« Anna si t’es pas prête dans dix secondes je pars sans toi !! » Décidément, Wayne ne comprendrait jamais cette affreuse manie féminine de passer deux heures à se préparer dans la salle de bain pendant que le couillon de cavalier attend et attend encore. En l’occurrence, il avait eut la mauvaise idée de trouver intelligent d’emmener Anna à une soirée de gala auquel il avait été invité. M’enfin il se voyait mal inviter la première venue, au même titre qu’il se voyait très mal s’y rendre seul, tout beau qu’il était dans son magnifique costume sur mesure. Wayne avait plaqué ses cheveux en arrière, et pourtant, il n’arrêtait pas de les tripoter nerveusement jusqu’à ce que sa jumelle, absolument magnifique du reste, ne l’honore enfin de sa présence. Anna était encore faible, mais la sortir des quatre murs de l’hôpital ne pouvait que lui faire le plus grand bien. Après tout, le neurochirurgien n’avait de cesse de lui proposer d’améliorer son moral de toutes les façons possibles et imaginables… en l’occurrence, faire un pas dans le grand monde au bras de son frère si adulé dans le monde médical n’était pas idiot. La preuve, elle fut comme un véritable poisson dans l’eau dès lors qu’ils eurent posé un pied à l’intérieur de la salle de réception, une fois que le carton d’invitation de Wayne fut inspecté à l’entrée comme de coutume. Anna regardait tout le monde avec intérêt, n’oubliant pas de gratifier son jumeau de ses habituels commentaires inimitables, et n’hésita pas à commander un jus d’orange afin de se désaltérer dès lors qu’il eut le malheur de la lâcher ne serait-ce qu’une seconde. Quel électron libre celle-ci, pas moyen de la tenir en place une minute ! « Si tu veux éviter que je ne devienne cardiaque, il vaudrait mieux que je ne passe pas ma soirée à te chercher, sœurette ! » s’exclama-t-il alors qu’il reprenait déjà son bras, armé de toute la délicatesse dont il était capable. Mais Anna se moqua gentiment de son côté surprotecteur, bien évidemment, et eut tôt fait d’essayer de se faire pardonner en tentant, malicieusement, de l’emmener sur la piste de danse. Diantre, elle n’allait vraiment rien lui épargner, pas même ce haut ridicule… catastrophe assurée !

« Elle n’est pas née celle qui va me pousser sur cette foutue piste, c’est moi qui te le dis ! » « Et si je montre des photos de quand on était p’tits à l’organisateur de la fiesta, hum ? » « T’as intérêt à ce que ce soit la dernière danse. » Anna avait de nombreux moyens de pression sur Wayne, mais son jumeau avait beaucoup de mal à lui refuser quoi que ce soit en temps normal. Il esquissa donc un rire qu’il partagea avec elle avant d’occuper la piste de leur prestance purement magique. Les deux jumeaux attirèrent les regards de bon nombre d’invités, lors d’une valse qu’ils semblaient avoir répétée durant des semaines. Ah, s’ils savaient ! Les jumeaux Swarovski ne préparaient jamais rien, ils faisaient tout au feeling. Du moins était-ce vrai en dehors du boulot de Wayne… le pire, c’est qu’il goûta à ce moment avec Anna, surtout maintenant qu’il la sentait profiter réellement de la soirée en mettant de côté l’atrocité de sa maladie. Ils quittèrent donc la piste en riant aux éclats de leur propre performance, jusqu’à ce qu’Anna ne bouscule par inadvertance un vieux chnoque et ne renverse ainsi la flûte de champagne qu’il tenait en main sur son costume. Bien évidemment, l’américaine eut tôt fait de s’excuser, mais ce vieux ponte, aussi désagréable que manifestement riche, ne le voyait pas de cet œil… « A moins que vous ne soyez sourd, la demoiselle s’est excusée. Ce qui est effrayant, ce n’est donc pas votre costume hors de prix taché, mais plutôt vos manières, l’ami. » Wayne l’avait chopé par le col dès lors que celui-ci ait cherché à s’emparer du bras de sa jumelle, mais non pas en vue de lui foutre son poing de la tronche, risquant ainsi d’abîmer ses précieuses mains… il l’éloigna simplement, n’ayant pas encore remarqué que l’accompagnatrice de celui-ci ne lui était pas inconnu. D’autant que le vieux s’éloigna sans l’emmener avec lui ! « Le grand doc se rebelle, énorme ! » « Franchement, t’as le chic pour pourrir les richards, aussi ! » Voir Wayne aussi décontracté était rare, surtout alors qu’il avait eu un air particulièrement menaçant il n’y avait pas trente seconde… mais cela lui permit d’échanger un contact visuel avec la fameuse jeune femme qu’il n’avait pas remarquée jusqu’ici. « Tiens ! Le monde est petit, semble-t-il » énonça-t-il en reprenant une sorte de masque de distance qui surprit énormément sa jumelle, peu habituée à ce genre de réaction chez son frère.

Wayne avait repris son masque de glace, sa flûte vide en main, ne prenant même pas la peine de rendre le sourire dont le gratifiait pourtant Riley. Le regard d’Anna passait de la demoiselle à son frère sans comprendre, avant qu’une large expression amusée ne prenne bientôt possession de ses traits de porcelaine. A ses yeux, il s’agissait d’un jeu, ou plutôt d’un genre que son jumeau se donnait afin de ne surtout pas laisser entrevoir un trouble quelconque, ou bien, à l’inverse, un quelconque sentiment négatif dont lui-même n’aurait pas forcément identifié l’origine. Mais s’il croyait que sa sœur bien aimée allait rester sagement en retrait en leur laissant se « battre » à coups de regards, il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate. Elle esquissa un léger sourire avant de serrer la main de Riley avec enthousiasme. Puisque Wayne était en mode goujat à ne pas vouloir faire les présentations, elle allait s’en occuper comme une grande. « Bonsoir ! Ravie de faire votre connaissance, je m’appelle Anna. J’imagine que vous avez dû rencontrer Wayne alors qu’il était en mode « blouse blanche et scalpel », par conséquent il est persuadé qu’il doit garder une belle distance avec vous, sait-on jamais. Franchement, dans le genre, tu pourrais te décoincer Waynou, ça grince presque quand tu marches !! » Et voilà, une fois lancée, impossible de l’arrêter. Le neurochirurgien soupira, ne s’empêcha pas de lever les yeux au ciel avant d’esquisser à son tour un très léger sourire, preuve qu’il n’était rien qu’il ne puisse pardonner à sa jumelle. Sauf qu’aucun des deux n’avait spécifié qu’ils étaient frères et sœurs. Cela ne se voyait pas à moins d’y regarder de très près, leurs différences de caractère ôtant tout côté évident à la chose. Anna était l’enthousiasme, le côté enfantin ainsi que l’innocence personnifiée. Elle allait au devant des gens en leur serrant la main vigoureusement, leur souriait même si elle ne devait plus les revoir par la suite et prenait absolument tout du bon côté… quant à Wayne, il était la rigueur du médecin dans toute sa splendeur, bourru, en retrait, l’intelligence silencieuse qui ne se mêle pas à la plèbe à moins d’être armé de sa sempiternelle blouse ainsi que de son calot chirurgical porte bonheur. Ils étaient l’opposé de l’autre… et de fait complémentaire. « Je suis ravie de faire votre connaissance en tout cas. Mais je vais laisser à cette grande gigue l’opportunité de se dérider en votre compagnie pendant que je vais chercher à boire… entendu ? » De toute manière, Anna avait cette fichue manie de faire les questions et les réponses : impossible d’en placer une lorsqu’elle était lancée.

Wayne la regarda s’éloigner de façon impassible, sans souffler mot, ne reportant son attention sur Riley que par la suite : après tout, malgré les apparences, sa jumelle restait gravement malade. La quitter des yeux relèverait de l’inconscience. « Navré pour son monologue mais j’ai beaucoup de mal à la contenir une fois qu’elle a une idée en tête… bref. Je doute que vous soyez là pour la vente caritative aussi je suggère que vous soyez là pour vous délecter de la fête et du champagne, je me trompe ? » Il n’avait aucune intention de lui sortir son discours incompréhensible de médecin : elle n’était plus sa patiente et dès le retour de sa sœur, il comptait bien s’éloigner de cette fille avec un plaisir à peine dissimulé.

« Oh oui, vous êtes les serviettes et utilisez votre précieux fric pour soulager votre belle conscience… charmant. Je me contenterais de ma condition de « torchon » comme vous dites si agréablement. » S’il y avait bien une chose que Wayne détestait au plus haut point sur cette bonne planète, c’était la vantardise. Sous le fallacieux prétexte que l’on a un compte en banque bien garni et un costume hors de prix, on peut tout se permettre et se croire tel Dieu le père ? Et puis quoi encore ! Certes, le jeune homme ne venait pas d’une famille de miséreux et gagnait très bien sa vie, mais il s’était battu pour cela. Il dévouait toute sa personne à autrui, chose que cet abject personnage ou même cette fille qu’il ne connaissait que très peu ne faisaient pas. Mais à vrai dire, la réaction de Wayne fut contrôlée et même polie face à celle d’Anna, toujours plus sanguine et impétueuse qu’il ne le serait jamais : la demoiselle avait littéralement bondi, deux verres à la main, afin d’incendier l’accompagnateur de Riley, qu’elle fusillait du regard comme s’il n’était rien d’autre qu’un petit garçon méritant une fessée. « Vous avez de la chance que j’ai les mains prises, sans quoi je vous aurais cassé la tronche pour avoir osé l’insulter !! Non mais vous vous croyez où, avec votre costume hors de prix et vos manières ?! Vieux chnoque !! Wayne est mille fois supérieur à vous, vous n’êtes qu’une petite merde qui se prend pour une grosse !! Une caillasse dans ma chaussure !! » Anna finissait par hurler et ça ce n’était pas l’idéal. Mais le pire, c’est que l’accompagnateur de Riley avait relâché son bras pour s’avancer vers la jumelle Swarovski d’un air menaçant. Le neurochirurgien ne sut pas exactement s’il avait levé la main pour la menacer simplement ou bien passer à l’acte, mais toujours est-il que Wayne fut plus rapide, agrippant son bras pour mieux le lui coincer douloureusement dans le dos. Torchon peut-être, mais habile et point mauvais connaisseur de certaines techniques de défense. En somme, il était parfaitement complémentaire avec Anna, qui avait la morgue verbale tandis qu’il savait très bien foncer dans le tas de façon nette et efficace lorsque la nécessité se faisait sentir. « Je suis peut-être un torchon mais qui connait pas mal le corps humain et pourrait donc vous casser le bras sans aucun scrupule si vous vous avisez de la toucher. Je vais même me faire mieux comprendre que cela : regardez-là de travers et je vous refais le portrait façon Picasso période déstructurée avec mon bistouri, vu ? »

Wayne relâcha le bras manifestement douloureux de cet impudent qui demeura près de Riley comme le pauvre lâche qu’il était. Quant à Anna… elle était à la limite de l’hilarité. « N’oublie pas, tu m’aimes hein ? » « Naaaan. Je t’adore, nuance. » Le jeune homme lui embrassa délicatement le front tandis qu’elle l’emmenait sur la piste de danse afin de calmer habilement les nerfs de son frère. Et pour le coup, elle parvint à le faire rire aux éclats en deux minutes, chose pourtant rare. Quant à l’accompagnateur de la jolie blonde, il marmonnait dans sa barbe des paroles incompréhensibles, regardant les deux jumeaux Swarovski revenir tout près du buffet et le saluer de concert en levant leur verre. « Désolé que vous soyez tombée sur un naze ! » se permit-il histoire de conclure en beauté.

Wayne n’avait jamais été aussi fier d’Anna qu’il ne l’était en cet instant. Notamment car son petit accès de colère semblait lui avoir rendu moral ET couleurs. Dès lors que leur danse toucha à sa fin, ils se mirent à échanger quelques mots avant que la demoiselle ne soit accaparée par un médecin manifestement intéressé par son charme et sa prestance… oh bien sûr, l’américain surveillait ça du coin de l’œil, allant même jusqu’à tendre l’oreille sans pour autant interférer, afin de s’assurer que cet importun ne risquait pas de lui faire du mal. A ceci près qu’il capta également un discours des plus passionnants, se jouant entre celui qu’il avait précédemment mouché et Riley, manifestement furieuse. Certains l’auraient été à moins. D’un œil curieux, Wayne observa la scène de loin, non sans constater le désespoir évident du cavalier de la demoiselle lorsqu’elle le laissa en plan à son tour, avec un brio qu’il aurait été tenté d’applaudir. C’est à ce moment précis que le neurochirurgien se souvint de la réplique qu’elle lui avait envoyée dans les gencives, un peu avant qu’ils ne se séparent de façon toute naturelle… elle avait crut qu’Anna était sa petite amie. Grandissime erreur ! La jeune Swarovski était sublime, drôle, enthousiaste et aurait été capable de rendre le sourire à la personne la plus triste qui soit mais elle restait sa sœur jumelle, celle dont il était responsable et qu’il protègerait de n’importe quel maux s’il le pouvait. Wayne se lança donc à la suite de Riley, sans vraiment savoir pourquoi il souhaitait rétablir soudainement une vérité dont elle devait bien se moquer, mais il parvint néanmoins à se mettre devant elle avant même qu’elle ne se soit réellement dirigée vers la sortie… autant capter son attention alors que la foule s’éloignait d’eux et qu’ils n’étaient donc plus épiés par quelque curieux que ce soit. « Joliment mouché, je dois dire ! Mes félicitations. Ne prenez pas cela comme une attaque ou même comme un discours condescendant car loin de moi cette idée. Je ne tenais simplement pas à ce que vous partiez avec une si piètre image de votre soirée… vous avez fait un don, restez donc profiter un peu de la fête. Aucune loi ne l’interdit, si je ne m’abuse… »

Wayne haussa légèrement les épaules, faisant preuve d’une légèreté qu’il s’interdisait en temps normal. Fallait-il que sa sœur soit d’une humeur proprement féérique pour qu’il ne soit pas tenté de s’enfermer dans son habituelle impassibilité. Comme toujours, elle déteignait sur lui, liée à son karma d’une façon inexplicable, comme pour tout jumeau se respectant. Aimé ou détesté, chaque jumeau est inséparable de l’autre… « Quant à Anna, navré mais vous vous méprenez. Il s’agit de ma sœur jumelle et non d’une compagne. Je pensais que la ressemblance était frappante, vous m’avez prouvé le contraire. Bref… si vous avez l’envie de partager ne serait-ce qu’un verre avec les deux jumeaux Swarovski ou même juste avec moi, vous êtes la bienvenue, Miss Riley. Dans le cas contraire… rentrez bien et soyez prudente. » De façon on ne peut plus théâtrale, Wayne s’inclina avant de tourner les talons et de s’enfoncer à son tour dans la foule en sens inverse. Il ne cherchait pas encore à retrouver sa sœur, qui devait elle aussi se lier avec d’autres personnes… il se rendait plutôt vers le bar afin de se renseigner sur les mets et autres cocktails proposés par celui-ci.

« Un mojito bien corsé s’il vous plaît » énonça-t-il d’une voix ferme une fois que Riley l’eut rejoint. A sa décharge, il avait d’abord voulu savoir si elle aurait le cran de le rejoindre malgré ce début de soirée disons… en dilettante. Il n’aurait pas pu la blâmer si elle avait décidé de rentrer, bien que sa déception ait probablement été au rendez-vous dans ce cas. Il esquissa donc un petit sourire face à sa réplique, toujours prononcée sur ce ton à la fois culotté et qui lui donnait un charme indéniable. Wayne, marié ? Plutôt crever ! Il ne tenait surtout pas à prendre le chemin de son crétin de père, et encore lui faudrait-il rencontrer quelqu’un qui ne l’ennuie pas au bout de dix minutes à tout casser. Le jeune homme avait relativement peu de tolérance envers la race humaine une fois en dehors des murs d’enceinte de l’hôpital… il connaissait bien trop l’autodestruction dont était capable l’être humain et n’avait aucune intention de souffrir en étant écorché par quelqu’un lui étant proche. Au final, la maladie de sa jumelle lui fournissait un prétexte comme un autre pour ne jamais chercher, ne jamais se pencher réellement sur autrui et faire semblant lorsqu’une femme s’intéressait à lui. Être beau, riche, médecin… il n’y avait là que des palliatifs tout à fait appréciables sans pour autant qu’ils soient utiles. Sans oublier qu’il portait le mariage en lui-même en horreur. Mais ça, c’était une autre histoire… « Vous me permettez de ne pas boire mon cocktail viril en solo, je dois probablement vous en remercier alors » énonça-t-il d’une voix non plus moqueuse mais amusée plutôt. Riley n’avait aucune raison d’être dans sa ligne de mire à partir de maintenant. Elle restait une connaissance plus qu’elle n’était une patiente et si l’envie de flinguer sa vie lui passait par l’esprit… alors il ne devait pas s’en sentir responsable. Chacun doit prendre ses responsabilités à un moment donné, sans doute. « Dites-vous qu’un frère ou une sœur est un allié bien meilleur qu’un abruti cherchant à vous faire à tout prix danser la salsa à l’horizontale à la fin de la soirée. On sait à quoi s’en tenir avec sa famille… ce qui n’est pas vrai d’un « étranger », je pense que vous ne me contredirez pas sur ce point. » Pas alors que Riley s’était fait prendre pour la moitié d’une idiote doublée d’un objet de valeur il n’y avait pas dix minutes…

« Marié ? Ah, c’est bien mal me connaître. Je ne suis pas du tout intéressé par cette industrie qui cherche à faire dépenser des millions au contribuable pour une cérémonie fausse et sans valeur. Nul besoin de se passer la bague au doigt et d’avoir mille témoins dans son existence. Je devrais faire attention ou vous allez m’accuser d’être cynique, voire même me balancer votre verre à la tête, je me trompe ? » Wayne esquissa un bref sourire avant de lever son verre face à Riley pour trinquer. Inutile de faire semblant désormais… elle devait préférer ne pas avoir un masque en face d’elle, et lui ne semblait pas avoir grand-chose à perdre ce soir, pas alors que sa sœur était dans les parages. « Au cynisme humain, alors ? »