« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

Ce matin là, en me levant, je n’avais jamais imaginé que la journée serait catastrophique à ce point. Nous étions le 26 Décembre, le lendemain des fêtes de Noël. Je n’avais rien fait de particulier ; mes parents m’avaient demandé de venir passer le réveillon avec eux, et c’est ce que j’avais fait. C’était une tradition, chez nous. J’étais fils unique, et je savais que pour eux, ma présence comptait beaucoup, notamment pour ce genre de « fêtes familiales ». Ils avaient besoin de savoir que, même si je n’habitais plus avec eux depuis quelques années maintenant, j’étais toujours là.

J’avais donc passé la soirée du réveillon chez eux. Nous habitions la même ville, et pourtant, je ne les avais pas vus depuis plus de deux mois, à cause de mon emploi du temps trop chargé. Comme d’habitude, j’avais fait mes cadeaux à la dernière minute, et j’étais arrivé en retard. J’avais à peine franchi le seuil de la porte que ma mère s’était jetée sur moi. Littéralement. Elle m’avait presque étouffé en me serrant dans ses bras, et m’avait scruté de haut en bas, pour finir par me dire que j’étais trop mince. J’avais levé les yeux au ciel ; c’était bien ma mère, ça.

La soirée s’était bien déroulée ; aucun événement majeur à relever. Pourtant, le cœur n’y était pas, et j’avais fait de mon mieux pour masquer mon manque évident d’enthousiasme. Mes parents avaient dû s’en apercevoir, mais ils avaient eu la délicatesse de ne pas en parler. Et d’éviter le sujet des petites amies. En réalité, mes pensées n’avaient été dirigées que vers une seule personne ; Anna. Je me demandais ce qu’elle pouvait faire ; si elle était en famille, ou si elle travaillait. J’avais résisté à l’envie d’aller la voir. Elle n’aurait pas apprécié, j’aurais été mal reçu. En même temps, vu comme notre dernière entrevue s’était finie… C’était compréhensible.

J’étais resté enfermé chez moi, la journée du 25. Je n’avais rien fait, et j’avais passé la journée affalé dans mon canapé, la télécommande à la main. Comble de la fainéantise, j’avais même été jusqu’à me faire livrer à manger plutôt que de cuisiner quoique ce soit.
Le 26 Décembre, j’avais décidé de sortir. Le temps était menaçant ; de fortes chutes de neige étaient attendues. Pourtant, j’avais envie de sortir, de prendre l’air. Mon père m’avait filé un chèque à aller mettre à la banque, et je devais aller m’acheter d’urgence une nouvelle écharpe ; j’avais oublié la mienne chez mes parents. Alors je m’étais levé, j’avais pris une douche, et j’étais sorti.

J’avais commencé par acheter l’écharpe ; c’était un élément indispensable, vu la neige et le froid glacial. Je m’étais ensuite rendu chez Levi’s ; j’adorais leurs jeans, et vu le peu de monde qu’il y avait dans la boutique, autant en profiter. J’en étais ressorti une heure et demie plus tard, avec un paquet qui contenait trois jeans, une ceinture et deux polos. Finalement, en voyant que le temps se dégradait à vue d’œil, j’avais décidé d’aller tout de suite à la banque ; au moins, cette histoire serait réglée, et je pourrais rentrer chez moi.

Sauf que les choses n’ont pas été aussi rapides que je l’avais imaginé. Il y avait plein de monde, et je devrais faire preuve de patience. Franchement, dans ces moments là, je me demandais à quoi me servait ma notoriété de mannequin. J’avais donc attendu plus d’une heure, lorsque la réceptionniste me fit signe. Je me suis dirigé vers elle, avant de lui demander de déposer ce chèque sur l’un de mes comptes. J’ai profité du fait qu’elle soit occupée pour regarder autour de moi ; il y avait encore du monde qui attendait, et le temps se dégradait. La neige s’entassait, les voitures commençaient à être bloquées.

C’est à ce moment là que j’avais vu Anna s’engouffrer à l’intérieur de la banque. Nos regards se croisèrent, et notre dernière soirée me revint en tête. Pourtant, je n’ai pas bougé, et pire : j’ai préféré l’ignorer. Je me suis retourné vers la réceptionniste, attendant qu’elle finisse toutes ses manipulations.

