Olive & Maïa ❝ évidences, évidences ❞

Ce n’est pas tout d’avoir deux doctorats et un master. Ils ne peuvent décemment constituer une raison de se la couler douce, surtout pour un esprit aussi brillant que celui de Maïa. Sans arrêt, elle continuait à faire croître sa culture au gré de lecture proprement passionnante, culture qu’elle laissait pleinement entendre lors de quelques conférences qu’elle donnait à la fac de NYADA pour son petit plaisir personnel. Aujourd’hui ne faisait pas exception, puisqu’elle avait en tête de mener de front une conférence ayant pour thème la Physique quantique. Hélas, c’était bien trop global pour se permettre de tenir deux heures dessus, il fallait donc qu’elle spécialise sans pensée et pour se faire, quoi de mieux qu’une librairie ? Certes, en dehors du Comic Book Store où elle avait ses habitudes, personne ne voyait jamais la jolie blonde pénétrer au sein de ce genre de sphère littéraire, respirant les mots et le verbiage inutile à plein nez. Il lui fallait des schémas, des démonstrations impossibles à dénouer, bref, de quoi aiguiser plus encore ses neurones particulièrement vifs. La preuve, elle hocha simplement la tête face à la responsable de ce bouiboui –car elle ne pouvait pas le qualifier autrement dans son esprit, avant de se rendre au rayon Physique sans même demander la moindre aide. Depuis quand Maïa Denali avait-elle besoin qu’on lui mouche le nez ? Depuis jamais. Mais ce jour n’était pas destiné à rester normal…

Durant ses fouilles, la curiosité de la colombienne fut bientôt piquée au vif par un mur comblé de différentes photographies. Maïa ne comprenait décidément pas ce besoin qu’avaient les gens d’étaler ainsi leur vie privée aux yeux de tous, mais soit… en théorie, sa curiosité se serait arrêtée là, retournant s’user les yeux contre des pages et des pages de livres sur la Physique, mais un visage parfaitement connu l’en empêcha. Cette personne n’était autre que son père, Silvio Denali. La vue de son visage on ne peut plus souriant en présence d’une autre femme que sa mère lui glaça littéralement le sang. Par chance, il n’y avait pas un chat dans cette librairie sans quoi le spectacle aurait été un véritable festin pour amateur de potins ! « La photographie est légèrement jaunie sur les côtés, les pliures indiquent qu’elle n’a pas été encadrée il y a longtemps… le sourire de cet homme n’indique pas que vous soyez en affaire. Qui est-il pour vous ? » Aucune humanité dans le ton de sa voix, pas de préliminaires, rien. Maïa n’était pas connue pour sa douce chaleur, après tout !

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La notion même de « père biologique » énoncée par cette parfaite inconnue glaça le sang de Maïa sur le champ. Elle ne répondit rien dans un premier temps, partant du principe qu’il valait mieux rester parfaitement stoïque. Après tout, en quoi cela était-il étonnant ? Son père avait souvent brillé par son côté volage, au plus grand dam de sa mère. Silvio Denali était loin d’être un homme recommandable, du moins du point de vue de la jolie colombienne… voilà pourquoi elle avait décidé de ne surtout pas devenir comme sa sœur Bianca à devenir le véritable petit toutou de leur patriarche. A la place, la jolie blonde avait privilégié ses études et fuit pendant plusieurs années en Afrique, où elle s’était découvert une véritable passion pour la race animale. Le reste ne devait pas être pris en ligne de compte ou même placé sur son équation souvent bancale… qui que ce soit cette femme, il valait mieux que Maïa ne sache jamais quels détails elles pouvaient bien avoir en commun, voilà qui la perturberait énormément dans le cas contraire. « Étrange que vous répondiez aussi facilement à des questions personnelles posées par des inconnus » trancha-t-elle sans la moindre émotion ni la plus petite virulence dans le ton de sa voix. Le premier mot qui pouvait être pris en compte en prenant son discours pour exemple était « indifférence ». Maïa faisait mine de s’en moquer, comme si apprendre l’existence d’une demi-sœur potentielle ne pouvait avoir la moindre importance. Mais cela ne voulait en aucun cas dire qu’elle s’en fichait réellement…

