4 juillet, 00h30 Je l'avais cherché, c'est vrai. J'avais encore une fois poussé Billy à bout à cause de mes sarcasmes. Je ne voulais pas la mettre en colère, mais... c'est tellement drôle. Une cible tellement facile. Je ne le pensais jamais, ce que je disais quand j'utilisais son passé peu facile pour sortir un sarcasme. Sauf qu'elle avait fini par péter un câble et me mettre mis dehors, pour quelques heures au moins. J'étais sorti sans essayer de la faire changer d'avis, ne montrant aucun signe de la panique qui m'envahissait en réalisant qu'à cause de mon comportement, elle allait sûrement me laisser tomber. Ça faisait quelques minutes que j'étais en bas de son immeuble, cherchant quoi faire. Je jetai un regard à la fenêtre de son appartement. Une tête blonde passa devant et me lança un regard noir. Je baissai la tête. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça... Je mis la capuche de ma longue cape anthracite sur ma tête, replaçai correctement mes cheveux – c'est-à-dire avec la frange dans les yeux, tombant sur mon nez – et commençai à marcher. À marcher sans but. Sans porter la moindre attention au temps qui passait. À force de repenser à ce qu'il venait tout juste de se passer, je réalisai qu'en jouant ainsi avec les faiblesses de ma cousine, qui n'avait rien fait de mal, j'agissais de la même manière que M. Reynolds, qui depuis plusieurs années s'amusait à me faire souffrir de cette façon. Pourquoi continuer à vivre ? Je devenais comme lui, je ne méritais que de mourir. Ça arrangera tout le monde. Plus personne ne jouera ainsi avec les faiblesses de Billy, mon patron sera débarassé de moi – depuis le temps qu'il le cherche – , mes parents n'auront plus à avoir peur pour moi à cause de leurs activités peu légales. Je n'aurais plus à devoir supporter cette putain de vie et je retrouverai Élisa. C'était une bonne question, ça, pourquoi continuer à vivre ? À force de marcher à un bon rythme, je finis par arriver près d'un des ponts reliant Brooklyn à Manhattan. Je continuai de marcher jusqu'à me retrouver dessus et m'approchai du bord. L'eau était si calme... J'aimerai tant que mon esprit soit pareil. Je relevai un instant la tête. Il faisait bien nuit. Il devait être tard. Le ciel était dégagé, je réussissais même à voir quelques étoiles. Un léger vent soufflait, c'était plutôt agréable. Je fermai les yeux pour profiter encore quelques instants de la vie. Combien de fois l'avais-je déjà fait ? Un grand nombre. À chaque fois, cependant, quelque chose venait m'empêcher de faire ce que j'avais à faire. Il fallait qu'à nouveau, quelque chose m'en empêche. Je ne pouvais pas, certaines personnes comptaient sur moi et... Et quoi ? J'avais pris une décision, je devais m'y tenir. Même si c'était un acte impulsif, peu réfléchi, et alors ? J'en avais marre depuis tellement longtemps de cette vie, et j'agissais souvent impulsivement. Sur cette pensée, je continuai d'avancer. Cette délicieuse impression de savoir que sa vie ne tenait plus qu'à un fil commença à m'envahir. Plus que quelques pas. Rien n'a faire de paraître égoïste à cause de cette décision.

