Une fête étudiante… encore une. Eowyn tâchait de s’amuser en mettant soigneusement de côté le fait que Leroy n’allait pas se priver de ruer prochainement dans les brancards pour l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa pensée. Avec les lubies de son charmant frère aîné, la jeune blonde de vingt ans n’avait jamais le temps de finir saoule, ne pouvait pas s’amuser quand elle l’entendait et se voyait rabâcher à longueur de temps qu’en tant que membre de la famille Windsor, elle ne pouvait pas faire ou dire n’importe quoi. C’était la raison pour laquelle, même un gobelet rouge empli de bière en main, elle ne parvenait pas à s’amuser et encore moins à aller sur la piste pour se trémousser comme elle savait si bien le faire en temps normal. Il faut dire que sa robe était courte, attirait grandement le retard et la perspective de se faire coller par des relous n’était pas franchement attrayante. Au lieu de ça, elle se fit bientôt aborder par un parfait inconnu, dont l’accent ne lui était pas moins inconnu et qui lui proposa un verre de jus d’orange. Au départ elle le regarda un peu bizarrement, sans forcément aller jusqu’à le dévisager mais tout en se demandant si elle allait devoir lui faire sa prise numéro trois, apprise en cas d’extrême nécessité afin de décourager les plus relous d’entre les relous… avant d’éclater de rire. Une marque sonore qui traversa la musique bien malgré elle, et qui, si elle n’était pas à cent pour cent moqueuse, n’était pas loin de cela. Tout en brandissant fièrement son gobelet encore plein de bière, elle finit par en boire une gorgée pour tâcher de décourager le jeune homme à la base. Si seulement il savait qui il pouvait bien être… « Désolée coco, mais je suis à la bière moi ! En plus, je suis allergique à l’orange. » Ce n’était pas une nouveauté. Eowyn avait toujours été allergique aux agrumes. « Moi c’est Eowyn » finit-elle par dire avec un accent anglais particulièrement persan, avant de retourner son regard d’un bleu mystérieux vers la piste de danse.

« T’es le genre rabat-joie que tu bois pas d’alcool ? » lui lança-t-elle en espérant intimement qu’il allait lui dire oui pour qu’elle ne le dégage d’autant plus vite. A vrai dire, la jolie princesse anglaise ne voulait pas qu’on la drague, encore moins qu’on l’approche, elle attendait le bon moment pour partir déguster ce DVD qu’un inconnu lui avait offert. Caleb… ce prénom lui disait quelque chose sans qu’elle ne parvienne à mettre le doigt dessus. « Dis, tu connais un Caleb toi ? »

Autant être honnête, Eowyn savait parfaitement être une peste récalcitrante et affreusement pénible, surtout avec un coup dans le nez. Ce soir elle avait bien moins bu que d’habitude, mais elle était tout de même légèrement pompette. Son état normal lui semblait diablement lointain et, contre toute attente, cet importun l’agaçait déjà. Il se pensait arrivé, comme beaucoup de damoiseaux qu’elle avait vite fait déchanter alors qu’ils croyaient avoir un ticket avec elle. La jolie anglaise avait ses principes, d’autant plus depuis son enlèvement. Son goût pour l’alcool et les fêtes ne faisait pas d’elle une fille de joie ou aussi facile que les apparences pouvaient le laisser penser. De même, son tempérament ne s’arrangeait pas, même lorsqu’elle était un peu guillerette. En l’occurrence, cet importun nommé Robb lui cassait totalement son groove et s’il ne connaissait pas de Caleb, probablement l’aurait-elle dégagée de sa vue depuis longtemps. S’il possédait des informations pouvant lui être utile… elle pouvait difficilement le virer. Ce serait faire preuve d’une stupidité qu’elle se refusait à avoir justement. « Je confirme ouaip, dans le genre rabat-joie t’es un champion ! » Eowyn s’était complètement tournée vers Robb, le toisant avec arrogance et dédain. Elle lui lança finalement un sourire goguenard tandis qu’il s’expliquait et lui donnait petit à petit des informations particulièrement fascinantes. Manque de bol, il voulait également savoir ce qu’elle pouvait bien lui vouloir… logique, mais cela n’en n’était pas moins révoltant. « Qu’est-ce que j’en sais que c’est bien celui que je cherche ? Si ça se trouve, t’es un menteur des bacs à sable et tu ne connais aucun Caleb… ça tiendrait la route ça aussi, hum ? »

