Plus le voyage avançait, et plus Chris se demandait ce qui pouvait bien le retenir à bord de ce maudit véhicule. Kat ne lui adressait pas le moindre regard, encore moins le moindre mot. De son côté il avait bien essayé de combler le silence en laissant faire la radio, mais même cette dernière avait été contre lui. L’atmosphère littéralement étouffante qui régnait dans la voiture de la jeune femme lui donnait presque envie de sauter par la fenêtre. Mais, rassemblant le peu de courage qu’il lui restait, le canadien se décida finalement à briser le silence en montrant à Kat à quel point il admirait ce qu’elle était sur le point d’entreprendre, malgré tout. Le fait que tout cela se passe loin de lui ne l’arrangeait pas spécialement, mais l’objectif qu’elle s’était fixé était beau. Elle allait pouvoir mettre sa gentillesse et sa passion au service des autres, et ces derniers la verraient alors un peu plus comme lui l’avait connue. Loin de la grande héritière complètement snob qui ne supporterait pas d’être entourée de gens « normaux », Kat était en réalité une fille bien, tout simplement. Et lui, Chris Stanford, pauvre petit étalagiste du fin fond du Queens, il avait eu le privilège de la connaître et de la côtoyer plus intimement que quiconque. Mais, visiblement inconscient de la chance qu’il avait, Monsieur avait tout gâché, tout brisé, à cause de quelques verres de trop. Et désormais, il allait rester seul à New-York pour s’en mordre les doigts. Après tout, il l’avait tellement blessée qu’elle lui devait bien ça. En y réfléchissant, c’était finalement un juste retour des choses, une vengeance indirecte que Chris allait se prendre en pleine face.

« J'espère surtout que je serais utile, & que je saurais aider ceux qui en ont besoin. » Un petit sourire triste se dessina instantanément sur le visage de Chris. Pour lui, la question ne se posait même pas. Kat serait parfaite dans tout ce qu’elle ferait, et ce parce qu’elle était passionnée, et prête à aider tous les gens dans le besoin qui se trouveraient sur son passage. « Il n’y a aucun doute là-dessus… » déclara-t-il, presque en murmurant.

Après plusieurs minutes, Kat invita Chris à quitter sa voiture, afin qu’ils prennent ce ferry qui les avait tant de fois faits traverser d’une rive à l’autre. En arrivant à bord, Chris eut un bref moment d’hésitation. Devait-il s’asseoir à côté d’elle ? Etait-il censé préférer la rangée de sièges qui se trouvait derrière. Finalement un peu poussé par les autres voyageurs, le jeune homme s’installa à côté d’elle. Et à cause de ça, le voyage lui parut encore plus interminable que celui qu’ils venaient d’achever en voiture. Cette proximité encore plus forte le rendait mal à l’aise. Les sièges n’étaient pas large, et son genou n’avait de cesse d’aller effleurer la jambe de Kat, arrachant presque à chaque fois un frisson ou une grimace au canadien. Rien n’était plus comme avant, et c’est d’un air nostalgique qu’il finit par fixer son regard à l’endroit où ils avaient l’habitude de passer le voyage enlacés pour se protéger du vent et du froid.

Comme si le trajet était un piège sans fin, les ex-tourtereaux reprirent place à bord d’une des voitures de Kat, et le calvaire sembla recommencer de plus belle… jusqu’à ce que la jeune fille se décide elle aussi à briser le silence. « Tu vas faire quoi, maintenant ? Reprendre le boulot ? » Et tout à coup, Chris se demanda s’il ne préférait finalement pas la lourdeur du silence qui régnait auparavant. Il prit alors un profond soupir avant de répondre : « Je… oui, surement. Enfin… pour ça il faudrait que j’ai des idées, et pour le moment c’est pas vraiment le cas alors… J’en sais rien. » A vrai dire, s’occuper de Tiger était déjà pour lui tout un programme dans lequel il mettrait certainement tout son cœur. Et puis il ne se sentait pas vraiment d’attaque, ni assez inspiré pour produire quoi que ce soit de potable au boulot, alors il préférait ne pas s’avancer.

En apercevant la demeure des O’Maley, Chris eut un nouveau pincement au cœur. Cette maison qui l’avait tellement émerveillé la première fois où il était venu avait elle aussi été le théâtre d’un grand nombre d’épisodes durant leur relation. Y compris leur dispute à propos de Danjel. Il laissa Kat se garer, et sortit du véhicule en jetant un coup d’œil vers la porte d’entrée. Non pas qu’il craigne d’y croiser Ben, au contraire, ce dernier ne lui faisait pas peur. Mais le fait de pénétrer à nouveau dans cette propriété avait quelque chose d’étrange. Se retournant vers Kat, il articula : « Je… je peux t’attendre ici si tu veux… »