Je commençai à paniquer encore plus. Pourquoi ? Je me sentais trembler alors que j'étais sur le point d'avoir ce que je voulais depuis longtemps. Était-ce le poids de la culpabilité ? Étais-je en train de réaliser que j'allais faire souffrir les personnes à qui je tenais ? Je ne pouvais pas, non... il fallait que je me batte, pour Meo. Pourtant, je continuais quand même d'avancer. Il fallait que je me batte, mais je n'en pouvais plus de la vie. Depuis trop longtemps, je luttais. Cette eau m'attirait à elle tel un aimant. « Hey ... Bonsoir ? », entendis-je. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que ça se finissait toujours comme ça ? J’avais peut-être commencé à culpabiliser, mais je me rendais désormais compte d’à quel point c’était stupide. Si même ma cousine en avait plus qu’assez de moi, alors ça ne servirait à rien de continuer. J’imaginais qu’une solution serait trouvée pour Meo… mes deux cousines étaient tout aussi riches que moi, il y en aura bien une pour continuer de verser l’argent. « Impossible de se suicider tranquille... », marmonnai-je. Je risquais d’avoir du mal à finir ce que j’étais en train de faire, maintenant que quelqu’un était arrivé. « C’est pour quoi ? En quoi puis-je vous être utile ? », lançai-je d’une voix plus forte et légèrement agressive, sans tourner la tête vers l’homme dont provenait la voix. Je devais être maudit, oui, c’était sûrement ça. Sinon, ça ferait longtemps que je ne serais plus de ce monde. La vie est souffrance, comme dit cette maxime bouddhiste. Pourquoi tant de personnes s’acharnaient autant à vouloir vivre, même en ayant touché le fond ? D’un côté, je faisais partie de ces gens-là. Cependant j’avais l’impression que plus j’essayais de me sortir de mes problèmes, plus je coulais. C’était comme ça que je me retrouvais encore une fois prêt à me tuer… Je manquais de courage, je préférais mourir plutôt que devoir affronter les difficultés de la vie. Et alors ? Je l’assumais. Je ne cherchais pas à plaire aux inconnus. Et puis, pourquoi il venait me parler, ce type ? On se connaissait ? Je tournai la tête vers lui d’un coup sec et le dévisageai, nez plissé. Il avait une tête que j’avais déjà vue, mais je ne voyais pas qui ça pourrait être. Bon, peut-être que sans mes cheveux dans les yeux, je le reconnaîtrais plus facilement...

Le type ignora ma question mais ne me laissa pas tranquille pour autant. Il se rapprocha de moi. Mais… dégage, fous-moi la paix. « Vous comptez vraiment faire ça ? » Oui, je voulais sauter, me tuer, rejoindre ma femme. Pourquoi il semblait surpris ? « C'est quand même une drôle de façon de mourir ça. » Je haussai les sourcils. Drôle ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Ça n’avait rien de “drôle”. Dans le sens amusant ou surprenant, je ne comprenais pas. « C’est sûr que c’est bien plus glorieux de mourir dans son lit, de vieillesse. », lançai-je d’un ton sarcastique. Je voulais pouvoir disposer comme je l’entendais de ma vie, je l’avais décidé après avoir survécu aux catastrophes au Japon en mars 2011. « La vie est une douce torture, la mort un redouté soulagment. On croit que la vie est merveilleuse alors qu'en réalité, elle n'est ni plus ni moins une catin. Si vous ne vous en êtes jamais rendu compte, vous avez de la chance. », soupirai-je en relevant la tête. Je reculai d’un pas. Je n’avais pas abandonné mes projets pour autant, ça non. Je savais bien que ce n’était pas très poli de planter son interlocuteur en pleine conversation, et vu que j’étais vraiment près du bord, un mouvement trop brusque et voilà quoi, pas la peine de faire un dessin. « Et puis, est-ce que je compte vraiment faire ça, votre question est stupide. Qu’est-ce que vous pensez que je comptais faire ? Une partie de mah-jong ? C’est pas vraiment le lieu pour ça. » Pas vraiment, non. Et à part le pont, je n’avais personne avec qui jouer. « Vous avez fait votre bonne action de la journée, Monsieur peut disposer à présent.. », déclarai-je du ton le plus froid que j’avais en stock. Je ne supportais pas qu’on essaie de m’aider. Je ne voulais pas de la pitié ou de la compassion des autres, je ne voulais tout simplement pas d’aide. Encore moins venant d’un inconnu. Tout ce que je voulais, c’était qu’on me laisse me suicider tranquille, pour une fois...

