ami à présent. Et lui aussi j’imaginais. Nous nous voyions moins qu’avant, forcément, mais il prenait toujours du temps pour moi et cela me touchait beaucoup. L’idée de passer une soirée avec lui m’enchantait réellement et c’était probablement pour cela que j’avais passé une bonne heure dans la salle de bain à me préparer. Quelqu’un sonna à la porte et je savais déjà que c’était Ingrid, la baby sitter d’Elliot. J’accourais pour lui ouvrir et lui donnais de nouveau toutes les instructions. D’ordinaire, je n’aimais pas vraiment laisser mon fils adoptif et préférais profiter de sa présence le plus possible, mais je me voyais mal l’emmener au restaurant avec nous, surtout au vu de l’heure tardive et du fait qu’il devait aller à l’école le lendemain. Ce ne serait pas raisonnable. Il était tout de même incroyable que j’en vienne à considérer Elliot comme mon fils et surtout, cela me faisait culpabiliser. Je connaissais ses parents qui avaient été des amis à moi, et j’avais même été sa baby bitter lorsqu’il n’était qu’un bébé. A leur mort, j’avais appris qu’ils voulaient que j’en aie la garde et même si je ne n’étais alors pas vraiment prête à devoir m’occuper pleinement d’un enfant, j’avais voulu respecter leurs dernières volontés. Je savais que justement, ce qu’ils auraient voulu, c’était que je traite Elliot comme s’il était mon fils et qu’il m’appelle maman en retour. Mais j’étais toujours gênée et avais toujours l’impression de les trahir lorsque cela se passait. Un sms m’indiqua qu’il était temps pour moi de sortir et de rejoindre la voiture de mon ami, ce que je fis. Arrivant, je le pris dans mes bras pour le saluer. « Hey Xander ! Comment ça va ? Merci de m'inviter ce soir ! » lui dis-je dans un grand sourire.

« Et bien, j’aime ton côté égoïste alors ! » répondais-je dans un rire. J’étais une personne plutôt tactile, c’était vrai. J’aimais le contact des autres personnes, et cela avait toujours été ainsi. Je me rappelais que même plus jeune, lorsque je vivais encore chez mes parents, j’étais déjà ainsi. Sauf que bien sûr, à l’époque, je n’avais pas le droit de le faire. Pour ma mère, c’était une « intrusion dans l’intimité » et elle ne manquait pas de me réprimer lorsque je prenais une personne dans mes bras, peu importait qui était cette personne. Généralement, elle était témoin de ma tacticité lorsque mon grand-père venait à la maison. En effet, déjà à ce moment-là, j’étais très proche d’Armand, et il était le seul à me comprendre. Bien sûr, mon jumeau essayait de me comprendre et ne faisait jamais de commentaire, même lorsqu’il n’était pas d’accord avec moi. Mais ce n’était pas la même chose. Armand pensait comme moi, exactement comme moi. Ensemble, nous pouvions parler sans crainte de politique, de la chance que nous avions d’être né dans la « bonne » famille, de différentes associations que nous soutenions. J’avais même appris qu’il donnait de l’argent en cachette – car oui, dans notre famille, c’était plutôt mal venu – à plusieurs associations comme le secours catholique et les restaurants du cœur. Il avait alors été mon héros et j’avais voulu apprendre de lui. Sauf que moi, je voulais vivre ainsi tous les jours, sans avoir à me cacher, sans avoir à cacher ma personnalité. C’était d’ailleurs probablement pour cette raison que je n’avais pas été si touchée que cela lorsque mes parents m’avaient mise à la porte. Je pouvais enfin être moi et trouver des personnes qui m’accepteraient comme j’étais. Des personnes comme Xander par exemple. Xander qui avait apparemment décidé d’être galant. Malgré mon côté féministe qui n’aimait pas qu’on ouvre la porte d’une femme – après tout, ne pouvait-elle pas l’ouvrir toute seule, comme une grande ? – je décidais de ne rien dire et d’apprécier la situation. « Oui, ça va plutôt bien. Bon, je n’aime pas vraiment laisser Elliot seul le soir, mais il faut que je prenne sur moi, sinon je risque de l’étouffer un jour. » avouais-je toujours dans mon rire habituel. Lorsque nous arrivâmes devant un petit restaurant, je laissai Xander m’ouvrir la porte de nouveau – même si je sentais mes yeux lever au ciel – et acceptai sa main que je finis par quitter lorsque le serveur nous installa à notre table.

