Aujourd'hui, la journée avait été plutôt chargée. Le matin, à cinq heures, il fallait que j'aille à mon bar pour réceptionner les commandes de nouveau stock. Comme je n'étais pas tout à fait réveillée, je n'avais pas vu la voiture de devant et oubliai de freiner. Par chance, le conducteur de devant fut indulgent envers moi et de me demanda pas de payer les frais de réparation. Ça c'est cool. Une fois que le rangement fut terminé, il était onze heures. C'était plutôt calme, pour une fois. Je venais juste de bien m'installer les pieds sur la table servant à... la table qui sert à Allyson, ma co-gérante, l'ordi sur les genoux, quand un client entra. Je dû donc me mettre au travail. Une minute. Je l'ai déjà vu quelque part. Son visage me dit quelque chose. Je sais. Je lui demandai en français avec un sourire: "Bonjour Mr Debussy, que puis-je vous servir ?" Je la connais depuis longtemps. Ça date de mes vacances, à Paris. Je suis tellement douée que je m'étais perdue, et c'est grâce à lui que j'ai retrouver mon chemin.

Victor venait de terminer un rendez-vous avec une célèbre actrice qui souhaitait qu’il lui réalise sa robe pour la prochaine avant-première d’un film. Il ignorait le nom du film et c’était à vrai dire le cadet de ses soucis. Il était si flatté qu’on s’intéresse à son travail, à ses ‘œuvres’, à ses défilés, à son milieu. Quittant ses bureaux, il décida d’aller se ressourcer un peu en prenant un café. Non, pas ceux du distributeur. Ils avaient un goût infect. Il avait donc décidé d’aller dans le bar le plus proche. Une fois rentré dans le petit endroit chaleureux, il se dirigea vers le bar où une jeune asiatique s’y tenait derrière. Ni une ni deux, elle lui lança dans un bon français : « Bonjour Mr Debussy, que puis-je vous servir ? ». Il fut un peu surpris par ces paroles. Pourquoi lui parler en français ? Et puis comment savait-elle son nom ? Sûrement une fan de mode qui s’achetait de nombreux magasines à gogo. C’était la seule réponse qu’il avait trouvé. « Euh… un café, s’il-vous-plait… » dit-il d’un ton hésitant. Toujours intrigué par les paroles de cette serveuse.

C'était moi ou bien il ne m'avait pas reconnue ? On ne s'est peut être côtoyé que pendant quelques jours, mais quand même, moi je fais un effort, je me souviens quel tête a celui qui m'a sauvée des rues de Paris où qui sait ce qui aurait pu m'arriver...!C'est dangereux, Paris. Quoique. Par rapport à Marseille, je crois que on peut s'y sentir en sécurité. Enfin, je crois. J'allai donc préparer le café qu'il m'avait commandé, lui apporta, et tirai la chose en face de lui pour m’asseoir. « Eh ben... ça fait plaisir de voir que tu m'as oubliée !! »

La serveuse s’éclipsa quelque temps, à vrai dire, elle se retourna juste et fit quelques pas, rien de plus. Victor la regarda toujours aussi intrigué. Il savait le faible des asiatiques pour la mode occidentale, mais tout de même. Songeur, il sursauta lorsqu'elle vint lui apporter son café. « Eh ben... ça fait plaisir de voir que tu m'as oubliée !! ». Les quelques phrases prononcées par la jeune fille firent écho dans sa tête. L'oublier... Il l'avait donc connu. Quelque part à une période de sa vie. « Je... » dit-il hésitant. « ...je dois avouer que je n'ai pas une bonne mémoire. ». Pour ne pas dire qu'il avait une mémoire digne d'un poisson rouge. Mais cela, ça n'aurait pas été très flatteur pour lui.

Il n'avait pas une bonne mémoire. C'est le moins qu'on puisse dire ! « On est deux dans ce cas, mon petit Victor. On a tous les deux la mémoire d'un poisson rouge, quoique moi c'est pire. » N'empêche, ça m'étonnai vraiment qu'il ne me reconnaisse pas. J'ai tant changé que ça ? Bon d'accord, j'ai peut être un peu vieilli. Par ce que j'ai vingt-quatre ans, et parce que je me shoote. Sûrement trop. Mais quand ton seul amour meurt quasiment devant toi, tu n'as pas d'autre envies que de surmonter ça, peu importe la manière. Même si je commence à faire mon deuil, deux ans après. J'avais envie de faire travailler sa mémoire de poisson rouge, et de ne pas lui dire tout de suite que je m'appelle Billy Hollande.

