Je me sens bien. Je me sens même parfaitement bien. Ca fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien, la première fois depuis longtemps que je suis certaine de quelque chose et que je suis enfin prête à l'obtenir. Vous ai-je déjà dit que je me sentais vraiment bien ? J'ai tourné ça dans tous les sens ces dernières semaines et j'en suis venue à la conclusion que c'était le moment. Il est rentré de sa tournée, ça y est, je vais le revoir et surtout je vais le lui dire. Lui dire que je me suis rendue compte de mes erreurs et que surtout, je n'ai plus peur. Je marche vers son appartement, le coeur battant, les cheveux en proie à un vent glacial et emmitouflée dans un gros manteau et une écharpe. Mais je m'en fous du froid à vrai dire. Je dois avoir les joues rouges. J'ai l'impression que je pourrai me mettre à rire toute seule mais faut que je me retienne, je suis quand même dans la rue et il y a des gens autour de moi. Je sais que c'est con de se rendre que je veux être avec Enzo après tout ce qui s'est passé. Je l'ai rejeté deux fois, je lui ai dit qu'on était pas fait pour être ensemble. Quand j'y repense, mon coeur se serre. Comment ai-je pu ? La peur, toujours la peur de souffrir et se dire qu'il mérite mieux qu'une fille comme moi.

Pourquoi ce revirement alors ? Son absence durant la tournée, la façon dont on s'est quittés et surtout, l'impression de revivre notre baiser encore et toujours. Mes lèvres ne s'en sont pas remises. J'ai réalisé, avec beaucoup de retard certes que mes sentiments pour lui sont forts et que je les brime depuis trop de temps. Je sais depuis longtemps que je tiens à lui, que je ne peux pas le perdre mais j'avais pensé que ... Ils sont trop forts pour que ça soit de la simple amitié. Et j'ai pris ma décision, je vais tout lui dire. Je lui dois bien ça. Je rentre dans sa rue, le coeur battant. Bien sûr que je m'en veux d'avoir mis tant de temps à m'en être rendue compte et de l'avoir fait souffrir, mais je veux croire que ça en valait la peine pour qu'on arrive à ce moment précis. Je veux lui faire la surprise, je ne l'ai pas prévenu de mon arrivée. J'ai hâte de voir sa tête. Quand j'arrive devant son appartement, une personne en sort, ce qui me permet de rentrer sans passer par l'interphone. Très bien. J'ai hâte qu'il me raconte comment sa tournée s'est déroulée. On s'est pas trop parlés du coup, il devait être très occupé et moi aussi. Ces derniers mois ont été insoutenables à l'hôtel. C'est à peine si j'ai pu profiter des fêtes de fin d'année. En même temps, depuis mon arrivée en Amérique, j'ai plus vraiment le coeur à les fêter, même s'il y a Yasmine maintenant. Bref. Je monte jusqu'à son étage, arrive devant sa porte. J'essaie depuis deux jours de me fixer sur des mots précis, d'avoir un discours complet mais je n'arrête pas de le changer. Je suis nerveuse. Si j'avais cinq ans, je sauterais partout. Je me mords la lèvre et souris une fois de plus. Puis je frappe à la pote. Je suis prête à me lancer.

Je sais que ça arrive tard, j'en suis consciente. Si je pouvais m'excuser jusqu'à la fin des temps pour l'avoir fait souffrir en le rejetant, je le ferais sans hésiter. Mais c'est bon maintenant, je ... Bien sûr j'aurais aimé me rendre compte tout de suite que mes sentiments étaient beaucoup plus forts que ce que je pensais. Je lui ai dit qu'on était pas fait pour être ensemble, comment j'ai pu dire un truc pareil ? Comment je n'ai pas pu réaliser avant que ... Mais eu importe, parce que je vais me rattraper, c'est pour cette raison que je suis là. Le fait qu'il soit reparti en tournée ces derniers mois m'a fait réaliser que je ne pense qu'à lui et à ce baiser que nous avons échangé. Mon coeur bat la chamade et j'ai ce sourire idiot sur mes lèvres depuis que je suis partie de chez moi. Au moment de me retrouver devant sa porte, j'ai un moment de stress mais l'euphorie est trop grande, c'est pour dire. Je traine ça depuis tellement de temps que l'idée de pouvoir enfin le dire à Enzo ... La porte s'ouvre et Enzo apparaît. Torse-nu. Hum ... est-ce que c'est une blague ou quelqu'un veut vraiment ma mort ? « Imen ! What... what are you doing here ? » Sa voix me ramène sur terre et mes yeux suivent le mouvement parce que je ne dois pas me laisser déconcentrer. En même temps avec ... Hum, non rien.