« Je te laisse déjà m’inviter au restaurant je te signale ! Tu sais ce que ça me fait de laisser quelqu’un payer à ma place ? Si en plus je dois sourire à ton machisme, on ne va pas s’en sortir ! » lui répondais-je dans un éclat de rire. « Et tu devrais être content, avant que tu n’en parles, je n’avais même pas fait de commentaire ! » rajoutais-je en le taquinant. Je n’étais pas le genre de femme qui rêvait de se faire entretenir. Bien au contraire même. Ma mère était de ces femmes-là et il était même probablement qu’elle n’ait accepté d’épouser mon père que pour son argent et son statut. Après tout, il était un De Bonaparte, l’une des familles les plus riches de France avec les Bettencourt – amis proches de la famille de mon père d’ailleurs. Bien sûr, la famille de ma mère aussi avait un statut plutôt reluisant, mais comme ma mère s’était amusé à me le répéter, lorsqu’à treize j’étais tombée amoureuse d’un fils d’avocat – pourtant pas l’un des pires métiers non plus d’un point de vue financier – « ils n’avait jamais appartenus au même monde, n’appartenaient pas au même monde et n’appartiendront jamais au même monde ». Ma mère tout craché ça. Sortir des choses de ce type, tout en faisant exactement la même chose. Cela me rappelait d’ailleurs lorsqu’elle avait critiqué ce sdf dans l’une des nombreuses rues de Versailles en disant qu’il n’avait qu’à travailler, alors qu’elle même ne faisait strictement rien de ses journées – à l’exception de jouer au tennis dans le précieux club de la Croix-Catelan au Bois de Boulogne – et encore moins travailler. Elle ne s’occupait même pas de la maison, ni de Bart et moi, ses enfants. Non, il y avait d’autres personnes pour s’occuper de cela « et quand on a les moyens, pourquoi s’en priver ? » comme elle le disait si bien.«  En même temps, je ne suis pas sûre que tu comprennes le français, non ? Donc forcément, la carte d’un restaurant français, ça doit être un peu compliqué. » répondais-je dans un grand sourire tout en regardant la carte en question, avant de m’adresser au serveur, en français bien sûr. « Nous commencerons par prendre comme entrée des noix de Saint-Jacques marinées, tourteau légèrement anisé et pousses de mâche ainsi  qu’un carpaccio de bar à l'huile d'olive extra vierge citronnée et mangue. Comme plat, je prendrais un croustillant de pied de cochon aux cèpes et mon ami prendra le homard au beurre noisette, ravioles d'artichaut et tomate confite, émulsion de crustacé. Et nous verrons plus tard pour le dessert. Pour accompagner tout cela, nous prendrons une de vos meilleures bouteilles de Côtes du Rhône. »

En voyant la tête que faisait Xander après que j’ai parlé de machisme, un éclat de rire sorti de ma bouche. Un rire franc et joyeux en même temps, qui faisait monter quelques larmes aux coins de mes yeux. « De la sympathie et de la galanterie ? » riais-je plus fortement. « Tu m’ouvres la porte de la voiture, la porte du restaurant, déplace ma chaise, etc. J’appelle cela du machisme personnellement. Parce que je peux parfaitement le faire moi-même je te signale. Mais si ça te fait plaisir, qu’est-ce que tu veux que je te dise. » continuais-je, les secousses liées à mon rire se calmant petit à petit. Et puis, c’était Xander. Je savais parfaitement qu’il ne faisait pas cela dans ce sens-là, et qu’il pensait probablement ce qu’il avait dit. Donc je passerais outre pour ce soir. « Je préfèrerais en effet payer ma part si ça ne te dérange pas. Il manquerait plus que je devienne comme ma mère à tout me faire payer. » rajoutais-je avant de rouler des yeux. Il était vrai qu’aucun de nous deux n’avait de soucis financiers. Et que cela ne voudrait strictement rien dire si je le laissais m’inviter. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher apparemment. Un nouvel éclat de rire s ‘échappa de ma bouche à nouveau, tandis qu’il m’annonçait avec un air très – trop ! – sérieux qu’il ne comprenait rien aux termes de cuisine, peu importe la langue dans lesquels ils étaient. J’étais une personne qui riait très souvent, on ne pouvait pas dire le contraire. J’aimais rire, j’aimais sourire, bref j’aimais la vie en fait. Si je ne riais pas, je ne me sentais pas bien, comme si une partie de moi-même n’était plus présente. Et puis, j’avais tant de raisons d’être heureuse, autant en profiter. Je passais alors la commande au serveur dans ma langue natale, avant de reporter mon attention sur Xander, qui me regardait. « Tu es trop sexy ? » répétais-je dans un petit rire, avant de reprendre. « C’est réellement tout ce que tu connais de cette langue ? En même temps, venant de toi, je ne sais même pas pourquoi ça m’étonne. » pouffais-je en secouant la tête. « Je pourrais te donner des cours particuliers si tu le souhaites ! » lui proposais-je dans mon grand sourire habituel.