Avant que cette jeune fille reprenne la parole, Victor lui demanda timidement s'il pouvait avoir un morceau de sucre. « On est deux dans ce cas, mon petit Victor. On a tous les deux la mémoire d'un poisson rouge, quoique moi c'est pire. ». Il fronça grossièrement les sourcils. Faisait-elle dans l'ironie ? Si c'était le cas, c'était un peu vexant pour le jeune homme. Il tenta de réfléchir où il aurait pu croiser cette asiatique. Mais pour lui, chaque asiatique se ressemble... en se basant sur cette théorie, il est donc très difficile pour lui de retrouver son identité. « Vous semblez avoir une meilleure mémoire que moi, en tout cas. » déclara-t-il.

Il avait peur de moi ou quoi ?J'allai chercher le morceau de sucre qu'il avait eu l'air d'avoir peur de me demander. Oui, peut être que plus jeune, j'étais un peu plus timide, mais d'après mes souvenirs, j'ai toujours été plus ou moins comme je suis maintenant !« C'est bien du sucre blanc que tu prenais quand on s'est rencontrés, non ? » Je me demande comment je fais pour me souvenir de petits détails comme ça...Oh, de toute façon, à quoi ça pourrait me servir dans ma vie future, de le savoir ?Non, moi, ce que j'aimerai savoir, c'est où il se cache, ce Jack. Je vais le retrouver un jour. Un jour. Je revint m'asseoir, puis posai le morceau de sucre sur la soucoupe.

« C'est bien du sucre blanc que tu prenais quand on s'est rencontrés, non ? ». Il la regarda quelques secondes, faisant des gros yeux. Qui était-elle. Une psychopathe ou quoi ? Victor eut voulu chasser cette idée de sa tête, se disant que ça devait être une fille qu'il avait dû rencontrer dans son passé. Dans son passé lointain dans ce cas. « Je pense que... » il laissa sa voix en suspend, buvant parr la même occasion une gorgée de café. « qu'il serait plus simple que vous me disiez qui vous êtes... »

La tête, enfin les yeux qu'il faisait. Non, Victor, je ne suis pas une échappée d'asile. Quoique, c'est vrai que parfois y a de quoi se demander, mais je suis entièrement consciente de mes actes; sauf peut être quand je suis défoncée mais ça c'est une autre histoire. Et je ne le suis pas en permanence, attention. Moui, c'est vrai, il a peut être raison que ça serait plus simple que je lui dise qui je suis. « En effet, t'as pas plus de mémoire qu'avant. Billy Hollande. » J'espère quand même que là il verra qui je suis. Nan mais vraiment, comment es-ce possible d'oublier quelqu'un d'aussi fou que moi ?Il suffit de demander à Victor, il vous dira la réponse. Enfin. C'est vrai que même si je ne suis pas asiatique, je suis typée asiatique. Et tous les asiatiques se ressemblent, je trouve.

Il la regarda toujours avec ce même air. Cet air intrigué. Toujours cette même question au bord de ses lèvres. Qui était-elle. Puis pourquoi semblait-elle tourner autour du pot ? Si c'était pour s'amuser, ce n'était vraiment pas drôle. Puis c'est alors qu'elle prit une nouvelle fois la parole. Au début, il crut qu'elle n'allait pas lui répondre, mais si au final. Heureusement. Billy Hollande, disait-elle s'appeler. Soudain, l'évocation lui rappela quelques vagues souvenirs d'enfant. D'enfant encore innocent. « Billy Hollande ? Genre LA Billy Hollande de Paris ? » lâcha-t-il l'air étonné et rieur. « Je n'aurais jamais pensé te revoir un jour ! Ca date de si longtemps ! »

Wouhou, champagne. Il m'a enfin reconnue. « Oui LA Billy !!J'ai bien cru que tu trouverais jamais !Et j'ai comme l'impression que tu m'as prise pour une échappée d'asile. Quoique, parfois, il y a de quoi se demander. Bah moi aussi j'aurais pas pensé te revoir un jour. Surtout ici. » Ça fait déjà environ une décennie, je ne m'en étais pas rendue compte. Elle est pensée à la fois lentement et rapidement. Lentement pour les deux dernières années, rapidement pour... enfin rapidement aussi, quoi ! Ça fait plaisir de retrouver des amis d'enfance dans cette grande ville. Car même si je connais du monde à New York, on est bien avec de vieilles connaissances...

