On entend souvent dire que les professeurs bossent peu. Pas beaucoup. Moins que les autres. C’est une forme de persécution vous n’êtes pas d’accord ? J’ai bossé – presque – dur pour en arriver là. J’ai toujours voulu enseigner, apporter quelque chose, aider dans l’apprentissage. Je ne sais pas vraiment quel a été le déclic, toujours est-il qu’il a eu lieu.
C’est cette décision, ce choix d’orientation qui m’a couté la cicatrice que j’ai en travers du torse. Boh, on s’y fait. Elle n’est pas vilaine et fait à peine douze centimètres. Si j’ai eu mal au corps, au cœur ce soir là, désormais je vois la plaie comme une porte de secours :
Me voici aux USA.
Le rêve américain, tout ça…j’en suis ou ? Il est 5 heures pm ; ma journée est terminée. A la faculté du moins ! J’hésite entre partir faire un tour en moto ou me vautrer devant la télé en attendant qu’il fasse nuit ; après ? Trouver un endroit qui respire la musique et accepter que l'on parle de ma profession comme d'une carrière de fainéants ! (a)

« Faites doucement les gars !!! Un peu plus et on croirait que vous avez hâte d’être en cours ! »

« ‘jour m’sieur Covington ! »

« …junior… »

Quelle plaie. De détester son paternel mais de porter son exact nom.
Je les salue d’un bref mouvement de la main alors qu’ils continuent de courir bêtement après leurs amies. Ah les femmes elles nous rendent ridicule, sans arrêt, et nous ne sommes pas foutu de nous en rendre compte !
Pas l’heure de polémiquer là-dessus cependant car toute mon attention est soudainement captivée par une jeune fille. Très jeune. Trop jeune.

« Eh ; qu’est ce que tu fais toute seule toi ?! »

Ma main se referme doucement mais assurément sur le fin poignet de la demoiselle qui croise ma route. Innocente, fragile, naïve, belle. Tout de l’enfant perdu. Je fais rapidement un contrôle des alentours en espérant – fortement – que mes yeux tombent sur un visage affolé.
Je ne vais quand même pas jouer les nounous ! à l’aide !

« Tes parents sont par là ? »

Inutile de paniquer. Je prends sur moi – beaucoup, vous n’imaginez même pas – et je m’accroupi face à cette bouille d’ange. Très occupée à jouer avec la lanière du sac que je porte à l’épaule, l’enfant marmonne des choses que je comprends très difficilement.
On n'a pas idée de laisser sa petite ici !

« Non tu…non, ne tire pas là-dessus, ça peut casser tu vois ? Allez, lâche ça. Eh oui, ce n’est pas à toi. C’est à moi…oui, à moi. Thomas ; je m’appelle Thomas. Et toi ?... »

Toujours personne ? Galère.

Le regard plus concentré encore que celui de la gamine debout face à moi, j’observe les minuscules doigts qu’elle agrippe à ma sacoche. C’est fou comme ça peut se prendre de passion pour les choses les plus futiles. Les plus inintéressantes également.
Qu’est ce qu’elle lui trouve ? A mon sac ?
La main positionnée dans le dos de l’enfant, je fais en sorte qu’elle ne prenne pas la poudre d’escampette. Sait-on jamais. A la voir en totale admiration devant une lanière de cuir, qui sait ce qu’elle pourrait trouver de palpitant sur le jean d’un étudiant, le cartable d’une demoiselle, la carrosserie d’une voiture !
Non mais cette enfant n’a pas de parents responsables !!?
Dixit le fils de deux cas sociaux. Ouais. Je sais, ça craint.

Je sors brusquement de mes pensées lorsque la petite blondinette retourne la tête instinctivement après avoir entendu son prénom. Bah, si je suis logique, le truc qui a été crié doit être son prénom.
Thaïs. C’est joli, c’est chantant.
Me redressant avec lenteur, un faux air blasé au visage, je cache un réel soulagement.
A peine le temps de me retrouver debout que la fameuse mère irresponsable arrive en trombe. Un peu plus et j’ai cru qu’elle la fauchait ! Sa petite.
Alors que je plonge mes mains dans les poches de mon pantalon je me surprends à reconnaitre la maman ; admiratif. Reconnaissez qu’elle est particulièrement séduisante ! Ahem. Là n’est pas le problème. La brasse que prend la gamine non plus d’ailleurs, ce qui me surprend davantage c’est l’identité de la jeune femme.
Enorah L. Lacroix. Je suis fan.
Ce qui ne l’empêche pas, elle, la star, de m’envoyer valser !