Entendant la remarque de Xander, j’éclatais de nouveau de rire, avant de lever ma main pour bien montrer mes ongles vernis à la perfection. « Et mes ongles te remercient ! Après tout, je les ai manucuré cette après-midi, ce serait dommage de les abimer, non ? » répondais-je d'une petite voix minaude, avant de lever les yeux au ciel, comme pour souligner que je ne pensais pas un seul mot de ce que je venais de dire. Je sentais que beaucoup d’éclats de rire allaient sortir de ma bouche pendant cette soirée. Puisqu’un nouveau ne tarda pas à faire son apparition. « Oh, pauvre petit Xander qui va voir sa réputation salie par les paparazzis … Au moins, les journaux ne diront pas demain matin que je suis une femme vénale qui n’est sortie ce soir avec toi que pour que tu m’invites ! » riais-je de nouveau. Déjà, de base, j’étais une personne qui riait beaucoup, et la plupart du temps pour un rien. J’avais toujours été comme ça, du plus loin que je m’en souvienne. Et même lorsque j’habitais encore chez mes parents, hein. Bon, bien sûr, ma mère critiquait mon rire et me disait d’être plus discrète lorsque je riais. Après tout, une femme de bonne fortune, avec une bonne éducation, se devait de ne pas trop se faire remarquer. Mais je n’avais jamais réussi à m’en empêcher. Déjà toute petite, lorsque mon jumeau et moi nous amusions à nous créer des mondes imaginaires, mon rire était tout le temps présent, un peu comme une musique de fond. Et puis avec le temps, cela m’était resté – voire même augmenté depuis mon indépendance. Mais alors mon naturel, plus une soirée avec Xander ? Pour sûr, je serais immortelle avant même que la soirée ne se finisse – le rire permettant apparemment de gagner des heures de vie.  « Oui, c’est justement ce que je te propose, des cours de langues … » répétais-je confuse, ne comprenant pas où il voulait en venir. Puis je compris, et je posais mes deux mains sur ma bouche. Bientôt, je sentis des rougissements prendre place sur mes joues. Secouant la tête, je donnais une petite tape sur le bras de mon cavalier. « Idiot va ! » répliquais-je dans un nouveau rire. Quand je disais que je serais immortelle avant même que la soirée ne se termine …

Beaucoup de personnes ne comprendraient pas que je ne me laisse pas inviter, même lors d’une simple soirée entre amis. Après tout, je me doutais que peu me verraient comme une femme vénale simplement parce que je me laissais inviter. « Imagine ma mère lit la presse people américaine et voit que je me laisse inviter ? Je ne peux pas lui laisser ressentir une telle fierté voyons ! » répondais-je dans un grand sourire, même si je ne riais pas vraiment et pensais ce que je venais de dire avec sérieux. Je ne voulais pas lui ressembler, jamais. Et de plus, j’avais toujours été comme ça. Je me rappelais que, déjà lorsque je sortais avec Joseph, je ne le laissais pas m’inviter, alors que tout comme Xander, il n’avait aucun problème financier. Joseph était mon premier amour – et mon seul d’ailleurs. Nous nous étions rencontrés au mouvement des jeunes socialistes de Versailles – oui, même si nous n’étions que sept inscrits, le nom ne changeait apparemment pas – et nous étions tout de suite entendus. Nous venions du même monde – quoique d’après ma mère, il y avait son argent et le notre mais étant donné qu’il en avait été de même entre elle et mon père, j’avais préféré laisser couler ses remarques – et étions même dans la même classe. Et surtout, nous voyons la vie de la même façon. Ensemble, nous voulions changer le monde et il n’était pas rare que nous partions dans