Un frisson secoua tout son corps. Décidément, elle n’arriverait sans doute jamais à se faire aux températures si glaciales qui continuaient de s’abattre sur la ville où elle vivait désormais. Le soleil lui manquait terriblement. Elle qui était habituée à la chaleur depuis sa naissance ainsi qu’aux rayons du soleil qui chauffaient sa peau, désormais elle avait la sensation de vivre dans le pays le plus froid du monde alors qu’elle savait pertinemment que ce n’était pas le cas. Pourtant, dès qu’elle sortait de sous l’épaisse couverture qui la recouvrait chaque nuit c’était à chaque fois la même chose, elle frissonnait comme jamais et même les frottements sur ses bras pour se réchauffer ne servaient strictement à rien. Elle passait alors des minutes interminables sous l’eau chaude jusqu’à ce que cette dernière devienne froide et que, dans une grimace, elle se voit obligée de couper l’eau et de s’envelopper d’une serviette chaude et moelleuse avant de prendre la direction de sa petite chambre. Oui, c’était une routine à laquelle l’égyptienne était plus ou moins habituée désormais. Cependant, la solitude était une sensation qui refusait de s’estomper au point qu’elle en venait parfois à regretter le choix qu’elle avait fait de quitter l’appartement de Dean. Mais, le plus souvent elle se reprenait bien vite et se souvenait que si elle avait fait ce choix c’était avant tout par crainte de trop s’attacher … si ce n’était pas déjà le cas. Un léger soupire lui échappa.

Assise sur le bord de la fenêtre du petit salon uniquement séparé de la kitchenette par un comptoir, elle regardait les habitants de la Grosse Pomme se promener dans les rues en contre bas. Etant donné qu’elle ne travaillait pas ce jour-ci et qu’elle ne connaissait pratiquement personne à New York c’était ainsi qu’elle occupait ses journées, à ça ou à laisser la nostalgie la gagner. La Thaïlande lui manquait malgré les épreuves qu’elle avait dû traverser là-bas. Sa vie passée lui manquait, les simplicités de cette dernière surtout. Elle se souvenait encore des bons moments avec ses parents. Malgré leur emploi du temps serré à cause de leur emploi respectif, ils avaient toujours été là pour leurs deux enfants qui n’avaient jamais manqué de rien. Ibrahim lui manquait. Elle rêvait tant de pouvoir entendre à nouveau le rire enfantin de son petit frère, pouvoir le taquiner comme elle l’avait toujours fait, mais Nawel savait que c’était désormais chose impossible. Son petit frère reposait auprès de leurs parents et si elle trouvait injuste qu’il soit parti aussi tôt, elle se consolait en se disant qu’il était probablement heureux là où il se trouvait. Les heures passèrent sans que la jeune femme ne les voit s’écouler et ce même si elle ne fit rien de particulier, ses pensées suffisaient à l’aider à s’évader. Ce fut en détournant le regard en direction de l’horloge de la cuisine qu’elle prit conscience du fait qu’il était temps pour elle de partir. Quelques jours plus tôt elle avait repris contact avec Yasmine après l’avoir vu à la télévision et puisqu’elle avait si peu de personnes dans son entourage, renouer avec des personnes qu’elle appréciait sincèrement lui faisait le plus grand bien.

Elle avait donc rendez-vous avez la jeune femme dans l’immeuble où se trouvait son bureau et si elle ne voulait pas arriver en retard – ce qu’elle détestait – elle se devait de partir au plus vite, ce qu’elle fit. La tête en appuie contre la vitre du taxi, Nawel regardait la ville défiler sous ses yeux, s’émerveillant toujours autant du luxe et des immeubles atteignant des hauteurs vertigineuses. Sa course payée, et après avoir remercié le chauffeur, elle s’arrêta quelques instants devant l’immeuble où Yasmine travaillait, puis elle s’engagea à l’intérieur et alla s’annoncer à l’hôtesse d’accueil qui lui annonça que mademoiselle al-Mu'awiya allait la rejoindre. Petite sourire aux lèvres, Nawel s’adossa au comptoir de l’accueil et observa en silence les gens qui entraient et sortaient. « Hey ! » Sortie de ses pensées par la voix familière de Yasmine, l’égyptienne se tourna en direction de l’ascenseur duquel la syrienne sortait et elle sentit son sourire s’élargir d’autant plus lorsque la jeune femme la serra dans ses bras. « Ca fait un moment ! Je peux t'inviter à prendre un verre ? » Nawel fit une légère moue pour se donner l’air de réfléchir – alors qu’elle n’avait rien à faire en cette triste journée – avant d’opiner du chef. « Avec plaisir, ça sera plus tranquille qu’en restant debout ici. » Son accent se faisait toujours sentir lorsqu’elle parlait, mais elle ne faisait jamais réellement d’effort pour le cacher, bien trop fière de ses origines pour ça. « Et tu pourras me raconter ce que c’est d’avoir la grande vie. » Ajouta-t-elle, un petit sourire aux lèvres en faisant référence à la vie que Yasmine menait et qui, clairement, n’avait pas échappé à Nawel.