« …J’ai simplement supposé que ses parents la cherchaient et qu’il était alors inutile de l’emmener loin d’ici… »

Mon raisonnement fut correct. La preuve, elles se sont retrouvées non ?
L’enfant n’aurait pu aller bien loin, si on part dans l’autre sens : elle ne vient pas de loin ! Je n’ai pas eu besoin de réfléchir pour venir à la conclusion que ses responsables – quels qu’ils soient – étaient proches. Heureusement la célèbre Enorah fut assez dégourdie pour mettre la main sur sa fille et ;
Waa, Enorah Lacroix.

« Je ; oui je suis professeur et…libre, mais…vous ne me devez rien je vous en prie. C’était très normal. »

Non ?
J’aime jouer les modestes. Bien que j’ai l’allure d’un héros ! Allez, reconnaissez-le ça ne vous tuera pas. D’accord j’exagère. Je n’ai pas à faire celui qui refuse les remerciements par excès de zèle, n’importe qui aurait agit ainsi et cette jeune mère ne doit rien débourser pour me récompenser d’avoir tenu compagnie à Thaïs.
Mais…puis-je réellement refuser ?

« Enfin si vous insistez… »

Elle n’a pas insisté, bougre d’âne.
Je serais pourtant stupide de ne pas tenter le coup. Ne voyez là rien de déplacé ou de sous entendu ! Je pense simplement que de refuser une telle invitation, de la part d’une telle artiste, dans un tel contexte : ce serait la chose la plus débile que je n’aurais jamais faite depuis, fiou, au moins deux semaines.
Alors que l’enfant dans les bras de sa maternelle pose un regard observateur sur moi, je hausse les épaules avec sympathie.

« Si vous avez un instant dans votre emploi du temps probablement blindé ; je serais en effet ravi de profiter de ce prétexte de remerciement… »

Elle parait pressée, vive, impatiente, prompte.
A-t-elle quelque chose à faire ? Permettez-moi de trouver ça étonnant voire surprenant, puisque ce serait assez paradoxal qu’elle ait à faire sachant qu’elle est en train de m’inviter à manger. Du moins à boire un verre pour commencer.
Je ne sais pas trop comment prendre le caractère explosif de l’artiste que je vois en cette fin de journée, toujours est-il que l’atmosphère qu’elle place autour de moi n’est en rien désagréable. Bien au contraire. Enorah ne dégage que du positif, du plaisant. Ça vient probablement de mon admiration pour ses talents de musicienne, puisqu’autrement je ne la connais pas personnellement. Mais la sensation est si attrayante, captivante, que je me laisse volontiers prendre au jeu.
Si on peut appeler ça un jeu, certes.

« Non je ne suis en rien pressé mais ; peut être pouvons nous voir si vous supporterez mon caractère le temps d’un verre avant d’envisager un diner par la suite ? »

Une sorte de test. Voyez ? Bien que j’ignore ce qu’elle peut tester chez moi, je veux bien accepter qu’elle fasse une tentative le temps d’un simple verre avant de s’engager à m’inviter plus longuement. Ce serait quand même bête d’avoir à supporter le premier guignol du coin parce qu’elle l’a invité trop impulsivement !
Moi ? Je ne crains pas grand-chose. Je suis déjà persuadé que son caractère est palpitant. Encore une fois mon idolâtrie doit me jouer des tours mais j’ai cet intérêt particulier dans la découverte des personnalités qui me pousse davantage à être motivé.

Tandis que j’admire sa voiture dans laquelle elle attache la petite Thaïs ; l’artiste enchaine les propositions et détails de transport à une vitesse ahurissante. Fichtre, elle ne s’arrête jamais de parler ?
Je ne peux dans un premier temps m’empêcher de sourire. Amusé. Quasiment charmé par ce naturel si franc.
Ensuite, il faudrait que je réfléchisse sérieusement à ses questions afin de lui donner une réponse correcte. Une réponse qui l’arrange autant que moi. Ou du moins : qui ne dérange aucun de nous. Cependant, puisqu’elle semble dans une fin de journée bavarde – sauf si elle l’est toujours – elle reprend la parole avant moi ; ayant deviné une petite gêne ?