« Bah c'est devenu tellement rare de mourir de vieillesse, que ça a quelque chose de chouette quand même. » J'avais beau chercher, je ne voyais pas ce qu'il y avait de ''chouette'' à vivre longtemps dans le malheur. Et puis, je ne voyais pas non plus ce que ça avait de rare... le nombre de centenaires n'augmentait-il pas ? Ça m'était un peu égal, de toutes façons, peu importait la durée de vie moyenne, les gens finissaient quand même par mourir et me donner du travail. « La vie a quand même ses bons côtés, également. Il suffit de les voir et de savoir en profiter ... » Des bons côtés ? Mon œil, ouais. Enfin, non, il n'avait pas tort. J'avais eu quelques chances dans ma vie. Élisa, Billy, Dawson... April, aussi. Et j'avais encore mes deux parents, bien que je m'inquiétais énormément pour eux. Et Meo. C'était pour elle que je m'efforçais de me battre pour survivre... « J'ai essayé d'en profiter. À chaque fois, quelque chose venait me retirer ce bon côté de la vie... » Sa maladie pour Élisa, M. Reynolds pour Dawson, mes sarcasmes pour Billy... et sûrement, un jour, Mister Marshmallow pour April. Saleté de peluche... « Vous regardiez peut-être simplement le reflet du ciel étoilé, sur l'eau ... » C'était aussi ce que je faisais. Une nuit aussi étoilée en ville, c'était rare. Ça me rappelait le ciel de la Réunion, aux endroits où la pollution nocturne était trop faible pour empêcher les étoiles de briller. C'était une chance d'avoir une si belle image à emporter avec soi dans la mort... « Oh non je vais pas partir comme ça ! Vous pensez pas que si je suis arrivé justement maintenant, pile au bon moment, c'est peut-être le signe de quelque chose ? » Il plaisantait ? Il comptait vraiment rester là jusqu'à ce que je daigne changer mes projets. « Putain... », soupirai-je avant de tourner vaguement la tête vers lui. « Le signe de quelque chose, et de quoi ? Vous êtes apparu comme par miracle et, comme le génie de la lampe, vous allez exaucer trois de mes vœux ? » J'en doutais fort. Et à moins que ce génie de la lampe puisse ramener les morts, je n'étais pas sûr qu'il me soit très utile. Et de toutes façons, trois vœux, c'était tellement peu. Il avait tant de choses que je souhaiterais changer dans ma misérable petite vie...

« Oh c'est vrai qu'il y a toujours des trucs emmerdants qui viennent foutre le bordel ... Mais bon, on s'en relève toujours plus fort, vous ne pensez pas ? » Je baissai la tête et tirai sur ma capuche de façon à ce qu'elle tombe encore davantage sur mon nez. Mon regard fixait l'eau. M'être relevé encore plus fort à chaque fois ? J'aurais bien aimé avoir simplement réussi à m'en remettre. Ça aurait déjà été pas mal... « J'ai vu tellement de personnes mourir sans pouvoir rien faire... comment aurais-je pu m'en relever plus fort ? », demandai-je, en repensant à la dernière catastrophe à laquelle j'avais assisté. Fukushima. Comment ce type voulait-il qu'après avoir vu tant de gens s'effondrer sous mes yeux je puisse m'en remettre ? Surtout que j'étais sûrement en partie responsable. Ne portais-je pas malheur ? J'avais sérieusement peur qu'un jour, il arrive quelque chose par ma faute à Billy ou April. On vivait tous les trois sous le même toit, si quelque chose venait à arriver ce seraient les premières à subir. C'était aussi pour ça que je devais sauter pour de bon. Surtout que ce n'était pas ce faux génie de la lampe qui allait pouvoir m'aider. « Oh non moi je suis illusionniste, pas magicien ! » Je relevai les yeux, soudainement intéressé. « Illusionniste ? Vraiment ? », m'étonnai-je. Ça, c'était un chouette métier... Je me surpris à me tourner vers lui. « Mais on peut quand même voir ça ... Quels sont vos trois principaux voeux ? » Je baissai la tête quelques instants. Mes trois principaux vœux... Quels étaient-ils ? Je continuais de vivre sans penser à ce que je pourrais faire pour améliorer ma qualité de vie, sans but réel hormis me battre pour assurer un futur à ma filleule laotienne. Je voulais avoir de l'importance, donner un sens à ma vie. Je me mis à réfléchir sérieusement à la question de l'inconnu, comptant mes vœux au fur et à mesure avec mes doigts. Une fois que les trois furent trouvés, je relevai la tête et fit même l'effort de me dégager un peu les yeux pour pouvoir voir en face cet homme que décidément, j'avais déjà vu quelque part. « J'aimerai me venger de celui qui m'a fait enterrer ma femme pour tout ce qu'il a pu faire ou dire pour me faire souffrir, en particulier pour ses propos blessants dirigés à mon ex, même s'il ne semblait pas être touché. J'aimerai avoir la certitude qu'il n'arrivera rien à mes parents malgré le fait qu'ils soient dans la mafia japonaise et qu'il n'arrivera rien non plus à mes deux cousines ou à ma filleule. Mon dernier vœu... j'hésite encore. Je ne veux pas être égoïste, mais je pense que j'aurais aimé que ma mère soit restée avec moi durant toute mon enfance et mon adolescence. Avoir été séparé d'elle brutalement serait à l'origine de mon trouble de la personnalité... et c'est à cause des problèmes qu'il engendre que je me retrouve ici et que j'ai dû renoncé à mon précédent emploi. », annonçai-je, avec un peu de mal à le regarder en face. Je ne parlais jamais de mon problème, d'ordinaire. C'était la deuxième fois et je regrettai encore amèrement d'en avoir parlé une première fois...

