Je n’y croyais toujours pas ! Eleanor était en vie. Je me sentais respirer de nouveau. Je me sentais vivre, tout simplement. Comme si lorsque je la croyais morte, j’étais mort avec elle. Bien sûr, je m’étais forcé à ne rien montrer, pour ma fille principalement. Sa mère était « morte », il ne lui fallait pas d’un père mort de l’intérieur. Et donc pour elle, j’avais retrouvé le sourire. Mais c’était tout. Je n’avais jamais pu tourner la page. La preuve, la seule fois où j’avais passé la nuit avec Soshka, une amie, après qu’elle m’ait resservi du vin encore et encore, je n’avais tout simplement pas pu me regarder en face. Et il m’avait fallu un petit moment pour que je puisse de nouveau agir normalement en sa présence – la culpabilité n’aidant pas. Et ce fut le lendemain que je vis Eleanor pour la première fois, dans les rues de New York. Même si ma première réaction avait été de croire à une hallucination liée à la culpabilité que je ressentais de l’avoir « trompée » et trahie, surtout, je m’étais senti obligé de creuser plus loin. Et c’était donc pour cela que j’avais fait appel à Gabriel Mcgregor, un détective privé dont j’avais entendu de bonnes critiques. Je ne sais toujours pas s’il m’avait pris pour un fou ce jour-là. Probablement que oui, surtout au vu de la façon dont je divaguais. Mais finalement, j’avais eu raison d’y croire. Parce que oui, Eleanor était bien en vie. Elle avait même pu rencontrer Elisabeth, notre fille, pour la première fois. Je n’avais jamais vu ma fille pleurer auparavant. Et pourtant, à la seconde où sa mère la prit dans ses bras, ma princesse se mit à pleurer. Je souris en repensant à ce tableau. Mais tout n’était pas rose pour autant. Je ne savais réellement pas comment je pourrais de nouveau faire confiance à ma femme – l’était-elle toujours, légalement parlant, d’ailleurs ?  – surtout qu’elle ne voulait pas me dire les raisons de sa fausse mort. C’était pour cette raison que je retournais voir le détective aujourd’hui. S’il n’avait plus à prouver que ma femme était en vie, je voulais maintenant qu’il découvre pourquoi elle s’était faite passer pour morte. Après m’être annoncé, j’entrais dans son bureau. « Bonjour Monsieur Mcgregor, comment allez-vous ? »

Alors que je rentrais dans le bureau du détective privé que j’avais engagé pour prouver qu’Eleanor était en vie, je le vis en train de mimer un étranglement. Je fis les yeux ronds, mais ne dis rien, ce n’était pas mes affaires après tout. Je me raclais la gorge pour annoncer ma présence, avant de le saluer. Lorsqu’il me demanda comment j’allais, plusieurs sentiments se bousculèrent. Une partie de moi allait bien, réellement bien. Cette partie était heureuse du fait qu’Eleanor soit en vie, et que sa mort n’ait finalement été qu’un cauchemar. Tandis que l’autre était complètement perdue. Comment ne pourrait-elle pas l’être ? Ma femme avait monté sa mort, et il y avait forcément une raison pour cela. Raison qu’elle s’obstinait à me cacher, malheureusement. Et si le détective n’avait plus besoin de prouver qu’elle était en vie, je voulais maintenant qu’il découvre ce qui s’était passé. « Étant donné les circonstances, on peut dire que je vais bien ! » lui répondais-je dans un sourire, avant de m’installer en face de lui. « Comme je vous l’ai dit par téléphone, ma femme est en vie. Vous n’avez donc plus à prouver. » commençais-je, avant de me demander si je devais quand même lui régler l’autre partie de la somme promise. Cela n’importait finalement, puisque je lui donnais une autre mission. Et puis, il pourrait toujours me le demander et nous en discuterions, ce n’était pas vraiment un souci. « Mais elle ne veut pas me dire ce qui s’est passé. Elle ne veut pas me dire pourquoi elle a dû faire ça, ni comment elle a fait pour que les médecins mentent ou pour qu’une autre femme se retrouve dans son cercueil. » continuais-je en secouant doucement la tête, avant de me pincer l’arrête du nez pour réfléchir. Je n’aimais pas vraiment passer derrière son dos ainsi, mais elle ne m’en laissait pas vraiment le choix. Je ne pouvais pas la laisser entrer dans la vie d’Elisabeth sans être certain que ce qui l’avait poussée à disparaître en premier lieu ne refasse pas un jour surface. « Je souhaiterais que vous découvriez ce qu’il s’est passé. »