« Vous êtes brune alors qu’il est châtain, et vos yeux sont aussi sombres que les siens sont bleus. Vous ne ressemblez guère à Silvio Denali » poursuivit-elle alors qu’elle s’intéressait davantage au rayon Physique de sa librairie qu’à autre chose. Néanmoins, la jeune femme s’était trouvée capable de détailler cette inconnue de façon très précise en l’espace de quelques minutes seulement. Nul besoin de pousser le bouchon pour se rendre compte qu’elles ne se ressemblaient pas… et pour cause, la responsable de la librairie donnait davantage l’impression de ressembler à sa mère. Un peu comme Maïa… en dehors des yeux, elle ressemblait à sa mère, c’était même son portrait craché. « On doit dire quelque chose dans le cas d’un décès, non ? » Ou comment prouver par a+b qu’il lui faudrait un peu de cours d’humanité et de tact, parfois… bien qu’elle ne fasse preuve d’aucune méchanceté.

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Ce que cette libraire au charme plutôt évident ne comprenait pas, c’est que Maïa faisait preuve de tact à cet instant précis. Bien sûr, il s’agissait de son tact à elle, très différent de celui du commun des mortels. Si cette parfaite inconnue était choquée pour si peu, alors elles partaient toutes deux d’un fort mauvais pied… la jolie vétérinaire avait une façon de parler bien à elle, et des réactions relativement peu communes. Bien loin de s’en faire pour si peu, Maïa écouta avec attention son interlocutrice qu’elle trouvait de plus en plus étrange. Familière, aussi, sans doute ? Mais rien ne l’étonna davantage que le grand classeur qu’elle ne manqua pas de lui mettre devant les yeux, laissant clairement entendre qu’en vérité, cette femme cherchait sa famille biologique depuis un moment déjà. La jeune brunette imaginait tout à fait quelle serait la réaction de sa mère si d’aventure elle avait vent de toute cette histoire… Tchernobyl passerait pour une véritable promenade de santé à côté de la colère titanesque qu’elle ne manquerait pas de déclencher. « Je ne dirige personne puisque je suis employée par un vétérinaire plus expérimenté que moi. Aucune probabilité que mon tempérament soit semblable à celui de mon… notre père. » Maïa était un esprit foncièrement logique. Elle déballait des vérités parfaitement vérifiables comme s’il s’agissait d’une nécessité, et en cela, elle n’avait rien de semblable avec leur père, effectivement. Celui-ci n’était rien d’autre qu’un narcissique homme d’affaires, égoïste et intéressé par sa progéniture uniquement lorsque celle-ci pouvait lui apporter quelque chose. « Je n’ai pas besoin de temps. Ne le prenez pas personnellement, puisque des deux je pense que vous semblez être la plus émotive, mais je sais depuis très longtemps que mon père n’est pas quelqu’un de fiable. »

Maïa se racla légèrement la gorge avant de feuilleter un instant le classeur qu’elle avait sous les yeux, non sans tenir de son autre main deux bouquins sur la Physique ayant pu préalablement attirer son œil expert. Elle n’en n’était pas au point de se mettre à la place de sa sœur, puisque de toute évidence il lui fallait l’appeler de cette façon qu’elle le veuille ou non, mais celle-ci piquait légèrement sa curiosité. Pourquoi être restée dans l’ombre alors qu’elle aurait très bien pu se dévoiler ? « Vous vous appelez ? » conclut-elle alors qu’une foule d’autres questions lui brûlait les lèvres. Chaque chose en son temps, somme toute.