J’avoue avoir du mal à réaliser que je suis là. Devant sa voiture. A parler invitation.
Mais ce n’est pas de la réelle timidité, disons simplement que je ne m’attendais pas à ce programme du soir. Encore moins avec la grande Enorah ! La surprise n’est que plus belle, bien entendu, permettez simplement que je réalise ma chance énorme et que je savoure, aussi

« Évidemment appelez moi Thomas ! Et je veux bien vous suggérer un endroit sympathique si vous me laissez le temps de… » Après avoir repris ses termes je plisse les yeux que je lève en direction du ciel un instant, la main contre le menton, pensif…puis eurêka ! « Voilà ! Vous aviez raison j’ai réussi à m’en convaincre : vous êtes juste un être humain. »

Moi, sarcastique ? Si peu. Je ne fais que plaisanter et j’imagine – j’espère surtout – qu’il n’y avait dans ma petite blague rien de vexant. Ce serait frustrant.
Histoire d’être certain que ces remarques n’entachent pas déjà notre rencontre, je lui offre un sourire charmeur et galant, avant de jeter un œil à ma montre.

« Je suis garé là derrière, le temps que j’aille à ma voiture vous aurez rejoint la rue principale : je n’aurais plus qu’à vous suivre jusque chez la nourrice si j’ai bien compris…puis je passerais devant. Je suis bon ? »

Pas certain d’avoir tout compris. Non mais n’ayez crainte, je vais m’y faire : je vais boire un verre avec Enorah Lacroix et peut être même diner avec elle ! Le fait qu’elle m’ait invité pour me remercier est secondaire, je m’arrangerais pour payer nos consommations et oublier qu’elle se sent redevable en imaginant que…elle m’apprécie simplement ?

Nos deux voitures se suivent, sagement, avec discipline, presque logiquement. J’ai du mal à effacer ce sourire qui a pris place sur mes lèvres, je suis amusé par l’étrange contexte dans lequel je suis plongé. Reconnaissez que la situation est comique non ? Du moins atypique, inattendue, inespérée !
J’ai vu la demoiselle plusieurs fois en représentation et j’ai déjà réussi à lui faire part de mon admiration après ces fabuleux concerts mais jamais je n’aurais pu m’attendre à la croiser si près de la fac, si simplement, et qu’une invitation venant de sa part me tomberait dessus comme un noël précoce.
Je ne vais pas m’en plaindre et je suis avec application la jolie pianiste, redressant le visage avec un léger sursaut de surprise lors de son coup de klaxonne.
Réellement amusant d’avoir à faire à sa pure nature, détachée de sa part artistique.

Voilà qu’elle passe devant. La surprenante Enorah.
Décidément elle n’a rien de la calme surdouée, la jolie demoiselle posée, pleine de sang froid et de concentration que j’imaginais ! Comme quoi, je ne la connais vraiment pas. Studieusement cependant je continue de la suivre, veillant inconsciemment à ce que personne ne nous suive. Personne ne la reconnaisse ou me vole ma place !
Lorsqu’elle semble avoir choisi le pub qui accueillera notre verre, je la rejoins, sourire en coin. Toujours.

« C’est parfait ! Avec un peu de chance l’atmosphère du lieu sera plus lourde que mon caractère ! »

Humour. Bien entendu.
Je fréquente plutôt régulièrement les pubs, j’aime l’ambiance qu’on y trouve bien que chacun ait son propre tempérament, son ambiance particulière, tous ont cette saveur chaleureuse et confinée qui me met à l’aise. Disons que ce sont des endroits très appréciables pour passer une fin de soirée qui s’annonçait monotone et qui au final, a quelque chose d’agréable.
Il y a néanmoins une différence ce soir : l’accueil est bien moins simple, discret et familier que d’ordinaire. En effet la jeune femme que j’ai suivie jusqu’ici est une star renommée. Tout le monde ne connait peut être pas ses talents, n’apprécie peut être pas non plus l’art qu’elle pratique, mais le gérant du pub la connait vraisemblablement très bien et je me contente de l’accompagner en espérant ne pas me faire sortir du lieu !
Alors qu'elle réalise avoir choisi pour moi, j'acquiesce plusieurs fois.