J’aimais Eleanor. Plus que tout même. Probablement même plus que ma vie. A l’exception d’Elisabeth, notre fille, elle était la personne que j’aimais le plus sur Terre. J’étais donc prêt à tout lui pardonner. Ses mensonges, le fait qu’elle ait pu me faire croire qu’elle était morte, tout. Si cela voulait dire que nous pouvions nous remettre ensemble, j’étais prêt à lui pardonner. Mais je n’étais plus tout seul maintenant. Il y avait Elisabeth, et c’était mon rôle de la protéger. Elle avait déjà pas mal d’embûches sur son chemin, alors qu’elle avait à peine six ans. Je ne voulais pas la voir souffrir la perte de sa mère, si cette dernière devait à nouveau disparaître. Et si Eleanor ne voulait pas me dire ce qu’il s’était passé pour qu’elle en arrive à se faire passer pour morte, alors je le découvrirais moi-même. Enfin, je laisserais le détective McGregor le découvrir plutôt. Et c’était pour cela que je me retrouvais une nouvelle fois dans son bureau. Je commençais par lui dire la bonne nouvelle : Eleanor était bien en vie. Je n’avais pas eu d’hallucination, elle était bien là. Je rajoutais ensuite qu’elle ne voulait pas me dire pourquoi elle avait fait ça, ni comment, et que c’était ce que je voulais qu’il découvre. Quand il me demanda si j’avais pensé que cela pouvait être quelque chose d’hautement confidentiel, ou qu’elle avait pu aider – ou être aidée – par un organisme haut placé, cela me laissa sans voix. Je n’avais pas vraiment pensé à ça. Je levais ma main à mon visage, posant deux de mes doigts sur ma bouche, pour réfléchir. Elle aurait pu être aidée par le FBI ou du style, en effet. Même s’il n’y en avait pas en Angleterre mais bon. C’était une possibilité. Quoique non en fait. Elle avait dit que si je savais la raison, jamais je ne lui pardonnerais. « Je n’y avais pas pensé, mais je ne pense pas que ce soit ça. Elle avait vraiment l’air effrayée que je ne lui pardonne jamais si je découvrais la raison. Pourquoi je ne lui pardonnerais pas ça ? » répondais-je, les yeux dans le vague. Si elle était protégée par un organisme haut placé, c’était justement qu’elle avait fait quelque chose de bien, non ? Ou qu’elle avait été témoin de quelque chose. Mais donc je ne voyais pas pourquoi je ne pourrais pas lui pardonner.

Je n’avais jamais pensé qu’elle puisse faire partie d’une mafia quelconque. Elle était Eleanor, ma femme. Et elle était tellement douce et prévenante, que je l’imaginais bien mal faire ce genre de choses. Mais en effet, cela pourrait expliquer pourquoi elle aurait peur que je ne lui pardonne pas si j’apprenais la raison de sa disparition. Bon, bien sûr, même ça je serais capable de lui pardonner, avec le temps. Je l’aimais, et pour moi, l’amour, c’était aimer entièrement la personne, et pas simplement des petits bouts. Donc il y avait les points positifs, mais aussi ceux plus négatifs. Et lorsque l’on aimait la personne, on se devait d’accepter autant les derniers que les premiers. Mais je devais penser à Elisabeth. Il ne s’agissait pas que de moi dans l’histoire, mais aussi de ma fille. Parce que si Eleanor avait fait parti de la mafia et avait balancé des noms, ces personnes chercheraient probablement à se venger. Et autant dire qu’Elisabeth ferait une très bonne cible de vengeance. Et il était juste hors de question que je prenne ce risque-là. Bien sûr, je pourrais toujours envoyer mes gardes du corps la protéger, mais même, c’était bien trop dangereux. Et je préférais avoir le cœur net à propos de cette histoire plutôt que de me faire des films, encore et encore. Peut-être que c’était quelque chose de bien moins grave que cela. Voire même quelque chose de futile et qu’elle pensait juste que c’était le mensonge que je ne pardonnerais pas. « Oui, c’est que cette hypothèse est déjà un peu plus probable que la précédente. » lui répondais-je en me pinçant l’arrête du nez pour réfléchir. « Mais je ne sais pas, si c’était quelque chose d’aussi grave, elle m’en parlerait non ? Enfin, elle ne voudrait pas mettre notre fille dans une situation dangereuse. Enfin je ne sais pas … Et c’est justement pour cela que je viens vers vous. »