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« Je m’appelle Maïa. Je suppose qu’il faut que je souhaite que vous ne veniez jamais me voir » commença-t-elle aussi solennellement que si elle énonçait un discours politique « cela voudrait dire que votre animal est en mauvaise santé » se rattrapa-t-elle comme si, pour la première fois de sa vie, elle se rendait compte de son manque d’humanité. Mais à vrai dire, elle n’en faisait aucunement exprès. Maïa ne réagissait pas comme le commun des mortels, vérité qui restait de notoriété publique, mais quelque chose lui disait qu’il valait mieux prendre des gants avec cette libraire nommée Olive. Comme toute littéraire se respectant, elle devait sûrement aimer les grandes histoires à l’eau de rose avec de beaux happy ends… l’exact contraire de la jolie vétérinaire, en somme. Mais puisqu’elles étaient liées par une sorte de lien sanguin, autant dire que les efforts étaient de mise. Surtout que cette femme, bien qu’encore totalement inconnue aux yeux de la jeune Maïa, ne semblait pas méchante mais plutôt marquée par un passé qu’elle ne connaissait hélas que trop bien… l’absence voire même le désintérêt d’un père. Seule différence notable, Olive avait perdu sa mère et la jeune brune ne voulait surtout pas imaginer quel mal cela pouvait bien faire de perdre l’être le plus protecteur et important d’une vie : une maman. « Je suis désolée pour ta mère. » Elle le pensait de façon on ne peut plus sincère, même si ses traits laissaient échapper une parfaite impassibilité. Cela ne voulait certes pas dire qu’elle ne ressentait rien… sans quoi, elle ne serait pas passée au tutoiement.

« Ce n’est pas mon rôle de te dire quoi faire. Tu peux le chercher et le trouver… je peux même te montrer où il vit si tu le souhaites, mais ne t’attend pas à autre chose qu’à une poignée de main, et encore, s’il est dans une humeur à toucher autrui. Il a simplement hoché la tête lorsque j’ai eu mon deuxième doctorat. » Maïa n’était plus touchée par cette vérité, elle s’était faite à l’idée. Il était inutile de ruminer la chose en espérant avoir un père câlin, avenant et protecteur alors que celui-ci ne serait jamais capable de l’être ou même de le devenir… « Il continue à t’envoyer des cartes ? » se permit-elle de demander avant même que de sortir son portefeuille afin de payer les deux livres qu’elle souhaitait acheter. Elle en profita pour tendre la carte d’un traiteur Thaï faisant quelques uns des meilleurs plats de la ville… « Qu’est-ce que ton estomac supporte comme type de nourriture ? » Traduction : où souhaites-tu aller manger, évidemment.

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Le terme même de « soeurette » arracha à Maïa une petite expression de surprise, mais elle ne s’en offusqua pas pour autant, évidemment. Disons que durant toute son enfance, sa sœur Bianca n’avait eu de cesse de la rabaisser, par jalousie sans doute, parce que la cadette était trois fois plus intelligente que l’aînée. Au départ, cela blessait la jeune brune, mais elle avait fini par mettre purement et simplement de côté chaque remarque blessante, chaque raillerie n’étant rien d’autre que le résultat d’une imbécilité incurable. Depuis, elle ne se portait pas plus mal à vrai dire… sans compter qu’Olive ne semblait pas empreinte de cruauté, pas le moins du monde. Elle possédait une sorte de douceur qu’il était aisé de déchiffrer sur ses traits délicats. Maïa n’était pas friande de ce genre d’interprétation, mais elle-même en revenait à reconnaître, intérieurement bien sûr, que cette femme étant sa sœur possédait une douceur que Bianca n’aurait jamais. « Tous les autres moments de l’année ? Tu ne dors jamais ? » Et voilà, l’esprit logique reprenait doucement mais sûrement sa place dans la conversation et la jolie vétérinaire lui lança alors une expression plus surprise et inquisitrice que les précédentes. Maïa avait un mal cruel à déchiffrer le sarcasme, la plaisanterie et autres choseries de ce genre. Elle tâchait de faire un effort, mais cela n’avait jamais été évident jusqu’à lors… ni même d’un franc succès. « Plaisanterie ? » se permit-elle de demander afin d’être absolument sûre d’où elle mettait les pieds.

« Entendu, alors je te surprendrai à partir de dix-huit heures trente » énonça solennellement Maïa avant d’écarquiller deux grands yeux surpris face à la colère et à la haine aisément palpables sur le visage de son aînée. Bientôt, un léger rire, léger mais bien présent, peupla l’atmosphère sonore sans même qu’elle ne veuille y mettre un terme ou ne cherche à le contrôler. Si elle avait ce ressentiment envers leur père, pour sûr, elles risquaient de très bien s’entendre… « Tu seras le poing et je serai le pied » avoua-t-elle sans l’ombre d’un sentiment dans le fond de sa voix, alors que son sourire n’avait pas encore déserté son visage. Mine de rien, elle mettait en place un effort de sociabilisation plutôt conséquent. « Il est extrêmement doué pour surveiller autrui. Il surveille en espérant contrôler… il s’agit d’une sorte de désir de pouvoir proche d’un délirium mégalo maniaque. Il se défait de son rôle de père en envoyant des cartes et autres lettres afin de poursuivre sa parfaite existence égoïste. Je ne doute pas que ta mère ait eu bon cœur, sans quoi tu ne serais pas telle que tu es… la mienne est une danseuse connue, elle possède un salon de danse dans Manhattan. Peut-être as-tu déjà entendu le nom de Livia Denali ? Je crois que la seule fois où j’ai eu un frémissement de contentement, c’était lors de leur divorce. » Maïa n’avait pas de sentiment, uniquement des frémissements. Esprit scientifique et logique oblige, sans doute…

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Le symbole même de « duo de choc » était étrange aux oreilles de Maïa, mais peut-être qu’Olive allait être en mesure de l’ouvrir à l’humanité que la jeune brune ne faisait jamais que frôler du bout des doigts. Bien sûr qu’elles étaient différentes, opposées même lorsque l’on sait que l’une est littéraire et l’autre scientifique, mais elles se trouvaient subitement liées par un même sentiment tout à fait commun : un ressentiment évident pour leur père. Celui qu’éprouvait Maïa était resté on ne peut plus vivace au fil des années et d’après ce qu’elle apprenait aujourd’hui, ce n’était guère prêt de s’améliorer. « Le mot ingrat constitue tous les prénoms et noms de familles qu’il peut bien posséder » trancha la jolie vétérinaire sans l’ombre d’un sentiment dans le fond de sa voix. Elle n’estimait pas avoir à en avoir dès qu’il s’agissait de parler de cet être abject. « Il n’est pas venu à l’enterrement parce que cela l’aurait impliqué émotionnellement parlant. Je suis peut-être étrangère à ce genre de chose, mais lui est égoïste. Égocentrique, même. Il ne s’est pas plus pointé au divorce pour faire face à ma mère. Il a manqué de la ruiner pourtant. » Maïa poussa un pénible soupir avant de poser une main se voulant rassurante sur l’épaule de son aînée. Si elle avait été en veine de douceur, probablement lui aurait-elle lâché un petit ‘là, là’ se voulant réconfortant, mais il fallait dire qu’elle n’était guère à l’aise lors de ce genre de situation. L’avait-on déjà consolée pour les nombreuses heures d’humiliation et de souffrance qu’elle avait déjà ressenties ? Jamais. Voilà pourquoi elle n’avait aucun modèle à prendre en exemple pour se montrer réconfortante aujourd’hui.

« Elle a intégré une prestigieuse école et fait le tour du monde en tant que danseuse. Sa réputation n’est plus à faire. Je suis née en Colombie, pour ma part, et même si je ne sais pas du tout ce qui pousse mon père à trouver ça honteux, il a honte que je ne sois pas italienne. L’Italie n’est pas le seul pays peuplant ce monde… » Maïa avait beau parler couramment italien car son père refusait de s’exprimer dans une autre langue à son attention, elle n’aimait pas ce pays et refusait d’y mettre les pieds. « Pourquoi une librairie ? » se permit-elle de demander après avoir pris sa monnaie de l’encaissement pour ses livres. Il était toujours passionnant de savoir pourquoi quelqu’un choisissait un métier plutôt qu’un autre…

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« Me fâcher ? » répéta machinalement Maïa. Pour qu’elle ne se mette en colère, il fallait que de nombreuses inconnues d’une même équation soient réunies. La seule véritable fois où elle avait été dans une rage noire, c’était un peu avant son départ pour l’Afrique du Sud. Son père en était la principale cible et s’il ne l’avait pas poussée et manqué de la faire tomber dans les escaliers, probablement ne serait-elle jamais partie pour LA destination lui ayant tant appris. « Il est rare que mes hormones me poussent à un excès de sérotonine dans mon lobe frontal… » La jeune brune regarda un instant son aînée puis, après s’être légèrement raclé la gorge, elle reprit : « Je ne me fâcherai pas contre toi et surtout pas à cause de celui dont on ne prononcera pas le nom. » A la place, écouter Olive parler de son choix d’orientation et de métier restait nettement plus passionnant. A quoi bon remuer le couteau dans la plaie et y mettre sournoisement du sel ? Cela restait douloureux et profondément inutile. Sans cesser de l’écouter, elle prit un morceau de papier pour y noter également toutes ses coordonnées, répondant à l’initiative polie de sa sœur alors qu’elle-même n’y aurait pas forcément pensée toute seule. Maïa restait sauvage et souvent incompréhensible, mais elle n’en faisait pas exprès. La vérité, c’est que souvent, elle manquait cruellement de réflexes. « J’ai noté mon adresse, numéro de téléphone ainsi que mail, mais aussi l’adresse du cabinet vétérinaire où je travaille. Il est plus facile à trouver que ma caravane. » Pour la première invitation, il vaudrait bien mieux qu’elle vienne la chercher, il allait sans dire…

« J’ai un QI de centre-quatre vingt dix. Mon intelligence résout toute seule les équations les plus compliquées et puisque j’ai eu mon bac à douze ans, j’ai tout de suite choisi la Physique. J’ai un esprit trop logique pour les matières littéraires… j’ai d’abord eu un doctorat en Physique quantique lorsque j’ai décidé de partir en Afrique du Sud. C’est là bas que j’ai commencé des études pour être vétérinaire, en acquérant des notions de dressage d’animaux dangereux. La race humaine est un mystère pour moi. Les animaux m’ont toujours paru plus… simples et proches de moi. » Maïa n’avait aucune idée de si Olive allait suivre son raisonnement ou bien se questionner davantage. Quoi qu’il en soit, elle était prête à répondre à ses éventuelles questions si celle-ci en avait… « Cette librairie t’appartient ? »

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« J’ai deux doctorats et un master ! » s’indigna-t-elle soudainement alors qu’Olive n’avait fait que l’interroger sur sa façon de parler. Somme toute, c’était logique pour Maïa de s’exprimer ainsi… et elle n’était souvent entourée que de personnes ayant un esprit scientifique, ou des diplômes à la pelle, ou ne s’exprimant que par énigmes. Question d’habitude ! « Les habitudes sont tenaces » avoua-t-elle sans aucune honte dans le fond de sa voix. Cela lui indiquait simplement qu’elle était face à une littéraire et que chaque terme scientifique n’était pas forcément compréhensible pour tout le monde. Avant, Maïa n’aurait pas forcément fait un effort de traduction ou même du fait d’user d’un vocabulaire différent, mais il semblait qu’en face de sa sœur, elle pouvait bien se fendre de ce petit effort. « Votre truc avait des enveloppes bien remplies ? » Il valait mieux éviter de parler par énigmes face à la jeune brune. Aussi vrai qu’elle avait l’un des esprits les plus intelligents de ce siècle, elle était avant toute chose une demoiselle totalement étrangère au mensonge, à la manipulation et à tout ce qui rendait fondamentalement l’être humain laid et détestable. Elle arqua donc un sourcil de surprise, cherchant à savoir à son tour ce que sa sœur pouvait bien avoir en tête. Quelque chose lui disait qu’elle pouvait être fière d’avoir acheté cette librairie, surtout que celle-ci n’était pas mal placée compte tenu de la grandeur de New York. « Ta librairie est rentable ? » enchaîna-t-elle, mettant de côté la question de son aînée quelques secondes. Autant rester sur un même sujet avant même que de vouloir en changer.

« Tu as mis sur mes épaules la responsabilité de te surprendre, je réfléchis donc aux éventualités s’offrant à moi. Les opportunités sont nombreuses à New York, tu vas vite t’en rendre compte. » Maïa elle-même préférait souvent cuisiner pour sa petite personne plutôt que se torturer l’esprit des heures tant elle ne savait jamais quoi manger. Mais ce soir, elle allait opter pour un restaurant français… un classique, au service impeccable, à la salle de restaurant plus propre qu’un bloc opératoire et dont elle connaissait vaguement le chef puisqu’il était l’un des donneurs de l’université où elle avait étudié l’astrophysique. « Ta pendule vient de sonner les dix-huit heures trente pile si mon ouïe est toujours en état de fonctionnement sain. Je pense qu’il est temps pour la surprise, non ? Ma voiture n’est pas garée loin. »

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Maïa esquissa un faible sourire avant de ne guider sa sœur au travers des magnifiques rues de la ville. Cela faisait désormais un moment qu’elle en arpentait les avenues toujours illuminées avec autant de plaisir. Sauf que là, ce n’était pas en vue de se rendre au cabinet vétérinaire où elle se trouvait, ou chez un client particulier pour sauver un animal en détresse mais bien pour passer un début de soirée agréable avec une sœur dont elle ignorait totalement l’existence jusqu’à lors. C’était étrange de se dire qu’au final, elle n’était plus seule avec sa mère pour affronter les affres de son existence. Quelque part, bien que ce soit fugace et passablement étrange, cela lui plaisait d’avoir quelqu’un qui pouvait devenir proche à l’avenir. Bien sûr, avec Maïa, rien n’était forcément évident mais c’est en forgeant qu’on de vient forgeron comme dit l’autre… « J’ai entendu dire que la cuisine française est originale » énonça-t-elle simplement, comme si elle se trouvait au beau milieu d’une conférence sur la théorie des cordes et que ses auditeurs n’étaient rien d’autre que de brillants scientifiques en devenir. Sauf qu’en face d’elle, il y avait une littéraire dans l’âme, gérante d’une librairie qui marcherait sûrement de mieux en mieux au fil des mois et qui accessoirement ne demandait aucune aide à personne. De quoi inspirer le respect, somme toute. « Nous n’avons pas besoin de polluer l’atmosphère de CO2, je connais un restaurant près d’ici. Un peu de marche est excellente pour aérer les cellules. »

Et quand elle disait à deux pas, ce n’était pas des mots en l’air : en moins de cinq minutes, elles se pointaient dans le hall d’entrée d’un restaurant à la décoration agréable et au responsable possédant un accent français à couper au couteau. Si Maïa n’était pas si habituée à rester sérieuse en toutes circonstances, probablement aurait-elle sourit face à cet état de fait mais elle se contenta de hocher tout simplement la tête en signe d’approbation. Ce n’est véritablement qu’une fois attablée qu’elle se permit de rouvrir la bouche, n’ayant pas l’intention que sa conversation soit épiée des éventuels curieux déjà présents dans le restaurant. « Tu ne peux pas encore te dégager un salaire… mais tu parviens à vivre avec ton épargne ? Tu n’as pas pensé à faire un petit boulot d’appoint ? C’est méritoire de t’accrocher à ton rêve, en tout cas. Personnellement, j’aimerais beaucoup gagner un prix Nobel en Astrophysique, un jour… »

