Dans son appartement de Greenwich village, Siloë relisait des dossiers empilés sur son bureau. Avoir une réputation comme celle qu'elle commençait tout juste à avoir n'était pas chose aisée, cela demandait énormément de temps et des efforts permanents. Cela demandait également de gros sacrifices, comme celui de renoncer à certains loisirs. A l'époque, au temps où elle fréquentait l'université de Montreal dans le département psychologie, elle faisait également partie des carabins. Ce nom porté par les équipes sportives du programme de sport d’excellence de son université québécoise lui avait donné accès au cheerleading, dont elle était devenue leader. Siloë avait toujours aimé le sport. À Cuba, elle faisait beaucoup de footing et déjà toute petite, elle jouait énormément au ballon avec Alvaro, son petit frère. Le premier rêve qu'elle avait accompli avait été celui de rejoindre le Canada pour y pratiquer, au temps du lycée, le sport qui la passionnait à travers les écrans : le patinage artistique. Autant dire que la vie de la cubaine était fortement accès sur le sport. Alors avec tout le travail qu'elle devait actuellement fournir pour son travail de psychologue experte de langage corporel et analyse des micro-expressions, elle n'avait plus beaucoup de temps libre. Et le sport lui manquait terriblement. Avec au premier plan, le patinage artistique, puisque cela faisait vraiment, vraiment longtemps qu'elle n'avait pas chaussé des patins. A l'époque, glisser sur la glace était comme une seconde peau, mais cela devait avoir bien changé depuis le temps !

Sortant de ses pensées un instant, elle jeta un oeil vers le coin en haut à gauche de son Mac, là où s'affichait l'heure. Gosh, il était déjà presque minuit. Siloë s'installa au fond de son siège, retira ses lunettes et se frotta les yeux à l'aide de ses mains. La fatigue commençait quelque peu à se faire ressentir mais il ne fallait pas qu'elle s'endorme, beaucoup de trop boulot l'attendait. Aussi, elle se dirigea vers sa cuisine où elle fit couler un café. En attendant qu'il soit prêt, elle noua ses cheveux en un chignon et souffla un instant. « Faut vraiment que je m'aère l'esprit. » se dit-elle à elle-même. Vraiment, un peu de sport ne lui ferait pas de mal. Demain, sûrement, elle irait courir un peu, c'était rapide et facile d'accès. Un parc, une rue, rien de plus accessible. Mais avant d'enfiler des baskets le jour levé, il fallait que Siloë replonge la tête dans ses dossiers. Et cela ne serait pas possible sans une bonne dose de caféine. Après avoir versé sa boisson chaude dans une tasse, elle fila s'asseoir quelques minutes dans le canapé, pour se détendre. Mais c'était sans compter sur la visite impromptu d'un visiteur qui appuya avec insistance sur la sonnette de son appartement. Inquiète, Siloë regarda à travers le loup. « Ohh ! » dit-elle, enjouée, en ouvrant rapidement la porte pour se jeter dans les bras d'Indianna, sa meilleure amie de quelques années sa cadette. « Tu ne pouvais pas mieux tomber ! » avoua-t-elle, alors qu'elle avait vraiment besoin de se changer les idées.

En ce moment cela n'allait pas fort pour la petite australienne qui avait bien besoin d'un soutien, et au plus vite. Son histoire avec Sullivan tournait au vinaigre et cela faisait déjà trois jours qu'elle avait quitté son repère secret en pleurs, sans savoir pourquoi elle s'était résolue à ne plus le voir, soit-disant pour leur bien à tous les deux. Ce qui devait normalement la soulager l'avait au contraire renfermée encore plus et maintenant elle souffrait atrocement de son absence. Et, bien qu'elle soit très proche de sa famille, Indianna ne voyait qu'une seule personne capable de lui remonter le moral, et ce n'était autre que sa meilleure amie dévouée : Siloë. Sa visite n'avait pas qu'un but, car elle connaissait bien la belle argentine et elle savait qu'elle avait une envie inavouée. Le patinage artistique était une de ses passion qu'elle avait bêtement laissée tomber après un certain temps mais à laquelle elle était toujours attachée. Mais elle n'osait pas s'y remettre, pourtant, Indianna était sûre que celle-ci avait beaucoup de talent et n'allait pas laisser sa meilleure amie enfouir ce rêve secret dans un coin de son esprit sans tenter de satisfaire cette envie. Elle s'était donc longuement creusé l'esprit, faisant les cent pas dans la chambre qu'elle avait obtenu dans l'appartement de sa sœur et son mari, tortillant sa mèche autour de son long index dont l'ongle était verni de rouge. Incapable de dormir elle avait passé son temps à remuer ses méninges pour se demander ce qu'elle pouvait bien faire pour les aider toutes les deux à se sortir de leur quotidien peu amusant. Jusqu'à onze heure et demi de la nuit elle s'était raisonnée en se disant qu'elle attendrait le lendemain matin à une heure convenable pour aller la voir, mais son grain de folie avait indéniablement pris le dessus et l'avait amené jusqu'à la porte de l'appartement de son amie, vêtue d'un simple jean et un tee-shirt trop grand pour elle caché par un gros gilet en laine. C'était une tenue qu'elle ne mettait jamais pour sortir, mais c'était un jour spécial car elle avait une idée derrière la tête.

Son poing heurta le bois dur de la porte plusieurs fois puis le silence revint doucement s'installer tandis qu'elle entendait du mouvement à l'intérieur. Visiblement Siloë avait eu beaucoup de travail et avait veillé jusqu'à cette heure-ci pour l'achever, peut-être même ne l'avait-elle pas encore fini ! Indianna la plaignait sincèrement car cette dernière avait des dossiers par dessus la tête qui l'empêchait de se détendre et de penser à autre chose. Elle connaissait l'intérêt qu'on pouvait porter à son boulot, elle-même était totalement folle de ses cours et quand une chorégraphie lui trottait dans la tête elle ne pouvait s'empêcher de vouloir la parfaire peu importe l'endroit dans lequel elle se trouvait. Mais la belle australienne était bien décidée à tirer la belle demoiselle de sa paperasse et de l'emmener pour une soirée un peu ... particulière. Cultivant toujours autant la surprise, elle lu l'étonnement sur le visage de sa meilleure amie quand celle-ci ouvrit la porte. Aussitôt cette dernière s'approcha d'elle pour lui sauter dans les bras. La jeune danseuse lui rendit son étreinte et laissa échapper un petit rire léger. « Tu ne pouvais pas mieux tomber ! » s'exclama-t-elle. Un large sourire se dessina sur les lèvres de la jeune fille qui croisa les bras sur sa poitrine après avoir lâché la psychologue. « Tant mieux parce que tu vas me suivre, je t'emmène dans un endroit un peu... spécial. » dit-elle en la tirant par le bras en lui laissant à peine le temps de fermer la porte de son appartement.

Cumuler deux emplois n'était pas la chose la plus aisée de la Terre ; et pour cause, cela prenait vraiment énormément de temps. Mais cela n'était pas le seul point difficile à supporter pour l'argentine qui devait également, et surtout, conserver une partie de sa vie totalement secrète. Absolument personne de son entourage, si ce n'est certains de ses collègues au sein de la CIA, n'était au courant de sa double vie. Pas même sa meilleure amie, Indianna. Bien que depuis leur rencontre en soirée, elles tissent un lien amical plus que solide, Siloë avait toujours l'impression de ne pas être honnête à cent pour cent. Cela lui était déjà arrivé dans le passé, d'avoir l'irrésistible envie de cracher le morceau, mais pour le bien être de l'autre, elle n'avait jamais craqué. Après tout, il s'agissait là de sécurité. Mettre en péril la vie de quelqu'un lui serait insupportable, d'autant plus s'il s'agissait d'India, qu'elle considérait comme sa petite soeur. Une meilleure amie certes un peu plus jeune, mais aussi mature qu'elle, et avec qui elle pouvait, en toute confiance, aborder n'importe quel sujet. Et à la réflexion, Siloë pourrait sûrement lui avouer qu'elle travaillait secrètement pour le gouvernement. Elle secoua vivement la tête, et prononça un sombre « N'importe quoi ! » avant d'entendre quelqu'un toquer à la porte. Elle s'était dirigée vers le judas et avait curieusement découvert que son visiteur impromptu n'était autre que l'océanienne à qui elle pensait à l'instant. Le destin avait encore frappé, et faisait bien les choses.

India était drôlement vêtue ; elle qui avait toujours été coquette, portait sur son dos un tee shirt dont il aurait fallu enlever au moins deux tailles, et un gros gilet en laine digne des plus froides soirées hivernales. Sortant de son étreinte, et alors qu'elle s'apprêtait ironiquement à lui demander ce que lui valait cet accoutrement, India prit plus rapidement la parole. « Tant mieux parce que tu vas me suivre, je t'emmène dans un endroit un peu... spécial. » Le visage de Siloë s'illumina. Elle avait encore des piles de dossiers à étudier, mais qu'importe. De toute façon, elle en était arrivée à un tel stade d'épuisement qu'elle n'arriverait plus à lire une seule ligne manuscrite de plus. Pour autant, à l'annonce de cette surprise, elle sentit en elle une dose d'adrénaline largement suffisante pour courir un marathon. Elle eut à peine le temps d'attraper, à bout de bras, un gros gilet en laine accroché sur le porte manteau qu'India l'emmena hors de son appartement. « Tu m'emmènes à un défilé sauvage de gilets en laine ? » s'esclaffa la psychologue, au vue de leur look similairement pitoyable. Dehors, dans le froid, Siloë attrapa le bras de sa meilleure amie qui semblait préoccupée. Elle ne lui avait parlé d'aucun problème, mais déformation professionnelle : Siloë l'avait lu sur son visage. Quelque chose clochait, elle affichait une once de regret, de tristesse vaillamment camouflée derrière un sourire angélique. « Qu'est-ce qui ne va pas, ma belle ? » demanda l'argentine, en refoulant quelques temps son impatience quant à la découverte de ce fameux lieu si spécial.