des discussions interminables pour tenter de le changer. Je me demandais ce qu’il était devenu après mon départ. Nous n’étions tout simplement pas resté en contact, ses parents ne voulant de toute façon pas que nous nous revoyions, pensant que j’avais une mauvaise influence sur lui – même si tout comme moi, ses notes étaient excellentes et que nous n’avions jamais pris une quelconque substance répressible. Était-il devenu comme nos parents ? Ou poursuivait-il toujours notre combat ? Mon intention se reporta immédiatement sur Xander qui m’enclencha un nouvel éclat de rire.  « Okay, okay je l’avoue. » riais-je en levant mes mains comme pour accentuer le signe d’abandon. Le serveur arriva ensuite enfin avec nos entrées. Cela avait l’air délicieux et l’odeur m’enchanta. Dans un sourire, je répondais à Xander en lui disant – en anglais cette fois – ce qu’il avait dans son assiette. « Alors tu as des noix de Saint-Jacques marinées, tourteau légèrement anisé et pousses de mâche. Et j’ai pris un carpaccio de bar à l'huile d'olive extra vierge citronnée et mangue. »

Je riais de nouveau en voyant son exagération dans sa remise d’armes. Un vrai clown celui-là. Mais bon, c’était ce que j’aimais chez lui aussi. En plus de pouvoir être telle que j’étais en sa présence, il me faisait rire – et donc me rapprochait petit à petit de l’immortalité, ce qui n’était pas peu – et j’aimais être en sa compagnie. « Tu fais bien ! Tu ne m’as jamais vu en colère en plus, et je souhaite t’épargner cela le plus longtemps possible. » répondais-je en pointant mon doigt vers lui, comme pour exagérer ma menace. Avant bien sûr de perdre le semblant de sérieux que je m’étais donné, et d’éclater de rire de nouveau. Même s’il devait probablement penser que ma mère n’était qu’une excuse de plus, elle était en fait réellement la raison. Ou tout du moins, ce qui me poussait à réagir ainsi. Savoir que mon jumeau et moi n’étions pas né d’amour, mais simplement d’intérêt me faisait mal, en quelque sorte. Et je comprenais à présent pourquoi ils n’avaient pas eu d’autres enfants après nous, malgré que nous leur demandions lorsque nous étions petits. Je ne voulais absolument pas être comme ça. Je voulais trouver le grand amour, trouver mon âme sœur en fait. Et nous aurions plein d’enfants. Peut-être une dizaine, qui sait ? J’adorerais ça. Avoir une grande famille, du bruit à la maison, voir des enfants chahuter. Oui, c’était mon rêve. Réellement. Et j’espérais de tout mon cœur qu’il se réaliserait. Je donnais un coup de fourchette dans mon entrée, avant de la savourer longuement. Hum, c’était un véritable régal. Mes papilles en étaient toutes émoustillées. « C’est excellent, tu veux dire ! » rajoutais-je dans un rire, tout en secouant la tête. C’était réellement le meilleur restaurant français de la ville. Et je remerciais vraiment Xander de m’y avoir emmené ce soir. Jamais je n’y serais allée de moi-même. J’aurais trop culpabilisé d’aller dans un si grand restaurant alors que des personnes étaient en train de mourir de faim dans ce froid hivernal. Alors que vu que l’idée venait de Xander, cela permettait d’atténuer la chose en quelque sorte. Après tout, je n’avais fait qu’accepter son invitation, sans savoir où il avait décidé de m’emmener. Donc payer autant pour un dîner me semblait donc moins … grave on va dire. Entendant sa réflexion sur ma cuisine, je ne pus m’empêcher de rougir et de baisser la tête. « Dis pas n’importe quoi. » répondais-je, gênée avant de lever la main avant de la secouer, comme pour accentuer le fait qu’il disait n’importe quoi.