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

S’il y avait bien un lieu, en ville, où j’étais un peu prêt sur de me sentir en sécurité, c’était à la banque. Habituellement, il y a pas mal de monde ; essentiellement des vieux, il fallait bien l’avouer. J’aimais bien ce lieu, parce que je passais souvent incognito. Ce n’était pas comme dans la rue, par exemple, où j’étais susceptible à chaque pas de me faire arrêter pour une photo ou un autographe.

Alors oui, la banque était un lieu tranquille pour moi. Sauf aujourd’hui. Si j’avais su que j’allais y croiser Anna, je me serais abstenu de venir. J’aurais préféré rester chez moi, prendre mon temps, et ne venir que quelques jours plus tard. En allant à la banque aujourd’hui, j’avais voulu me débarrasser d’une corvée ; j’aurais dû être un peu plus patient, finalement.

Alors que mon regard croisa celui d’Anna, j’ai eu un flash back de notre dernière soirée. Elle avait mal commencée, mais surtout, elle avait très mal terminée. Alors, plutôt que d’affronter son regard, j’ai préféré détourner mes yeux, pour les reposer sur la réceptionniste.

Cette fameuse soirée avait marqué la fin, définitive, de notre histoire ambiguë. J’avais été froid, sec, et méchant. C’était la seule et unique chose que j’avais trouvé à faire. J’avais voulu être blessant, mauvais. Parce qu’elle m’avait fait trop mal, et parce qu’elle me faisait encore mal. Alors j’avais prononcé des paroles dures, gravées dans ma mémoire. Et j’étais parti, en prenant bien soin de claquer la porte.

J’avais dévalé les escaliers de son immeuble, et je m’étais rapidement retrouvé dans la rue. Il faisait froid, et quelques flocons tombaient. Une seule et unique larme coula le long de ma joue ; je l’ai vite effacée en passant ma main. Hors de question de laisser transparaître un signe de faiblesse ; ce n’était pas mon genre.

Je détestais Anna. Je la détestais vraiment, entièrement, de tout mon être. Je la détestais parce qu’elle avait refusé mon aide, mais surtout parce qu’elle avait été aveugle. Elle n’avait rien vu, rien du tout. Evidemment, j’aurais préféré rester le Erwan de son adolescence ; celui avec qui elle s’entendait bien, et avec qui il n’y avait aucune ambigüité. Ça aurait été tellement plus simple… Mais ça n’avait pas été le cas ; il avait fallu que ça se complique. Que je l’embrasse, que des sentiments naissent en moi à son égard. Je la détestais, parce qu’à cette heure-ci, je souffrais par sa faute. Elle m’avait brisé, sans même en avoir conscience.

Toujours concentré sur le travail de la réceptionniste, j’ai fait de mon mieux pour ignorer Anna. Résister à la tentation de la regarder. Pourtant, un gros bruit me fit me retourner. Une branche venait de s’écraser contre la baie vitrée qui servait de porte d’entrée de la banque. Je me suis retourné vers la réceptionniste, agacé. Je voulais vraiment partir, avant que le climat ne se dégrade d’avantage. Oubliant la promesse faite à Anna d’être plus gentil avec les employés, j’ai commencé à m’adresser à la réceptionniste :

« Dépêchez vous ! Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, le temps dehors se dégrade, et j’aimerai rentrer chez moi avant la tombée de la nuit ! Evidemment, avec vous, ce n’est pas gagné ; vous êtes d’une lenteur et d’une inefficacité affligeante… On se demande pourquoi vous êtes payée, en fait ! C'est pas possible d'être aussi empotée !»