« Hum ça me parait pas mal, êtes vous prête à entamer ce test de ma personnalité ? »

Mes mains se posent sur la table en bois pour la tapoter au rythme de la musique de fond et je me surprends à paniquer. Relaxe, pas le genre de panique qui fait trembler ou transpirer. Disons simplement que si je suis un admirateur respectable et relativement discret à la sortie des spectacles, je risque ici de devenir ennuyant voire pénible pour Enorah et l’idée de baisser dans son estime me déplait. Beaucoup.
Allez savoir pourquoi ! Puisque nous ne nous connaissons pas personnellement, je ne devrais pas sentir la moindre crainte. Tout le monde ne peut apprécier tout le monde ! Mais merde, ça m’embêterait qu’elle ne m’apprécie pas.

« Bien, alors dites moi, que faisiez-vous à Uptown ? » Indiscret, peut être. Surtout pour une star ! Mais ne m’a-t-elle pas demandé de considérer qu’elle était tout ce qu’il y a de plus humain ? « J’espère ne pas avoir loupé de concert ! Je m’en voudrais de… ! »

De, on verra plus tard. Une demoiselle, d’environ trente ans je dirais, se précipite à notre table avec un crayon et un bout de papier qu’elle tend à la célèbre pianiste.
Qui a dit que les pianistes n’étaient pas aussi populaires que des chanteurs de pop ? Je me replace dans le fond de ma chaise comme pour m’écarter légèrement de la table afin de les laisser toutes les deux. Quoique fasse Enorah je n’ai pas à m’en mêler et par compassion avec la fan, j’attends sagement, souriant.

C’est avec un naturel déconcertant que l’artiste à mes côtés accueille les compliments de la jeune femme en admiration. Je souris malgré moi bien que j’essaye d’être discret, mais la facilité avec laquelle Enorah partage sa fierté, sa générosité, sa disponibilité aussi…c’est bluffant.
Le statut de star fait perdre la tête à beaucoup de gens. J’imagine que c’est encore plus difficile pour quelqu’un de jeune de garder les pieds sur terre ! Comment peut-on réaliser ? Comment gère-t-on l’argent ? La popularité ? La critique ? Qu’elle soit bonne ou mauvaise, l’emploi du temps de fou ?!
Non je crois sincèrement que peu de gens sont capables d’en tirer des qualités et il semblerait que la pianiste dont je suis fan fasse partie de ces stars à la tête froide.
Si vous me permettez l’expression.

Enorah m’apporte une preuve de plus pour confirmer mon idée car une fois l’admiratrice éloignée, elle reprend le fil de notre conversation comme si de rien n’était. Avec simplicité, naturel. Une fois de plus.
Sa réponse me surprend et je ne peux empêcher mon visage de s’ouvrir d’étonnement, de ravissement tout autant. Elle vit ici ? Par là ? Je veux dire, pas loin de chez moi ? Calme Thomas, calme. Il y a des tas de gens biens ici, et sans doute d’autres artistes, en tout genre. Pas de quoi s’emballer…je n’aime pas ça. On dirait un enfant !

« Oh oui, plus que valable, autant pour moi ! »

Dis-je sur un ton d'excuse. Oui c’était indiscret et le ton franc qu’elle emploie est parfaitement justifié. Visiblement elle ne le prend pas mal cependant, c’est bien ma chance, ne manquerait plus qu’Enorah soit lassée de moi dès ma première remarque !
La voici qui enchaine avec une parenthèse professionnelle et j’écoute on ne peut plus attentivement. Ah, Paris. Jamais vu. J’aimerais pourtant. Pour la richesse culturelle, historique. Un jour peut être.
Je pouffe légèrement lorsqu’elle parle de curiosité. Elle a probablement raison ; si je ne suis patient il vaut mieux que je continue de découvrir et suivre sa carrière depuis ma place de fan inconnu.

« Je me délecterais de tout ce que je peux apprendre sur votre parcours, très chère. »

Mon sourire ne désemplit pas et je la laisse interpeler un serveur auquel je commande une bière d’Irlande que ce pub place sur un piédestal avant de porter mon attention sur la jeune femme. Mon regard sombre dans ses beaux yeux.
Comment entamer le test ? La bonne question. Je n’en ai pas la moindre idée, je pensais simplement attendre de voir si un feeling positif – tout ce qu’il y a de plus sage hein (a) – s'installe.

