Après plusieurs mois sans avoir pu écrire un seul mot, je me retrouvais devant mon ordinateur sans pouvoir m’arrêter d’écrire. Je ne savais pas ce qui m’inspirait le plus : écrire enfin un dossier intéressant, sur le handicap vu à travers le monde, ou le fait de ne pas avoir à penser que Samantha, ma meilleure amie, m’avait demandé d’être son donneur de sperme. Parce que je ne lui avais toujours pas répondu, malgré les quelques jours qui s’étaient passés depuis sa demande. Que répondre à cela, en même temps ? Je savais qu’il lui avait fallu beaucoup de courage pour me demander cela, et qu’elle avait dû être frustrée que je ne lui réponde pas immédiatement, mais j’avais besoin de temps pour y réfléchir. Après tout, même si elle ne me demandait pas de m’engager dans la vie de ce futur enfant, ce n’était pas une décision à prendre à la légère. Mais d’un autre côté, elle était ma meilleure amie. Depuis sept ans maintenant, elle avait toujours été là pour moi, à me soutenir et à assurer mes arrières, peu importe ce que je faisais. Ne devais-je pas lui retourner la chandelle ? Et puis techniquement, qu’est-ce que cela changerait à ma vie ? Rien, probablement. Et puis, qu’est-ce qui me disait que je n’avais pas d’enfants quelque part à New York ? Après tout, j’avais dû coucher avec à peu près la moitié des femmes de ma génération, et même si je prenais mes précautions – il n’y avait pas que les grossesses comme maladies sexuellement transmissible, malheureusement – qu’est-ce qui m’assurait qu’un préservatif n’avait pas craqué lors d’une soirée ? Rien. Et puis, la seule différence que cela ferait dans nos rapports, c’est que je n’utiliserais pas de préservatif et qu’elle ne prendrait plus la pilule. Donc pourquoi pas, après tout ? Je soufflais lentement, tentant de me reconcentrer sur mon dossier. Ce dossier devait être parfait. Si j’avais réussi à faire des dossiers parfaits sur la rentrée des classes ou sur Halloween, ce n’était pas pour rater celui-ci, qui suivrait mon grand retour dans le monde du journalisme. J’entendis à peine la porte d’entrée s’ouvrir avant de se refermer. Mais je finis quand même par sortir de mes pensées lorsque je sentis deux passer autour de mon cou et un baiser sur ma joue. Juliette devait être rentrée. Je donnais une petite caresse sur son bras, avant de me mettre de trois quarts. « Mon grand frère chéri ! » me salua-t-elle avant de me tendre un paquet de bonbons. « Ma petite sœur adorée ! » répondais-je assez ironiquement, même si le sourire que je lui rendais n’était que réalité. « Un bonbon ? » me proposa-t-elle. Méfiant, je prenais un bonbon dans le sachet, avant de le porter à ma bouche.« Qu’est-ce que tu veux ? » lui demandais-je dans un sourire amusé, bien conscient qu’elle voulait quelque chose en retour.

Après toutes ces années à la côtoyer, je connaissais maintenant ma sœur cadette par cœur. C’était d’ailleurs pour cette raison que je la poussais tant dans ces études : parce que je savais qu’elle en était capable et surtout parce qu’elle le méritait. Elle méritait d’avoir une autre vie que celle qu’avaient eu nos parents. Je savais qu’elle n’aimait pas que je critique nos parents, mais pourtant je ne pouvais pas m’en empêcher. Nos parents ne nous avais jamais poussé à rien. Limite s’ils n’auraient pas été fiers que l’on reprenne leur succession. Mais je n’avais absolument pas envie d’être postier, ni envie que ma sœur ne devienne coiffeuse. Nous valions bien mieux que cela. Et c’était pour cela que j’étais heureux qu’elle ait fini par me suivre à New York. Bien sûr, les universités – spécialement les bonnes – étaient bien plus chères que celles que proposait Port Louis. Mais peu m’importait. Je préférais manger des pâtes pendant plusieurs mois pour qu’elle puisse avoir l’éducation qu’elle mérite. Mais pour pouvoir lui payer cela, tout en continuant à payer le crédit de notre appartement, il fallait que je me remette à travailler. Et si mon supérieur ne m’avait rien dit ces deux derniers mois alors que je ne lui avais rendu aucun article ou dossier, je savais qu’il finirait par me demander de le faire. Et cela même s’il était responsable de mon état actuel.