Mais Eowyn avait besoin de cet « imbécile » en face d’elle. Bras croisés, réfléchissant à la meilleure façon d’obtenir satisfaction sans dévoiler trop d’informations personnelles, la pimpante blonde finit par esquisser une petite grimace, signe qu’elle réfléchissait. Celle-ci n’avait pas changée en cinq ans, contrairement à tout le reste… « Peut-être que t’es pas dans ses petits papyrus et que donc tu sais pas qu’il me connaît, gros malin ! Il est chez lui ce soir ? C’est pas un fêtard alors… c’est ballot ça ! Bon en gros, ouvre tes aises-gourdes : il m’a offert quelque chose pour mon anniversaire. Sauf que je le connais pas ce type, je sais pas à quoi il ressemble. Si ça se trouve, y’a trois cent Caleb sur le campus et tu me joues de la flûte, alors je crois que vaut mieux que tu laisses tomber, en fait. T’as des obligations ? Et bah rentre, c’est peut-être plus sage. » Il n’y avait pas de méchanceté dans son discours, juste de la méfiance et une envie diablement forte de se protéger. A raison…

Eowyn ne souriait pas, elle l’analysait plutôt. Ce gugusse n’avait pas l’air de vouloir se laisser faire et encore moins d’être du genre à lâcher des informations impunément comme ça, pour les beaux yeux d’une jolie demoiselle. Quel dommage ! Cela voulait dire qu’il connaissait probablement la valeur desdites informations et qu’il attendait quelque chose en retour de sa part. Quoi, c’était encore un mystère. Cependant la jolie anglaise ne s’attendait pas une seconde à le voir se lever, la saluer et lui murmurer quelque chose à l’oreille qui piqua bien évidemment sa curiosité au vif aussitôt. Elle se releva en quatrième vitesse à son tour et fonça pour le rattraper, saisissant son bras sans aucune douceur pour l’arrêter net. Eowyn avait beau avoir un gabarit de crevette, il n’en demeure pas moins qu’une fois agacée, sa « force » était bien plus vive. « Hey, minute papillon ! » commença-t-elle avant de ne le lâcher pour se mettre devant lui. Il n’était pas question qu’il parte avant qu’elle sache pourquoi au juste il connaissait la teneur de son cadeau d’anniversaire. Pourquoi lui, illustre inconnu au bataillon et aussi peu sympathique qu’une mouche atteinte de strabisme, il était au courant de ce que ce fameux Caleb lui avait offert à l’occasion de son vingtième anniversaire… « Pour quelqu’un qui n’est au courant de rien, je trouve que tu en sais beaucoup en fait ! Je ne sais pas à quel jeu tu joues ni pourquoi tu veux jouer les vierges effarouchées devant moi, mais tu as cinq minutes pour me dire tout ce que tu sais sur ce Caleb et pourquoi il t’a mis au courant pour ce cadeau d’anniversaire. Et puis d’abord, c’est qui ce type ? Qu’est-ce qu’il me veut ? Je ne sais même pas quelle tronche il a ! »

Eowyn, dès qu’elle se trouvait énervée, châtiait son vocabulaire comme si rien n’avait plus d’importance. En soit, c’était réellement le cas. La pimpante blonde se considérait comme une survivante et c’était la raison pour laquelle elle enchaînait connerie sur connerie. Elle ne savait même pas si Leroy comprendrait un jour sa manière de fonctionner vis-à-vis de tout ça mais une chose était sûre… ce parfait inconnu en face d’elle ne le pourrait certainement jamais. « Alors ? Et oublie les obligations personnelles et tutti quanti. Pour l’instant, l’obligation personnelle c’est me répondre au cas où tu n’aurais pas remarqué ! »

« Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je ne le connais même pas ! » Du moins en était-elle sûre avant de voir ce presque parfait inconnu se mettre à agir bizarrement face à elle. Eowyn ne s’attendait pas à ce que Robb ne lui avoue des morceaux d’un passé dont elle ne se souvenait pas du tout. En temps normal, elle l’aurait probablement poussé pour qu’il lui débarrasse le plancher, preuve qu’elle ne le croyait pas, mais là elle avait beaucoup de mal à faire comme si elle ne croyait pas un mot de ce qu’il était en train de lui dire. Cela paraissait tellement tenir la route… « On a été en couple des années ? T’es sûr que tu confonds pas avec une autre nénette ? Je veux bien que mon prénom soit pas courant, mais quand même ! » Si jamais il lui sortait qu’elle était princesse de Galles et membre de la famille Windsor, probablement n’aurait-elle plus aucun doute. Mais en attendant, ses mots résonnaient dans son esprit sans forcément lui soutirer le plus petit souvenir. Elle en était la première désolée, mais elle supportait la chose depuis cinq ans… probablement était-elle sans espoir et ne fallait-il pas continuer à la titiller de cette manière. Ou, à l’inverse, durcir ledit titillage. Dans tous les cas, son expression changea légèrement en expression désolée alors qu’il poursuivait son petit discours… sans que celui-ci ne lui arrache ce qu’il semblait attendre.

« Désolée s’il est triste mais j’ai beau me creuser la cervelle, rien ne me vient, sérieusement ! Si ça se trouve, je ne suis vraiment pas la bonne nénette ! » Eowyn plissa légèrement la bouche, gênée d’être encore bloquée par son amnésie même cinq ans après. C’était une abominable sensation que personne ne pouvait comprendre, pas même cet inconnu qu’elle ne connaissait pas une heure plus tôt. « Ca ne m’étonnerait pas de ma mère, cela dit. Plus rien ne m’étonne, je crois. Mais… j’ai été enlevée il y a cinq ans. Droguée, maltraitée, bref… je n’ai pas vraiment envie de me remémorer tout ça. Je n’ai que peu de souvenirs de ce qui a précédé ces horreurs. On me crispe à vouloir que mon cerveau se rappelle mais ce n’est pas ma faute, j’essaye ! Ca ne vient pas, c’est tout… »

Pour la première fois depuis leur « rencontre », Eowyn ne trouva rien de spirituel à dire et écouta docilement ce que son interlocuteur avait à lui dire. Pour un peu, on aurait presque pu croire qu’elle l’écoutait comme s’il s’agissait du messie détenteur de la véritable bonne parole… ce n’était pas réellement éloigné de la vérité, en sachant que sa mémoire était blindée de trous, un vrai gruyère. Elle sentit son corps frêle se mettre à trembler face à ses mots qu’elle ne pouvait que croire, ses yeux s’humidifiant légèrement face à l’émotion étant la sienne. Ce serait bien une première si d’aventure elle se mettait à pleurer devant lui… jamais elle ne s’était permis une telle chose, partant du principe que malgré leur différence d’âge, elle devait lui prouver par a+b qu’elle n’était pas juste une gamine écervelée et qu’elle pouvait avoir une vraie valeur, une vraie force. Mais là, c’était beaucoup à encaisser d’un seul coup pour la jolie anglaise et n’importe qui aurait fondu en larmes. Fallait-elle qu’elle possède un tempérament d’acier pour ne surtout pas craquer face à toutes ces vérités qu’elle se prenait en pleine face… « Mon frère l’a chassé ? Mais c’est pas vrai, pourquoi il décide toujours pour MOI sans me laisser le choix de décider comme une grande fille ?! C’est MA vie, MA mémoire, MON passé !! Pas étonnant que je ne fasse plus confiance à personne, après !! Je ne sais pas, c’est flou, c’est toujours flou ! Je sais juste que j’ai deux parents et un frère, que je suis héritière d’une lignée royale ultra relou et que ça me gonfle d’être sans arrêt surveillée, voilà les seules vraies choses dont je me souvienne !! »

La respiration haletante, Eowyn se mit bientôt à faire les cent pas devant Robb sans même prendre en compte le fait qu’il puisse ne pas avoir fini son discours. Non, vraiment, c’était bien trop à encaisser pour une demoiselle largement fragilisée par tout ce qu’elle avait vécu… dont elle ne parlait pas, mais dont elle se souvenait. Pourquoi diable ne pouvait-elle pas se rappeler le plus important pour oublier ce qui la faisait cauchemarder depuis cinq longues années ? « Pourquoi il est pas venu me le dire lui-même, hein ?! S’il a carrément changé d’orientation ! Je ne sais plus du tout ce que je dois croire… »