« C'est vrai, la vie a vraiment été une garce avec vous. Mais faire face et lutter, c'est toujours mieux que capituler et en terminer, non ? » Je haussai légèrement les épaules à sa remarque. Faire face et lutter... c'était tellement dur, pour tellement peu de résultats en échange. « Vous savez...  à force de revivre chaque nuit le 11 septembre 2001 à 15 ans seulement, tout ce qu'on veut, c'est en finir. Et quand, a 28 ans, on a encore d'autres souvenirs de ce genre et plus personne pour nous rassurer quand la panique remonte, on n'arrive plus à lutter. », commentai-je dans un murmure. J'avais encore Élisa, ce jour-là... tout les deux, cette journée nous avait marquée à vie. Elle m'avait tellement aidé, quand elle était encore vivante. Même malade, quelques semaines avant sa mort, quand elle remarquait que je me réveillais en sursaut, elle faisait tout pour me rassurer, alors qu'elle était parfois essouflée rien qu'en se redressant dans le lit. Elle s'occupait bien de moi, même plus que d'elle-même. Je m'en voulais... J'aurais tant aimé avoir pu faire autant pour elle qu'elle avait fait pour moi. Lutter pour ne pas tenter de me tuer de son vivant était déjà un bon début, mais c'était loin d'être assez. Malheureusement, c'était trop tard maintenant... L'inconnu hocha la tête à ma question. « Waah. C'est peu courant de rencontrer des illusionnistes. Un peu comme des fossoyeurs. Ce ne sont pas le genre de métiers qui font rêver la plupart des adolescents... », soupirai-je. Pourtant, que ça soit des illusionnistes ou des fossoyeurs, on en avait besoin. Les illusionnistes font rêver les enfants et les fossoyeurs... enterrent les morts. C'est quand même plus joyeux, illusionniste. Le mieux resterait un génie de la lampe. Ou un illusionniste capable de réaliser mes vœux. Ça reviendrait le même, en moins drôle. Car bon, le génie dans Aladdin avait une certaine classe ! « Vous savez ... Pendant longtemps j'ai souhaité la mort de mon père pour tout ce qu'il m'avait fait subir quand j'étais enfant. Et puis un jour, j'ai compris que réussir de mon côté, serait la meilleure façon de me venger. Alors je me suis battu. Et c'est arrivé. » J'esquissai un petit sourire en entendant son histoire. C'était tellement cliché, de finir par réussir à se venger de cette façon... Je perdis aussitôt mon sourire. Il avait réussi à se venger, lui, au moins. Malheureusement, je ne pouvais blamer personne pour la mort d’Élisa... je ne pouvais pas me venger pour ça. « J'aimerai réussir à me venger, moi aussi. La dernière fois que j'ai voulu faire payer mon patron pour ce qu'il m'avait fait, je me suis retrouvé dans le coma plusieurs semaines. Je veux pouvoir me venger avant qu'il ne réussisse à me tuer pour de bon et avant qu'il ne meurt de vieillesse. », soupirai-je. Je devenais bien trop bavard à mon goût. Blablater à propos de ce genre de choses avec un inconnu... gosh, j'aurais jamais cru que ça arriverait.