L'attention de Anna fut de nouveau détourné par des paroles assez sèches et fortes. Anna n'aurait peut-être pas relevé ce haussement de ton s'il n'avait pas s'agit de Erwan. Anna était attiré par le jeune homme, elle était réceptive à tout ce qui le concernait, elle pouvait reconnaitre sa voix au milieu d'une foule de gens. C'était d'ailleurs un peu le cas en ce moment. Ana fronça les sourcils fasse au ton que venait d'employer son ancien ami pour s'adresser à la femme. Anna leva les yeux au ciel, pourtant au lieu de rester à sa place dans la queue comme toute personne normal l'aurait fait. Anna sortit de la file pour se diriger vers la file d'à côté. Ignorant les protestations de tout le monde lorsque Ana passa devant tout le monde, elle poussa légèrement Erwan pour s'adresser à l'employé". " je suis désolé pour lui madame, sa maman l'a pourtant très bien éduqué mais à croire que les bonnes manières se perde... " Anna lança un regard noir à Erwan qui ne semblait pas comprendre ce qu'il lui arrivait. D'ailleurs l'employé de banque était aussi surprise que Erwan, elle n'osait pas vraiment parler.

Anna ne se contenta pas de sa, alors que les gens regardait un peu la petit scène qu'elle venait de faire, la jeune femme ne se formalisa pas, elle se tourna vers Erwan. "toi je croyais que tu devais mieux te comporter ... mais bien sur comme d'habitude, tu ne peux pas t'empêcher d'être désagréable, tu es ... pff tu ne vaux même la peine que je m'énerve ..." la jeune femme tourna les talons mais voyant qu'elle n'avait plus de place dans la file d'à côté, elle secoua la tête agacé. "Et voilà je n'ai plus de place maintenant..." Son ton était celui du reproche, Anna était de mauvaise fois, elle savait que c'était de sa faute. De toute façon, toute cette situation était de sa faute et bien qu'elle la rejetait sur Erwan, elle se sentait vraiment mal de faire ça.

Pourtant le mal aise de Annabella fut détourné par l'arrivé d'un agent de police. Alors que le temps c'était aggravé à l'extérieur, l'homme prit la parole "Votre attention s'il vous plait, une tempête de neige sévissant à l'extérieur, il va falloir que vous restiez dans la banque en attendant que le temps se calme ..." Anna ouvrit les yeux en grand, réalisant ce que venait de dire l'agent. " c'est une blague j'espère ..."

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

Je n’ai jamais été quelqu’un de patient. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours été quelqu’un de pressé. Mais là, aujourd’hui, dans cette banque, dire que j’étais pressé relevait de l’euphémisme. Je me sentais oppressé dans cet endroit, alors que je sentais le regard d’Anna posé sur mon dos. Le temps dehors se dégradait rapidement, et je n’avais pas envie de me retrouver bloqué dans cette maudite banque.

Alors, pour m’en sortir, j’ai fait la chose que je savais faire à merveille : râler. Etant donné que la réceptionniste ne semblait pas pressée, j’ai décidé de lui faire passer la deuxième. Certes, je me suis légèrement emporté. Enfin… Tout est relatif ; disons plutôt que je lui ai crié dessus pour qu’elle accélère, et que je l’ai, à peine, insultée.

Je n’ai jamais été très agréable, je dois bien le reconnaître. Mais là, j’ai carrément dépassé les bornes avec l’employée. Mais honnêtement, je ne savais pas vraiment comment faire. Je voulais me tirer le plus vite possible de cette banque, je voulais rentrer chez moi, et avoir la paix. J’allais en rajouter une couche, mais comme d’habitude, Anna est venue perturber mes plans.

Elle s’excusa auprès de la réceptionniste pour mon comportement, et alla même jusqu’à dire que les valeurs que ma mère m’avaient enseignées se perdaient. J’ai soupiré. Qui était-elle pour me dire ça ? J’avais tout fait pour la convaincre d’arrêter ses activités, j’avais voulu la protéger, j’aurais pu lui offrir la vie sociale parfaite. Mais elle m’avait repoussé. Il n’y aurait aucun retour en arrière.

Finalement, mes yeux se reportèrent sur la réceptionniste, ignorant superbement Anna, qui resta plantée là quelques secondes. Pourtant, elle ne sembla pas vouloir en rester là. La preuve, elle s’adressa ensuite directement à moi, agacée.

« Je reste le même, Anna. Rien ne change. »

Elle tourna finalement les talons, prête à repartir à sa place initiale. Mais mon soulagement de la voir s’éloigner ne fut que de courte durée ; en effet, pendant son absence, les gens en avaient profité pour lui passer devant. Elle resta donc à mes côtés. J’ai haussé les épaules ; après tout, c’était elle qui avait décidé de venir me faire la morale. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle ; je n’étais en aucun cas responsable de cette situation.