« Tu ne connais pas mon frangin. Si je viens vivre ici, il va me piquer une crise d’anthologie. » Eowyn soupira à cette pensée. Ce n’était pas l’envie qui l’en manquait, mais ce n’était hélas pas si simple. Il y avait Connor au milieu qu’elle ne pouvait pas oublier. Il n’était qu’une victime de plus au beau milieu de ce gigantesque gâchis et bien qu’elle soit d’ors et déjà extrêmement en colère contre Leroy, elle n’était pas suffisamment égoïste pour oublier complètement son neveu. Pas alors qu’il lui restait, potentiellement, d’autres alternatives. « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu fais tout ça, toi, de ton côté. Après tout, même si t’es son pote, je te connais pas du tout et ne le prends pas mal mais techniquement parlant tu n’es pas grand-chose pour moi pour l’instant. Je ne vois pas très bien comment je peux te faire confiance… » Même si elle rêverait de pouvoir à nouveau accorder sa confiance à quelqu’un, cela restait extrêmement délicat à l’heure actuelle. On avait passé plus de cinq ans à lui mentir, et quelque chose lui disait que c’était loin d’être terminé. Eowyn avait toujours senti les mauvaises choses venir à grands pas et bien qu’elle aurait rêvé d’être enfin peinarde… ce n’était pas demain la veille que cela allait arriver.

« Résumons : tu peux me donner son numéro, checker voir quand il est disponible et même passer un message ; j’ai rien zappé dans l’affaire ? Le souci c’est que je me souviens pas de ce Caleb. Je n’en n’ai aucun souvenir. Je vais avoir beaucoup de mal à savoir quoi dire si jamais ça reste toujours si flou dans mon cerveau, tu saisis ? Je sais pas, parle-moi de lui, qu’est-ce qu’il aime, est-ce qu’il est poursuivi par des femelles en manque, j’en sais rien, tout ce qui te passe par la tête ! » Eowyn se racla légèrement la gorge avant de hausser les épaules. S’il parvenait à lui faire se souvenir du plus petit moment partagé avec celui qu’elle pouvait presque considérer comme un parfait inconnu… alors elle saurait exactement quoi faire passer comme message. « Déjà, c’est quoi son caractère ? Grosso modo… »

Eowyn écoutait chaque détail de la part de ce Robb sans même l’interrompre, tentant de creuser suffisamment sa mémoire pour tenter de se remémorer quelque chose. Malheureusement, rien ne lui venait. Son cerveau était toujours semblable à cet immense trou noir qu’aucun souvenir ne savait combler, pas même les informations fraîches données par ce presque parfait inconnu. Ils se mirent à marcher tous deux, tandis qu’il continuait de s’exprimer en toute liberté, donnant plus de détails précis qu’elle n’aurait été en droit d’en demander. Comment se faisait-il qu’il se souvienne de tout ça ? Certes, Eowyn n’avait jamais eu de « meilleurs amis » en soit et n’était donc pas en position d’avoir à retenir autant de choses concernant quelqu’un… ce Robb avait l’air d’avoir une mémoire d’éléphant et pour des raisons évidentes, difficile de ne pas la lui envier ! « Pinaise, mais comment tu te démerdes pour savoir tout ça ?? T’es pas humain, dans le genre… moi je serais infoutue de savoir tout ça sur quelqu’un. Enfin bref, qu’est-ce que je voudrais savoir d’autre… mais au fait, t’es pas gêné dans le genre ! C’est ton meilleur pote et limite tu me faisais du gringue tout à l’heure !! » Eowyn esquissa une petite grimace alors qu’ils arrivaient à ce qui semblait être la voiture du jeune homme. Peut-être était-ce le moment où jamais pour lui sortir toutes les questions lui passant par la tête, même les plus idiotes. Après tout, peut-être que le fait de le voir allait lui rappeler davantage de souvenirs…

« Il est en quelle année de médecine ? Ca lui plaît ce qu’il fait ? Et même à l’hôpital, parce que je suppose que s’il est pas encore interne il a des stages, y’a aucune infirmière qui a réussit à lui sauter dessus ? Et qu’est-ce que tu entends par « il a pas mal de responsabilités dans sa vie privée » ? Il doit s’occuper d’un membre de sa famille grabataire ou d’un môme ? Ca t’emmerde pas trop mes questions de merde ? » Eowyn esquissa un bref sourire avant de frotter légèrement ses bras dénudés et glacés. Peut-être que dans le fond, elle aurait bien aimé voir Caleb dès ce soir. Le confronter une bonne fois pour toute et voir ce que cela pouvait donner. Malheureusement… si elle faisait ça, pour sûr, elle risquait d’avoir son frère sur le dos pendant dix ans et elle n’en n’avait vraiment aucune envie.