« Vous êtes là dans une heure ? Mais vous deviez venir demain... Non, c'est bon, je vais m'arranger avec la nourrice pour les enfants » Soufflant, je raccrochais au nez du livreur et descendais les escaliers qui séparaient les chambres du rez-de-chaussée à toute allure – du moins aussi vite que je le pouvais avec un ventre de six mois de grossesse. Il fallait que je me prépare en moins de vingt minutes pour emmener Cara et Logan a l'école puis emmener Sasha chez sa nourrice et revenir pour être là pour les livreurs. Moi qui n'aimait pas être prise de cours, cette grande enseigne venait de me couper l'herbe sous le pied et je me demandais bien comment j'allais pouvoir m'en sortir sans péter un plomb avant la fin de la journée. Frappant dans les mains, Cara et Logan lâchèrent l'écran de télévision des yeux pour me regarder. « Allez hop, on va se laver les dents et après on va à l'école » Je leur fis signe de se dépêcher et tels deux petits soldats, les deux enfants se levèrent du canapé et montèrent se préparer. Ils n'avaient que trois et quatre ans et pourtant, ils étaient plus qu'autonome, ce qui me faisait chaud au cœur et tellement de bien. Ils étaient ma force, mon envie de me battre – avec Sasha – et sans eux, je serais sûrement six pieds sous terre à l'heure qu'il est. Doucement, je sortais Sasha de son cosy et enlevait son bavoir plein de bave et de purée de carottes. La jeune fillette allait bientôt avoir deux ans mais elle mangeait toujours autant comme un cochon et ne bougeait pas. Elle marchait toute seule mais il était rare de la voir faire cet effort. J'avais l'impression qu'elle boudait à sa façon, qu'elle montrait à sa manière qu'elle était mal et souffrait. Emmenant les enfants à l'école, je revins aussi vite que possible et souffla en voyant le camion de livraison entrain d'attendre devant la porte. Soixante minutes s'étaient transformés en trente cinq. Me dirigeant vers le camion, je tentais de me calmer en faisant craquer mes doigts. Zen, calme. Discutant avec les livreurs, je perdis littéralement mon calme lorsqu'ils me dirent qu'ils ne montaient pas les lits ni chez moi, ni dans les chambres. Je me mettais à hurler en pleine rue. Ce que les gens pensaient ? Je m'en fichais comme de l'an quarante, j'avais bien d'autres problèmes. « Mais vous vous foutez de ma gueule ! Vous croyez franchement que je peux monter ces deux lits toute seule avec le ventre que j'ai ? » Pointant mon ventre du doigt, je les regarda lever les yeux, s'excuser et partir. Les yeux faillirent me sortir de la tête et lorsque je vis le camion démarrer, me laissant seule dans la rue avec deux lits pour nouveaux nés, j'ôtais ma ballerine et leur jeta dessus. M'énervant je fis quelques pas et la rechaussa. Ce n'était pas possible. J'étais sur les nerfs, mon ventre me faisait mal et j'étais là, comme une andouille dehors. Attrapant un lit, je réussis à le tirer sur un mètre avant de m'arrêter et de souffler. C'était impossible. J'habitais peut être au cinquième avec ascenseur mais il était impossible que j'arrive à les monter dans l'escalier qui séparait les chambres du reste de l'appartement. Qu'est-ce que j'allais faire. Nattéo me manquait énormément. Une larme coula le long de ma joue lorsque j'entendis une voix derrière moi. L'essuyant je me tourna et lança, sur un ton fort peu agréable « Quoi ? » Si le jeune homme était là pour m'aider, il allait rapidement m'envoyer sur les roses...

Même si Nahla était l'unique responsable de notre situation actuelle, je savais parfaitement que Lucas ne méritait pas toutes ces perturbations. J'étais disparu de la circulation pendant deux jours, ce qui n'était jamais arrivé, et il s'était bien évidemment inquiété en voyant sa mère incapable de lui répondre sans en avoir les larmes aux yeux. De la comédie, peut-être. Après tout, elle l'avait cherché... Toujours est-il que son petit bout lui n'avait rien demandé à personne et je tenais à me faire pardonner de ne pas avoir au minimum appelé pour lui parler quelques minutes. Même s'il était très perspicace pour son âge, Lucas aurait compris que je sois retenu par le boulot puisque sa mère disparaissait parfois des semaines complète pour le sien, il était habitué à cela. Au lieu de ça, j'avais laissé Nahla se débrouiller et me trouver des excuses. Le pire était que je me moquais de la situation dans laquelle elle se trouvait, elle s'y était mise d'elle même, qu'elle se débrouille don pour mentir à son fils. Hier j'avais tout de même choisi de rentrer à la maison et même si ça n'allait pas comme je l'espérais, je me sentais un peu mieux. En deux ans, on s'habitue vite aux choses et à la présence de certaines personnes, déloger n'avait rien de facile. Je la détestais mais elle me manquait terriblement à la fois, j'avais choisi de mettre mon orgueil de côté en espérant ne pas le regretter par la suite. En sortant du boulot, je me rendais donc dans un magasin de jouet pour trouver quelque chose qui plairait à Lucas et qui me pardonnerait, même si je savais qu'il l'avait déjà fait. Surtout, je ne voulais pas qu'elle arrive à le détourner de moi maintenant que son père était de retour, jusqu'à preuve de contraire j'étais celui qui l'élevait depuis deux ans. Je n'avais jamais chercher à prendre la place de Jayden, mais il était hors de question qu'on me sépare de lui soudainement, quitte à devoir trainer cette affaire au tribunal. Je préférais néanmoins ne pas y penser pour l'instant, arrêter d'imaginer les pires situations qu'ils soient alors que personne n'avait parlé de me l'enlever. Autant rester prévoyant malgré tout.