Mon attention se reporta sur la réceptionniste, qui semblait presque avoir fini. Miracle, vu comment les choses étaient parties. Pourtant, une voix me sortit de ma torpeur ; j’ai froncé les sourcils, avant de me retourner. Un agent de police était là, et prévenait que nous ne pourrions pas sortir de l’établissement à cause du temps, qui se dégradait de plus en plus. Par mesure de sécurité, nous devrions rester dans la banque, jusqu’à ce que les choses se calment.

J’allais réagir, mais l’agent est parti aussi vite qu’il était arrivé. Il est ressorti de la banque, et finalement, le directeur est venu nous trouver. J’ai dégluti, évitant à tout prix le regard d’Anna. J’ai attentivement écouté son speech.

« Par mesure de précaution, vous devez rester ici pour un temps indéterminé. Nous ferons de notre mieux pour vous assurer le meilleur service qui soit. »

Une personne protesta, avant que je ne bouge d’un pouce. Mais le directeur était catégorique ; personne ne sort jusqu’à nouvel ordre, et les bureaux seront répartis pour de petits groupes de personnes. Mais il était absolument hors de question que je tolère cette mesure ; c’était impossible. J’ai baissé les yeux vers mes mains, qui tremblaient légèrement. Pour cacher mon trouble, je les ai fourrées dans mes poches.

Mon regard croisa celui d’Anna. Il m’a fallu une fraction de seconde pour comprendre. Elle savait. Elle n’avait pas oublié ce petit détail, qui allait rapidement devenir catastrophique. J’ai dégluti. Je me suis dirigé vers le directeur, avant de lui filer quelques billets, en échange d’un bureau pour moi tout seul. Il hocha la tête ; vu le paquet de fric que je venais de lui mettre dans la main, il n’avait pas d’autre choix.

Nous sommes passés devant Anna ; j’ai fait un signe de tête, pour l’inviter à nous suivre. Je n’avais pas d’autre choix ; il fallait que quelqu’un soit là pour me calmer, avant que les choses ne se dégradent trop. Et j’étais sur qu’Anna saurait comment réagir, s’il y avait besoin.

Le directeur nous abandonna dans un bureau, et ferma la porte derrière lui quand il ressortit. A peine la porte était-elle fermée que j’ai commencé à enlever mon veste. J’avais chaud, mes gestes étaient incertains. J’ai soupiré, en balançant ma veste sur une chaise, puis je me suis dirigé vers la minuscule fenêtre pour l’ouvrir. De l’air, j’avais besoin d’air.

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

Lorsque l’agent était apparu dans la banque, j’avais immédiatement eu un mauvais pressentiment. Pour deux raisons ; la première, c’est qu’à chaque fois que j’ai croisé un agent de police dans ma vie, c’était pour une mauvaise raison. Contravention parce que je suis mal garé, contravention parce que j’ai fait un excès de vitesse, contravention pour outrage à agent, contravention pour… Bref, liste totalement exhaustive, qui fait que je déteste me retrouver face à un agent.

Mais celui-là, qui était apparu… C’était le stéréotype même du flic New-Yorkais. Costume noir, petite casquette, petite moustache… En aucun cas, il ne me paraissait sympathique. Et ce qu’il vint nous annoncer me confirma mes pensées. Avec ces paroles, il avait réussi à me pétrifier sur place. Rester enfermer ici pendant un temps indéterminé ? C’était mal me connaître ; rien que d’y penser, j’en avais déjà des sueurs froides.

Alors j’avais fait la seule et unique chose que je pouvais faire ; soudoyer le directeur de la banque. Discrètement, alors que je m’étais rapproché de lui pour lui parler, j’avais glissé dans ses mains une liasse de billets. J’étais prêt à tout pour échapper à la situation dans laquelle j’étais fourré, bien malgré moi. Il fallait que je quitte le hall de la banque, là où se trouvaient tout le monde.

