Avec le temps, Esteban avait prit ses petites habitudes avec Nastazià, et ce même s’il ne s’expliquait toujours pas leur relation. En réalité, il préférait garder une certaine forme d’incertitude, et ne pas mettre de nom sur ce qu’il vivait depuis leur toute première rencontre si singulière. Le colombien aimait passer du temps avec elle, tout simplement. Et malgré ses récentes révélations quant à l’existence de sa fille Marylis, rien n’avait vraiment changé. Certes, Esteban avait tout d’abord été un peu effrayé et chamboulé par la nouvelle, mais il s’était rapidement fait à l’idée que Nastazià puisse être mère. Après tout elle avait eu une vie avant que leurs destins se croisent, lui aussi, et il n’avait donc aucune raison valable de lui en vouloir.

Les deux « amants » avaient établi une sorte de code qui consistait à en un envoie de SMS lorsque Marylis était à la maison, le but étant d’éviter toute déconvenue. Car Esteban avait désormais de l’expérience en la matière, et il n’avait absolument aucune envie de revivre la situation à laquelle il avait du faire face quelques semaines plus tôt. Sans le vouloir, il s’était en effet retrouvé nez-à-nez avec la petite fille, alors qu’il ignorait tout d’elle, de son identité jusqu’à son existence même. Les explications qui avaient suivi avaient été pleines de surprises, mais avaient au moins permis à Esteban d’en apprendre un peu plus sur Nastazià. Désormais, il avait vraiment l’impression de la connaître, bien au-delà des longues soirées qu’ils pouvaient passer ensemble sous la couette. Néanmoins, cela restait tout de même une grande partie de leur relation et c’était précisément ce qui poussait le jeune homme à se rendre si souvent chez Nastazià. Après une énième journée de boulot, le colombien profita comme à son habitude du fait de passer dans le quartier pour faire une halte bien méritée chez la jeune russe. Comme s’il faisait désormais partie de la maison, Esteban ne s’encombrait plus de l’attente interminable devant la porte d’entrée et s’autorisait à entrer seul dans l’appartement. Etonné de ne pas voir l’hôte des lieux se précipiter à sa rencontre, il fronça les sourcils en appelant : « Nastazià, t’es là ? C’est moi ! » Mais alors qu’il avançait vers le salon, le jeune homme distingua une silhouette qui lui était on ne peut plus familière. Assise devant sa table basse, Nastazià était là, immobile et pas perturbée outre mesure par sa présence derrière elle. Une sorte d’inquiétude s’empara alors du colombien qui avança davantage, jusqu’à découvrir un spectacle plutôt inattendu. Une paille, des traces de poudre blanche… Même s’il ne voulait pas le croire, Esteban n’était pas dupe. En un clin d’œil, il se figura de tout ce qu’il venait de se passer, et l’expression clouée au visage de la jeune russe termina de le persuader. « Nasta c’est une blague, dis-moi que c’est une blague ! » lâcha-t-il sèchement, tout en s’efforçant de garder un mince espoir selon lequel il s’agirait d’un coup monté destiné à lui faire une blague de très mauvais goût.

En débarquant à l’improviste chez Nastazià, Esteban s’était attendu à tout sauf à ça. Alors qu’il avait l’impression de commencer à la connaître, le jeune homme n’avait de cesse de découvrir d’autres facettes de sa personnalité. Cela aurait pu être un bon point mais en l’occurrence, le colombien se serait bien passé de cette révélation. Dans un premier temps, il préféra penser qu’elle avait voulu lui faire une blague qui, même si elle n’avait absolument rien de drôle, aurait au moins eu le mérite d’être fictive. Pourtant, les indices laissés par la jeune russe sur sa table de salon étaient on ne peut plus explicites. Et l’expression que cette dernière arbora sur son visage en voyant Esteban près d’elle vint lui confirmer qu’il était bel et bien arrivé au mauvais moment. « Ecoute, Banban laisse-moi t’expliquer… » balbutia Nastazià devant un Esteban déjà trop agacé pour pouvoir l’écouter calmement. Et le fait qu’elle emploie ce surnom pourtant affectueux qu’elle avait prit l’habitude de lui donner et qu’il détestait n’arrangea rien. Cependant, elle ne lui laissa pas le temps de protester et enchaina presque immédiatement : « Ce n’est pas une blague, malheureusement… Je… a la mort de Camilya, je me suis mise à me droguer… Mais aujourd’hui je… Je ne me drogue plus aussi souvent. J’essaie de décrocher, ce n’est pas facile… » Evidemment, Esteban comprenait ses arguments mais il n’en restait pas moins excédé. Et d’ailleurs, il ne savait pas si ce qui le perturbait le plus était le fait de savoir qu’elle se comportait ainsi en ayant une fille, ou le fait qu’elle ne lui ait rien dit jusqu’à aujourd’hui.