Mais même si j’avais déjà mon prochain dossier, j’avais du mal à me concentrer, mes pensées divaguant vers la demande que m’avait faite Samantha, ma meilleure amie. Et puis maintenant, Juliette me proposait des bonbons. Et la connaissant par cœur, je savais qu’elle voulait quelque chose en retour. « Qu’est-ce qui te fait croire que je veux quelque chose ? » dit-elle tout en mordant dans un bonbon en gélatine, avec de poser son poing sur sa hanche, d’un air que je trouvais surjoué. « Peut-être parce que je te connais comme si je t’avais fait ? » lui répondais-je en haussant un sourcil, avant de reprendre moi-même un bonbon. « Je ne peux pas faire plaisir à mon frère sans avoir une idée derrière la tête, c’est ça ? » rajouta-t-elle, me faisant lâcher un rire. Je secouais doucement la tête, amusé. Apparemment, ce n’était pas maintenant que j’allais pouvoir travailler. Je la connaissais bien trop, et je savais que, peu importe ce qu’elle voulait, elle ne lâcherait pas le morceau si vite. J’aurais pu l’envoyer balader et lui dire que je devais travailler, mais cela ne servirait à rien de toute façon. Autant savoir ce qu’elle voulait une bonne fois pour toute. « Enfin… maintenant que tu le dis… » commença-t-elle. Elle me faisait penser à un enfant pris sur le fait, faisant une bêtise. « Et voilà, c’est parti. » dis-je dans un murmure à peine audible, toujours amusé par la situation. « Dis-moi… Cette jolie blonde… » rajouta-t-elle. Je serrais immédiatement ma mâchoire. Juliette, attention à ce que tu dis. Elle marqua elle-même une pause, comme si elle ne savait pas comment amener la suite de cette conversation. « Sofia, c’est ça ? » questionna-t-elle alors, me faisant lâcher un soupir. Je secouais doucement la tête avant de rouler des yeux. « Quoi Sofia ? » lui demandais-je agacé, piqué au vif. Je n’avais vraiment pas envie de parler de mon ex, c’était certain. « C’est un joli prénom. » termina-t-elle alors. Je me pinçais l’arrête du nez, avant de la regarder attentivement. « Oui, en effet. » acquiesçais-je, avant de reprendre, toujours un peu agacé. « C’est tout ? »

Je savais bien qu’il y avait quelque chose de louche à ce qu’elle m’apporte des bonbons. Je la connaissais parfaitement maintenant. Comme je le lui avais fait remarqué, je la connaissais comme si je l’avais faite moi-même. En même temps, elle ne me cachait rien, et j’étais presque sûr de connaître toute sa vie. Et puis, bavarde comme elle était, ce n’était pas comme si elle pouvait me cacher quoique ce soit. Lorsque quelque chose d’important arrivait dans sa vie, elle se sentait obligée de le partager. Bref, un peu l’inverse de moi en fait. J’étais bien moins expansif, préférant garder mes secrets et ma vie privée pour moi. Ce n’était pas que je n’avais pas confiance en elle ou quoi. Bien sûr que non, je lui ferais confiance avec ma vie. Mais simplement, je n’aimais pas parler de ce que je ressentais. Et c’est la raison pour laquelle je me fermais instantanément lorsqu’elle mentionna Sofia. Je m’étais de suite douté qu’elle voulait quelque chose, mais j’aurais largement préféré que ce soit autre chose que de parler de mon ex petite amie.

Agacé, je lui demandé donc si c’était tout. Ce n’était pas tout ça, mais j’avais un article à écrire, si je voulais encore être considéré comme un journaliste. Je n’avais rien écrit depuis mi novembre, autant dire depuis un siècle. Je ne voulais pas perdre la main, simplement parce que j’étais dans un fauteuil. C’était mon dos qui avait tout pris, pas mon cerveau non plus ! Et surtout, je n’avais absolument pas envie de parler de la seule femme pour laquelle j’avais eu des sentiments un jour. « Non, ce n’est pas tout. » annonça-t-elle en se levant, avant de faire les cent pas. Je roulais des yeux, agacé. « Tu es au courant que je dois travailler hein ? » lui demandais-je, crispé. Déjà, le fait qu’elle fasse les cent pas me mettait mal à l’aise, je n’aimais pas ça. En plus, si c’était pour me faire parler de Sofia, il n’en était pas question. « Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux rien me dire à propos de S... » commença-t-elle avant de se reprendre immédiatement. «… à propos d’elle. » reprit-elle avant de se tourner vers moi. Elle avait bien fait de ne pas dire son nom, cela aurait probablement aggravé la situation. « Parce que ce ne sont pas tes affaires, tout simplement. » répondais-je, toujours agacé. « Je sais bien que tu n’es pas très expansif, mais quand même ! » Et voilà qu’elle s’énervait maintenant, avant de reprendre ses cent pas, plus rapidement cette fois. C’était de mieux en mieux tiens. Comment pouvait-elle s’énerver tout simplement parce que je n’avais pas envie de parler d’une des pires périodes de ma vie ? « Tu ne te livres jamais, même pas à moi ! Tu as peur de quoi, au juste ? » Je me retournais vers mon ordinateur. Je la connaissais et je savais qu’elle avait maintenant les larmes aux yeux, et je n’avais pas spécialement envie d’assister au spectacle. « Je n’ai pas peur Juliette. Je n’ai juste pas envie d’en parler, c’est tout. » répondais-je dans un soupir, me calmant un peu, les yeux toujours fixé sur mon ordinateur. Mais cela ne suffit pas à la jeune femme qui s’agenouilla alors à ma hauteur. La regardant, je vis qu’elle avait posé ses mains sur mes genoux, ce qui eu le don de m’agacer de nouveau. Pas le fait qu’elle les aie posées, ça je m’en moquais. Mais plutôt le fait que je n’avais pas sentie ses mains se mettre sur mes genoux. J’en venais souvent à oublier que je ne sentais plus mes jambes, celles-ci étant paralysées. Jusqu’à ce qu’il y ait des moments comme celui-ci pour me le rappeler. « S’il te plaît… Peut-être… Peut-être que je peux faire quelque chose… » quémanda-t-elle de nouveau. Dans un soupir las, je la regardais.« Mais qu’est-ce que tu veux savoir au juste ? J’ai été avec elle à l’université et on a rompu. Je ne vois pas ce qu’il y a à dire de plus à ce sujet. »