Dans la vie quotidienne, je suis un personnage public ; mannequin de mon état, je suis reconnu par les gens. Ce n’est pas de la vantardise, c’est simplement la vérité. Alors je ne pouvais pas, pour des raisons d’égo mais aussi de popularité, me permettre de flancher en public. Pour tout le monde, je devais être et rester Erwan Brighton, un mannequin connu pour son caractère bien trempé et pour sa liste de conquêtes affolantes.

En passant devant Anna, alors que le directeur prenait le chemin des bureaux, je lui ai fait signe de me suivre. Sur le coup, je n’ai même pas réfléchi ; pour moi, il était normal qu’elle me suive, et qu’elle vienne avec moi. Hors de question de la laisser parmi tous les autres, seule. Sans parler du fait que j’étais sérieusement angoissé à l’idée de me retrouver seul, prisonnier dans une salle. Anna me serait d’un grand secours, j’en étais persuadé.

Le directeur nous abandonna finalement dans un bureau aux dimensions ridicules. Il prit soin de refermer la porte derrière lui, alors que j’enlevais mon blouson. J’avais besoin d’air, je me sentais déjà suffisamment étouffé comme ça. J’ai été ouvrir la petite fenêtre, qui donnait sur la rue. Il fallait que je respire, que je parte. Mes mains étaient déjà moites.

Je me suis retourné vers Anna alors que j’entendais des paroles réconfortantes sortir de ses lèvres. J’ai hoché la tête, alors qu’elle me disait que nous ne resterions pas là longtemps. Dans mon cas, l’attente avait intérêt d’être brève ; sinon, Anna risquait d’en baver sérieusement, et bien malgré moi.

La main d’Anna attrapa la mienne. J’ai baissé les yeux, surpris, mais je n’ai fait aucun commentaire. Au contraire, même. Mes doigts s’enlacèrent autour des siens, et exercèrent une pression sur sa fine main. C’était une façon comme une autre de la remercier d’être là, de faire ce qu’elle faisait pour moi, alors que rien ne l’avait obligée.

J’ai hoché la tête alors qu’elle me disait qu’il fallait qu’on aille s’asseoir. Sa main lâcha la mienne, et Anna alla s’asseoir sur le bureau. J’ai dégluti, mais je n’étais pas d’attaque à me disputer avec elle. J’avais besoin d’elle, de sa présence. J’avais terriblement besoin qu’elle soit à mes côtés, qu’elle me rassure, qu’elle me console. Je lui étais infiniment reconnaissant d’être avec moi.

Je suis allé m’asseoir dans un coin de la pièce, à l’opposé de la fenêtre, face à Anna. J’en ai profité pour enlever les deux premiers boutons de ma chemise. L’angoisse me rendait moite, et je détestais ça. Je ne contrôlais plus rien, et je pouvais rapidement être à la merci d’Anna, si elle le désirait. J’ai relevé les yeux vers elle alors qu’elle me demandait combien j’avais filé au directeur pour qu’il accepte de nous laisser ce bureau. J’ai haussé les épaules.

« 2000 dollars. Je voulais la paix, j’voulais juste être loin des autres. Il aurait pu nous trouver mieux, quand même… Quitte à être enfermé et maladivement angoissé, autant que ce soit dans le confort. »

J’ai soupiré, en posant ma main sur mon front. Si j’avais su que cette matinée allait se transformer comme ça… Jamais je ne serai sorti. Jamais. Ma claustrophobie avait toujours été omniprésente, mais habituellement, je la gérais bien. Je savais que je n’étais pas enfermé, pas condamné, que je pouvais sortir à tout moment. Pas là.

« Je suis désolé de t’avoir embarqué dans cette galère, surtout vu les circonstances actuelles, qu’elles soient météorologiques ou… Affective, dirais-je. J’voulais pas être seul, et t’étais la seule personne en qui j’avais confiance. »

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

Assis dans mon coin, je ressassais mes sombres pensées, alors que j’enlevais les deux premiers boutons de ma chemise. J’avais bien conscience que plus le temps passait, plus ma claustrophobie s’accentuait. Désormais, il m’était impossible de rester dans une pièce fermée pendant un laps de temps indéterminé. C’était trop dur, trop insupportable. J’avais l’impression irrationnel que je n’en ressortirai jamais, que je resterai bloqué là pendant des heures, des jours, voire même des mois, avant qu’on découvre ma présence. J’ai baissé les yeux vers mes mains ; elles tremblaient légèrement. Gêné par cette réaction naturelle, je les ai bloquées sous mes cuisses. Faible tentative pour masquer ma peur face à Anna.