Sur la route du retour, je me préparais déjà à retrouver la maison et le regard coupable de Nahla qui ne la quittait plus. Ça me rendait fou de la voir aussi mal, mais je ne pouvais pas lui dire que c'était oublié, c'était lion d'être le cas. Je m'arrêtais finalement en repérant une jeune femme, enceinte jusqu'au yeux, qui tirait lamentablement un gros carton pratiquement aussi grand qu'elle. Et un deuxième l'attendait, elle n'était pas sortie de l'auberge à cette vitesse. « Tu n'vas jamais t'en sortir... » Simple constatation, et la réaction de la jeune femme ne se fit pas attendre. Je ne pouvais m'empêcher de sourire même si la situation était plutôt désespérée à ses yeux. « Tu veux un peu d'aide ou je continue ma route avant que tu me lances ce carton au visage? » Ce qu'elle n'était clairement pas capable de faire, soit. Je n'avais pas pris soin de la vouvoyer vu le ton employé pour me répondre et surtout, je passais mes journées à le faire avec mes clients, c'était bien assez pompeux comme ça. Ma proposition était sincère, vu son état je n'allais pas la laisser se débrouiller seule et - cerise sur le gâteau - ça me permettait de trainer un peu plus avant de rentrer à la maison.

J'étais perdue, seule et abandonnée sur le bord de la route par deux jeunes hommes. Depuis que Nattéo est mort, je n'arrivais plus à m'en sortir. Hafsa était là pour m'épauler, Inès faisait son maximum pour m'aider et je tentais de prendre souvent des nouvelles de mon autre cousine, Nahla, pour ne pas me sentir seule mais cela ne fonctionnait pas. J'étais toujours seule, horriblement seule et je ne voyais plus le bout du tunnel. Cela faisait un mois que j'étais entrée dans un tunnel sombre et la lumière au bout était toujours inexistante. Soufflant, je tentais de me démener avec mes cartons. J'étais sur le point d'hurler, de pleurer et pire, de frapper quelqu'un. Je n'étais pas vulguaire ni violente en temps normal mais là, c'était plus fort que moi et mes mots étaient insignifiants à côté de ce que je ressentais à l'intérieur. « Quoi ? » C'était plus fort que moi, je ne pouvais pas faire comme si de rien n'était. Je n'étais pas d'humeur et le jeune brun qui se trouva en face de moi évita – à peu de chose – de se faire étriper sur le chemin. Et pourtant, il me proposait gentiment son aide. Laissant glisser le carton de mes mains, je souffla légèrement et baissa légèrement la tête. J'avais l'air bien fine maintenant, à l'avoir à moitié agressé alors que le jeune homme ne voulait qu'une chose : m'aider. Je me sentais bête, j'avais l'air d'une pitoyable idiote. Relevant légèrement la tête, je dis « Je ne serais pas contre un peu d'aide... Ces salopards me laissent avec deux lits sur les bras. Au prix des lits, ils pourraient faire un effort, m'enfin... » Une chose était claire et net, ce petit magasin bien chic n'allait pas me revoir de si tôt et je n'allais pas me faire prier pour leur laisser une critique fort peu positive sur leur page internet. Faisant un léger sourire au jeune homme, je dis « J'habite au sixième, avec ascenseur et je pourrais vous aider un peu, si vous voulez. À deux, ce sera beaucoup plus facile » Même si je risquais d'être lente comme pas possible, si je tenais un peu le carton à l'opposé du jeune homme, ce serait plus facile pour lui et puis, je lui devais bien ça. Je ne connaissais rien du jeune homme et pourtant, il m'inspirait confiance, chose plutôt extraordinaire quand on savait que je me méfiais de tout et de tous. Le laissant attraper un carton, je poussa l'autre dans le hall d'entrée et attrapa l'autre carton pour le mettre dans l'ascenseur avec le jeune homme. Appuyant sur le bouton 'six' de l'ascenseur, je souffla légèrement. « C'est très gentil de votre part en tout cas. Je m'appelle thaïs et vous êtes, enfin tu es.. ? » J'avais toujours du mal à tutoyer les gens, trop l'habitude de vouvoyer mais je devais faire un effort – et rapidement – parce que s'il avait du temps devant lui, je risquais même d'user de sa gentillesse et de sa bonté et de lui demander de monter les lits. Je n'aimais pas être seule, encore moins grosse comme une baleine. Ouvrant l'appartement, je laissa le jeune homme y pénétrer et demanda « Vous voulez que je vous aide à aller chercher l'autre ou ça ira ? Vous voulez boire quelque chose ? Une bière, un soda ? » La politesse était un art que j'avais appris il y a bien longtemps et que je devais pratiquer coûte que coûte, surtout en de telles circonstances. Un homme serviable, ça ne court plus les rues de nos jours...