Il a l'air vraiment confus, voire gêné de me voir. En même temps c'est un peu normal, je m'y suis attendue hein. C'est à moi de faire en sorte de renverser la situation, vu que c'est moi qui suis un peu la cause de tout ça. Mais le voir, rien que ça, c'est sûrement la bouffée d'air que j'attendais de ... Enfin vous avez compris le truc. Soudain intimidée, je prends une profonde inspiration. « Je voulais te parler de quelque chose en fait. Quelque chose de très important donc si tu pouvais ne pas m'interrompre parce que sinon je crois que je vais me dégonfler. » ai-je fait avec un sourire nerveux. Oui en fait, je retire tout ce que j'ai dit à propos d'être totalement cool, que l'euphorie et le soulagement m'empêchent d'être stressée et tout ça. Ca allait quand j'essayais de trouver les mots devant le miroir de la salle de bain, mais maintenant qu'on y est, que c'est le moment. Je ne peux pas reculer, je ne peux pas faire ça. Nouvelle grande inspiration, j'ai l'impression que mon coeur va sortir de ma poitrine. Je suis sérieuse. « Je suis désolée ... Je suis vraiment désolée pour tout ce qui s'est passé et du coup de t'avoir fait souffrir. Crois-moi c'était la dernière chose que je voulais et ... Mais c'est fini, je vais essayer d'être moins prise de tête. » ai-je fait avec en riant doucement pour essayer de ... faire je sais pas trop quoi en fait. Mais je reprends directement parce que sinon, je serais incapable de continuer. « Tout ce blabla pour te dire que ... enfin euh ... j'ai réalisé que pendant ta tournée que ... tu m'avais manqué, beaucoup, beaucoup, beaucoup et que c'est impossible que tu fasses pas parti de ma vie. C'est juste que j'arrêtais pas d'avoir peur à cause de ... enfin tu vois mais on s'en fout c'est pas le propos. Je suis décidée à arrêter d'avoir peur de m'attacher aux autres par crainte de les perdre, surtout toi ... Et oui, ce discours a un fin je te rassure. Donc je voulais te dire que j'ai réalisé pendant ton absence à quel point mes sentiments pour toi étaient forts et que ... je t'aime Enzo et je suis vraiment désolée d'avoir mis autant de temps pour ... » « Enzo, qui est-ce qui te prends autant de temps ? » me coupe soudain une voix. Une fille. Elle vient de la chambre. Tout ce qu'elle a sur le dos c'est son t-shirt à lui. Voilà pourquoi il est torse-nu.

Je n'ai jamais chuté de plusieurs étages. Pourtant, j'ai vu ma maison exploser avec les trois quarts de ma famille à l'intérieur. J'ai vu le corps disloqué de mon petit frère. J'ai vu les cadavres des miens s'empiler. Alors on pourrait croire que plus rien ne me touche, surtout pas ça. On pourrait croire que je n'ai plus l'impression de chuter et de m'écraser au sol, comme je me suis écrasée contre un mur pendant l'explosion. On pourrait croire tellement de choses me concernant, que comme je suis une survivante et que j'ai connu tellement de choses ... Plus rien ne peut me toucher et surtout pas ça. Et pourtant. La claque que je prends est monstrueuse. Pire que ça. En voyant cette blonde arrivée, vêtue de son t-shirt à lui ... J'ai l'impression qu'on me piétine à coeur joie. La gêne sur le visage d'Enzo, tout ça me tue. « Je, euh, c'est... Imen. » lui dit-il après un certain moment de flottement. Et moi je suis juste paralysée. Parce que non, ce n'est pas possible. Je sais que j'arrive un peu tard mais je viens de lui déballer tout ce que j'ai sur le coeur et ... juste non ! Le visage de la fille prend un air étrange. « Oh... Okay, maybe I should go get dressed. » Elle sait, il lui a raconté. Mon prénom a suffi pour qu'elle comprenne donc il lui a raconté. Alors comme ça, maintenant je dois passer pour la salope sans coeur auprès de tous ses proches ... Je ne lui reproche pas, ça non, mais c'est juste un fait. Putain, j'arrive pas à refaire surface là ! Je réussis enfin à refermer la bouche auprès d'un douloureux effort. Les larmes me montent aux yeux mais je refuse catégoriquement de pleurer devant lui, dans cette situation. J'essaie de me souvenir que j'ai connu pire mais ça marche à peine parce que celle-là, je ne l'ai pas vu venir. En même temps, j'imagine que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, pas vrai ? A force d'avoir peur ... Voilà le résultat.