« Humm vous avez sans doute raison. Mon « feu sacré musical » a beau être puissant je doute avoir les moyens de vous suivre ! Voyons le positif : vous aurez un peu de paix depuis la France ! »

on rigole on rigole, mais je n’ai vraiment pas les moyens en ce moment. Avec l’incendie qui a détruit mon appartement…et absolument tous mes biens il y a un mois, je dois être prudent.

« Plus sérieusement, j’attendrais NY avec impatience comptez sur moi. »

Nos boissons sont rapidement servies et je me permets d’avaler une gorgée fraiche avant de reprendre. De quoi parle-t-on à une personnalité telle que la demoiselle Lacroix ? Je ne veux pas tourner autour de sa profession, c’est gênant pour moi, sans doute aussi pour elle ! Mais je ne vais pas étaler mes états d’âmes quand à mon rôle de professeur et…et si on sort de ça, on tombe dans le personnel.
Or, une star, ça ne parle pas de son intimité ! Déjà moi sans être connu je n’aime pas ça

« C’est important de prendre du temps pour soit au milieu de tous ces concerts, je pense. Pour vous et votre famille…je m’en voudrais si je vous prive d’une soirée avec votre fille ! »

C'est relativement poli ça, non? Je pense rester dans la limite du raisonnable bien que j'aborde le sujet de la petite Thaïs que j'ai rencontré plus tôt. J'ignorais que la musicienne était mère. Ça ne me surprend qu'à moitié...quelle star a eu et a une vie normale?

Bavarde. C’est, je crois, l’adjectif qui à l’heure actuelle convient le mieux à la jolie Enorah Lacroix que j’ai sous les yeux. Ne voyez là rien de péjoratif ! Le côté bavard de ma personnalité ainsi que ma curiosité sont amusés et comblés par ce trait de caractère de l’artiste. Soyez-en sûr. Et puis je dois reconnaitre que cette capacité a le dont d’éviter un silence trop pesant. Pas que je sois particulièrement stressé, disons simplement que mon côté renfermé est toujours le plus fort lorsque je connais peu mon partenaire de discussion ; ajoutez à cela le fait que : je suis fan d’elle.
Elle a également ce quelque chose de surprenant ; d’autoritaire. Un mélange explosif qui ne vous permet pas le moindre ennui, la moindre lassitude. Bien au contraire. J’acquiesce lentement lorsque la belle me fait clairement comprendre que sa fille est un sujet qui doit rester muet et quand elle affirme ne pas avoir une minute pour elle ; je veux bien la croire.
La vie d’artiste non merci. Ce doit être terrible. Enfin je n’ai pas vraiment eu de choix à faire concernant mon anonymat ! Je ne suis rien, tout simplement.

« Il vaut sans doute mieux avoir une vie bien remplie après tout ! »

J’essaye de la rassurer, la consoler ? Pas nécessairement, elle n’a pas l’air de se plaindre un instant de son emploi du temps de ministre ou de ses rares moments de paix. Je crois même qu’elle savoure toutes ces heures de travail, ces nombreux concerts et ces longues séances d’autographes. Le genre de bout de femme qui sait profiter de la vie et des chances qu’elle possède ;
Admirable n’est ce pas ?
Malgré ce statut de star fortement prononcé, ce charisme et cette renommée écrasante, je réussi à percevoir Enorah comme la « simple » jeune femme qu’elle me sommait de voir au début. Tout simplement parce qu’il n’y a ici aucun piano, aucun réel public en délire et ma foi aucun mètre ne nous sépare.
Nous sommes tout proches – physiquement j’entends – dans un contexte très naturel. Normal si je puis dire.

« Rassurez-vous la pianiste n’est pas étouffante, je découvre une personne entière et franche, plaisante. Quand au prochain concert laissez moi le loisir de découvrir la date à ma façon. »

A ces mots je souris, pensif.
Le petit déjeuner tardif un dimanche matin devant mon écran d’ordinateur, quelques balades entre les pages web, de la physique d’un côté, de la musique de l’autre, et une bonne nouvelle pour une future date à programmer.
Je veux surtout éviter, une fois encore, de remettre sa carrière sur le tapis. Si Enorah semble vouloir s’en défaire de temps en temps pour respirer, elle y revient inconsciemment tant ça la colle.