J'avais vu la scène au complet du coin de la rue, attendant sagement de voir si ces gars allaient vraiment la planter là, enceinte jusqu'aux yeux avec ces deux énormes cartons. Ok, ils n'étaient sans doute pas payer pour le faire, mais qu'est ce que ça leur coutait de l'aider, alors qu'à deux en une minute, les lits se seraient retrouvé à l'étage? Rien. Le monde était juste fait comme cela à présent, plus personne ne se souciait des autres. « A mon avis, ils espéraient te voir accoucher sur place. » Je lui adressais un clin d'oeil, tentant de rendre la situation un peu plus sympathique qu'elle en l'était en réalité. Je regrettais presque d'avoir proposer mon aide lorsqu'elle me précisait l'étage, mais par chance elle disposait d'un ascenseur qui allait nous sauver la vie à tous les deux. « Je peux le faire seul, évite d'aller te faire du mal pour rien... » Son coup de main n'était en fait pas de refus car bien que léger, les cartons étaient encombrants et donc difficile à magner, mais je ne tenais franchement pas à ce qu'elle prenne des risques inutiles. Elle m'aidait finalement à le pousser et ensuite à me diriger vers l'appartement. « Enchanté Thaïs. Roméo. » Je lui tendais la main sur le côté d'un carton, souriant puisque je ne pouvais même pas voir le visage de la jeune femme à cause de ce dernier. Enfin, je sortais de l'ascenseur pour trainer le lit dans l'appartement, lit qui passait d'ailleurs difficilement la porte pour ma plus grande joie. « Je veux bien que tu me tutoies... sauf si ça te gêne bien sur. Et sinon, je ne dis pas non à un soda pendant que je vais chercher l'autre, ça ira. » Je lui adressais un sourire avant de m'engouffrer à nouveau dans l'ascenseur pour faire le chemin inverse et récupérer le second lit. Je ne m'invitais généralement pas chez les inconnus mais après avoir trainer ces deux cartons, je serais bien content d'avoir de quoi me désaltérer. De retour dans l'appartement, j'observais les deux cartons au milieu du salon, connaissant suffisamment les femmes pour savoir que si je partais maintenant, elle s'arrangerait pour les trainer ailleurs d'elle-même. « Je les dépose ou ? » Après tout, je n'étais plus à une minute près. Je trainais les objets dans la pièce qu'elle m'indiquait avant de revenir au salon sans trop savoir quoi ajouter puisque j'ignorais tout d'elle. « Tu as quelqu'un pour te les monter? » Ma vraie question était de savoir pourquoi le père des bébés en question n'était pas là pour l'aider, mais il pouvait tout simplement se trouver au boulot et si c'était le cas, il serait là ce soir pour se battre avec les plans. Histoire d'être certain de ne pas poser de questions fâcheuses, je m'assurais juste qu'elle n'allait pas jouer elle même à Bob le bricoleur car monter les lits demandait à coup sur de se plier dans tous les sens, ce qu'elle ne pouvait clairement pas faire. Trop bien élevé ou juste tout à fait normal, je m’imaginais assez mal la planter si personne ne pouvait l'aider, alors que je venais de critiquer les deux gars qui avaient fait pareil quelques minutes plus tôt. Je n’irais pas jusqu'à dire que j’espérais devoir le faire, j'étais loin d'être expert, mais c'était évidemment des minutes de gagnées loin de la maison. Entre Inès, Nahla et Xinthia, c'était le dernier endroit où j'avais envie d'être en ce moment, surtout que ma petite amie ignorait la moitié des choses qui me tracassaient pour l'instant et pensait que tout venait d'elle. Elle m'avait trompé et si elle se sentait coupable, je n'allais pas chercher à l'aider à se sentir mieux; égoïste ou non.

