Keith et Alexandra

Mercredi 9 janvier.
J’étais rentrée du boulot tard ce soir, ma petite montre indiquait vingt heure trente passée. Cela faisait longtemps que je n’étais pas sortie faire des choses à l’air libre. Ma journée s’organisait d’une manière monotone dont je commençais à me lasser. C’était un peu cette célèbre phrase « métro, boulot, dodo » sauf que je ne prenais pas le métro, je préférais prendre mon vélo pour aller au travail. Enfin, c’était surtout que je n’avais pas le choix. J’aurais pu rentrer plus tôt, mais j’adorais mon travail et je n’arrivais pas à m’arrêter même quand je savais que j’allais rentrer trop tard pour pouvoir faire les courses et que je serais obligée de commander une de ces pizzas dégoûtantes du magasin à côté de chez moi.
J’insérais la clef dans la serrure et tournais un bon coup. Je rentrais mon vélo dans le hangar prévu à cet effet et montais l’escalier pour accéder à mon appartement. Mon portable vibra dans ma poche, je ne le remarquais pas souvent mais comme je portais un jean, le téléphone était plaqué contre ma jambe et je le sentis. « Allô ? » dis-je d’un ton blasé. « Oui, allô Alexandra, c’est papa. » je levais les yeux au ciel et m’éclaircissait la voix avant de répondre. « Ah, salut Papa. » je n’aimais pas discuter avec mon père en règle général, je ne paraissais donc jamais très aimable quand il appelait. « Alex, tu te souviens de la famille O’Neil ? » cette question me fit tout de suite comprendre que mon père allait me demander quelque chose que je n’aimais pas faire. Je soupirais. « Ça dépend, tu veux que je te fasse plaisir ou que je sois franche ? » je l’entendis grogner à l’autre bout de la ligne. « Alexandraaaaa... » gémit-il, exaspéré. « Papaaaaa... » répétais-je en l’imitant. Il y eu un long blanc. « Non, je ne m’en souviens pas. » je l’entendis grogner une nouvelle fois. « Alexandra tu es... » je le coupais directement. « ...énervante ? Exaspérante ? Désespérante ? Ecoute, Papa, je rentre du boulot, je suis fatiguée et j’aimerai aller prendre une douche alors plutôt que de me poser des questions débiles tu pourrais en venir au fait ? » m’exclamais-je. Il souffla avec un agacement nullement caché. « Bon, ta mère et moi avions un couple d’amis. » je levais une nouvelle fois les yeux au ciel. Ils avaient des amis, tant mieux, je ne voyais pas en quoi cela me concernait. « Mais ils sont morts. Mais ils avaient un fils, Keith. Et j’aimerai l’inviter à dîner vendredi soir. » Ce prénom raisonna pendant de longues minutes dans ma tête, puis je me souvins. C’était un garçon que je connaissais depuis assez longtemps mais que de vue. On se connaissait depuis qu’on devait avoir onze ans, pas plus. Ça faisait une éternité que je ne lui avais pas parlée. « C’est bien que tu dînes avec le fils de tes anciens amis, mais en quoi ça me concerne, moi ? » dis-je alors que je savais parfaitement où il voulait en venir. « Je voudrais que tu viennes aussi. »

Vendredi 11 janvier.
Je ne comprenais pas pourquoi j’avais accepté, j’avais dû avoir une poussée de bonté ou que sais-je. Toujours était-il que je me trouvais à dix-neuf heures tapantes chez mon père pour l’aider à préparer le dîner et faire une jolie table. Finalement, l’idée de le revoir ne me gênait pas tant que ça, c’était surtout que mon père soit là qui m’énervait un peu. Il m’avait supplié de me mettre sur mon trente et un et finalement j’avais accepté de me faire jolie pour ce dîner. J’avais fais un chignon avec mes cheveux bruns mais en laissant des mèches tomber vers l’avant pour faire naturel, puis j’avais revêtu une robe qui m’arrivait au dessus des genoux. Je m’étais très légèrement maquillée après que mon père me l’a supplié puis j’avais commencé à mettre la table. Comme toujours, j’allais être timide et cette timidité maladive allait me faire bégayer, bafouiller et rougir dès que je dirais un mot. J’y songeais en posant trois assiettes sur la table puis des couverts de chaque côté. Mon père avait un costume avec une cravate et il s’était rasé. Nous finissions de préparer la table quand on sonna à la porte. Mon père se précipita pour aller ouvrir pendant que je finissais je plier les serviettes et de les poser. J’entendis que mon père saluait Keith puis je les rejoignis. J’étais un peu gênée de me balader en robe et en talons pour un simple dîner, mais quand on un père aussi têtu on doit parfois faire des choses qu’on en ferait pas en règle générale. Je m’approchais du garçon qui se tenait debout dans l’entrée. Il était beaucoup plus grand que dans mes souvenirs (en même temps nous ne nous étions pas vu depuis ou moins cinq ans) et il avait beaucoup changé. Je m’approchais maladroitement de lui. « Bonjour. » dis-je. Puis je me levais sur la pointe des pieds pour pouvoir lui faire la bise. Mon père le fit entrer et il l’invita à s’asseoir sur le canapé dans le salon. Je m’assis avec lui. Puis mon père s’éclipsa pour aller surveiller la cuisson du plat principal et nous restâmes à deux. J’essayais d’entamer la conversation d’une petite voix mal assurée. « Alors euh... comment tu vas ? » je commençais à tortiller nerveusement une mèche de mes cheveux bruns. « Ton travail, ton appartement tout ça tu... tu t’en sors ? » bafouillais-je.