« Peur de vous faire fuir ? Honnêtement non je n’ai rien à perdre, tout à savourer de ce verre que vous m’offrez. Ne voyez pas dans ma retenue de la gêne ou pire : de l’ennui ! Disons que je ne vois pas en quoi mes paroles pourraient être intéressantes à vos yeux mais si je dois parler laissez-moi donc vous remercier pour ce naturel. Je ne pensais pas que j’allais être si généreusement remercié par…les protagonistes d’une telle affaire. »

Dis-je pour ne pas aborder le sujet de sa maternité. J’ignorais qu’elle était mère et bien entendu plusieurs questions dignes d’un grand fan se bousculent dans ma tête : est-elle mariée ? A-t-elle plusieurs enfants ? Comment fait-elle pour les cacher ? Suis-je si mal renseigné !?!
Mais je me tais car au fond je sais bien que ça ne me regarde pas et à vrai dire, ça ne m’intéresse même pas.
Je lui souris à nouveau en portant le verre à mes lèvres, mon regard suavement plongé dans le sien.

Plus âgé qu’elle ? Merde, elle ne prend aucune pince pour me le faire remarquer la jeune artiste !
Je lui offre un sourire amusé et naturel. Ça ne me vexe en rien ; je veux bien lui accorder que je fais plus que son âge sachant qu’à mon avis elle a beau mettre en avant son état « naturel » et « normal » malgré sa popularité, elle a sans aucun doute tout ce qu’il faut pour paraitre la plus jeune et la plus belle possible. Et croyez-moi, parole d’homme gourmand : elle est superbe. Enorah.
Je me contente de doucement hausser les épaules sans relever par une remarque sarcastique de plus qu’elle ne se prive pas de me faire remarquer que je suis vieux jeu
Il se trouve que j’ai simplement beaucoup de mal à tutoyer. Ça suit la belle logique de mon caractère je crois ; je ne donne pas ma confiance aisément, je suis renfermé et très critique. Pas forcément indulgent.
Bref si elle veut que je parvienne à dire tu…elle finira peut être par y parvenir.

« Pardon de tout « compliquer » j’ai simplement tendance à prendre le vouvoiement pour une forme de respect…et rien à voir avec votre profession ou l’admiration que je peux vous porter. J’agis ainsi avec chacun, ne pensez pas que je vous mets sur un quelconque piédestal. »

Je me lèche la lèvre inférieure après avoir avalé une gorgée supplémentaire et j’observe avec une attention particulière les réactions qu’elle pourrait avoir. Enorah semble tenir fortement à paraitre commune ;
Ce qu’elle n’est pas.
Je serais contrarié qu’elle prenne mon attitude pour une gêne face à son statut de star car ce n’est pas du tout le cas ! J’étais impressionné tout à l’heure, au moment de cette invitation innatendue mais j’ai désormais passé le cap de l’idôlatrie bête et je m’intéresse sincèrement à la personnalité de la jeune femme qu’elle est. Peut-elle le comprendre ?
J’ose l’espérer.

Voici qu’elle laisse sa curiosité s’exprimer et son petit air mutin en fin de phrase m’oblige à sourire. Le côté espiègle lui va plutôt bien, ça brise un peu l’image sage qu’elle affiche. Professionnellement parlant !
Mais mettons définitivement cette part d’elle de côté. Je prends sur moi et me tente à de la familiarité, à une légère ouverture aussi. Attention je suis prudent et je ne dis que ce que je souhaite. Celui qui me tirera des confidences n’est pas né ! (a)

« Célibataire je crois ; je dirais même marié à ma liberté et amoureux d’elle…ça ne te surprend pas j’imagine. J’ai la tête du célibataire trentenaire de tous les films de seconde catégorie n’est ce pas ? »

Fier d’avoir osé ce tutoiement, je réclame un autre verre puisque le mien se retrouve déjà vide et je secoue la tête pour nuancer. Déjà que je suis professeur à la fac – ce qui n’est pas très glorieux je trouve – je ne vais pas en plus peindre un autoportrait du pauvre looser que je suis !