Je n’ai relevé les yeux vers elle que lorsqu’elle me demanda combien j’avais payé le directeur de la banque pour qu’il accepte de nous filer un endroit aussi minable. 2000 dollars. J’avais hésité quelques secondes, avant de le dire à Anna. Je savais qu’elle gagnait plutôt bien sa vie, et qu’elle ne manquait de rien. Mais elle n’avait pas mes ressources financières, et j’avais tendance à dépenser sans regarder. J’ai eu un petit sourire alors qu’elle me confirmait que nous nous étions fait avoir, et qu’un quart du prix aurait servi à nous faire avoir la même pièce. J’ai haussé les épaules.

« Je changerai de banque. J’aime pas qu’on m’arnaque comme ça. » Murmurais-je en souriant.

Autant essayer de détendre l’atmosphère, par tous les moyens possibles. J’étais intimement reconnaissant à Anna de m’avoir suivie ici. D’autant plus reconnaissant qu’avec les derniers événements qui s’étaient produits entre nous, les choses auraient pu être bien pires, et j’aurais pu me retrouver seul face à ma pire crainte. Autrement dit, j’aurais sans doute rapidement pété un câble, fait une crise d’angoisse, et tenté de sauter par la fenêtre pour m’en sortir. Et j’exagère à peine.

Alors, brisant la glace, j’ai décidé de la remercier d’être là, tout en m’excusant de l’avoir entraînée avec moi. Les paroles d’Anna, qui suivirent, me rassurèrent. J’ai hoché la tête ; on ne peut pas vraiment dire que je suis quelqu’un d’expressif. Mais Anna savait ce que ce simple geste voulait dire ; il y avait toujours un sous-entendu derrière un acquiescement.

La pièce se refroidit rapidement, mais je m’en fichais totalement. J’avais abandonné ma veste et mon écharpe sur le bureau, et je me retrouvais à présent vêtu d’une simple chemise, déjà bien ouverte. Pourtant, si la fraîcheur m’aida à rester calme, mes mains étaient encore moites et tremblantes, signe évident de mon malaise à être enfermé ici.

« Tu as raison, évitons ça. Mais je te rassure, je ne suis pas vraiment d’attaque. » Avouais-je. « Et tu sais quoi ? Enfile voir ma veste avant de tomber malade. J’voudrais pas te rendre visite à l’hôpital pour une pneumonie. »

Je l’ai vue enfiler ma veste, alors qu’elle se levait. Intrigué, j’ai légèrement froncé les sourcils, avant de me détendre en m’apercevant qu’elle se dirigeait vers moi. Elle s’installa juste derrière moi, et sa voix mélodieuse ne tarda pas à retentir. J’ai eu un petit rire amusé alors qu’elle me disait que me voir me déshabiller ne la dérangeait pas, mais que sa méthode serait sans doute plus utile.

« Je t’assure qu’habituellement, mes striptease sont plus alléchants et prometteurs que celui que tu viens de voir. » Murmurais-je, amusé.

Quelques secondes plus tard, j’ai senti les doigts d’Anna se poser sur mes tempes, alors qu’elle collait son buste contre mon dos. J’ai écarquillé les yeux, surpris. Pourtant, je n’ai rien dit, et je l’ai laissée faire. J’avais confiance en elle, je savais qu’elle voulait juste me rassurer, et m’aider à me détendre. Ses doigts commencèrent à masser mes temps, alors qu’elle me disait de fermer les yeux, et de me vider la tête. Obéissant à ses ordres, je l’ai fait.

D’abord peu rassuré, je me suis finalement laissé aller. Evidemment, je n’étais pas extrêmement rassuré, mais la méthode d’Anna avait des bienfaits indéniables. Déjà, mes mains avaient cessé de trembler, ce qui était une bonne chose.

« C’est officiel, je t’embauche en tant que masseuse. » Chuchotais-je.