Il y avait si peu de personne qu’elle connaissait dans cette grande ville … peu de personne qu’elle connaissait à travers le monde. Elle avait beaucoup perdu en peu de temps et pourtant elle savait que, quelque part dans le pays natal de sa mère, se trouvait une partie de sa famille qu’elle ne connaissait pas. Parfois, il lui arrivait de s’imaginer prendre un vol droit pour l’Inde et tenter de retrouver ses grands-parents, sa famille. Souvent elle tentait d’imaginer les divers scénarios qui pourraient alors s’offrir à elle. Seraient-ils heureux de la connaître, de voir à quel point elle pouvait ressembler à sa mère ? Ou, au contraire, la rejetteraient-ils pour les choix que sa mère avait pu faire, pour avoir décidé de partir d’Inde avec son père ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit depuis des années, des questions auxquelles elle n’avait pas la moindre réponse tout en ayant peur de savoir ce qu’elles pourraient être si elle se risquait à creuser dans le passé de sa famille. Jamais elle n’avait cherché à questionner plus en détail sa mère de son vivant. Elle l’avait fait une fois et avait senti sans mal que sa mère n’avait pas la moindre envie d’entrer dans les détails, de parler de sa famille alors qu’elle était la sienne tout autant qu’elle était celle de sa fille.

Son petite frère non plus n’avait pas cherché à savoir, sans doute parce que ce n’était pas un sujet qui avait passionné Ibrahim. Penser à son petit frère au passé éveilla une pointe de douleur dans sa poitrine. Encore aujourd’hui elle peinait à se dire qu’il était parti avant elle. Chaque fois qu’elle se risquait à penser au petit garçon qu’il était toujours dans sa tête, elle recommençait à se demander si les choses auraient tourné de la même manière si elle avait été avec son petit frère. Peut-être aurait-elle été capable de le sauver ? Il était vrai que sans Dean, elle-même se serait noyée, mais peut-être que tout ce qui s’était passé aurait été différent, peut-être que son frère serait toujours en vie à l’heure actuelle et toujours persuadé qu’il finirait par devenir médecin … comme leur mère. Nawel avait conscience de se torturer pour rien, le passé restait et resterait le passé, mais c’était plus fort qu’elle, il s’agissait d’une cicatrice qui même après tant d’années refusait de totalement se cicatriser. Elle se rattachait aux fantômes de son passé à défaut d’avoir beaucoup de personne à qui se confier à présent. Pourtant, autour d’elle existait des personnes prêtent à l’écouter, à lui tendre la main mais l’égyptienne n’avait guère envie de leur pitié.

Néanmoins, elle était tout de même sortie de chez elle. Elle avait traversé une partie de la ville pour se trouver face à une personne qu’elle considérait comme une amie. Yasmine l’avait impressionné la première fois qu’elles s’étaient rencontrées en Thaïlande et elle était encore surprise du fait que leur relation soit devenue aussi forte en si peu de temps. « Parfait ! » La jeune femme fût ramenée à la réalité par la voix de la syrienne qui, déjà, l’entraînait vers l’extérieur de l’immeuble tandis qu’un sourire étirait les lèvres de Nawel malgré le froid qui ne tarda pas à lui mordre la peau. « Quelle grande vie ? N'importe quoi ! » Elle leva les yeux au ciel consciente que Yasmine savait très bien à quoi elle faisait référence, néanmoins elle ne prit pas le temps de répondre. Nawel préféra presser le pas pour se rendre dans le premier café qui croisa leur route. « Enfin, oui, bon, d'accord, j'avoue que... c'est différent. » Un soupire de bien-être lui échappa lorsqu’elle entra dans le café à la suite de son amie. La chaleur ne tarda pas à l’envelopper pour son plus grand bonheur, puis elles se dirigèrent vers une table libre et passèrent brièvement leur commande. « Disons que c'est très, très épuisant ! » Son regarde qui avait suivi le serveur alla se poser sur Yasmine.

