La famille n'avait jamais été quelque chose d'important pour moi. À l'époque, ma famille se réduisait à mes parents et basta. J'avais passé de nombreuses années à martyriser Esmeralda, ma cousine et n'avais jamais cherché à me faire apprécier du reste de la famille. Seulement, depuis que j'avais rencontré Nattéo il y a quelques années de cela, tout avait changé. J'essayais de retrouver ma famille, de me lier avec elle même si ce n'était pas tous les jours faciles. Nous étions tous des inconnus les uns pour les autres et nous étions trop vieux pour tenter de se lier. Seulement aujourd'hui, j'avais décidé de me sociabiliser un peu avec mon cousin, Chris. Nahla ne m'avait pas vraiment parlé de lui, juste qu'il traversait une période plutôt difficile depuis peu et que c'était un amour. Je l'avais cru sur parole, un peu trop naïve et émotive depuis début septembre. De plus, s'il traversait une douloureuse épreuve, peut être que nous pourrions nous soutenir... Attendant son arrivée, je tentais d'occuper les enfants qui voulaient mettre les pieds à l'eau – bien qu'il ne faisait pas très chaud – et jouer avec le sable. C'était tellement difficile et éprouvant d'occuper un petit groupe comme ça, tous les jours et même la nuit. Voyant un jeune homme arriver, j'espérais que c'était Chris mais lorsque je reconnus Callan, je déchanta rapidement. Je n'aimais pas vraiment que les gens soient en retard – et je n'avais pas que cela à faire de ma journée – mais je n'avais plus le choix maintenant. Si je partais et laissais en plan mon cousin, cela ne serait pas forcément très agréable pour lui et les relations familiales risquaient d'être tendues... Recevant un message, j'arquais un sourcil en le lisant. Nous n'étions que deux sur la place de Midland et cela voulait donc dire que le jeune homme que je ne portais pas dans mon cœur était bel et bien mon cousin. Déglutinant difficilement, je me dirigea vers lui et fis une mine déconfite lorsqu'il acquiesça mes dires. Il était bien le frère de Nahla – soit mon cousin – et l'homme que j'avais envie d'étriper de mes propres mains. J'étais toujours persuadée que si Sarah était morte c'était de sa faute et uniquement de sa faute, bien que la police ait conclu l'affaire par un non lieu. Pestant intérieurement, je le regarda et dis « C'est ça et voici Cara, Logan et Sasha » Les trois enfants lui firent un signe de main et Logan ne put s'empêcher de dire « Ouaa trop cool ! Il est musclé tonton ! » ce qui me fit légèrement rire. En temps normal, j'aurai sûrement éclaté de rire mais là, je n'étais vraiment pas prête à rire ou quoi que ce soit. Me dirigeant vers un café, je posa mes fesses sur une chaise, suivie de près par le jeune africain. Posant mes mains sur la table, je dis « Je ne change pas d'avis à ton sujet, qu'on soit clair, mais j'ai promis à mon mari, avant qu'il ne meurt, que je ferais mon maximum pour me lier avec ma famille, au moins pour les enfants et c'est ce que je compte faire » Je posais les bases rapidement pour ne pas me faire couper l'herbe sous le pied. Sortant les biberons des trois enfants – un grenadine pour Cara, un menthe pour Logan et un à l'orange par Sasha – je me tourna vers le serveur et commanda un cappuccino. Reportant mon attention sur le jeune McKay, je dis « Sinon... Comment vas-tu depuis la mort de Sarah ? » Sûrement mal, même très mal et je ne pouvais que le comprendre. Seulement, je n'étais vraiment pas prête à copiner avec le jeune homme. Sarah était ma meilleure amie et elle me manquait énormément, plus que tout, surtout depuis la mort de Nattéo et depuis que j'avais eu la garde de Cara et Sasha, les fillettes d'Esmeralda avec qui je m'étais réconciliée, grâce à Nattéo d'ailleurs.

Pendant de nombreuses années, j'avais cru qu'Esmeralda était la seule famille que j'avais sur terre et j'avais longuement regretté tout le mal que je lui avais fais. Plus jeune, j'avais été un monstre, une folle furieuse et avais détruit pas mal de vies et de réputations. Tout le monde me connaissait à Seattle ou à New York comme une jeune femme sans pitié, une droguée et alcoolique qui abusait de sa force de caractère pour faire régner le mal. J'avais honte de mon passé, de ma méchanceté passée et je comptais bien changer un peu plus encore. Depuis que j'avais rencontré Nattéo il y a quelques années de cela, ma vie avait pris un tournant bien plus sain et je devais continuer sur cette voix même si la méchanceté et le renfermement était plus que tentant... Après tout, lors de mes années lycées, j'étais populaire, tout le monde me respectait et j'étais adulée, chose qui n'était plus le cas maintenant. Maintenant, dès que l'on me regardait, c'était pour me plaindre, pour me prendre en pitié et vouloir m'aider dans l'épreuve que je traversais. L'aide était agréable mais je ne voulais plus de soutien, j'avais besoin d'un peu de force pour me bouger les fesses et ne surtout pas me laisser périr au fond de mon lit. Aaron était là pour cela, Javier aussi et je ne pouvais que les remercier. « On fait aller » Faisant une petite moue, je glissa mes yeux sur les enfants qui gigotaient pour sortir de la poussette et gambader sur la terrasse, voire dans le sable. Les mots du jeune africain résonnaient dans ma tête. On fait aller. Cela faisait plus d'un mois que je faisais aller avec la mort de Nattéo et j'espérais plus que tout que la douleur que je ressentais aller passer mais en voyant le visage sombre de Chris, j'en doutais. Il avait perdu la femme qu'il aimait depuis bien plus de temps que j'avais perdu mon mari et cela l'affectait encore. Après tout, je vivrais toujours en mémoire de Nattéo. Il y avait Logan pour me rappeler tout cela et les deux petites filles qui étaient encore sagement dans mon ventre. Je sentis d'ailleurs une des jumelle me donner un léger coup dans le ventre, petite douleur qui me fit sourire. J'avais longtemps eu peur qu'elles aient un problème à cause de mon stress, de mon côté assez sombre mais elles allaient bien et c'était tout ce qui comptait. Levant la tête vers mon cousin – j'avais bien du mal à me dire que j'étais famille avec le jeune homme – je dis « Nahla ne t'a pas forcé à venir rassure moi ? » Question banale mais je ne connaissais pas vraiment la jeune femme ni sa force de persuasion alors partant de là.. croisant mes mains sur la table, un léger rictus se dessina à nouveau sur mes lèvres et je dis « Je sais bien que je ne suis pas forcément la femme la plus agréable avec qui discuter, surtout vu notre passé commun on va dire, mais je veux vraiment faire des efforts... Seulement, ne m'en veut pas si je suis un peu curieuse, j'ai besoin de réponses, j'ai besoin de faire mon deuil, une nouvelle fois » Il y avait eu trop de décès à trop peu de temps d'écart, j'en étais encore toute retournée...