Ne pas savoir ce qu’Eleanor me cache me tourmente réellement. Je ne comprends pas pourquoi elle ne veut pas me le dire. Si elle veut réellement que nous recommencions, elle me doit au moins d’être honnête avec moi, non ? Parce que je suis prêt à lui pardonner de m’avoir menti sur sa mort et de m’avoir fait croire qu’elle était morte pendant six longues années. Ce n’est même pas que je suis prêt à le faire, c’est que je l’ai déjà fait. Parce que oui, je lui ai pardonné. A la seconde où j’ai su qu’elle était en fait vivante, je lui ai pardonné. Mais je ne peux réellement pas prendre le risque qu’elle refasse la même chose. Déjà pour mon cœur à moi, parce que je ne suis pas sûr que je pourrais supporter une nouvelle fois de perdre celle que j’aime. Mais surtout pour ma fille, Elisabeth. Parce que si Eleanor rentrait dans nos vies, elle n’en sortirait plus. Elisabeth a beau être la fille la plus courageuse que je connaisse – et je suis directeur et créateur d’une école, donc des enfants j’en connais ; je ne dis donc pas cela parce qu’elle est ma fille, mais bien en toute objectivité – je ne pense pas qu’elle puisse faire le deuil de sa mère à nouveau. Parce que oui, elle aussi, en quelque sorte, en avait fait le deuil. Même si elle ne l’avait jamais connue, elle l’avait fait lorsque nous avions parlé d’elle et que je lui avais dit ce que je pensais être la vérité : sa mère était morte. « Enfin je dis ça, mais elle m’a menti sur sa mort. Si ça se trouve, je ne la connais pas. » je réponds au détective privé avant de lâcher un petit soupir. J’hoche la tête à sa répartie, avant de lui répondre. « Si elle le découvre, je lui dirais simplement la vérité. Que je cherche à protéger notre fille. »

Qu’un homme enquête sur sa femme, j’imagine que c’était quelque chose de très basique. Rien qu’en cas de divorce, les deux parties se renseignaient sur l’autre, dans le but de tirer le plus de bénéfices possible dans le cas où l’autre cacherait bien quelque chose. J’imaginais donc que le détective avait déjà dû enquêter sur la femme d’un autre client. Mais il était probable que la raison qui me poussait ici, il ne l’avait jamais vu. Lorsque j’étais venu la première fois, c’était parce que j’avais alors cru voir ma femme dans la rue, alors qu’elle était supposément morte. Et je lui avais alors demandé d’enquêter et de prouver qu’elle était bien en vie. C’était ça, ou alors aller voir un neurologue pour vérifier que tout se passait bien dans mon cerveau – oui, j’avais en effet cru pendant un petit moment que j’avais une tumeur ; en même temps, les hallucinations en étaient les premiers symptômes. Puis si j’étais revenu aujourd’hui, c’était parce qu’il n’avait plus à prouver que ma femme était en vie. Non, je n’avais pas de tumeur ou du style. J’avais simplement revue Eleanor et nous avions parlé. Mais elle ne m’avait pas dit la raison qui l’avait poussée à me mentir et à se faire passer pour morte. Et si je devais la laisser rentrer dans ma vie et surtout entrer dans la vie de notre fille, je ne pouvais pas ne pas savoir de quoi il s’agissait. Et je savais que je serais prêt à tout lui pardonner. Je lui avais même pardonné sa fausse mort. Et malheureusement, comme elle ne voulait pas me le dire elle-même, je refaisais appel au détective privé. « J’espère aussi que ça ne détruira pas nos vies. Nous verrons bien le moment voulu, j’imagine. » lui répondais-je en passant la main dans mes cheveux. Puis j’acquiesçais avant de sortir mon chéquier et de lui tendre un chèque. « Tenez. Et oui, cela dépendra du temps que cela prend, c’est normal. »

Je me demandais si enquêter sur ma femme était une bonne chose. Après tout, si elle me cachait la raison de sa disparition, c’était qu’elle avait probablement une raison, non ? Et je passais donc derrière elle, derrière ce qu’elle voulait, juste pour connaître cette raison. Je n’étais pas certain que ce soit bien moral tout ça. Après tout, quand on se marie à une personne, on est supposé lui accorder notre entière confiance, non ? Mais avais-je encore confiance en elle ? Ou tout du moins, avais-je assez confiance en elle pour prendre le risque qu’elle blesse notre fille ? Non, pas vraiment. Je ne voulais pas que notre fille souffre. Et si Eleanor avait des problèmes, je ne voulais pas qu’ils atteindent Elisabeth. Je ne pensais absolument pas que ma femme puisse faire du mal à notre fille, tout du moins volontairement. Mais j’avais vécu sa perte, et je ne souhaitais à personne de ressentir la souffrance que j’avais ressenti. Donc je devais m’assurer qu’elle était là pour rester. Si j’avais été seul dans l’histoire, il était fort probable que j’aurais simplement vécu l’instant présent, sans me poser d’autres questions. Je n’aurais pas cherché à savoir ce qu’elle me cachait et aurait accepté sa décision. J’aurais simplement profité de chaque moment passé avec elle, priant pour que ce ne soit pas le dernier. Mais je n’étais pas seul dans l’histoire, et mon rôle de père était de protéger Elisabeth, envers et contre tout. Même contre sa mère. « Non, je vous promets que je ne vous tiendrez pas pour responsable ! » répondais-je au détective dans un sourire. Puis je lui tendais son chèque et comprenais parfaitement que son tarif dépendrait ensuite du temps qu’il passerait sur cette affaire. « Oui, je vous appellerais dès que j’apprend quelque chose de mon côté. » acquiesçais-je doucement, avant de serrer sa main et de quitter son bureau.