Il était vrai qu’il en fallait beaucoup pour me mettre en colère. Mais cela ne voulait pas dire que je ne l’avais jamais été. Lorsque mes parents m’avaient fichue à la porte par exemple, je n’avais pas hésité une seconde avant de leur cracher tout ce que je pensais d’eux, dans les moindres détails. Je ne m’étais jamais autant énervée que ce jour-là. Et quand j’y repensais, je me disais que je n’aurais pas dû, tout simplement. La seule chose que j’aurais dû faire, c’était consulter un avocat. En effet, je n’avais que seize ans lorsqu’ils m’avaient claqué la porte au nez en me demandant de ne plus jamais y remettre les pieds. Ce qu’ils avaient été donc parfaitement illégal, puisque je n’étais alors pas majeure. Mais bon, à l’époque, je ne le savais pas. Et puis, je n’avais de toute façon pas envie de rester avec eux, surtout s’ils pensaient réellement ça de moi. « Oui, en effet, quand je m’énerve réellement, ce n’est pas beau à voir. Pas parce que je pleure et que ça rend le truc ridicule hein. Mais c’est qu’il en faut énormément pour m’énerver, et donc dans ces moments-là, je ne peux plus me contrôler. Je le regrette après, bien sûr, mais bon … » répondais-je un peu gênée, après avoir pris une longue pause pour trouver mes mots. « Mais heureusement, ça ne m’arrive pas souvent ! » reprenais-je dans un rire. Je ne pouvais décidément pas garder mon sérieux trop longtemps apparemment ! Commençant notre entrée, j’étais réellement à deux doigts de l’extase tant c’était délicieux. Les saveurs, les odeurs, tout ressemblait à un paradis tant recherché. Et forcément, je ne pus m’empêcher de rougir lorsque mon cavalier pour la soirée me complimenta sur ma cuisine à moi, disant qu’elle était meilleure que celle du restaurant étoilés où nous dinions ce soir. Et lorsqu’il rajouta qu’il devrait me complimenter plus souvent, simplement parce qu’il aimait me voir rougir, mes rougissements se décuplèrent rapidement et je sentais la chaleur me monter aux joues. Je ne répondis rien à sa remarque, étant bien trop gênée pour cela. Tout ce que je fis fût de me concentrer sur ma propre assiette, tout en me mordillant les lèvres. « Merci. » finissais-je par le remercier dans un sourire après qu’il ait rajouté qu’il le pensait réellement ce qu’il avait dit à propos de ma cuisine.

Je ne m’étais jamais vue en colère – après tout, je n’étais omnisciente – mais je m’imaginais très bien. Ma voix partait dans les aigus, mon visage rougissait entièrement et des larmes coulaient sur mes joues, rendant mes yeux complètement bouffis. En fait, si je faisais peur quand j’étais en colère, ce serait plus à cause de mon allure de complètement malfagotée que pour mes mots. D’ailleurs, les rares fois où je m’étais réellement énervée, je me m’étais mise à bégayer, ce qui ne pouvait pas aider à me donner un côté effrayant, bien au contraire. Mais j’imaginais que ce qui devait faire peur, c’était tout simplement de me voir énervée. Après tout, j’avais beaucoup de mal à me retenir de sourire pendant cinq minutes, le changement était donc brutal et inattendu non ? De mon avis, c’était surtout qui devait être effrayant … « Je pense que je dois plus être pitoyable qu’autre chose quand je m’énerve. » répondais-je dans un grand rire, en m’imaginant encore à quoi je pouvais bien ressembler et mes bégaiements. Et apparemment, il en était de même lorsque l’on me complimentait, les pleurs et les yeux bouffis en moins bien sûr. Et c’était donc rougissante et à la limite du bégaiement que j’avais répondu à Xander, avant de me concentrer sur mon entrée. Puis un rire m’échappa tandis qu’il décrivait les femmes qu’il semblait connaître. Oh mon Dieu, je n’arrivais tout simplement pas à croire que cela puisse exister. Rire qui s’arrêta net quand il accentua la fin de sa phrase.    « Et il y a ... Toi. » Cette phrase tourna quelques bonnes secondes dans ma tête tant elle était … Je ne trouvais pas de mot pour l’expliquer, mais cette fois-ci, je n’avais pas rougi. Mon regard restait planté dans le sien sans que je ne m’en aperçoive réellement, tandis que cette phrase continuait de raisonner.  Sans cesser de le regarder, comme si j’étais sous hypnose, je me mordis doucement les lèvres. De gène peut-être ? Non, apparemment ce n’était pas de la gêne. Quand le serveur arriva pour nous débarrasser et nous donner notre plat principal, je fus comme électrocutée, comme si je venais de réaliser que je l’avais fixé et que surtout, je n’avais rien répondu. Rougissante de nouveau, je secouais doucement la tête – de gène cette fois – avant de lui répondre. « Ou .. oui, je … je vois ce que te … tu veux dire …» Et voilà que je bégayais maintenant. De mieux en mieux.

« C’est justement parce que tu ne m’as jamais vu énervée que tu en es certain. Mais je peux t’assurer que je dois plus être pitoyable qu’autre chose ! » lui assurais-je dans un nouveau rire. J’en étais même sûre d’ailleurs. Le simple fait d’imaginer à quoi je pouvais bien ressembler me faisait quelque peu pitié. Et j’étais sûre que c’était ainsi que ma mère l’avait pris lorsque je m’étais énervée contre elle après qu’elle m’ait annoncé qu’elle me mettait à la porte. Je repensais à ce moment, que je n’arrivais plus vraiment à me chasser de l’esprit – en même temps, cela avait été la seule fois où je m’étais réellement énervée, cela devait donc jouer. Je me rappelais de Bart, mon jumeau, qui avait tant bien que mal essayé de me défendre. Lui-même avait fini par se mettre à pleurer. A cette époque, mon jumeau et moi n’étions plus aussi proches que lorsque nous étions enfants. Nous avions tous deux évolués vers des chemins différents. Mais ne plus le voir tous les jours me faisait réellement mal au cœur. Nous nous appelions tous les jours pourtant, justement. Mais ce n’était pas la même chose, j’imagine. Et il me manquait. Ne le voir que lors des fêtes me déchirait réellement le cœur. C’était comme si une part de moi n’était plus là, comme si j’étais seule au monde en fait. Et rien ni personne n’arrivait à remplacer son absence. Je tentais de chasser ce sentiment de mon esprit. Après tout, c’était bientôt Noël et donc il viendrait bientôt chez moi, tout comme Armand, mon grand-père. Et j’avais réellement hâte de les revoir et de passer du temps avec eux de nouveau. En entendant le rire amusé que fit Xander en m’entendant bégayer, je me mis à le regarder avec de gros yeux. Il me mettait dans un état comme celui-ci, et se permettait de s’en amuser ensuite ? Ma bouche s’ouvrit comme une carpe et resta dans cette position pendant un moment. Puis je tentais de nouveau de calmer les battements de mon cœur, ce dernier me donnant l’impression de vouloir s’échapper de ma poitrine tant il battait vite. Je ne comprenais vraiment pas ce qui se passait avec moi. Soufflant un bon coup, je repris la parole. Mais les bégayements n’avaient apparemment pas envie de s’en aller. « Oui .. Oui, je … je pense que tu … que tu devrais arrêter … »

Je remettais une mèche de cheveux en place, tout en l’écoutant. Oh, même sans que ce soit lui qui m’énerve, je pourrais très bien m’énerver en sa présence. Après tout, si ma mère passait de manière impromptue lorsque Xander était présent et recommençait comme lors de mes seize ans, il pouvait parfaitement assister à une de mes très rares crises d’énervement. Et c’était d’ailleurs ce que je décidais de lui répondre. «  Tu n’es pas obligé d’être la cause de ma colère pour me voir énervée. Il suffit que je m’énerve contre une autre personne alors que tu es présent … » expliquais-je dans un petit sourire, avant de hausser doucement les épaules comme pour dire que ce n’était finalement pas d’une importance capitale. Ce qui était le cas d’ailleurs … Il y avait très peu de chances pour qu’il me voie un jour énervée. Après tout, ma mère avait coupé tout contact avec moi, et je ne l’avais pas vue depuis mes quinze ans. Et elle avait été la seule à me mettre dans un état pareil. Couper les ponts était donc plutôt une bonne idée, puisque je n’aimais réellement pas me sentir ainsi. Probablement autant que je n’aimais pas rougir et bégayer comme il me faisait le faire en ce moment-même. Qu’est-ce qui lui prenait pour me complimenter ainsi ? Et c’était qu’il s’en amusait en plus ! Mais le summum fut quand il posa ses lèvres sur les miennes dans un rapide baiser. Je sentais mon cœur battre à tout rompre à travers mes veines, et étais complètement figée. Rouvrant doucement les yeux tandis qu’il se remettait à sa place, j’écarquillais les yeux de surprise. Mais alors qu’il faisait comme si de rien n’était, comme si ce n’était qu’un simple jeu, les larmes me montèrent rapidement aux yeux. Me mordillant les lèvres, je secouais doucement la tête. « Il y a des choses qui ne sont pas drôles Xander … » lui dis-je alors d’une voix un peu brisée, avant de secouer la tête de nouveau. Tandis que je reprenais ma fourchette et m’efforçais de prendre une bouchée de mon plat, une larme coula lentement sur ma joue.

Lorsque Xander a posé ses lèvres sur les miennes, cela a fait rejaillir toutes sortes de souvenirs. Je n’étais pas une personne chanceuse en amour, il fallait bien l’avouer. Je n’avais eu qu’une seule histoire, et elle s’était terminée lorsque j’avais seize ans. Joseph était réellement mon premier – et seul même – amour. Nous nous étions rencontrés au mouvement des jeunes socialistes de Versailles – où nous n’étions que sept membres malheureusement – et n’avions pas pu nous quitter ensuite. Nous étions dans la même classe – même si je ne l’avais pas remarqué avant, pensant qu’il était de toute façon comme les autres – dans la même école. Et donc depuis le moment où nous avions commencé à parler, nous passions tout notre temps ensemble. Il a été ma première fois d’ailleurs. Quatorze ans, c’est vrai que c’est peut-être jeune pour une première fois, mais ça nous avait paru naturel en fait. Nous ne l’avions même pas prévu d’ailleurs. Juste à ce moment-là, nous étions seuls dans une des maisons de vacances de ma famille, et tout s’était déroulé de façon totalement naturelle. Puis à seize ans, je suis tombée enceinte de lui. En même temps, lorsque l’on ne sait rien à propos de la pilule et qu’on n’ose pas en parler à notre médecin de famille, de peur qu’il en parle à nos parents, cela semble logique. Donc je ne prenais pas la pilule, et notre seul moyen de contraception était donc le préservatif. Donc pas infaillible non plus. Et c’est là que tout s’est détérioré. Si Joseph voulait s’occuper de cet enfant avec moi et en profiter pour vivre avec moi, ce n’était pas le cas de ses parents, qui lui ont interdit de me revoir, soi-disant parce que j’avais une mauvaise influence sur lui – il faudra un jour qu’on m’explique en quoi, étant donné que nous étions tous deux premiers de la classe et ne consommions pas de produits illicites. Puis ce fut le tour de mes parents, qui me chassèrent alors de chez moi. Et depuis, je n’avais pas vraiment eu de vie amoureuse. Bien sûr, j’avais eu quelques petits amis, mais rien de bien sérieux. C’était probablement pour cela que j’avais mal pris le baiser de Xander, pensant qu’il se moquait de moi. Enfin pas vraiment se moquer de moi, puisque ce n’était pas son style, mais juste qu’il voulait rire et me taquiner. Mais ce n’était apparemment pas le cas, puisqu’il réitéra. Et cette fois-ci, je répondis timidement à son baiser. « Donc tu es sérieux ? » fut la seule chose qui sortit ensuite, dans un mordillement de lèvres.