Entendant le jeune homme dire que sa jumelle avait bien insisté pour me rencontrer ne m'étonnait guère. Je ne connaissais pas vraiment Nahla mais j'avais vite cerné son caractère. J'avais vite compris que la jeune femme était quelqu'un qui aimait avoir ce qu'elle voulait et ça, c'était de famille, il n'y avait aucun doute là dessus. J'avais aussi rapidement remarqué que la jeune femme était assez mystérieuse et elle devait cacher un gros secret mais, là dessus aussi, il en était de même à mon sujet. Depuis que Nattéo était décédé, j'avais du coopérer avec la CIA et ce n'était pas tous les jours faciles... Je leur en voulais de ne pas avoir mieux aidé et protégé Nattéo mais maintenant, ma priorité était la protection des enfants, ce qui me forçait à limiter mon cercle d'ami. Je devais limiter les nouvelles connaissances mais quand il s'agissait de famille, je faisais une entorse au règlement. Souriant je dis, « Elle a l'air plutôt tenace mais ça, c'est de famille je crois. Esmeralda était comme ça et je suis comme ça aussi. Quand je veux quelque chose, je l'obtiens d'une manière ou d'une autre » Et cela m'avait apporté bien des ennuis il y a quelques temps. Mes années lycées et de facultés avaient été plus que noircies par ce comportement parfois enfantin. Personne ne refusait rien à la blonde sulfureuse que j'étais à l'époque. Aujourd'hui, tout était différent, je prenais les choses un peu moins directement mais je détestais rester dans le noir, dans le sombre et ne pas avoir toutes les cartes en main. Il ne fallait pas se voiler la face, j'avais toujours l'impression – et l'intuition – que Chris y était pour quelque chose dans la mort de Sarah mais je tentais de ne pas trop y penser. Chercher des réponses n'était pas toujours la chose à faire et je n'étais pas trois fois sûre que l'entendre avouer sa culpabilité dans cette histoire allait changer quelque chose. J'allais lui en vouloir, énormément, l'insulter, le traîner dans la boue mais, à la fin de la journée, il était mon cousin et les liens familiaux étaient plus qu'importants à mes yeux. La culpabilité devait le ronger comme elle me rongeait en ce qui concernait le décès de mon mari et de ma cousine. L'entendant parler quelque peu sèchement, j'arquais un sourcil, me demandant ce qu'il se passait en ce moment même. Quelques minutes auparavant il semblait plus ou moins détendu et là, il était sur la défensive. Avec le temps, j'avais appris à savoir quand les gens mentaient et il était plus que clair qu'il me cachait quelque chose mais quoi ? Je n'en savais rien. Soufflant, je leva les yeux au ciel et sortis Sasha et Logan de la poussette. Autant dire que la discussion risquait de vite s'enflammer et je ne voulais pas qu'ils soient témoins de ça. Une fois détachée, les trois enfants – Cara était à leur côté – partirent en direction de la plage à un mètre ou deux de notre table. Levant les yeux vers lui, je dis « Tu veux tourner la page ? On ne tourne pas la page avec une chose aussi grave, on vit avec. La dernière chose que tu veux est de parler d'elle, c'est ton choix mais me parler sur ce ton est un peu fort quand même. Tu as perdu une personne qui t'étais cher ces derniers mois, j'en ai perdu trois, je me suis retrouvée sans ma meilleure amie, sans mon mari et ma cousine. Alors franchement Chris, réfléchis à ce que tu dis avant de parler ou alors baisse d'un ton avec moi par pitié. Parce que niveau décès et deuil, je te bats à plat de couture » Et ça, c'était peu dire. Il avait perdu une petite amie, j'avais perdu un mari et père de mon fils. La douleur n'était certes pas comparable mais je n'appréciais guère ce ton. Buvant mon verre d'une traite, je posa mes mains sur mon ventre rond et dis « Tu as beaucoup perdu mais j'ai aussi beaucoup perdu et je pensais que, justement, étant donné qu'on partage la même douleur, ce serait plus facile. Mais il semblerait que je me sois trompée sur toute la ligne » A deux, on aurait été plus fort pour remonter la pente mais là, c'était peine perdue. Je laissais glisser mon regard sur les trois petites têtes blondes qui jouaient dans le sable. C'était eux trois ma force.