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« Gagner le prix Nobel est le but ultime de tout scientifique. Mais on peut s’offrir des présents avant » énonça Maïa avec son habituel sérieux tandis qu’elles pénétraient toutes deux à l’intérieur du restaurant pour mieux être conduites à une table précise. La jolie vétérinaire n’aurait pas imaginé devenir un jour le guide de qui que ce soit dans New York, surtout avec son manque cruel d’orientation frisant l’enfantillage. Elle esquissa un faible sourire avant de sortir de son sac en bandoulière un bouquin plutôt épais contenant tous les bons réflexes à avoir pour s’en sortir dans la Grande Pomme, bouquin qu’elle ne manqua pas de tendre à Olive afin qu’elle puisse le feuilleter. Cet ouvrage lui avait littéralement sauvé la vie à son arrivée, et ce bien que sa mère lui ait également donné la plupart des tuyaux dont elle se servait encore au jour d’aujourd’hui. « Il y a tout un chapitre sur la décoration d’intérieur mais je crois que le magasin… Ikea c’est ça ? C’est une bonne piste. J’habite dans une caravane peuplée de nombreux appareils scientifiques que j’ai construits moi-même, pour la plupart, donc la décoration n’a jamais été mon fort… mais je crois qu’ils font une nocturne aujourd’hui, nous pouvons remplir notre système sanguin de glucides et y faire un tour après si tu souhaites t’installer réellement. »

Maïa ne se souvenait plus exactement quand elle avait connu le restaurant où ils se trouvaient mais elle se souvenait de l’occasion en revanche. Elle portait un nom, d’ailleurs : JD. La première fois qu’elle l’avait vu et qu’ils s’étaient opposé, elle avait aussitôt ressenti une extraordinaire envie de s’empiffrer comme jamais. Aujourd’hui encore, cette idée lui passait de temps en temps au travers de l’esprit et… pour ainsi dire, elle n’en ressentait pas la moindre honte. « Je viens souvent mais je ne sais plus depuis combien de temps, ma mémoire est prise par des détails moins insignifiants. Je viens me gaver comme une oie lorsque JD s’oppose à moi. C’est… compliqué » expliqua-t-elle sans même se douter une seconde qu’en vérité, Olive connaissait le jeune homme. Étrange coïncidence…

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Maïa écoutait Olive avec une grande attention tout en grignotant un ou deux bretzels. Son projet d’agrandissement avait du sens pour la jolie colombienne : avoir un logement plus grand ainsi qu’un espace plus important pour entreposer ses livres… voilà qui pourrait lui permettre d’avoir en serait-ce qu’une devanture plus attrayante pour accueillir la clientèle. « Tu as pensé à essayer de mettre en place un site internet ? Ne serait-ce que pour faire connaître davantage ta librairie et commencer à diminuer les frais pour augmenter les recettes. » Il ne fallait pas croire, Maïa savait avoir le sens des affaires dès que quelque chose lui paraissait avoir du sens. Or, la philosophie de vie de sa sœur aînée ne manquait pas de logique à ses yeux. Du moins pour tout ce qui touchait au pan professionnel de son existence, car il ne fut pas étonnant de voir la jeune brune manquer de s’étrangler en mangeant un bretzel face à l’ultime phrase d’Olive. Avait-elle prononcé l’expression « petit ami » ou avait-elle la berlue ? Dans tous les cas, une folie soudaine avait dû s’emparer d’elle car Maïa ne s’y était pas attendue le moins du monde, bien au contraire.

« JD n’est pas du tout mon… petit-ami ou vas-tu chercher ce genre d’information scandaleuse ? » Oh, et pourtant ce n’était pas faute de l’aimer. Maïa en était raide dingue depuis de nombreuses années, à savoir depuis que sa mère avait commencé à lui en parler, mettant en avant le don qu’il possédait pour la danse au même titre que sa défunte mère… mais JD restait un électron libre, incapable de se poser plus d’une journée avec quelqu’un et, avant toute chose, incapable de ne pas fuir les responsabilités. « Il a déjà une petite amie, elle s’appelle la danse et c’est une rivale exigeante. Vous vous connaissez ? » La jeune brune ne pouvait pas s’empêcher d’être néanmoins curieuse. Jalousie ? Peut-être… Olive était magnifique, après tout.