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

Mes yeux restèrent fixés sur Anna. Je ne voulais pas la perdre de vue une seule seconde ; savoir qu’elle était là, avec moi, me rassurait quelque peu. Je me sentais moins seul, et d’une certaine manière, ça m’obligeait à garder mon calme. Je voulais à tout prix éviter de craquer davantage devant Anna ; elle m’avait déjà vu dans un état suffisamment déplorable comme ça. Je l’ai donc regardée enfiler ma veste en cuir, qui se trouvait auparavant sur le bureau. Elle était trop grande pour elle, mais elle lui allait bien.

« De rien. » Murmurais-je.

Afin de détendre l’atmosphère, j’avais dit à Anna qu’habituellement, mes striptease étaient plus spectaculaires que celui que j’étais en train de lui faire. J’ai dégluti, alors que je me rendais compte de ce que je venais de lui dire ; étant donné la situation actuelle entre nous, ça n’avait pas été très malin, et Anna aurait pu le prendre très mal. Heureusement pour moi, elle n’en fit rien, et entra même dans mon jeu
.
« Promis. » Murmurais-je en souriant, amusé. « Je te ferai le meilleur de tous les temps. »

J’ai senti les doigts d’Anna se poser sur mes tempes, avant de commencer à faire des ronds. Le but était simple : elle voulait me soulager, me faire penser à autre chose qu’à mon angoisse de rester enfermé ici. Je me suis lentement laissé aller, allant même jusqu’à fermer les yeux. Pour moi, c’était une grande avancée, et c’était la preuve que j’avais une confiance aveugle en Anna. Peut-être un peu trop aveugle, d’ailleurs.

J’ai soupiré de bien-être alors que je sentais les mains d’Anna glisser sur mes joues. Prenant conscience de ce que je venais de faire, j’ai écarquillé les yeux. De plus en plus, j’avais l’impression que je me compromettais avec Anna, que mes sentiments étaient de plus en plus évidents. Mal à l’aise, j’ai essayé de noyer le poisson en lui disant que je l’embauchais en tant que masseuse.

« Dommage. Au moins, j’aurais essayé. » Murmurais-je en souriant.

Les mains d’Anna glissèrent finalement dans mon dos. J’ai haussé les épaules alors qu’elle me disait que j’étais crispé. Je me sentais peut-être mieux, mais je n’étais pas rassuré pour autant.

« C’est mieux, mais ça n’est pas la grande forme… Ecoute. » Dis-je en attrapant sa main avec la mienne qui était toujours légèrement moite, avant de la poser sur mon cœur, qui battait toujours à toute vitesse. Réalisant la bourde que je venais de faire, j’ai immédiatement lâché sa main, et je n’ai pu m’empêcher de m’excuser : « Désolé, j’voulais pas te… Bref, désolé. »

Anna fut soulager d'entendre le ton léger que venait d'employer Erwan après qu'elle lui ai fait involontairement du rentre dedans. Voyant qu'il se semblait pas déranger, Anna réalisa qu'elle était un peu stupide de s'inquiété de savoir si ses paroles pouvaient être ma prise. Anna n'était pas ne sainte nitouche, c'était dans ses habitudes de se montrer séductrice et ce qu'elle avait dit n'avait rien de surprenant si on l'a connaissait. Se détendant plus facilement après ça, elle sourit légèrement avant de lui répondre « tu as intérêt, il va bien falloir que tu me rembourse mon massage »

Anna n'était pas habitué à faire des massages, c'était quelque chose d'assez sensuel et Anna ne partageait jamais de moment comme cela avec ses clients, de toute façon même si elle le faisait, la signification serait totalement différente. Anna aimait Erwan, il était aussi avant tout son ami, un très vieux ami, ils avaient partagés des choses et ce massage avait ce côté sensuelle presque érotique que l'on pouvait retrouver dans un couple amoureux.