Victor pouffa de rire lorsqu'elle évoqua le fait qu'il pensait certainement qu'elle devait sortir de l'asile. D'ailleurs, il faillit en recracher sa gorgée de café. Dans sa vague mémoire, Billy était un peu plus âgé que lui. A l'époque de leur rencontre, il n'était qu'un enfant. « Je dois t'avouer qu'un instant j'ai cru tomber entre les mains d'une psychopathe... » , il marqua une pause avant de reprendre. « j'allais dire que t'avais changé, mais je pense que ça doit être normal ça... je devais à peine avoir douze ans quand on s'est rencontré... le monde est vraiment petit! »

"Une psychopathe. C'est charmant." Non, je ne cherche pas à le suivre partout et à tout savoir de sa vie comme certaines fans de ses collections. D'ailleurs, ça ne fait que quelques semaines que j'ai découvert que Victor était devenu styliste. "Toi aussi t'as beaucoup changé, enfin, comme tu dis, t'avais quoi, oui, peut être douze ans..." Je ne me souviens plus trop en quelle année on était aller à Paris. Mais oui, on devait avoir douze-quatorze ans. On était pas vieux. Depuis, tant de choses ont changées ! A cette époque, jamais je n'aurai cru que j'en serais là aujourd'hui... Mes parents m'imaginaient médecin. Sauf que ce n'est vraiment pas un métier pour moi. Voir tous ces gens stresser... très peu pour moi ! "Il s'en est passé des choses depuis tout ce temps !En tout cas pour moi... et j'ai lu que tu étais devenu styliste ? C'est cool ça !"

C'était la première fois depuis qu'il était à New-York qu'il retrouvait une si vieille connaissance. C'était au coeur de Paris qu'ils s'étaient connus. Victor revenait de son cours hebdomadaire de piano et sur son chemin, il rencontra ladite Billy. Elle s'était perdue, c'était donc tout bonnement qu'il lui avait aidé à retrouver son chemin. C'était comme cela qu'il avait sympathisé avec l'asiatique. Cette dernière évoqua le métier de Debussy, styliste. Il hocha la tête pour affirmer. « C'est exact! Amatrice de mode? » lui demanda-t-il alors.

"Eh bien en fait je l'ai lu dans un magazine il y a quelques semaines !Moi en revanche je suis loin de vivre le conte de fées que j'imaginais plus petite..." Ah ça oui. Mais pourquoi je venais de lui dire ça ? Si ça se trouve, il va vouloir en savoir plus. Qu'es-ce que je pensais, déjà, il y a quelques temps ?Que je faisais mon deuil ?C'était une impression. Jamais je ne le pourrai. C'est comme si on demandait à Victor n'arrêter de dessiner. Tout bonnement impossible.

Elle l'avait lu dans un magasine, c'était mot pour mot ce qu'elle venait de lui dire. Un magasine, c'était vraiment un truc de filles ça. Pas étonnant. Puis Billy continua, évoquant que sa vie ne ressemblait pas à ce qu'elle imaginait lorsqu'elle était enfant. Victor pouvait l'avouer, son rêve, ce qu'il s'était longuement imaginer enfant, il le vivait, il y vit en plein de dans, dans son rêve. Puis, épris de curiosité, il lui demanda alors :« D'ailleurs, tu fais quoi toi à présent ? Tu fais serveuse pour payer ses études, non ? »

Etudiante. Mes seuls souvenir se passant dans une université remontaient à mes dix-sept ans. "Ah non, pas vraiment... déjà, tu es dans mon bar. Pas dans celui de mon employeur. Et j'ai beau faire un autre métier que co-gérante, disons... que je suis loin d'être étudiante." Très loin. Enfin, à moins qu'il y ai un point commun entre étudiante et tueuse à gages. Mais j'avoue que j'en doute fortement. On ne peut pas dire que je vis mon rêve. MOn rêve, là, ça serait plutôt de vivre comme je vivais à mes dix-huit ans: sans me soucier du futur. Sans y penser. Dans la certitude que je vivrai toujours avec Ian. Fichues illusions. Et c'est parce que j'ai l'habitude de rester polie.

Victor se demandait bien ce qu'elle pouvait bien faire comme étude. Des études de lettre ? Ou de langue peut-être. Ou bien de droit. Ou peut-être en médecine. En fait, tout était flou dans l'esprit du français. « Ah non, pas vraiment... déjà, tu es dans mon bar. Pas dans celui de mon employeur. Et j'ai beau faire un autre métier que co-gérante, disons... que je suis loin d'être étudiante. ». Wah. Victor se sentit un peu ridicule pour le coup. Surtout de la façon dont elle venait de lui dire à vrai dire. Elle était co-gérante, une fonction importante tout de même. « Et bien! Je vais devoir faire attention de ne pas casser ma tasse... » dit-il sous le ton de la plaisanterie.

Il répondit qu'il allait devoir faire attention à ne pas casser de tasses. Je ne pu m'empêcher d'éclater de rire. On n'est pas à une tasse près, enfin, je crois pas. Faudrait que je demande à Allison. Non, sérieusement, une tasse c'est une tasse, ça se rachète !!Il avait l'air étonné. Apparemment, à l'époque où on s'est connus, mon avenir aurait pu ne pas être ce qu'il est aujourd'hui. J'aurai pu être étudiante. Mais non. J'étais complètement perdu dans mes pensées. Des pensées de cette belle période. Je ne sentis pas la larme couler sur ma joue, tellement absorbée dans ces souvenirs.

Il y a eu des paroles venant de Victor, puis ce petit rire cristallin de Billy avant de laisser place à un troublant silence. Victor, pendant ce temps, en profita pour boire une énième gorgée de son café sucré. Il la regarda, silencieusement. Elle semblait un peu ailleurs soudainement. L’air évasif, l’air songeur, Billy était devenue étrangement silencieuse. Il n’avait pourtant rien dit qui aurait pu la vexer ou autre. Il fronça les sourcils, cherchant une réponse. Mais rien. Il ne trouva rien. Après de longues minutes sous le silence. Après de trop longues minutes, il tenta de briser ce silence. « Euh… ça va ? » lui demanda-t-il.

Quand je suis dans mes souvenirs, il est très difficile de me faire revenir sur Terre. J'en avais oublié que Victor je trouvait juste en face de moi, en train de boire son café. Passèrent de longues minutes. La voix de Victor me sembla venir de plusieurs dizaines de mètres. « Hein... ?Désolée, je repensais à quelque chose et... » J'inspirai puis expirai. De l'air, rien de mieux pour retrouver la bonne humeur. « De mauvais souvenirs. Mais... oublies. Ça ne regarde que moi.» Je me rendis compte que j'avais peut être dû répondre sur un autre ton. Celui là, c'était celui que j'utilisais pour effrayer les gens pendant leurs dernières minutes de vie. Victor, lui, je l'aime bien.

Un peu hésitante, elle lui répondit. Avec un ton un peu (trop) glacial. Victor fut soudainement peu rassurée. C'était comme si... l'adorable Billy avait disparu pour laisser place à une fille un peu plus froide et loin d'être sympathique. Il ne savait pas vraiment ce qu'il se tramait dans la tête de la jeune asiatique. De mauvais souvenir, avait-elle dit. Sans rechigner, il s'était contenté d'un signe de tête pour approuver. Après tout, ce n'était pas ses affaires. « Et... tu habites, dans le coin, non ? » lui demanda-t-il, comme pour tenter de changer de sujet.

Es-ce qu'un jour j'arriverais à me dire que je ne dois garder que les bons moments et oublier comment ça c'est fini ? « Excuse moi. Je fais pas exprès. Enfin.... » Ce n'est pas aux autres de payer pour ça, mais j'ai tant de mal à me retenir. D'un ton beaucoup plus habituel -enfin, si on veut- je lui répondis: « Oui, je suis à New York depuis fin juillet 2010. A Brooklyn. Et toi ?Tu fais quoi ici ? En tout cas ça fait plaisir de te revoir !Presque autant que le jour de notre rencontre » Je terminai ma phrase en riant; Si Victor n'avait pas été là, qui sait où je serais !Enfin, je pense que j'aurai quand même fini par demander mon chemin. Retrouver des anciens amis dans une grande ville comme New York, ça ne peut qu'être bien. Ne plus se sentir seule.

Elle s'excusait. Il fit un petit signe de tête, comme pour lui dire que ce n'était rien. Que ce n'était pas grave. Oui, ce n'était pas grave. Puis alors, il changea de sujet. Lui demandant alors où habitait-elle à présent. Brooklyn, lui avait-elle répondu. « Brooklyn ? J'irai me perdre dans ce coin un de ces quatre ! Qui sait, tu m'aiderais à trouver mon chemin. ». Un petit rire s'échappa de sa bouche. Bien entendu, il fit référence à leur première rencontre, à Paris. « Moi ? J'habite sur Broadway, en colocation avec une petite folle... » soupira-t-il, avant de finir d'une traite sa tasse de café.

« Mon sens de l'orientation est toujours au même point, donc si tu veux qu'on se perde ensemble. » Non, qu'il vienne se perdre à Brooklyn n'est pas une bonne idée. Il ajouta ensuite qu'il habitait à Broadway, en colocation. Broadway... le rêve. Les lumières, la célébrité... quand ton nom est connu à Broadway, tu es connue partout dans le monde. Où es-ce que j'ai entendu ça, déjà ?Dans un film je crois. Victor précisa que sa colocataire était folle. Ah bon ? « Oh, plus folle que moi c'est impossible, elle ne doit pas être si folle que ça, ta coloc'. Si ? » Au fond de moi, c'est vrai que je ne suis pas normale. Quand on connait tous les détails de ma vie, on voit bien que je ne suis pas -plus- heureuse comme avant...