Je le regarde, comme si j'attendais qu'il me dise que non, en fait c'est une blague mais ... bien sûr que non. Il reporte son attention sur moi. « Hm... Désolé.  » balbutie-t-il. Désolé ? Je suis une survivante, bien sûr que je peux supporter ça. Ou pas. Comment ai-je pu être aussi conne ? Comment ai-je pu être persuadée que ... J'ai pris ma relation avec lui pour un acquis et voilà où ça me mène. J'ai l'impression qu'une main invisible est en train de me tordre coeur et entrailles tellement c'est douloureux. Je ne sais plus comment respirer. Bien sûr qu'une part de moi lui en veut. J'ai envie de le frapper, de crier que ce n'est pas possible, que ça peut pas se passer comme ça alors que je viens de lui déballer mes sentiments ... Mais il a fait la même chose. Il a fait la même chose, j'ai pris peur et je l'ai fait souffrir. Deux fois, voire plus parce que malgré tout, il est resté à mes côtés en serrant les dents. Je crois que j'ai toujours su que ça lui coûtait, mais ce n'est que maintenant que je me rends compte à quel point. Et je prends conscience que la personne que j'aie envie de frapper ce n'est pas lui, ni sa copine dont le regard restera sûrement à jamais gravé dans mon esprit ... c'est moi. Bien sûr que c'est moi que j'aie envie de frapper. « Give me a sec to put something on, we could go somewhere and... and talk this out. » continue Enzo. Franchement, j'aurais pu éclater de rire si j'en avais encore la capacité. Mais je suis bloquée et toute ma concentration se fait sur mes larmes que je refuse de sentir couler. Il n'y a plus grand chose à dire. J'ai tout gâché et en plus, le destin s'en est mêlé. Je me sens tellement conne, c'est juste horrible. Conne et humiliée. Va falloir arrêter ce massacre avant que je ne puisse plus me retenir et que je me retrouve à discuter avec Enzo et sa copine ... qui est tout le contraire de moi, en tout cas physiquement. Nouveau coup. Imen, bouge-toi, je t'en supplie, bouge-toi ! « Non, non ... Je vais ... Je vais ...  » Je n'arrive pas à finir ma phrase, la fin reste bloquée. Ma respiration est irrégulière, on dirait que je vais faire un malaise. Non vraiment, je veux pas qu'on en parle. L'humiliation suprême serait que je me retrouve en pleurs sur leur canapé. Si Enzo a choisi d'être avec elle c'est que ça doit être quelqu'un de bien, alors que moi ... donc qui je suis pour venir foutre le bordel ? Il y a rien à dire. Alors avec le peu de dignité qui me reste, je fais volte-face et m'éloigne, en me retenant de courir. Je prie à la fois pour qu'Enzo me retienne et qu'il ne le fasse pas. Mes pas augmentent la distance entre nous et comme je suis dos à lui, je laisse mon menton trembler et la première larme couler librement. N'ayant pas la force d'attendre l'ascenseur sous ses yeux, je décide de prendre les escaliers. Quand je m'y engouffre, je descends les marches presque quatre à quatre. Oh, mon dieu ... Oh mon dieu ... Qu'est-ce qui vient de se passer au juste ? Non ... Ca ne peut pas se terminer comme ça ! Non ! Je descends les escaliers, la vue brouillée par les larmes. J'accélère, je les dévale pour m'éloigner au plus vite mais c'est encore pire. Quelle conne ! Comment ai-je pu venir ici en étant sûr que ... Mais je croyais vraiment que ça allait s'arranger, comme je pouvais me douter que ... Oh seigneur, pas ça ... Arrivée au rez-de-chaussé de l'immeuble, dans le hall, je laisse le premier sanglot, que je retenais en otage dans ma gorge, éclater. Un son étrange sort et je plaque ma main sur ma bouche. Je m'écroule littéralement, me retiens à un pilier et tâche de me reprendre sans y parvenir. Enzo ... c'est vraiment la personne à qui je tiens le plus ici, Yasmine étant hors-catégorie. J'ai perdu tellement de gens dans ma vie que ... Non, pas Enzo, pas comme ça ... Et pourtant. Je décide de prendre cinq minutes. Cinq minutes pour me calmer. Et surtout cinq minutes, au-cas-où il change d'avis, où il pourrait dire à l'autre qu'en fait, ça ne va pas être possible et ensuite, il viendrait me rejoindre ... D'accord, je n'y crois pas trop mais ça vaut le coup d'essayer. Mes sanglots se calment, ma respiration redevient normale au fil des secondes qui passent et qui m'éloignent de plus en plus de lui. Qu'est-ce que je donnerais pas pour retourner en arrière. Au moins à cette fameuse soirée où je l'ai embrassé, en profiter pour m'ouvrir les yeux et d'accepter mes sentiments pour lui plutôt que de le rejeter encore. C'est trop tard. Les cinq minutes se transforment en sept minutes, puis en huit. Puis en dix. Le silence m'entoure toujours. Personne ne vient. J'ai arrêté de pleurer. C'est la facilité. J'ai toujours l'impression qu'on m'a marché dessus tellement je suis sonnée. Juste respire Imen, respire, aurait-dit ma mère ses mains douces posées sur mon front. Pourquoi c'est toujours si douloureux de ressentir les choses mamans ? Pourquoi vous êtes plus là pour m'aider avec tout ça ? Je prends une profonde respiration et je ferme tout. Mon esprit, mon coeur et tout ce qui va avec. La silence m'accompagne toujours quand je sors de l'immeuble, alors que j'ai en tête ces trois mois : c'est fini.