Lorsque Erwan soupira de bien être, Anna fut légèrement surprise, elle n'était une pro du massage et elle ne pensait pas qu'elle puisse provoquer une telle réaction seulement avec ses mains. La surprise laissa place rapidement à la satisfaction, un petit sourire s'afficha au coin des lèvres de Anna, celui s'agrandit lorsqu'il parla de l'engager comme massage. Il n'y avait aucun doute, Erwan appréciait largement le traitement qu'elle lui infligeait. « mais tu sais moi aussi un jour j'aimerais bien voir tes talents de masseur ». Comme la plus part des gens, faire des massages n'était pas ce que préférait Anna mais en recevoir c'était quelque chose qu'elle appréciait beaucoup. Rien que d'aller dans un centre de bien être était une idée très agréable pour Anna alors un massage de la personne qu'elle aimait c'était vraiment une idée splendide.

Annabella fut surprise par le geste de Erwan, il venait de lui prendre sa main pour la poser sur son coeur. Les yeux grand de surprise, Anna n'osa pas bouger n'y rien dire, elle n'avait pas vraiment l'habitude de se genre de chose. Anna mit quelques secondes avant d'enlever sa main, pourtant Erwan avait déjà dégager son emprise, lorsque Anna se réveilla elle releva la tête, Erwan était toujours dos à elle et d'un côté c'était une bonne chose car il aurait certainement vu le troubler qui habitait son visage. « Oh... euhh ce n'est pas grave... » La voix légèrement tremblante, Anna ne savait plus trop quoi penser. Elle savait que ce n'était qu'un geste anodin mais elle ne pouvait s'empêcher d'être bouleverser.

Anna se décala légèrement sur le côté pour pouvoir voir le visage de Erwan, elle resta une minute à le regarder avant de se décider à faire quelque chose. Anna leva sa main pour la poser sur la joue de Erwan, avant de déposer ses lèvres contre celle de Erwan. Le baisé fut bref, mais tendre. Elle se redressa rapidement, Anna n'avait pas vraiment réfléchit en faisant ça, elle savait juste qu'elle en avait eu terriblement envie et qu'elle l'avait donc fait. Regardant Erwan dans les yeux, elle chercha à voir ce qu'il pouvait bien ressentir.

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

« Par un striptease ? Désolé, mais te rembourser de cette manière, ce serait vraiment de l’arnaque. Pour toi, j’entends. »

Evidemment, Anna perdait au change. Elle allait devoir me supporter, moi et mes angoisses, pour un temps indéterminé. Certes, pour le moment, ça allait plutôt bien pour moi. J’arrivais, jusqu’à un certain point, à contrôler ma peur. Mais jusqu’à quand ? Si nous restions bloqués ici cette nuit, les choses se dégraderaient sans doute. J’ai préféré taire ce point ; autant ne pas imaginer le pire tout de suite.

« Un jour, peut-être. Désolé, mais je ne suis pas en état, actuellement. » Avouais-je.

J’ai esquissé un vague sourire. Les mains d’Anna, pourtant, ne quittèrent pas mes épaules. Plus ses mains agissaient, plus je me détendais. Evidemment, ça ne serait pas parfait, mais c’était déjà ça de gagner. Alors qu’elle me demandait si ça allait mieux, ma main attrapa une des siennes pour la poser sur mon torse, afin qu’elle constate par elle-même qu’il battait toujours aussi fort. Réalisant que je venais de commettre une grosse bourde, j’ai immédiatement lâché sa main.

Pourtant, Anna tarda à réagir. Sa main resta posée sur mon torse pendant quelques secondes, puis elle finit par la retirer. Intérieurement, je me suis maudit pour avoir été si stupide. Comment avais-je pu faire ça, alors que la situation entre nous n’était pas vraiment au beau fixe ? Anna se décala, et me regarda pendant quelques secondes, silencieuse. A cet instant, je me suis demandé ce qu’elle pensait. Mon regard était plongé dans le sien, et nous restions silencieux, face à face. La main d’Anna se posa délicatement sur ma joue, avant que ses lèvres viennent trouver les miennes.

C’était sans doute l’un des moments que j’avais le plus attendu dans ma vie. Evidemment, nous nous étions déjà embrassés ; mais ces deux baisers n’avaient rien à voir. Le premier avait été passionné, fusionnel. Celui-là était doux, tendre. Radicalement différent. Ses lèvres se détachèrent des miennes, et je me suis rapidement retourné vers elle.

« Anna… » