Une pluie battante. Dawn venait juste de rendre son tablier de façon on ne peut plus violente et sans appel. Oh elle n’avait pas démissionné, cela ne lui correspondrait pas et cela équivaudrait à renoncer au rêve auquel elle s’accrochait pour ne pas sombrer définitivement. Il n’était pas plus de quinze heures, fin du service pour le Bleeker’s. Dawn avait quitté l’établissement après s’être effondrée en larmes dans la grande chambre froide sans possibilité de se calmer. Ce jour là, il n’y avait ni son second ni le nouveau responsable des desserts, pris à sa chocolaterie d’après ce qu’elle avait cru comprendre. Par chance, sa patronne, la responsable du restaurant, l’avait surprise dans cet endroit glacé, la lettre de sa défunte sœur en main, incapable de maîtriser ses sentiments d’ordinaire maintenus soigneusement sous scellés. « Vous allez prendre quelques jours de congés, et ce n’est pas une suggestion, c’est un ordre de votre patronne. » Dawn avait donc dû rendre son tablier et marchait désormais sous une pluie battante, errant comme sans but, une curieuse sensation perçant sa poitrine. Dawn avait l’impression qu’un énorme trou béant se trouvait à l’emplacement de son cœur, douleur inexplicable qu’elle ne parvenait ni à faire taire ni à comprendre. Aujourd’hui, elle n’avait même pas la compagnie de Zoé, sa nièce, pour lui remonter le moral… celle-ci dormait chez une amie et s’y rendait directement après les cours, sous la surveillance de la même de la seconde fille. La jeune femme se sentait comme seule au monde, au moins au point de prendre un taxi et de se rendre dans le Queens, endroit où elle ne mettait jamais les pieds d’ordinaire, en lisant et relisant l’une des lettres que son admirateur secret avait laissé sur le pas de sa porte. Un bref sourire, le premier de la journée, pointa le bout de son nez alors qu’elle était trempée jusqu’aux os et laissait apparaître une fragilité ne lui ressemblant en aucune manière. Le conducteur alla même jusqu’à lui demander si tout allait bien, chose à laquelle elle répondit froidement : « conduisez-moi à bon port et j’irais bien. » Son manque d’amabilité ne pouvait hélas lui être reproché… Dawn payait le prix fort pour ne pas réussir à faire son deuil.

Wonka’s Chocolate. Seul endroit dans le Queens où elle avait mis les pieds un jour. Tout lui plaisait dans cette boutique, elle respirait la joie de vivre, une foule de sentiments qu’elle n’était pas capable d’exprimer et qui lui faisait un bien fou. Elle tenait la lettre de son admirateur à la main, l’air dépité, tandis qu’elle rentrait dans la boutique vide à cette heure-ci. Étrange… dans son souvenir, c’était toujours blindé. Sans doute était-ce la raison pour laquelle Elijah se trouvait seul aux commandes aujourd’hui. « Je crois que vous allez être le seul à pouvoir me faire du bien ! » Il y avait une sorte de lassitude dans la voix de Dawn alors que ses yeux étaient encore largement rougis et irrités par la foule de larmes ayant juste cessé de couler quelques minutes plus tôt. Ses longs cheveux étaient à moitié collés à son visage, sa robe d’un blanc pur semblait indétachable de sa peau diaphane, elle semblait faire pitié à voir… un besoin de chocolat était on ne peut plus logique dans son cas. « Vous êtes un spécialiste et j’ai confiance en vous, surprenez-moi… et vous auriez une serviette par le plus grand des hasards ? Une lettre à laquelle je tiens viens d’être trempée par mes bêtises et je suis en train de m’en vouloir vous n’imaginez pas… ne vous moquez pas, je sais, je suis une catastrophe aujourd’hui. »

D’ordinaire, les sourires de Dawn étaient aussi rarissimes qu’un rayon de soleil en Sibérie, mais la jeune femme se plu à laisser cette petite marque de bien-être perler à ses lèvres tandis que le responsable de ce magnifique magasin l’invitait dans l’arrière boutique. Cet environnement lui faisait vraiment penser à Willy Wonka et à sa folie particulièrement chocolatée… si elle ne se défendait pas de faire preuve d’autant de rêverie, sans doute aurait-elle pu bavarder des heures durant avec Elijah de son goût pour tout ce qui la ramenait en enfance. La sienne avait été… particulière. Disons que sa mère avait tâché de prolonger son innocence autant qu’elle avait pu, avant de ne considérer qu’il fût plus que temps pour elle de gagner en maturité. L’école hôtelière, couplée au fait qu’elle arrivait tout juste en France sans parler un mot de la belle langue de Molière, l’avait fait mûrir plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer au départ. Au final, se souvenir de tout ce qu’elle avait traversé lui permettait de garder la tête haute. Suffisamment haute pour ne pas se laisser gagner par des sentiments éphémères et douloureux, même dans cet environnement l’y poussant. « Vous savez que vous pouvez m’appeler Dawn… j’aurais un peu moins l’impression d’avoir quinze ans de plus ! » énonça-t-elle plus froidement qu’elle ne l’avait voulu. « Excusez-moi, rude journée. Je ne voulais pas être désagréable. » C’était plus fort qu’elle. La chef la plus douée de New York ne parvenait pas à s’ouvrir aux autres. La seule fois où elle avait pris ce risque, on l’avait trahie. De plus, elle avait bien assez perdu de gens proches pour se risquer à se lier à qui que ce soit. Elle émit donc un faible soupir avant de voir ce pauvre Elijah partir à la renverse, se cognant violemment le genou sous ses yeux ébahis. « Attention ! » beugla-t-elle alors que le mal était déjà fait. Le beau chocolatier s’était soudainement mis à bégayer… quant à Dawn, d’ordinaire ne se laissant pas gagner par de telles émotions, éclata d’un rire franc et léger. La situation était cocasse, à un point tel qu’elle mit un moment avant de reprendre son si précieux contrôle. Elle se dirigea donc vers Elijah, qu’elle aida à se relever et à s’asseoir avant d’inspecter son genou qui avait l’air diablement douloureux.

« Je suis vraiment désolée… je ne veux surtout pas me moquer de vous mais admettez que c’était original comme chute ! Laissez donc vos papiers, je ne vais pas fouiller votre bureaux, je ne me permettrais pas… montrez-moi votre genou, je vais voir ce que je peux faire. » Dawn plaça le pied du jeune homme contre ses cuisses tandis qu’elle s’était agenouillée après l’avoir assit confortablement. Le visage impassible, les gestes aussi maîtrisés et précis que lorsqu’elle préparait un Kouign aman, elle remonta le pantalon d’Elijah sans éprouver la moindre gêne, constatant effectivement qu’il était légèrement écorché et virait largement au violacé. « Vous allez avoir un beau bleu dites-moi… je vais chercher de quoi vous désinfecter, ne bougez pas ! » Le ton de la jeune femme n’aurait souffert aucune réplique, tant et si bien qu’elle se leva de façon automatique pour partir chercher une trousse de premiers secours. Au moins de quoi désinfecter et l’empêcher de souffrir… « je vais vous désinfecter tout ça, et ensuite je vais appliquer un petit bandage à l’alcool, ça vous empêchera d’avoir un bleu de la taille de l’état de Washington. Ca va aller pour la douleur ? Ma nièce me dit souvent que les « bisous magiques » sont efficaces, on peut essayer si vous voulez. Et… ne vous inquiétez pas pour ma lettre. Je vais essayer de la sécher comme je peux. C’est stupide de s’attacher à un morceau de papier, je suppose. Ca me ressemble en fait ! » Dawn dictait ses paroles avec tant de naturel et de retenue que c’en était presque choquant. Pourtant, elle avait repris sa place et prenait son rôle de soigneur très au sérieux… accentuant de fait le côté cocasse de la scène.

« Vous êtes sûr que ça va aller ? » D’un air légèrement désapprobateur, Dawn finit néanmoins par se relever, non sans l’aide d’Elijah, avant de le scruter de telle manière qu’au moindre signe de douleur elle puisse agir. Elle fut passablement désarmée lorsqu’il lui posa une question sur cette fameuse lettre, qu’elle avait pensée à sécher avant même que de penser à se sécher elle-même histoire de se prémunir contre le fait d’attraper froid. Elle se passa nerveusement la main contre sa nuque avant d’acquiescer à sa proposition d’un simple signe de tête. Un chocolat chaud tombait à point nommé, pour la simple et bonne raison qu’elle grelottait toujours autant de froid, même si elle refusait de l’admettre. « Je ne doute pas que vous ayez un talent fou pour le chocolat chaud… vous êtes LE virtuose du chocolat ! Bien pour ça que je vous ai engagé… » Dawn se maudissait de faire preuve d’autant de distance, mais c’était devenu vital pour elle. S’ouvrir reviendrait à prendre un risque. Elle ne pouvait plus s’attacher aux gens de peur de les perdre et de se retrouver dans le désarroi le plus total. Pourtant, en présence de ce jeune homme bégayant, une sorte de compassion, de douceur s’emparait d’elle. Autant de manifestations qu’elle n’avait pas l’habitude de ressentir et qui la rendait diablement perplexe… au moins autant que le premier cadeau qu’elle avait reçu de la part de son admirateur secret, et qu’elle portait justement au poignet actuellement : un petit bracelet extrêmement fin, orné de jolies étoiles dorés et argentées. Finalement, elle finit par remonter ses manches et le montrer au grand jour, tandis qu’il venait juste de lui demander si elle voulait bien goûter l’un des chocolats présents sur la table se trouvant non loin d’elle. D’abord plongée en pleine hésitation, Dawn se rinça l’œil de ce tableau on ne peut plus appétissant avant que de n’en choisir un, celui lui paraissant le plus à son goût. Elle mordit volontiers dedans, fermant automatiquement les yeux afin que l’avalanche de saveurs ne la prenne toute entière sans ne laisser la moindre parcelle de son être derrière. Un chocolat noir presque brutal en bouche recouvrait un caramel liquide absolument fabuleux, remonté d’une petite pointe de sel. Si seulement elle avait su que l’inspiration lui était venue en pensant à elle… sans doute aurait-elle été diablement gênée. Mais dans ces circonstances, elle se contentait de rester la critique professionnelle qu’elle savait si bien être dès que l’on lui faisait goûter un nouveau met ou, en l’occurrence, un nouveau chocolat. « Une enveloppe brute qui laisse découvrir un cœur délicat, parfumé, presque insolent… c’est une création fabuleuse, où vous est venu l’idée ? Vous êtes très impressionnant Elijah ! »

Jusqu’ici, Dawn avait soigneusement mis de côté la question qu’il avait posée sur sa fameuse lettre, mais puisqu’elle la tenait encore en main, difficile de l’oublier plus longtemps. Elle finit donc sa bouchée volontiers avant que son beau regard puissant ne se perde dans un point non fixe de l’atmosphère. Même lorsqu’il s’agissait d’être perdue dans ses pensées, la jolie chef avait sa manière bien à elle de le faire. « Je ne sais pas pourquoi. A vrai dire, c’est ridicule, je ne sais même pas qui m’écrit et me gâte. Si cela se trouve, c’est à une autre Dawn que c’est adressé et je me fais des idées pour rien ! Je ne sais pas si vous avez été dans le même cas, mais c’est extrêmement frustrant de ne pas pouvoir répondre. Si je savais de qui il s’agit, je pourrais lui dire que je suis un fossile et qu’il vaut mieux éviter d’avoir tant d’admiration pour moi. Vous n’êtes pas au Bleeker’s depuis longtemps, mon équipe n’a donc pas pu vous le dire, mais j’ai perdu ma sœur il y a peu. Je suis froide avec vous parce que c’est facile pour moi. Je ne veux pas être proche de quelqu’un au risque de le perdre. C’est facile d’être un glaçon… mais je ne sais même pas pourquoi je suis entrain de vous dire tout ça ! Ne m’écoutez pas. »

« Une personne chère à votre cœur ? Elle doit avoir du caractère alors ! » Dawn en plaisantait sans même savoir qu’en vérité, elle avait inspiré ce chocolat. Jamais elle n’aurait pu le deviner, à vrai dire. Au lieu de cela, elle s’occupait de humer longuement la tasse que venait tout juste de lui tendre Elijah, s’imprégnant de chaque note, de chaque détail caractéristique avant même que de tremper ses lèvres dans ladite tasse. Il faut dire qu’elle avait les mêmes réflexes que lorsqu’elle goûtait un vin : Dawn testait, regardait, analysait et humait avant même que de tester. De cette manière, un léger silence emporta l’atmosphère de la pièce avant même que ne se décide à donner son avis véritable au créateur de cette nouvelle œuvre. « C’est bien ce que je disais ; vous êtes un virtuose ! » Dawn esquissa un bref sourire à cette phrase, mais celui-ci disparut aussitôt alors qu’il peinait à articuler le fond de sa pensée. La jeune femme n’avait pas vu les choses sous cet angle, aussi se renfrogna-t-elle soudainement face à cet avis qu’elle était loin de partager. Oh bien sûr, elle n’avait été amoureuse qu’une seule fois, cela ne s’était pas bien terminé et résultat, sa confiance en la gent masculine n’était pas au beau fixe, elle peinait à réussir à travailler avec d’autres personnes que des femmes et se trouvait troubler dès que l’on faisait mine de s’intéresser à elle. Pas étonnant que sa patronne se désespère et ne la pousse à aller à des speed-dating… « Ce que vous dites n’a pas de sens ! Je veux dire… si ce n’est pas partagé, ça ne sert à rien. Qui plus est, je ne vois pas exactement sur quel piédestal me placerait cette personne pour penser deux secondes que je ne la mérite pas. Je crois que cela signifie surtout que personne ne me connait. C’est bête d’aimer sans vouloir un retour… » Le visage de Dawn avait trahi un semblant de mélancolie face à la fin de sa phrase, mais avant même qu’elle ne puisse ajouter la moindre parole supplémentaire, son portable s’était mis à sonner la poussant à déposer sa tasse dans un coin d’une table de la réserve avant de décrocher. Avec le recul, probablement n’aurait-elle pas dû décrocher… mais elle n’aurait pas pu le savoir par avance. « Comment ça la porte de mon appartement a été forcée ?! Il n’y a plus de concierge dans cet immeuble ou la sieste a été instaurée sans que je le sache ? Mais non je ne m’énerve pas, j’explique ! Je voudrais seulement comprendre pourquoi c’est toi qui m’appelle parce que je me suis fait cambrioler et qu’en plus, d’après ce que tu me dis, j’ai un dégât des eaux ! Tu sais quoi Grover, rentre chez toi et laisse-moi gérer ça seule comme une grande ! » Dawn avait raccroché violemment et aussitôt, ses doigts s’était brusquement serrés contre son appareil. Enfer et damnation… « Pardon d’abuser de votre gentillesse, mais vous pourriez me raccompagner chez moi ? Il n’y aura pas de taxi avant au moins une demi-heure si j’en appelle un et malheureusement… l’urgence joue contre moi ! »

Hélas, une fois à Greenwich Village, Dawn fut passablement dévastée en voyant l’état de son appartement. Grover avait dû passer par là puisque le dégât des eaux avait été contenu, mais son parquet était foutu, des centaines de photographies jonchaient le sol trempé, et on ne pouvait même plus distinguer le visage des protagonistes se trouvant dessus. Son écran plasma avait été envoyé à terre, sa cuisine était dévastée, sans parler de sa chambre, où tous ses vêtements avaient été complètement détruits. La seule chose qu’elle put sauver fut un petit coffre contenant toutes les recettes de cuisine qu’elle avait améliorées, récupéré alors qu’elle s’était ruée dans la pièce la plus dévastée de tout l’appartement. Ce n’est qu’après avoir pris celui-ci en main et en le serrant fortement contre elle qu’elle se dirigea vers la sortie pour mieux s’asseoir sur l’escalier, les yeux humidifiés, refusant de dégoiser un mot pour éviter justement de craquer complètement face à ce spectacle affligeant. « Il doit y avoir des hôtels pas loin, il faut juste que j’arrive à trouver ça sur mon téléphone… » Sauf que pour une fois, ses doigts tremblaient. N’importe qui aurait été troublé à moins !

Ce cambriolage, c’était vraiment la goutte d’eau faisant déborder la potiche. Dawn elle-même se demandait comment elle faisait au juste pour se retenir de hurler dans cette seconde précise. Sans doute n’avait-elle pas la moindre envie d’effrayer Elijah, qui à coup sûr l’aurait prise pour une folle échappée d’un asile quelconque… la jeune femme demeura aussi stoïque qu’elle le put, alors que ses doigts tremblaient et peinaient donc à lui donner la réponse qu’elle attendait à ce moment précis. Il lui fallait trouver un hôtel de toute urgence avant que tous n’affichent complet pour la nuit ou que sais-je encore. Par chance, elle pouvait essayer de négocier auprès de la mère hébergeant actuellement Zoé, partie pour la nuit chez elle afin de faire une soirée pyjama. Ce n’était pas grand-chose si elle proposait une contrepartie, comme une petite pension, par exemple. Tant que sa nièce faisait ses devoirs et qu’elle pouvait la voir quelques minutes tous les jours pour s’assurer que tout se passait bien, Zoé serait sûrement ravie de pouvoir passer du temps à papoter avec sa copine. Après tout, c’est de son âge… mais le souci, c’est que Dawn était censée avoir quelques jours de congés pour se remettre du décès de sa sœur, être au calme, prendre soin d’elle. Au lieu de cela, se connaissant, elle allait ruminer comme un animal en cage, faire les cent pas, être victime des pires insomnies… bref, elle n’avait pas hâte de se retrouver dans ce fameux hôtel surtout que se rendre au restaurant pour s’occuper l’esprit et les mains était exclus. En définitive, Dawn était bloquée par ce nouveau problème lui tombant sur le coin du nez et ne manqua pas de sursauter en sentant la main délicate et chaleureuse d’Elijah prendre les siennes, encore diablement tremblantes. Elle entrouvrit la bouche pour protester, mais sa proposition la surprit tellement qu’elle perdit toute notion de ce qu’elle était censée dire. « Elijah, je ne vais pas vous envahir, ce n’est pas envisageable pour vous, je vais vous déranger… » Il ne faut pas croire, Dawn avait plus de respect pour autrui qu’il n’y paraît au premier regard. Sa mère, si distante soit-elle, lui avait inculqué le fait de prendre soin d’autrui, de ne pas penser qu’à son petit bonheur personnel afin de se satisfaire d’un sourire en retour. C’était sa façon de lui rendre hommage, en plus du fait d’être devenue un grand chef… « Vous savez que vous méritez d’aller au paradis, Elijah ? » énonça-t-elle non sans un sourire franc et empli d’émotions. La jeune femme ne se laissait pas gagner par ce genre de sentimentalité d’ordinaire, mais là… il lui ôtait une sérieuse épine du pied, tant et si bien qu’elle mit un moment avant de comprendre ce qu’il lui avait avoué d’un même temps.

« Comment ça vous vivez dans votre atelier ?! » s’exclama-t-elle alors qu’elle se relevait, soudainement pleine d’une énergie sortie d’on ne sait où, l’incitant à se relever avec elle en prenant ses mains dans les siennes. « Mais ce n’est pas bon pour vous, votre sommeil ! Vous devez avoir un matelas confortable, et sortir un peu de votre environnement de travail… bon je vous dis ça mais si vous connaissiez mon rythme vous hurleriez probablement. Mais ce n’est pas la question ! Je ne vais pas chez vous si vous êtes loin et que vous dormez mal, hors de question ! » Dawn leva un sourcil presque défiant avant d’esquisser un nouveau sourire presque gêné. Il allait définitivement la prendre pour une folle furieuse… pourtant, sa présence lui faisait du bien. Mieux, elle l’apaisait plus encore que n’importe qui d’autre avant lui. « Dites-moi comment je peux vous remercier… surtout que ma patronne refuse que je revienne au restaurant avant une semaine pour que je fasse mon deuil. Vous allez en avoir assez de moi au bout de dix minutes, vous verrez… »

Dawn esquissa un bref sourire, bref mais franc, tandis qu’Elijah venait de lui donner une excellente occasion de dépoussiérer bon nombre des recettes qu’elle connaissait par cœur et qui étaient toutes contenues dans le coffret en bois qu’elle avait déposé sur l’escalier avant de s’y asseoir. Une intense béatitude, couplée avec une gratitude exemplaire, s’écoulait désormais dans les veines si froides de la jeune femme alors qu’elle cherchait à comprendre la raison qu’il avait de venir la secourir ainsi, tel un prince charmant sur son beau destrier blanc. « Je ne suis vraiment chez moi que dans une cuisine… vous venez de sauver une demoiselle en détresse, Elijah. » Pour un peu, elle avait presque manqué de l’appeler par son nom de famille mais s’était rattrapée à temps : il n’était pas question de créer une barrière plus épaisse encore que celle qu’elle mettait d’ors et déjà entre les gens et sa petite personne. Et puis… ce jeune homme avait un charme fragile, à lui couper son souffle déjà court en temps normal. Dawn ne le quittait pas des yeux, laissant un silence agréable les envelopper comme pour leur éviter toute nouvelle peine. Si elle avait put, probablement aurait-elle rit à sa nouvelle réplique, sans retenue, mais voilà tout le cœur du problème : la jolie chef possédait une retenue exemplaire et il n’était pas question qu’elle manque ainsi de respect à quelqu’un qui venait ni plus ni moins de la sauver. Que serait-il advenu d’elle, seule dans une chambre d’hôtel, à ruminer sa peine et son deuil ? Sans compter que les travaux pour refaire l’intégralité de son appartement risquaient de lui prendre une énergie plus que conséquente… « Vous voulez que je vous dise, Elijah ? Vouloir que vous soyez autre chose qu’un chocolatier au talent absolu serait une bêtise non moins absolue. Vous ne savez pas cuisiner ? Et alors… vous avez la gentillesse d’héberger un cuisinier sous votre toit ! Profitez donc de mes talents pour une fois ! » Dawn n’avait pas souvenir d’avoir un jour fait goûter le moindre plat à Elijah ou même de l’avoir vu au Bleeker’s. A moins qu’il n’ait commandé quelque chose à emporter et qu’elle ne l’ait pas su, chose tout à fait plausible… mais en attendant, elle allait pouvoir démontrer sa haute imagination, son insolence culinaire doublée d’une grande pincée de culot.

« Disons que je ne suis pas capable de rester sans rien faire. Dès qu’un silence trop important m’entoure, je panique. Il faut que j’occupe mes mains, mon esprit… cela m’évite de penser. Je suis très manuelle, je suppose… si je dois être absolument honnête avec vous, je dirais que mon emploi du temps reflète ma personnalité. Avant que Zoé ne vienne vivre avec moi, la solitude était ma meilleure arme. Je n’arrive pas à faire confiance. C’est plus pratique de n’avoir personne à perdre. » Dawn haussa légèrement les épaules avant de déglutir avec difficulté. Néanmoins, elle ne s’attendait pas à ce que son interlocuteur n’aille jusqu’à lui proposer de l’accompagner à un tel salon, dont elle avait bien sûr entendu parler et pour lequel elle n’avait hélas jamais pris aucun temps… quelle occasion fabuleuse que celle-ci ! « Je ne peux pas refuser… c’est mon rêve depuis un lustre ! Vous m’en parlerez en chemin, qu’en dites-vous ? Ou autour d’un bon dîner aux chandelles car je crois que vous et moi l’avons largement mérité… » Dawn s’empara de son bras de façon naturelle, sans même en prendre conscience, comme s’il s’agissait d’un véritable réflexe… et, une fois devant le scooter d’Elijah, une vérité la frappa. « Mon admirateur secret va me manquer, j’en ai peur… il ne connaîtra plus mon adresse ! Désolée… c’était maladroit et stupide. »

Durant tout le trajet, Dawn avait l’esprit rivé sur l’idée lumineuse d’Elijah… effectivement, faire suivre le courrier, c’était une idée brillante ! Un petit air rêveur s’empara soudainement de ses pupilles tandis qu’un sourire presque attendrit perdurait sur ses traits d’ordinaire si froids. Qui aurait cru qu’un simple morceau de papier, quelques phrases et des cadeaux toujours de si bon goût auraient pu la toucher aussi profondément ? Tout simplement car la jolie demoiselle n’avait rien d’autre à quoi s’attacher hormis la cuisine. Sa famille était désormais au royaume des cieux et il n’y avait plus que sa nièce, sur laquelle elle devait veiller en plus de tout le reste. Cette vérité n’avait strictement rien d’encourageant et si elle adorait Zoé, elle ne pouvait guère demander à une enfant de huit ans de l’écouter lors de ses rares moments de confession. Une enfant de son âge ne peut avoir la maturité suffisante, et puis c’était Dawn l’adulte, et à elle d’assumer les affres de leur existence commune. Elle se perdit un instant dans ces pensées étranges jusqu’à ce qu’Elijah ne lui fasse comprendre qu’ils étaient arrivés et ne lui montre son appartement à la décoration absolument magnifique. Pour un peu, elle se surprit à éprouver une très légère pointe de jalousie en voyant la quantité incroyable de photos présentes, toujours en compagnie d’une ravissante jeune femme au sourire qui devait faire tourner plus d’une tête. La chambre qu’il lui présenta en dernier était coquette et confortable… Dawn n’allait donc pas être en soi dépaysée et l’idée lui plaisait. « Elle est parfaite, n’ayez crainte. De toute manière… demain vous ne me verrez guère, il faut que je reconstitue ma garde robe vu que je n’ai plus un seul vêtement ni une seule chaussure en dehors de ceux que je porte actuellement. Mais ne parlons pas de choses qui fâchent, je brûle de découvrir votre cuisine ! » D’ordinaire, Dawn serait restée en retrait mais on aurait presque cru une enfant lors d’un matin de Noël dès lors qu’elle eut posé un pied dans la cuisine d’Elijah… spacieuse, très bien agencée, fort bien fournie au niveau batterie et autres accessoires, bref, c’était un véritable paradis pour quelqu’un comme Dawn.

« Vous permettez que je jette un petit œil ? » A sa plus grande surprise, le frigo du jeune homme était plein à craquer, de même que l’intégralité de ses placards. Voilà pourquoi elle ne mit guère de temps avant de déposer sa petite boîte de recettes et, même sans l’ouvrir, eut tôt fait d’attraper tomates, concombre et pommes de terre pour la première partie de son idée de génie. Alors qu’elle épluchait le concombre, à la vitesse de l’éclair, fidèle à son coup de main de maître, Dawn se remémora tout ce qu’Elijah lui avait confié avant même qu’ils ne se dirigent vers son scooter… « Vous êtes orphelin ? C’est maladroit comme question… mais je ne plains pas les gens. C’est très malheureux mais je ne sens pas de regret quand vous en parler, j’en déduis que vous en avez de bons souvenirs. D’autant que vous semblez être extrêmement proche de cette ravissante jeune femme que j’ai pu voir en photographie… ce n’est pas votre petite amie, d’ailleurs ? Vous formez un joli couple. » Dawn dictait cela de façon détachée, afin de ne surtout pas mettre en avant le fait qu’elle soit en train de se renseigner. Curieuse, curieuse… « Si vous l’aimez vous devriez le lui dire. Ne faites pas comme moi, surtout. Ne suis-je pas un formidable cas désespéré ? Au point de ressentir des frémissements pour un parfait inconnu qui m’écrit des lettres si parfaites… et qui, si cela se trouve, se paye complètement ma tête. »

Dawn ne manqua pas de sursauter face à l’emportement soudain et surprenant d’Elijah. Elle avait tellement focalisé son attention sur son ton qu’elle s’en coupa légèrement la main par-dessus le marché. La jolie demoiselle émit une légère grimace avant de plonger sa main blessée d’une coupure importante sous de l’eau froide en abondance afin d’arrêter aussitôt le saignement. Pour le coup, de multiples questions se bousculaient dans son esprit et elle peinait à se concentrer sur une en particulier. Mais le pire fut lorsqu’il avoua que son cœur battait pour une autre. La respiration de Dawn s’était stoppée un instant avant de ne repartir que la seconde d’après face au choc de cette annonce aussi inattendue que son emportement incompréhensible. « Pourquoi ai-je l’impression que vous connaissez l’expéditeur de mes lettres ? » osa-t-elle demander à tout hasard, cherchant à savoir si son instinct voyait juste ou, au contraire, était bien trop troublé pour la guider dans la bonne direction. Dawn rinçait toujours sa plaie mais elle ne quittait pas Elijah des yeux, une curieuse expression demeurant sur son propre visage… un mélange d’interrogation, de blessure et de choc. Elle se laissait aller à une émotion ne lui ressemblant pas du tout et qui se trouvait même aux antipodes de son habituel contrôle tant aimé. Il fallait qu’elle se reprenne d’urgence ! « Comment pouvez-vous savoir qu’il ne se moque pas de moi ? Et pourquoi vous impliquer tellement dans cette affaire ? Vous m’avez proposé de faire suivre mon courrier, maintenant vous agissez comme s’il était un ami très cher… » La jeune femme referma le robinet d’un geste sec, n’ayant cure du fait que sa blessure saigne encore puisqu’elle venait d’entourer sa main d’un torchon pour le moment.

Sans violence ni même de colère dans son regard, Dawn s’avança vers Elijah pour lui faire bien face et obtenir des réponses. Il n’était pas question qu’elle ne les obtienne pas… « Si vous le connaissez, par pitié, dites-le-moi. » La jeune femme était bouleversée. L’avalanche de sentiments s’étant emparée d’elle depuis des semaines s’exprimait aujourd’hui de la façon la plus incontrôlée qui soit. Pour un peu, si elle n’avait pas tant l’habitude d’être aussi insensible qu’une pierre, on aurait presque pu la voir trembler. Mais Dawn avait une maîtrise absolument extraordinaire… « Vous n’avez pas le droit de me cacher la vérité. Tout comme, si la demoiselle que vous aimez n’est pas au courant, vous devez lui dire. Vous ne pouvez pas savoir quelle sera sa réaction ! Cela fait des semaines que je cherche à savoir de qui il s’agit. L’opportunité de pouvoir lui répondre, de savoir pourquoi il fait tout ça sans attente de retour manifeste… je veux savoir comment il arrive à me bouleverser autant d’un simple mot, pourquoi il parvient à me rendre languissante de ses lettres plus encore que de ses présents, et comment, oh oui comment il a réussi à m’empêcher de sombrer lorsque j’ai appris le décès de ma sœur. Éclairez-moi… » La voix de Dawn, presque brisée, était devenue semblable à un murmure. Pourtant, elle ne souriait pas, ses sourcils étaient froncés et une tristesse infinie passait actuellement dans ses prunelles mordorées. Il fallait qu’elle sache… qu’il mette un terme à sa torture.

Pour un peu, Dawn en avait presque oublié sa blessure. Celle-ci ne se rappela à son bout souvenir que face à la phrase d’Elijah, tombant comme un cheveu sur la soupe alors qu’elle attendait une réponse bien différente. Sans en comprendre la raison, la jeune femme était incapable de penser à autre chose. Il fallait qu’elle sache, que sa torture prenne fin ici et maintenant… elle semblait littéralement pendue aux lèvres du doux chocolatier, alors qu’elle peinait tout juste à dominer sa respiration devenue anarchique face à l’émotion. Elle grimaça légèrement à la fin des soins prodigués par son interlocuteur, mais n’émit pas le moindre son tandis qu’elle pensait être à nouveau plongée dans un rêve. Ce même rêve l’ayant frappée de plein fouet au moment même où elle avait lu ces mots. Elijah les lui récitaient sans bégayer, avec une émotion poignante dans le fond de sa voix, tant et si bien que l’être entier de Dawn se mit à trembler. Son précieux contrôle s’était désormais fait la malle, et elle se maudissait d’être si faible face à quelques paroles écrites puis récitées, alors qu’il avait tout de même dit n’attendre strictement rien en retour… comment était-elle censée réagir ? Pour la toute première fois de son existence, la jeune femme l’ignorait. Ici, elle n’était plus dans sa précieuse cuisine où nul autre qu’elle était en mesure de fixer les règles, ici, ses émotions la portaient vers des ports encore inexplorés et son manque cruel d’habitude et de confiance semblaient prendre tout leur sens en cette seconde. Si seulement elle avait pu disparaître dans cette même seconde… sans doute s’en serait-elle donnée à cœur joie. « C’était toi… tout ce temps, tu étais sous mes yeux et tu n’as pas soufflé mot. C’était toi… » Déglutissant avec difficulté, elle avait grande peine à adopter un comportement bien précis. Des millions de pulsions différentes l’habitaient pourtant sans qu’aucune ne soit plus forte qu’une autre. Du moins jusqu’à un certain moment…

Deux longues minutes s’étaient écoulées dans le silence alors que Dawn cherchait à réfléchir à ce qu’elle devait dire ou faire… jusqu’à ce qu’elle refuse de réfléchir davantage. Elle s’avança dans un ultime élan afin de faire sienne les lèvres d’Elijah, dans un mélange de douceur et de maladresse dont elle était malheureusement la première victime. Ce premier baiser fut timide… au début, avant de ne prendre en profondeur et en sincérité. Sans doute avait-elle espéré ce moment au travers de ses lèvres toujours plus émouvantes, toujours à arracher son cœur de ne pas savoir qui il s’agissait. Mais aujourd’hui, elle savait… et ce qui la comblait d’une délicate béatitude la rendait diablement peureuse également. « Tu n’as pas bégayé… » remarqua-t-elle juste après s’être séparée d’Elijah, non sans garder son front contre le sien et sa main contre la joue du doux chocolatier. Qu’allait-elle faire, désormais ? L’eau de ses yeux semblait prête à s’écouler en longues rives contre ses joues, et si elle les retenait pour l’instant, ce ne s’était pas éternel… « Je ne peux pas te perdre toi aussi » énonça-t-elle finalement avant de commencer à s’écarter légèrement, pour finalement se stopper dans sa course par la blessure qu’elle avait à la main. « Aouch ! »

Le fait qu’Elijah ne lui dise qu’elle n’allait pas le perdre eut le don de rassurer Dawn, mais une petite partie de sa personne restait persuadée d’une sorte de malédiction qu’elle trimballait tel un boulet à sa cheville. Ses deux parents étaient décédés, sa sœur avait fini par suivre… combien de temps aurait-elle droit à ce bonheur lui parcourant actuellement les veines avant que le jeune homme en face d’elle ne finisse par disparaître ? Et hélas, elle ne serait jamais capable de s’en remettre. Au fil des semaines, alors qu’elle le découvrait au travers de ses lettres, la jolie chef était tombée amoureuse de cette sensibilité, de cette fragilité qu’elle sentait palpable et qu’elle n’avait de cesse de vouloir rencontrer. Maintenant qu’elle faisait face à son admirateur secret, une peur panique lui déchirait les membres alors qu’un sentiment de béatitude venait tout de même de s’emparer d’elle. A chaque contact d’Elijah, elle frissonnait, souhaitait plus que tout créer un cocon où ils seraient juste tous les deux et ne craindraient rien… hélas, il s’agissait d’un doux rêve, un rêve fou auquel elle s’accrochait malgré elle, alors que son tempérament terre à terre cherchait à gagner de plus en plus de terrain. Combien de temps avant qu’elle ne panique réellement ? Par chance, chaque seconde à entendre le doux son de sa voix lui arrachait un sourire attendri, apaisé, malgré la douleur lancinante dans sa main et les doutes s’accumulant dans son esprit. Pour un peu, sa question aurait presque provoqué une mini crise de panique… jusqu’à ce qu’elle ne fasse taire cette émotion tantôt née dans le fond de son regard noisette pour caresser délicatement sa main, présente contre sa joue, et qui lui prodiguait une chaleur absolument fabuleuse. « Je n’étais qu’une pierre… un rocher marqué par l’érosion du temps mais tombant peu à peu dans l’oubli. Tu m’as comme redonné vie à chacun de tes mots, me rendant presque apeurée face à la solitude étant la mienne depuis pourtant des lustres ! J’avais peur que jamais tu ne viennes à moi… est-ce que je te mérite, seulement ? Je ne suis… vraiment rien du tout comparée à cette âme merveilleuse qui m’a tant troublée. Qui me trouble encore… »

Dawn se dévoilait peu à peu, maladroitement, toute incapable qu’elle était de prononcer des mots clairs et précis pour décrire ce qu’elle ressentait et ne comprenait en aucune façon. Elijah était la meilleure chose lui étant arrivée… le désirer pour elle seule revenait de l’extraordinaire égoïsme et pourtant, maintenant qu’elle l’incitait à se relever en même temps qu’elle afin de mieux s’emparer de ses lèvres en entourant son corps musclé de ses bras frêles, l’intense ressenti qui en découlait la plongeait dans un bien-être absolument inouï. Si seulement ce moment pouvait ne jamais s’arrêter… pourtant, il lui fallut s’écarter légèrement en vue de reprendre son souffle, bien qu’elle ne vienne de le faire de façon hésitante et non sans lui offrir un frêle sourire. « Et toi, vas-tu continuer à dormir à ton atelier ? »