Tu m'en voudras pas hein ?
J'ai un peu coupé court à leur safari dans New-York

Chris n’aurait jamais imaginé qu’une traversée de New-York puisse être si longue. Auparavant, elles lui paraissaient bien souvent trop courtes, lui qui voulait toujours garder Kat dans ses bras le plus longtemps possible à l’arrière de ce ferry qui leur permettait de rallier l’un ou l’autre de leurs appartements. Mais aujourd’hui, et pour la première fois, Chris avait langui que ce voyage en bateau se termine, et qu’il puisse enfin s’éloigner un peu de Kat. A bien y réfléchir, c’était d’ailleurs plutôt paradoxal. Lorsqu’ils étaient encore en couple, Chris était véritablement accro et il avait la plupart du temps bien du mal à se détacher de sa petite amie. Et maintenant, pour éviter d’être trop mal à l’aise il veillait à ne pas se trouver trop près d’elle, et surtout à ne pas la toucher ni même l’effleurer. Dès qu’il fut en mesure de quitter la voiture qui les avait menés jusqu’à la villa de Kat, Chris poussa donc un énorme soupir de soulagement. Sortir de cette atmosphère confinée et silencieuse lui faisait le plus grand bien, même si ce sentiment fut de courte durée. En effet, en se retrouvant face à cette immense demeure qu’il connaissait si bien, le jeune homme se retrouva quelque peu pétrifié. Tout un tas de souvenirs lui revenaient en tête, et il dut fermer douloureusement les yeux pendant quelques instants pour tenter de les effacer. Mais rien n’y faisait, et il préféra proposer à Kat de l’attendre à l’extérieur.

« Chris ! » Se retournant brusquement vers la porte d’entrée, l’étalagiste lança un regard mi-inquiet mi-implorant en direction de son ex-petite amie. « Je vais avoir besoin de toi pour porter ses affaires. » Oh… Ce n’était que ça. Presque déçu, le jeune homme acquiesça et grimpa les quelques marches d’escalier qui le séparaient encore de Kat. Mais à peine fut-il à sa hauteur qu’elle s’éclipsa à l’étage, probablement pour aller chercher le chaton dans sa chambre. Soucieux de la laisser seule quelques instants, et surtout anxieux à l’idée de pénétrer dans sa chambre en considérant la situation actuelle, Chris préféra l’attendre en bas. Et au moment où elle redescendit, il eut à peine le temps de lui adresser un petit sourire que déjà, elle l’invitait à la suivre. C’est donc en s’efforçant de ne pas trop regarder autour de lui pour éviter qu’un trop-plein de souvenirs ne vienne le submerger que le canadien se fraya un chemin à travers la maison. Son point de repère fut une nouvelle fois la chevelure de Kat qu’il ne quitta pas des yeux une seule seconde, jusqu’à ce qu’ils arrivent tous les deux à la cuisine. En silence, le canadien s’exécuta et observa la jeune femme préparer les affaires de celui qu’ils avaient un peu considéré comme leur fils depuis qu’ils l’avaient trouvé. Tout ce petit manège semblait très officiel, et aux yeux de Chris il marquait le début des adieux. Ces adieux qu’il redoutait depuis l’instant où Kat lui avait annoncé qu’elle partait. Et même s’il avait voulu abréger la douleur en venant ici immédiatement, plus le moment M approchait, plus la gorge du canadien se serrait.

« Bon, bah, voila... Je pense que t'as tout. Tu veux que je te raccompagne ? » Chris apprécia la proposition, mais il ne voulait pour rien au monde revivre ce terrible voyage qui les avait menés jusqu’ici. « Je… Non, ça va, on va prendre un taxi. Merci.” Sans un mot de plus, Chris attrapa la cage du petit animal qui miaulait toujours, se demandant probablement ce qui était en train de lui arriver, et se dirigea vers la sortie. Une fois arrivé sur le perron, il soupira puis déclara presque solennellement : « Bon, hé bin… je vais y aller. J’veux pas te déranger plus longtemps. » Il lança un regard triste vers Kat, par-dessus son épaule, puis termina par un simple : « Salut… ».

Le cœur serré, le canadien descendit les quelques marches de l’entrée et se retrouva dans la cour. Il ne voulait pas se retourner, ne surtout pas apercevoir la silhouette de Kat sous peine d’être incapable de la quitter. Il marchait donc tête baissée à travers la propriété, pressé de retrouver la rue et un taxi qui le ramènerait chez lui en compagnie de Tiger. Mais plus il avançait, plus sa gorge se nouait, et moins ses jambes ne semblaient disposées à le mener hors de la propriété O’Maley. Si bien qu’après quelques secondes seulement, il stoppa sa course et resta ainsi immobile pendant un long moment. Puis il posa la cage de Tiger, et le sac en plastique qui faisait office de valise. Chris fit alors volte-face sans prévenir et se précipita vers Kat qui était toujours perchée sur le perron. Il s’arrêta quelques instants devant elle, les yeux braqués dans ceux de la jeune femme, puis la prit subitement dans ses bras. Qu’il n’en ait plus le droit, il s’en fichait pas mal. Il voulait juste la sentir contre lui une dernière fois, respirer une dernière fois l’odeur de ses cheveux qu’il aimait tant… juste l’avoir au creux de ses bras en sachant qu’il ne pourrait certainement plus jamais le faire.

Bizarrement, au moment où il se décida à la prendre dans ses bras, Chris ne redouta pas un seul instant qu’elle puisse le repousser. Et pourtant, une telle réaction aurait été tout à fait légitime, voire même naturelle. Mais, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés, les deux jeunes gens se retrouvèrent enlacés devant l’entrée de la demeure O’Maley, et pour eux le temps s’arrêta. Totalement incapable de se détacher d’elle, et même de se rendre compte du temps qu’ils passaient ainsi réunis, l’étalagiste profitait simplement de l’instant. Il le savait éphémère, et aux vues de la situation, il se disait que c’était probablement la dernière fois avant longtemps qu’il pouvait la serrer ainsi contre lui. La dernière fois, tout court. Enivré par les effluves que dégageaient sa peau et ses cheveux, le jeune homme ferma les yeux quelques instants… avant de les rouvrir presque douloureusement sur une Kat qui s’écartait déjà de lui. Cet instant de faiblesse était terminé, l’incident était clos. Désormais, Chris n’avait plus aucun moyen de reculer l’échéance et même s’il n’avait aucune envie de la laisser seule ici, tout dans son regard montrait qu’il s’était résigné. Et puis de toute façon, à quoi bon la garder près de lui s’ils ne pouvaient plus être ensemble ? Dans un sens, c’était encore pire que de ne plus la voir du tout.

« Prends bien soin de Tiger... » Chris hocha immédiatement la tête, ce qui en soi était inutile puisque Kat avait baissé les yeux en murmurant ces mots. D’une toute petite voix qu’il ne parvint pas à déguiser en ton assuré, il répondit tout de même : « Je te le promets. » Certes, il serait certainement un peu moins doué que Kat pour ce genre de choses, et le petit Tiger aurait besoin d’un temps d’adaptation, mais le canadien ferait de son mieux. Puisque le chaton serait la dernière chose qui le lierait encore à Kat, même indirectement, il se devait de s’en occuper au mieux. « Je t'écrirais, sans faute. » finit-elle par lui assurer, en lui offrant même un petit sourire en prime. Une nouvelle fois, le jeune homme hocha frénétiquement la tête. Il allait languir d’avoir de ses nouvelles, de lire ses mots et de savoir ce qu’elle faisait là-bas, il le savait. Le fait qu’elle ait accepté de lui raconter son aventure était d’ailleurs une belle surprise, et l’assurance pour Chris qu’elle n’avait pas encore tiré un trait sur lui. Elle venait de voler à son secours, et malgré la distance, elle tenait à conserver un petit contact avec lui. Et même si ça ne la ramenai pas près de lui, le canadien se disait que ce n’était déjà pas si mal, peut-être même un bon signe pour la suite. Car ce « voyage » ne durerait pas indéfiniment et déjà, Chris songeait au jour où elle reviendrait à New-York.

Un brin mal à l’aise, Chris baissa les yeux et flanqua les mains au fond de ses poches pour se donner une contenance. Et c’est à ce moment-là que sa main effleura un objet qu’il connaissait désormais par cœur à force de l’avoir fait tourner entre ses doigts. LE pendentif, cette fleur qu’il avait offerte à Kat pendant leur voyage en Egypte et qui avait d’ailleurs marqué la soirée de leur première fois. Le canadien leva un regard à demi éberlué en direction de son ex-petite amie, et se saisit de l’objet qu’il sortit de sa poche, presque à regret. « Je… Tiens, il est à toi… Je préfère que tu le gardes. » Attrapant la main de Kat, il glissa l’objet au creux de sa paume et la lui referma sans plus de cérémonies. Ce petit pendentif allait lui manquer lui aussi, mais le savoir entre les mains de Kat le rassurerait, assurément.

Cette fois le moment était venu, et c’est en lâchant un nouveau soupir que l’étalagiste fit un premier pas en arrière, sans la quitter des yeux. Mais comme si l’attraction était trop forte, il combla une nouvelle fois la distance qui les séparait… avant de s’arrêter à quelques centimètres de son visage. Il mourrait d’envie de l’embrasser une dernière fois, mais il n’en avait pas le droit, il ne pouvait pas aller si loin… ce serait terriblement égoïste. Alors il se contenta de glisser sa main dans ses cheveux, la laissant là quelques secondes en accordant un dernier regard à Kat. Puis il fit rapidement volte-face, et fila récupérer Tiger sans un mot de plus. Il ne lui fallut que quelques secondes pour disparaître, et se retrouver dans la rue la gorge serrée. Il harangua le tout premier taxi qui se présenta pour ne pas être tenté de faire demi-tour, et se lança seul sur le chemin du retour qui le ramènerait chez lui.