Un petit sourire compréhensif apparu au coin de ses lèvres même si en réalité elle ne pouvait pas même imaginer ce que pouvait être la vie de la journaliste … d’autant plus comparé à la sienne. « Et toi, alors ? Tu t'habitues à la vie new-yorkaise ? Le froid doit pas aider... » Le simple fait de parler du froid éveilla un long frisson dans tout le corps de l’égyptienne qui ne put cacher ses tremblements avant de lever les yeux au ciel dans un soupire. « Je hais le froid. » Déclara-t-elle en grognant quelque peu. « Je trouve la neige très jolie mais c’est bien tout. Et la vie new-yorkaise est très … » Nawel marqua une pause. Une légère moue prit place sur son visage tandis qu’elle cherchait le mot adéquat dans sa tête pour être certaine de ne pas se tromper comme elle pouvait parfois le faire. « … agitée, enfin je crois que c’est le mot. Et puis je ne connais pas beaucoup de personnes, c’est parfois difficile mais je m’y fais. » Sur ces mots elle haussa les épaules sans se parfaire de son petit sourire. Oui, elle s’y faisait et c’était toujours mieux que la misère à laquelle elle avait été habituée du temps où elle vivait encore en Thaïlande et pourtant elle restait très fière de ce qu’elle avait pu accomplir là-bas si longtemps.

Petite, elle avait essayé d’imaginer ce que serait la neige, du moins autrement qu’à travers l’écran de la télévision devant lequel elle s’était retrouvée si peu souvent. Enfant, elle avait été une véritable aventurière, une petite tornade qui ne supportait pas l’idée de rester enfermée chez soi et qui préférait arpenter les rues en s’imaginant tous un tas d’aventures. Par moment, elle avait donc imaginé de la neige, que ça soit lorsqu’elle vivait encore à Abydos ou lorsque ses parents avaient décidé que la Thaïlande serait le dernier pays où ils vivraient – ils n’avaient pas eu idée à quel point ils avaient visé juste. Malheureusement, ce souhait qu’elle avait pu avoir toute jeune ne s’était jamais réalisé, le climat des lieux où elle avait vécu se révélant bien trop chaud pour ce genre de changement météorologique. Toutefois, à présent qu’elle y avait été confrontée plusieurs années plus tard, Nawel ne voyait réellement pas pourquoi elle avait pu espérer autant la neige. Certes, voir les flocons tomber – en étant dans son studio, entourée d’une couverture et les mains autour d’une tasse de chocolat chaud – était un spectacle magnifique et féérique, mais une fois en-dessous c’était une toute autre histoire. Elle n’était pas du tout habituée au froid et les températures étaient sacrément descendues cette année sur New York prenant l’Egyptienne de court puisqu’elle n’avait jamais connu de période comme celle-ci.

Si elle n’avait pas réellement ressenti le mal du pays depuis son arrivée en octobre, autant dire que les températures hivernales n’avaient eu aucun mal à déclencher cette mauvaise passe en elle. Le soleil lui manquait, la chaleur aussi. La sensation de parfois étouffer tant il faisait lourd était aussi un détail qui lui manquait, Nawel avait toujours été et serait toujours une jeune femme du soleil qui offrait volontiers son visage aux quelques rayons qui pouvaient parfois traverser les lourds nuages dans le ciel new-yorkais. Alors non, le froid n’était pas quelque chose que la jeune femme appréciait, mais comme tout le monde elle se contentait de le subir et se couvrait de plusieurs couches de vêtements, ce qu’elle n’avait jamais eu à faire de sa vie jusqu’à présent. Les mots étaient donc ce qu’il y avait de plus sincère, elle n’aimait pas le froid et l’Egyptienne n’allait pas changer d’avis de sitôt ! Elle se doutait néanmoins que ses paroles feraient sourire et rire Yasmine. Cette dernière avait eu de quoi s’habituer aux différents climats qu’offrait cette planète tant elle avait pu voyager ici et là – ce qu’elle lui enviait sincèrement – et un petit sourire ne tarda à naître au coin de lèvres de la jeune femme en voyant la Syrienne réagir comme elle l’avait imaginé.