« Ma dernière histoire « sérieuse » a pris fin il y a un peu plus de deux ans et ; disons que je n’ai pas franchement l’envie de repasser par ces moments douloureux. Je suis bien comme ça. »

Après tout je ne mens pas ! Les femmes me font toujours tourner la tête, ce n’est pas peu dire, mais je tiens bon et je m’accroche fermement à mon célibat malgré les aventures et autres surprises qu’il peut se passer.
S’attacher à quelqu’un c’est négatif. Quoiqu’il arrive. J’ai hérité du carnage que fut l’amour de mes parents puisque je suis moi-même leur chaos…autant éviter de maudire un enfant ; c’est si vite arrivé de pourrir une vie.

J’apprécie la comparaison qu’elle fait. La séduction, une guerre…j’aurais plutôt parlé de politique concernant l’art de séduire, la guerre aurait été l’amour. Eh oui, séduction et sentiment sont loin d’être synonymes !
Combien de personnes séduit-on, charme-t-on par intérêt ; par amusement ; par divertissement ou par simple envie de plaire ? Il n’y a là dedans rien d’émotionnel, juste de la façade, du brillant, du titillant. La séduction est comme une arme braquée sur les sensations de l’autre mais le côté tranchant de celle-ci est la suivante : votre proie est souvent dotée des mêmes jouets dangereux…
Oh et quand la séduction devient attirance, plaisir, envie, sentiments : alors là, oui, on entre en guerre.

Mais ce n’est pas l’heure de polémiquer. Nous avons à faire. moi plus particulièrement : je veux savourer ce début de soirée et la découverte de cette personnalité si alléchante. Enorah est-elle en train d’affirmer que ça lui plait de me savoir célibataire ? J’en doute grandement. Je ne dois pas être son genre ; bien qu’en règle générale je suis le genre de type qui plait à sa voisine sans même s’en rendre compte !
La belle m’incite à me replacer dans du sérieux en évoquant sa fille. Hum ; et le père ? Il s’est barré ? Quand ce n’est pas la mère qui est lâche et monstrueuse c’est le paternel. C’est quasiment toujours ainsi je suis bien placé pour le dire…enfin, je ne connais pas les détails de sa vie privée.
Je me contente d’acquiescer, faisant mine d’être compatissant.

« Tu ! Si je tutoies, faites…fais-en autant. J’ai déjà du mal alors si en plus tu maintiens la distance du vouvoiement entre nous je n’y arriverais pas ! »

Je lui souris en entamant mon second verre. Ça fait du bien ce liquide de caractère qui coule délicatement contre ma gorge. C’est frais, revigorant, apaisant aussi. Je suis bien ici, malgré le ton des voix autour de nous qui commencent à devenir plus fort et les rires plus explicites.
Enorah me dévoile alors une part de sa curiosité en paraissant impatiente d’en savoir plus à mon sujet et sa fin de remarque sonnerait presque comme un compliment. Non en fait, je crois que c’en est un. Disons que j’ai tellement les histoires d’amour, les vies de couple et les mots « mariage » et « amour » en horreur qu’il m’est difficile de faire la part des choses !
Mais non ; la jeune artiste utilise le ton de la plaisanterie pour, je crois, dissimuler une jolie flatterie. Modeste, je lève les yeux au ciel.

« Potentiel ? J’ignorais en avoir un ce doit être pour ça que je suis seul » « …plus sérieusement je dois être trop difficile ! Que veux-tu. Je laisse assez peu de chances et…quitte à paraitre grotesque, j’imagine que la peur a une part de responsabilité là dedans. »

Mais peur de quoi, hein ? C’est sans doute ce que vous vous dites. Enorah également.
Je replace mon verre à mes lèvres le temps de m’épargner une phrase trop intime, trop personnelle mais je me dis qu’il vaut peut être mieux préciser avant d’installer un froid dans cette conversation qui devenait intéressante.
Je la regarde alors et précise en souriant, pour ne pas risquer d’avoir l’air blessé.

« Je n’ai pas eu de grand modèle familial, d’exemple d’amour assez beau pour avoir envie de me lancer là dedans. »

C’est assez résumé je crois. Je n’en dis pas trop, je ne peux donc pas l’ennuyer mais j’en dis suffisamment pour qu’elle comprenne en partie ce qui me pousse à être si réticent avec les histoires de cœur.

« Maintenant, on n’est jamais à l’abri des sentiments il parait ! »