« Et tu comptais m’en parler quand exactement ?! C’est vraiment pas de bol que je passe juste à ce moment-là, hm ? » cracha-t-il d’un ton amer. En fait, Esteban avait l’impression d’avoir droit à une nouvelle révélation à chaque fois qu’il venait lui rendre visite. Après la découverte surprise de l’existence de Marylis, puis de celle de l’accident qui avait coûté la vie à Camilya, le colombien prenait aujourd’hui connaissance d’un nouvel élément de taille. « Qu’est-ce que tu me réserves pour la prochaine fois ? Ta fille, ta drogue, ça va être difficile de faire mieux maintenant… » Le jeune homme avait clairement l’impression d’être prit pour un imbécile, et il avait horreur de ça. Surtout lorsque ça venait d’une fille comme Nastazià, à laquelle il avait commencé à s’attacher un peu plus que de raison. Finalement, il s’était certainement planté sur toute la ligne et le fait de le découvrir avait quelque chose de blessant. Alors non, Esteban ne mâchait pas ses mots mais il ne parvenait tout simplement pas à se calmer. « J’arrive pas à croire que tu fasses ça… avec Marilys… »

Esteban se sentait trahi et pourtant, en y réfléchissant bien, Nastazià n’avait pas vraiment de raisons de lui avoir avoué ses « petits » travers auparavant. Seulement voilà, elle n’en était pas à sa première révélation surprenante et le colombien commençait sérieusement à perdre patience. Après cela, il avait l’impression de ne plus pouvoir lui faire confiance pour quoi que ce soit, et cette situation le mettait hors de lui. Notamment parce qu’au fil du temps, Esteban s’était indéniablement attaché à la jeune russe. Mais ce soir, il se montrait impitoyable et ce malgré la détresse apparente de Nastazià. Détresse qui sembla se transformer en colère lorsque le jeune homme aborda le sujet : Marilys. Même si les larmes coulaient sur ses joues, elle serra les points et cracha : « Tu as le droit de dire ce que tu veux, tu as le droit d’être en colère, mais je t’interdis de dire ça. Je n’ai jamais négligée Marilys ! Elle n’a jamais souffert… Je ne me suis jamais droguée devant elle, jamais. Je n’ai jamais commis d’impair à son égard… Je ne suis pas stupide. Je préfèrerai mourir que de lui faire du mal… » Mais malheureusement pour la jeune russe, Esteban ne décolérait pas non plus et afficha soudain un sourire amer : « Ah  oui ? C’est pour ça qu’elle ne vit pas avec toi ? » Le jeune homme allait trop loin et il le savait, mais il lui était impossible de se calmer, même si l’envie de consoler Nastazià était bel et bien cachée quelque part au fond de lui.

Visiblement désespérée, la jeune femme se laissa finalement tomber au sol  en essuyant ses larmes, et en balbutiant : « Je suis désolée Esteban. Sincèrement… Désolée… Désolée… Vraiment désolée. » Esteban l’observa quelques instants avec une pointe de pitié dans les yeux, mais finit par secouer la tête en soupirant. « Moi aussi Nasta… moi aussi. » murmura-t-il de manière à peine audible, avant de détourner son regard d’elle. « Je vais rentrer, j’ai plus grand-chose à faire ici je crois… » lâcha-t-il d’un air extrêmement déçu, bien conscient qu’il abandonnait Nastazià au pire moment. Mais pour cette fois, il ne se sentait clairement pas à la hauteur. Et si elle lui avait caché encore d’autres choses ? Et si au final elle n’était absolument pas la Nastazià qu’il connaissait ? Trop d’interrogations qui l’empêchaient d’y voir clair dans cette situation, et le poussaient à fuir plutôt qu’à s’acharner pour quelqu’un en qui il n’était plus certain d’avoir confiance. Après un dernier regard en direction de Nastazià, puis de la table basse qui portait encore les traces de sa soirée, le colombien tourna les talons et s’éloigna pour rallier l’entrée de l’appartement.