« On aurait vraiment dû se contacter plus tôt. Si tu as besoin de rencontrer des gens, tu as la personne qu'il te faut devant les yeux ! » Son café posé devant elle par le serveur qui s’éclipsa si rapidement qu’elle eut l’impression d’avoir à faire à un courant d’air, Nawel grimaça légèrement bien que cette dernière disparue aussitôt que ses mains froides rencontrèrent le carton quasi-brûlant de son gobelet de café. « Je ne voulais pas te déranger. » Répondit-elle finalement. C’était la vérité. Elle avait en quelques mois regardé la télévision bien plus longtemps qu’en une vingtaine d’années et elle avait ainsi pu voir à quel point Yasmine était demandée à droite et à gauche, Nawel n’avait pas eu envie de s’imposer dans son emploi du temps quand bien même aimait-elle passer du temps avec la Syrienne. « Enfin, pour ce qui est de la température, ça ira beaucoup mieux dans quelques temps, t'en fais pas. Et puis, c'est revigorant... des fois. » Une moue peu persuadée prit place sur son visage. Pour le moment elle ne croyait que ce qu’elle voyait et ce qu’elle voyait étaient les températures très basses qui touchaient New York, ce qu’elle ne trouvait pas revigorant du tout. « En tout cas, vraiment, si t'as besoin de quoique ce soit, de rencontrer des gens tiens, il suffit de me demander... Je sais pas vraiment ce que j'ai de prévu dans les prochains jours ou les prochaines semaines, faudrait voir avec tes disponibilités aussi, mais si tu veux m'accompagner à une soirée ou à un truc plus décontracté, y'a vraiment aucun problème ! » Sa moue fut remplacée par une nouveau sourire tandis qu’elle continuait de regarder la jeune femme, les mains autour du gobelet de son café, s’imprégnant au maximum de la chaleur de ce dernier.

Elle était toujours touchée par l’altruisme de la jeune femme, par le fait qu’elle soit toujours prête à aider son prochain alors que cette qualité se faisait de plus en plus rare dans la société actuelle et surtout dans les pays du Nord. « Et puis, sinon, il y a moi, tu sais que tu aurais pu m'appeler quand tu veux, hein ! La grande vie, la grande vie, ça m'empêche pas d'avoir les pieds sur terre, si t'as besoin. » Nawel opina du chef et trouva enfin le courage de faire un mouvement pour amener son café à ses lèvres afin d’en boire une gorgée avant de le reposer devant elle, les mains toujours autour. D’un bref mouvement de la tête elle dégagea ses cheveux derrière ses épaules et ne se départit pas de son sourire. « Merci … Je suis d’accord pour te suivre où tu voudras, ça ne pourra pas être pire que passer ma soirée devant la télévision ou au bar, enfin du moment que les personnes que tu me présentes ne parlent pas trop vite. » Si l’Egyptienne parvenait à s’exprimer sans trop de difficulté désormais, la compréhension n’était pas toujours gagnée et à chaque fois qu’elle se trouvait dans une situation où elle ne comprenait pas ce qu’on lui disait, Nawel se sentait plus frustrée que jamais. « Mais parlons de toi, ta vie est bien plus intéressante que la mienne. Dis-moi sur quoi tu travailles en ce moment. » Questionna-t-elle, un large sourire aux lèvres et sincèrement intéressée par ce que Yasmine pouvait avoir à lui raconter.

Nawel n’était pas de nature à s’imposer, c’était plutôt tout le contraire. Discrète depuis son plus jeune âge lorsqu’elle était en présence de personnes qu’elle ne connaissait pas, elle avait toujours préféré être invisible et s’étonnait sans cesse qu’on puisse lui porter un quelconque intérêt, encore aujourd’hui. Elle était loin du stéréotype des filles à papa milliardaire pour la bonne raison que ses parents n’avaient jamais voulu l’élever comme ça et ces derniers avaient toujours mis un point d’honneur au fait que leurs deux enfants soient bien élevés. En réalité, elle ne s’était jamais réellement – voire même pas du tout – intéressée au métier de son père, à tous ses hôtels qui lui appartenaient et qui étaient en partie la raison pour laquelle sa famille avait pu vivre dans le luxe partout où ils étaient allés. L’Egyptienne préférait la simplicité des choses, il en avait toujours été ainsi que ce soit lorsqu’elle vivait encore à Abydos où lorsque les Morgenstern furent installés en Thaïlande. Elle savait être appréciée pour ça et elle ne se forçait jamais à l’être, c’était dans son caractère d’être autant altruiste envers les autres. Connaissant la vie plutôt mouvementée de Yasmine, c’était la raison pour laquelle la jeune femme n’avait pas voulu la déranger quand bien même étaient-elles amies à présent toutes les deux. Même si elle avait connu le monde dans lequel vivait la Syrienne de loin, elle savait qu’il pouvait être prenant et même très fatiguant, d’autant plus de raisons pour elle de la laisser souffler et ce y compris lorsqu’elle s’ennuyait toute seule dans son petit studio.