Je savais bien que ma petite sœur n’était pas venue me proposer des bonbons innocemment et qu’il y avait une raison cachée derrière tout ça. Et si au début, cela m’avait amusé, ce n’était plus le cas depuis que je savais que sa raison cachée était qu’elle voulait me faire parler de Sofia. Je ne voyais même pas ce qu’il y avait à dire de plus que ce que je lui avais dit. On avait été ensemble et on ne l’était plus. Que dire de plus ? « Tu n’as jamais envie de parler, de toute façon… » grommela ma petite sœur. J’ai vraiment cru qu’elle allait se mettre à bouder comme une enfant de cinq ans. Heureusement, elle ne le fit pas. Je ne répondis rien, bien trop préoccupé de la voir accroupie et les mains sur mes genoux. Ce n’était pas tant qu’elle me touche ou autre, mais plus le fait que je me ressentais pas ses mains sur mes genoux. Je les voyais, les encadrant, mais c’était tout. Je n’en avais pas la sensation. « Je ne sais pas… Je sens que tu ne me dis pas tout. » rajouta-t-elle avant de se lever. « C’est juste que je ne vois pas quoi en dire, c’est tout. Pas que je veuille te cacher quelque chose, mais je ne vois pas quoi dire de plus. » répondais-je sincèrement, le calme revenu. Je ne pouvais jamais lui en vouloir bien longtemps de toute façon.

Croyant la conversation enfin terminée, je me remettais sur mon ordinateur, tapant quelques mots. J’ouvrais également une page internet pour faire quelques recherches, avant de reprendre mon écrit. « Tu sais... Parfois, je me dis que tu ne te confies tellement pas qu’il pourrait t’arriver quelque chose d’énorme et que tu ne me le dirais pas… » m’avoua-t-elle avant de passer ses bras autour de mon cou pour m’enlacer, me faisant lâcher un soupir d’ennui. Bon, la conversation n’était pas terminée apparemment. « Comment ça ? » lui demandais-je dans un haussement d’épaules. Je ne voyais réellement pas de quoi elle parlait. Je lui disais beaucoup. Enfin, elle savait plus de choses que d’autres quoi. Et puis, ce n’était pas de ma faute si je n’aimais pas spécialement parler, non ? « Promets-moi au moins une chose, d’accord ? Quand tu te marieras, préviens-moi quand même avant… » me demanda-t-elle, me faisant lâcher un rire. « Je ne pense pas me marier. » lui annonçais-je en lui lançant un regard amusé.« Et si tu as un enfant un jour, dis-le moi. Oh, je te connais, tu es capable de me dire tout à trac que je suis tante le lendemain de l’accouchement ! » rajouta-t-elle ensuite. Comme si je ne lui dirais que le lendemain de l’accouchement, quand même ! Elle le saurait bien avant si je mettais une femme enceinte. Je ne répondis rien, me contentant de la regarder prendre un nouveau bonbon dans le sachet. « Ah, un nounours à la guimauve, mon préféré ! » dit-elle avant de décapiter le pauvre nounours. J’eus un petit soupir, et fis une petite grimace. « Si je te dis quelque chose, tu me promets de ficher la paix avec ça ? » lui demandais-je dans un sourire amusé. Après tout, je n’avais pas pris ma décision à propos de la demande de Samantha, mais peut-être que si je l’en informais, sa curiosité serait rassasiée pendant au moins un moment.