« Vous avez déjà essayé de voir un psy ? » Je serrai la mâchoire à sa remarque. Les psys... quelles personnes inutiles. À part causer du malheur, à quoi servaient-ils ? « Je hais les psys. J'ai en vue une en septembre 2001 et je vous assure que ça n'a servit à rien. Le plus efficace aurait été de réussir ma tentative de suicide juste avant qu'on me propose d'en voir une. » Ah, ça, il n'y avait aucun doute là-dessus. J'aurais été bien plus heureux. Je n'aurais pas eu d'autres catastrophes à devoir supporter, je n'aurais pas vu mourir Élisa, je n'aurais pas dû l'enterrer, je n'aurais jamais appris que j'étais fils de yakuzas. Pourquoi n'avais-je pas réussi ? Pourquoi mon père était arrivé à ce moment ? « Pourquoi... ? », murmurai-je pour moi-même, tête baissée. Malheureusement, je n'avais pas de réponse à cette question. « Ouais enfin maintenant, je suis surtout dans l'humour en fait. Autant dire complètement l'opposé de votre métier à vous ... » Je hochai lentement la tête. Humoriste, fossoyeur. Le total opposé. Malgré tout, j'avais un métier qui était important, mais qui semblait étrange aux yeux des autres. Je préférerais être toujours policier, mais je n'avais pas pu. Alors, plutôt que de me reposer sur l'argent de mes parents, j'étais devenu fossoyeur. Peut-être n'aurais-je pas dû. Élisa me l'avait longuement répété, être fossoyeur allait m'enfoncer encore plus bas que je ne l'étais déjà après mon accident et mon départ forcé de la police. « C'était peut-être le signe que vous ne devriez pas tenter de vous venger de la pire façon qui soit ... » Je haussai légèrement les sourcils. Me venger de la pire façon qui soit ? « Je ne cherche pas forcément à le tuer. Juste un moyen pour qu'il arrête de me persécuter serait déjà bien... Ça fait cinq ans que je supporte. Il m'a fait enterré ma femme et a fait de ma vie un enfer, je veux juste lui faire comprendre ce que ça fait. » Je ne cherchais pas forcément à la tuer, mais sa mort m'arrangerait, elle me débarrasserait pour de bon de lui. De toutes façons, mon envie de meurtre n'avait rien de mal, puisqu'il comptait lui-même me tuer. Ça se voyait dans son regard, depuis que j'étais revenu du Japon en février. Je soupirai et relevait à peine le regard. « En me demandant mes vœux, vous avez dit ''mais on peut voir ça''... j'imagine que vous ne pouvez en réaliser aucun, n'est-ce pas ? » Question stupide. C'était impossible.

« Et vous comptez faire quoi pour vous venger au juste, hein ? Dans tous les cas, je doute que ce soit bien légal, quoi que vous fassiez. A vous entendre ... » Je lançai un vague regard à l'inconnu. Comme si que je savais comment me venger. « Quoi, à m'entendre ? », demandai-je sèchement. Qu'avais-je encore dit de mal ? Rien, ou en tous cas, rien dont je me souvenais. Si je savais comment me venger, je l'aurais déjà fait depuis longtemps. Ce type était idiot, ou quoi ? Je m'énervais inutilement. Il n'avait rien fait à part tenter de m'aider, mais je commençais à lui parler sèchement. « Et puis, que ce soit légal ou non, ça n'est pas vos affaires... », ajoutai-je toujours sur le même ton. Comme si que je comptais tuer M. Reynolds de mes propres mains. Ah, ça oui, j'aimerais pouvoir le faire. « De toutes façons, je ne pourrais pas le tuer moi-même. Il réussirait à le faire avant. Vous pensez vraiment qu'avec mes à peine cinquante kilos, je réussirais à me défendre ? », soufflai-je d'un ton ironique. La réponse était évidente. En plus, depuis la dernière fois, j'avais encore perdu un peu de poids. J'étais maintenant à quarante-huit kilos, contre cinquante quand il m'avait envoyé plusieurs semaines dans le coma à cause d'un traumatisme cranien. J'aurais aimé que ça me rende amnésique, les choses auraient sûrement été différentes. Si ma mère n'était pas retournée au Japon alors que j'étais si jeune, les choses auraient sûrement été là aussi différentes. Malheureusement, l'inconnu ne semblait pas être le génie de la lampe. Lui demander confirmation qu'il ne pouvait rien faire pour mes vœux était vraiment stupide. « Pour votre vengeance, je vous ai déjà donné mon point de vu ... Pour votre famille ... A part s'ils parvenaient à quitter la mafia, je ne vois pas bien que faire ... Et pour votre mère ... On ne peut changer le passé ... » Je restai silencieux quelques instants, me contentant de secouer la tête pour que ma frange me retombe dans les yeux. « Autrement dit, je suis réellement condamné à continuer de vivre dans le malheur. Me suicider est donc la meilleure chose à faire. », assurai-je. C'était ce que je disais depuis le début, et il venait lui-même de prouver que j'avais raison.

« Je sais pas ... juste ... je sais pas ... » Quand on ne sait pas on évite de la ramener, comme dirait mon oncle. Enfin, ce qu'il disait c'est que quand on ne sait pas on la ferme, mais la première version était plus polie. C'était celle qu'employait ma mère. Je réalisai que dans ce genre de moments, ma famille me manquait vraiment beaucoup. J'avais une partie de ma famille sur New York, avec qui je vivais, mais... Billy m'avait mis à la porte, au moins pour la soirée. Elle m'en voulait et j'étais sûr qu'elle souhaiterait ne plus avoir à me supporter, ce que je comprenais, de toutes façons. Je voulais à tout prix faire tout ce qui était possible pour ne pas être abandonné par les personnes comptant pour moi alors que pendant ce temps, je faisais tout pour qu'elles me détestent, bien involontairement. De toutes façons, un jour ou l'autre, j'allais mourir, alors pourquoi voulait-on m'empêcher de le faire maintenant ? Hors de question que ce soit la vieillesse, une maladie ou quelque chose du même genre qui ait ma peau. Et encore moins mon patron. Même si je n'étais pas sûr de réussir à m'en tirer une troisième fois. Je n'avais pas eu grand chose la première fois. Autant dire que la seconde fois, j'avais pas mal été amoché. Jamais deux sans trois, dit-on, alors comment finirais-je cette fois ? Je n'avais jamais réussi à lui rendre au moins la moitié de ce que j'avais reçu. Si personne n'était là pour me sauver encore une fois, je risquais bien d'y passer. « Les asiat' sont pas tous doués en arts martiaux ? » Je levai les yeux au ciel en soupirant. Le fait qu'il ait remarqué, malgré ma frange et ma capuche baissés jusqu'en dessous de mes yeux, que j'étais asiatique m'intrigua quelques instants, mais j'abandonnai l'idée de trouver comment il l'avait su. « Bonjour les clichés... La preuve que non. Hormis en jeux vidéos et pour le sport de chambre, je ne pratique pas de sports. Encore moins d'arts martiaux. » Je préférais tellement rester sur le canapé avec ma console plutôt que de brûler des calories en allant m'essoufler à l'extérieur. Je n'avais pas besoin de ça pour ne pas être en surpoids, puisque j'étais en sous-poids. Au lieu de perdre des kilos, il faudrait que j'en prenne. Mais ça ne faisait pas partie de mes principaux vœux, ça... « Je dirais plutôt, condamné à vous battre pour poursuivre en attendant que les choses s'arrangent ... » Je soupirai longuement, puis reposai mon regard sur l'eau, à quelques dizaines de mètres en dessous de moi. Cette eau si calme... « C'est ce que je fais depuis longtemps, maintenant, me battre en attendant que ça aille mieux. Je me bats parce qu'il y a des gens qui comptent sur moi, en particulier une fillette de même pas dix ans qui ne peut pas compter sur quelqu'un d'autre pour lui assurer un avenir. J'ai beau tenter de me battre, ça ne change rien au fait que je n'en peux plus. » Et en plus, je faisais tout pour cacher mes problèmes aux autres, ce qui n'arrangeait rien.

« Tu vois, grâce à toi je vais me coucher moins con ce soir ! »  Non mais... il n'était pas sérieux, j'espère ? J'avais envie de rire. Mais vraiment envie. Il ne pouvait pas être sérieux. Ce n'était pas possible d'être si idiot. « Faut ralentir sur les films... », pouffai-je, un sourire en coin sur les lèvres. Vraiment, il y avait des cas sur cette Terre. Il était obligé de plaisanter. Il ne pouvait quand même pas croire que dès qu'on avait les yeux bridés, on était Jackie Chan ou, comment s'appelle-t-il, l'autre acteur hyper doué en arts martiaux ? Bruce Willis ? Ah non, lui ce n'est pas un américain. Mais c'est un Bruce quelque chose je crois. Je me renseignerais plus tard, je n'avais pas envie de continuer de chercher. Ah voilà, Bruce Lee ! Enfin voilà, tout ça pour dire que les asiatiques n'étaient pas tous pros en arts martiaux. « Au Japon, il y a ce qu'on appelle des otakus. Ce genre de personne passe la journée enfermé chez lui pour se consacrer à sa passion, souvent les mangas ou les jeux vidéos. Un peu des no-life. Faisant partie de cette catégorie, je peux assurer que nous ne sommes pas tous doués en arts martiaux. Ou n'importe quel autre sport. Et de toutes façons, je ne suis pas japonais, donc pas totalement asiatique. Donc encore moins pro en arts martiaux... » La vie d'un otaku, c'était tout de même merveilleux. Manger, dormir, jouer, lire, regarder des animes. Bon, il y avait le côté isolement qui n'avait rien d'agréable à la longue, mais pendant les périodes où je passais tout mon temps à jouer en ne sortant quasiment jamais, mes parents étaient toujours à s'occuper de moi et à me tenir compagnie. La première fois qu'ils m'avaient proposé de revenir quelques temps au Japon, c'était après ma crise de panique, une fois le soir venu, le jour où j'avais enterré Élisa. Et les autres fois, mon état psychologique n'était pas bien mieux. « Quoi !? Une gosse compte sur toi, et toi tu veux l'abandonner ? Juste comme ça ? » Je relevai les yeux de l'Hudson et les posai sur l'inconnu, lui lançant un regard noir. C'était tellement sympathique de me rappeler à quel point j'étais horrible de ne plus réussir à me battre, même pour Meo. J'osais espérer que si j'avais réussi à me tuer, Billy, mes parents, voir peut-être, éventuellement, April auraient continué à verser l'argent, mais l'argent ne faisait pas tout. Il me semblait que Meo s'était elle aussi attachée à moi, comme je m'étais attaché à elle. Je posai le regard vers ma poche, attrapai mon porte-feuille et en sortit avec soin le premier dessin qu'elle m'avait fait. Il était à moitié caché sous ma cape, mais je réussissais malgré tout à distinguer quelques éléments. « Je ne veux pas l'abandonner. », soupirai-je en rangeant le dessin. En me tuant, il n'y avait pas que Meo que j'abandonnerais, mais aussi toutes les personnes se trouvant sur les photos dans mon porte-feuille. Je n'avais pas d'enfants et donc pas leur photo à l'intérieur, mais certaines personnes comptaient énormément pour moi. J'avais une dizaine de photos taille photo d'identité malgré tout. Ma famille au Japon avec mes parents, celle en France, mais ces deux-là ne comptaient pas vraiment, étant plus grandes. Billy, April, Dawson, Meo, même Élisa... « Elle ne doit sûrement pas aimer me voir toujours prêt à me tuer, d'une façon ou d'une autre... », murmurai-je pour moi-même avant de relever la tête. Un peu plus et je pleurais. « Vouloir fuir la difficulté de ma vie en risquant de rendre triste les personnes comptant beaucoup pour moi... ça fait de moi quelqu'un de tellement détestable et égoïste. », réalisai-je en me forçant à sourire, dans l'espoir de ne pas faire passer mes paroles pour dramatique. Cette fois-ci, je sentis pour de bon une larme rouler sur l'une de mes joues, puis une seconde sur l'autre. Je baissai davantage ma capuche sur mes yeux.

« Etant moi même acteur, ça risque quand même d'être difficile. » Je relevai le regard et le dévisageai quelques instants. C'est sans doutes pour ça que j'avais l'impression d'avoir déjà vu sa tête quelque part. « Je pensais que les célébrités n'étaient altruistes que pour leur image. Je ne pensais pas qu'aux États-Unis, on pouvait en trouver qui s'inquiètent pour les autres sans raison. Qui plus est des inconnus. », avouai-je. À son tour de m'apprendre quelque chose. J'avais toujours vu les célébrités comme des personnes riches et trop près de leur argent pour faire des dons à des associations sans penser avant tout que ça augmenterait leur popularité. Toutes les célébrités ne sont pas égoïstes et avares, tous les asiatiques ne sont pas doués en arts martiaux. C'était la soirée des découvertes... « Alors t'es à moitié O ... O ... katu ? Si t'es à moitié japonais. » Il avait presque retenu le mot. C'était presque ça. C'était déjà bien, pour un américain... J'avais tendance à croire que les américains ne savaient pas parler d'autres langues que l'anglais, en fait. Pourtant, ayant passé une bonne partie de ma scolarité aux États-Unis, je savais pertinemment que ce n'était pas le cas. « Être otaku, c'est un mode de vie. Un peu comme... les fans de voiture ou de motos, je dirais. Il n'y a que dans les jeux vidéos que je suis doué en arts martiaux. C'est le principal à retenir. » C'était sûr, dans les jeux vidéos, j'étais pro en arts martiaux. Dans la vraie vie, au bout de quelques coups, je commençais à avoir la tête qui tournait et était incapable de rendre la pareille, ou même de me défendre. Alors, être pro en arts martiaux... ça serait un beau rêve. Comme d'avoir une vie facile, sans problèmes, sans avoir de raisons me poussant au suicide. Un beau rêve... « Je n'irais quand même pas jusque là ... Mais ça devrait quand même vous pousser à y réfléchir encore avant de faire quoi que ce soit de ce genre ... »  Réfléchir encore avant d'essayer de me tuer ? S'il savait le nombre de fois auxquelles j'avais songé à refaire une tentative depuis que j'aidais Meo. Malgré ça, malgré le fait que je tenais énormément à elle bien que je ne l'avais jamais rencontrée, j'avais voulu sauter de ce pont. « Je le sais. J'ai déjà tellement réfléchi au fait qu'il fallait que je continue de vivre malgré tout, mais je reste une personne impulsive. Je ne peux rien y changer. » C'était impossible de changer le caractère de quelqu'un du tout au tout, pourtant, c'était sûrement ce dont j'aurais besoin...

« Je ne pense pas que cette histoire sera relatée dans la presse à scandale. Trop dommage pour mon image ! » Je souris en coin, amusé. J'hésitai quelques instants, mais finit par ajouter, d'un ton sarcastique : « Quel dommage, oui. Si vous voulez, je sais quoi faire pour qu'on parle de vous et de votre altruisme pendant quelques temps, sans que cette soirée ne soit pourtant rendue publique... » Une grande joie pouvait cacher un profond malheur, j'en savais quelque chose. Et la mort d'une célébrité faisait toujours scandale. Il suffirait de le pousser malencontrueusement pour que le public croit à un suicide et que l'on parle longtemps de lui et de toutes les bonnes actions qu'il avait pu faire. Sauf que lui, contrairement à moi, il manquerait à un bon nombre de personnes. Des fans qui pleureront le tragique suicide de leur idole, qu'elles n'avaient pas vus venir. Enfin, suicide... façon de parler. Et de toutes façons, ce n'était pas la réalité. Ce type semblait bien trop à l'aise dans ses baskets pour avoir des problèmes, malgré ce qu'il m'avait dit sur son enfance. Quand je repensais au fait qu'il était persuadé que tout ce qui avait les yeux bridés savait faire des arts martiaux... Comment ce genre de personne, à avouer une telle chose si gaiement, pourrait-elle aller mal ? « Oh je vois ... Chacun son truc quoi ... » Je hochai doucement la tête. Hormis dans les jeux vidéos, je ne savais pas faire d'arts martiaux. Parfois, je me disais que même de simples choix de vie, hormis dans les jeux vidéos encore une fois, j'étais incapable d'en faire de bons. Je me retrouvais seul et avec des sentiments flous, et c'était entièrement de ma faute, puisque c'était moi qui avait rompu. Maintenant, à cause de nombreux autres problèmes en plus de celui-là ainsi que de mon impulsivité, je me retrouvais à vouloir abandonner Meo. Ainsi que toutes les personnes pour lesquelle je ne comptais ne serait-ce qu'un peu. « Malgré votre impulsivité, vous n'avez pas sauté. Il est donc toujours temps de faire marche arrière ... » Il avait raison, d'un côté... Je soupirai doucement et, prenant sur moi, reculai de plusieurs pas. Je n'avais pas sauté car sa présence m'en empêchait, il semblait l'oublier. « Vous savez, je ne peux rien vous promettre. », murmurai-je en tirant un peu plus ma capuche vers mon nez. Je ne pouvais pas promettre que dès qu'il serait repartis, je ne sauterais pas. J'étais tellement mal, tous les jours. « Je suis désolé que vous ayez pris de votre temps pour aider un cas aussi désespéré que moi. » Je ne voulais pas que l'on me remarque, pourtant il avait pris de son temps pour me convaincre d'être raisonnable.