Ces derniers jours, j'étais de plus en plus sur les nerfs. Découvrir que Chris Callan McKay était mon cousin me mettait en rogne. J'étais persuadée qu'il y était pour quelque chose dans la mort de Sarah et je ne changerais pas d'avis avant la preuve du contraire. L'Etat de New York prônait la présomption d'innocence mais, dans ce cas, je n'étais franchement pas de cet avis. J'avais perdu l'une de mes amie les plus proches puis mon mari et ma cousine. C'était trop, beaucoup trop pour une seule personne en si peu de temps. J'étais au bord de craquer et ce qui venait de se passer n'arrangeait rien. J'étais sur les nerfs et j'avais plus que des envies de meurtre. Seulement, un jeune homme vint à mon aide tel un sauveur et je dus avouer que j'appréciais pas mal cela même si je ne l'avais pas montré tout de suite. J'étais animée d'une telle colère que j'aurais pu être un tyran avec lui mais ce n'était pas le cas, il ne le méritait pas. Souriant à sa remarque, je dis « J'ai assez de problème comme ça pour mettre au monde des prématurés si vous voulez mon avis » Il se fichait sûrement totalement de ma vie mais ce n'était pas grave. J'avais l'air d'une femme enceinte de huit mois et demi alors que je n'étais enceinte que de six mois, mais de jumeaux. Mon ventre était déformée au possible, sans parler de ma poitrine et de mes cuisses. Je détestais être enceinte, ne pouvoir rentrer dans aucune de mes robes mais c'était ainsi, encore pour quelques nombreuses semaines. Il fallait que je m'y fasse, avant d'avoir les jumelles, deux dernières enfants que je comptais avoir. Cinq enfants à charge pour une mère célibataire, c'était bien assez ! Souriant au jeune homme, je ne releva pas plus que cela sa réplique. Je ne devais pas me faire de mal mais je n'étais plus à un effort près. Je faisais tout toute seule maintenant... Ecoutant son prénom, l'éternel blague sur Roméo et Juliette me titilla les lèvres mais on lui avait sûrement trop fais pour que je me lance sur cette pente. Surtout que son nom me disait quelque chose. L'une de mes cousine, Inès, m'avait parlé d'un certain Roméo, un vétérinaire avec qui elle travaillait depuis quelques temps et avec qui elle s'entendait parfaitement ! Sans compter qu'elle m'avait dis qu'il était plutôt mignon et je ne pouvais pas le nier. « De même » lançais-je, léger sourire aux lèvres tout en serrant sa main. Pousser le carton n'était pas la chose la plus difficile qui soit mais j'avais pourtant l'impression de monter le mont everest à mains nus. Moi qui était si sportive en temps normal, s'en était totalement déprimant. Une chose était claire et nette, le jeune homme était vraiment sociable et vraiment gentil, chose qui changeait de toute la populace new yorkaise que j'avais rencontré ces derniers jours. J'étais tombée sur tout mais plus souvent sur des personnes mal polies et imbues de leur personne que des personnes comme Roméo, qui semblait avoir le cœur sur la main. C'était peut être son métier qui faisait cela... Il avait l'habitude de s'occuper des gens, de les ménager pendant que Médor et Félix étaient sur leur table. « Tutoyons nous, j'aurai moins l'impression d'être une grand mère » Et pourtant je n'avais que vingt huit petites années. Ce n'était pas très vieux mais pas tout jeune non plus. J'étais plus proche de mes cinquante ans que de mes un an et cela me glaçait le sang rien qu'à y penser. Servant deux verres de soda, j'attendis un peu que le jeune homme revienne et ferma la porte derrière lui. J'habitais dans un quartier riche et plutôt protégée de New York mais tout de même. Je lui indiqua le lieu où les déposer et me posa à table, attrapant un paquet de gateau histoire de grignoter. Je devais manger pour trois maintenant. « Tu as quelqu'un pour te les monter ? » Paquet de petits beurres salés en main, je referma ma main sur le paquet, écrasant sûrement quelques gâteaux au passage. Relâchant la pression que j'exerçais sur les biscuits, je sentis le regard du jeune homme sur moi et dis « Non, personne mais je pourrais me débrouiller ou appeler mon meilleur ami. J'ai déjà monté trois lits, ça devrait le faire » lançais-je, ironiquement. J'avais monté le lit de Logan avant sa naissance – avec l'aide de Nattéo – et ceux de Cara et Sasha il y a un petit mois de cela. Seulement, il y a encore un mois je n'avais pas ce ventre, le déni de grossesse était désormais bien loin derrière moi et en un mois j'avais pris une dizaine de kilos. « A votre santé et merci beaucoup pour l'aide » Je lui fis un léger sourire et bus une gorgée de soda et croqua dans un gâteau, ou plutôt une miette de gâteau. Qu'est-ce que j'avais l'air pitoyable... Help, I need some help.