Dawn ne s’était jamais considérée comme une belle personne. Sa sœur était mille fois plus douée pour se faire aimer d’autrui, mille fois plus douée pour plaire… la jolie chef n’avait laissé entrer personne dans sa vie depuis sa première expérience sexuelle à seize ans. Elle avait été tellement déçue par le garçon à qui elle avait donné sa virginité que cela l’avait comme vaccinée… et aujourd’hui encore, elle redoutait l’idée même que d’être intime avec quelqu’un. Cette peur disparaissait cependant dès qu’elle croisait le regard d’Elijah, la couvant littéralement des yeux tandis qu’il s’exprimait de manière douce, posée, romantique… la jeune femme avait vraiment l’impression d’être la personne la plus chanceuse du monde, et plus cette idée germait dans son esprit, plus elle craignait de ne pas être à la hauteur. Jusqu’ici, elle avait suivi un petit train-train sans se soucier du reste, s’adonnant entièrement à son art pour le meilleur et pour le pire. Désormais, cela risquait de diamétralement changer… surtout maintenant qu’elle savait que le chocolat si délicieux et insolent à la fois qu’elle avait eu l’opportunité de goûter portait son nom ! « Je t’ai inspiré un chocolat ?! » s’exclama-t-elle, incrédule et surprise. Dawn était bouche bée, ne sachant pas si elle était davantage flattée ou gênée par cet aveu inattendu. « Je ne serais ailleurs pour rien au monde… je risque d’avoir un peu de mal à être aussi éloquente que toi pour tout ça, il va me falloir du temps. Je suis quelqu’un d’assez renfrogné de nature… mais je serais dans tes fans pendant le concours, tu peux compter là-dessus, je n’ai qu’une parole ! » L’espace d’un instant, elle pensa à son appartement saccagé, au fait qu’elle n’avait plus un vêtement à se mettre et que sa première mission du lendemain serait de faire du shopping… cette idée lui provoquerait presque une nausée tant elle détestait cela.

Bientôt, ses joues se teintèrent à leur tour d’une jolie couleur carmin alors qu’elle venait juste d’entendre LA question à laquelle elle n’avait aucunement pensé. Effectivement, il serait ridicule de faire chambre à part… Dawn n’avait aucune envie d’être séparée d’Elijah, même en minute, à moins qu’il ne le lui demande. « Pas du tout… à moins que tu ne me chasses. Je crois que je ne demande rien d’autre que de pouvoir dormir dans tes bras ne serait-ce qu’une nuit. » Cette question en soulevait beaucoup d’autres, à vrai dire. Dawn n’était plus seule dans son équation personnelle et ça non plus, elle ne pouvait pas le mettre de côté… même si elle aurait bien aimé, ne serait-ce que pour vingt-quatre petites heures ! « Tu sais, je ne suis pas un cadeau… je ne sais pas comment faire tout ça, je ne vivais que pour la cuisine avant. Et puis m’accepter, c’est accepter mes pièces détachées et ça, je sais que ça peut rebuter… mais bien avant ça, je ne suis pas sûre d’être parfaite pour, enfin… faire ça. » Par « ça » elle entendait évidemment se donner à lui avec passion et amour. Elle n’était même pas capable de lui dire « je t’aime » en ces termes, alors le reste… « Mais tu n’as pas répondu à ma question, de ton côté. »

Dawn était loin de l’archétype de la croqueuse d’homme. Le simple fait de s’imaginer dans les bras de quelqu’un pour une sulfureuse nuit la paniquait plus qu’elle ne saurait le dire… et par chance, Elijah ne semblait pas vouloir la presser à ce sujet, partant du principe qu’il fallait qu’ils se sentent tous deux à l’aise avec l’idée, s’habituent probablement l’un à l’autre avant même que de penser à ce genre de choses. Il marqua tous les points du monde aux yeux de la demoiselle, fervente amatrice de la patience masculine lorsque celle-ci avait le mérite d’exister. Elle poussa par conséquent un petit soupir d’aise, trouvant presque cette étreinte trop courte tant elle avait envie de profiter de sa douce chaleur rassurante. Ah, qu’elle aurait aimé n’avoir besoin de rien d’autre ! Pour un peu, elle se surprenait presque à être romantique, languissante de ses petits gestes au même titre qu’elle avait attendu chacune de ses lettres avec plus d’impatience au fur et à mesure des jours. « Pourquoi faut-il que tu sois aussi… parfait ? » énonça-t-elle dans un sourire franc qu’elle ne manqua pas de perdre face à la dernière question d’Elijah. Presque indignée, elle s’écarta légèrement d’un air désapprobateur et ne manqua pas de lever les yeux au ciel. Il ne la connaissait pas encore sur le bout des doigts, mais la cuisine restait sa plus grande histoire d’amour pour le moment… il n’était pas question qu’elle déguste un plat n’ayant pas été préparé par ses soins, question de logique ! « Un traiteur ? Hors de question, moi vivante, jamais de la vie ! Je ne suis pas à l’article de la mort, mon cœur bat normalement –bien qu’un peu vite sans doute, et quand bien même serais-je aveuglée, sourde, avec tous les membres brisés, je continuerais à vouloir faire ce que je sais le mieux faire ! »

Dawn lui embrassa le bout du nez avant de contourner à nouveau le plan de travail afin de reprendre son couteau en main. Leurs aveux respectifs lui avaient donné des ailes puisqu’elle coupa chaque légume à la vitesse de l’éclair, fidèle à son coup de main de virtuose que beaucoup lui enviaient. « Tu sais, ma mère était chef. Elle a été longtemps cuisinière dans une grande famille londonienne avant de n’être sollicitée à l’Elysée. Quand elle s’est rendu compte que je me levais en pleine nuit pour chiper les recettes et les mettre en pratique, et que je les connaissais par cœur… elle a aussitôt insisté pour que je fasse l’école hôtelière. Mais les meilleurs conseils que je n’ai jamais eus viennent tous d’elle. Et un jour, je monterai mon propre restaurant, loin de cette patronne qui m’oblige à aller à de ridicules speed-dating ! »