« Mais, tu me déranges pas ! » Un léger sourire apparu de nouveau au coin des lèvres de Nawel. Son regard glissa en direction de son café qu’elle continuait d’entourer de ses mains et elle resta silencieuse. « Peu importe à quel point je suis occupée, je sais toujours faire de la place pour mes amis. Surtout si ils ont besoin de voir du monde, c'est comme un cas d'urgence majeure ! » Cette fois, un léger rire échappa à l’Egyptienne qui redressa la tête pour poser sur regard sur Yasmine. Elle n’était pas non plus un cas d’extrême majeure, elle s’ennuyait et ne connaissait pas grand monde dans New York pour le moment, il y avait sans doute bien pire qu’elle mais Nawel préféra garder ça pour elle. Elle opina du chef, sourire toujours aux lèvres, approuvant les paroles de la jeune femme comme pour promettre silencieusement que la prochaine fois elle ferait appelle à elle sans la moindre hésitation. « Promis ! » Nawel fit un nouveau mouvement de la tête, très bref, avant d’enchaîner presque aussitôt sur la vue de la Syrienne qui, clairement, la passionnait et lui permettait de s’évader de sa propre existence par le biais des paroles de Yasmine qu’elle buvait à chaque fois comme une enfant à qui on raconte une histoire merveilleuse. « Juste avant que tu n'arrives, je terminais un article sur une nouvelle attaque en Syrie. Tu sais, le gouvernement attaque, et puis lui & les opposants au régime se renvoient la culpabilité... C'est pas facile d'avoir des informations, même en étant native du pays et en connaissant toujours quelques personnes « haut placées »... » La Syrie … Comme bien des personnes, l’Egyptienne connaissait avant tout ce qui se passait dans ce pays grâce à ce que les dirigeants du monde – c’était ainsi qu’elle les appelait – acceptaient que les journalistes transmettent, merci la censure.

Mais, grâce à Yasmine, elle en savait toujours plus et se sentait désolée de ce que les gens dans ce pays pouvaient vivre tout en ayant la sensation de pouvoir quelque peu les comprendre à cause de ce qu’elle-même avait vécu, quand bien même ce tsunami fut une guerre perdue d’avance contre la nature. Ainsi, une légère grimace déforma le visage de Nawel lorsqu’elle écouta les paroles de la Syrienne, attristée par ses propos. « Enfin ! Demain, je dois enregistrer une émission sur les animaux du zoo de Central Park ! Ca va me changer, tiens ! Et toi, alors, qu'est-ce que tu fais, maintenant ? » Une petite moue prit place sur son visage. À côté de la vie de la jeune femme, celle de Nawel semblait bien minable, raison pour laquelle elle se dandina quelque peu sur sa chaise sans quitter son café et baissant légèrement les yeux. « Rien d’aussi passionnant qu’une émission dans le zoo de Central Park. » Débuta-t-elle en redressant la tête, petit sourire malgré tout aux lèvres. « J’enchaîne les heures au bar, je supporte les hommes un peu trop ivres et … oh ! Dean est rentré dans son voyage ce qui me permet de le revoir un peu plus. » Elle était trop enjouée, beaucoup trop enjouée si bien qu’elle sentit ses joues commencer à chauffer tandis que son regard dévia dans une direction quelconque du moment qu’elle n’avait pas à croiser celui de Yasmine. L’Egyptienne avait déjà eu affaire à l’avis de Simon – son patron – qui était persuadée que la jeune femme était totalement accro aux Philippins, elle n’avait pas tellement envie qu’on ne fasse qu’affirmer ce qu’elle-même refusait d’avouer.