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Un blog et une page Facebook, effectivement, cela pouvait s’avérer efficace. Maïa ne doutait pas de l’application que mettait sa sœur Olive dans la promotion de sa librairie, mais cela l’ennuyait de ne pas pouvoir faire plus. Hélas, la création de sites internet n’étaient pas du tout de son ressort et si elle adorait la Physique, elle n’y connaissait fichtre rien en matière d’informatique… bien qu’à l’heure actuelle le sujet soit plutôt en train de tourner vers une notion légèrement plus personnelle et qui ne manqua pas de gêner Maïa, peu habituée à ce genre de conversation. Certes, JD était l’étoile même de son existence, celle qu’elle ne voulait aucunement perdre de vue car elle ne serait pas en mesure d’en retrouver une semblable… mais le fait qu’Olive le connaisse ajoutait une sorte de vérité à ses propres sentiments. Comment ne pas en être affreusement gênée dans ces conditions ? « Non ! Scandaleuse, pourquoi utiliser un mot aussi fort, ce n’est pas du tout ce que j’ai voulu dire… je ne m’attendais pas à ce que tu le connaisses et de toute manière, il n’a jamais tourné un regard autre que professionnel vers moi. »

Maïa eut l’extrêmement mauvaise idée de commencer à boire un peu du Coca qu’elle avait commandé et manqua de s’étouffer face à l’information que venait de lui dicter Olive. Comme ça, à froid ? La jolie colombienne ne s’attendait pas à être la cible de leurs discussions et encore moins que JD ait quelques sentiments que ce soit à son égard… « Tu es sûre que tu ne te trompes pas de personne ? » osa-t-elle demander, ne se permettant aucunement d’y croire. En bonne scientifique se respectant, elle avait tendance à ne croire que ce qu’elle avait devant les yeux. « Et… de quoi parlez-vous exactement en ce qui me concerne ? »

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« Je ne vois pas ce qui est comique » répliqua Maïa sans l’ombre d’une froideur, juste pour signifier qu’elle ne comprenait pas. Il est vrai, entendre parler Olive de JD l’avait considérablement troublée et en soit, il n’y avait rien de drôle. La libraire devait forcément savoir ce que cela pouvait bien faire d’être amoureux, démuni, perdu. D’autant plus que la jeune brune ne connaissait strictement rien aux affres de l’amour et des sentiments à vrai dire. Pendant longtemps, elle s’était contentée de se dédier entièrement à la Physique quoi qu’il advienne, il était donc logique qu’elle soit complètement perdue. « Je n’ai jamais prétendu que la conversation n’avait pas été amicale, ce que je ne comprends pas c’est qu’il t’ait parlé à toi alors qu’il me fuit depuis des semaines. Je suis pourtant loin d’être stupide, j’ai même une grande intelligence et si je peine à gérer les relations sentimentales je pense que je suis capable de gérer une conversation avec JD. Je crois qu’il doit y avoir quelque chose que je ne comprendrais jamais dans les relations humaines. » Maïa soupira doucement, buvant une gorgée de son Coca-Cola comme pour se remettre de ses émotions alors que dans le fond, il n’y avait pas de quoi se mettre dans tous ses états. « Parlons d’autres choses. Nous allons remplir nos estomacs et ne surtout pas parler de tout ce qui touche de près comme de loin à l’émotionnel. » La colombienne haussa les épaules, terminant sa phrase juste au moment où les plats étaient justement amenés sur la table. Et pour sûr, le reste de la conversation se déroula sans aucun stress, sans panique, et était plutôt placé sous le signe de la découverte de deux sœurs ne s’étant jusqu’à lors jamais rencontré…

TOPIC FINITO **