Quand bien même ne se serait-elle pas rendu compte de la subtilité avec laquelle Yasmine avait changé de sujet, la jeune femme n'aurait pas insisté plus longtemps sur un sujet aussi douloureux que la Syrie. Elle savait ce que c'était … ou tout du moins elle pouvait s'en faire une petite idée. Toutes les deux étaient passées par des périodes difficiles au sein de leur pays natal, des périodes médiatisées et pourtant peu étaient les personnes ayant connues l'envers du décor, elles si ! Chacune à leur façon, elles avaient dû faire face à l'horreur et garder la tête haute même si elles avaient toutes les raisons de baisser les bras tant les épreuves avaient pu être difficiles. C'était ce parcours quelque peu similaire - mais pourtant totalement différent - qui permettait à Nawel de comprendre qu'encore aujourd'hui la Syrie était un sujet difficile pour son amie, un sujet qui lui faisait du mal et pour rien au monde elle n'aurait continué d'en parler, pas même en grande curieuse qu'elle pouvait être. Ainsi, l'Egyptienne accueilli le changement de sujet sans le moindre mal, jouant parfaitement le jeu et s'intéressant réellement aux propos de la Syrienne.

Cacher qu'elle l'enviait ne servait à rien, qui parviendrait à ne pas ressentir cette envie ou cette pointe de jalousie ? La jeune femme s'en sortait merveilleusement bien malgré tout ce par quoi elle était passée et sans oser l'avouer, elle voyait en Yasmine un modèle à suivre, la personne dans les pas de qui elle devait marcher ou tout du moins, un minimum. Elle ne devait pas rester dans l'ombre, elle devait tenter de se dépasser, de faire ce qu'elle rêvait de faire bien que pour le moment Nawel ne parvenait pas réellement à savoir en quoi consistait réellement ses rêves. Elle ne s'était jamais vraiment permis de rêver face à la misère dans laquelle elle vivait, mais à présent qu'elle était à New York, au sein de la ville qui ne dort jamais, peut-être était-il temps pour elle de se plonger dans ses désirs ? Cependant, maladroite comme elle pouvait l'être, Nawel fit glisser malgré elle la conversation vers elle et plus précisément vers l'attraction entre elle et Dean. « N'essaie même pas de le cacher, même une burqa ne pourrait pas empêcher de voir que tu craques pour lui. Est-ce que j'ai droit à des détails ? » Ses joues se mirent à chauffer d'autant plus alors que l'Egyptienne était à présent incapable de regarder Yasmine dans les yeux, une véritable adolescente, mais pour sa défense elle n'avait jamais connu ce sentiment par le passé, trop focalisée sur autre chose et c'était la première fois qu'elle ressentait une telle attirance pour un homme. « Non ce n’est pas ça … c’est … » Balbutia-t-elle tandis qu'une vague de désespoir la gagnait, son regard porté en direction de sa tasse de café.

« Je ne suis vraiment pas douée pour mentir n’est-ce pas ? » La jeune femme redressa doucement la tête et posa son regard sur la Syrienne, une légère grimace déformant son visage. De toute manière elle n'avait jamais su mentir, à chaque fois qu'elle avait essayé c'était à croire qu'il était écrit en lettres capitales sur son front qu'elle mentait. « Tu sais qu’il m’a sauvé la vie en 2004 … Sans lui je ne serais sûrement pas là à te parler. Mais … enfin ce n’était que ça à la base, l’homme qui m’a sauvé, qui m’a aidé à retrouver ma famille – si on peut dire ça – seulement … » Un soupire lui échappa et ses épaules s'affaissèrent, à croire qu'elle portait soudain tout le poids du monde sur ses épaules. Nerveusement, elle commença à mordiller sa lèvre inférieure avant d'y passer sa langue pour finalement pincer ses lèvres. « Je crois que je me suis attachée un peu trop à lui lorsque je suis venue à New York. On vivait sous le même toit, c’était facile d’imaginer des choses et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu partir et avoir mon propre chez moi. J’ai peur de m’attacher et d’en souffrir … » Elle avait perdu ses parents. Elle avait perdu son petit frère, elle serait incapable d'encaisser la perte de Dean alors que c'était presque si son monde ne tournait pas uniquement autour du Philippin aussi pathétique que cela pouvait sembler être. Toutefois, l'Egyptienne avait également peur que ce qu'elle pouvait ressentir pour le trentenaire ne soit pas réciproque si bien qu'elle essayait tant bien que mal de se convaincre que ces émotions allaient passer tôt ou tard.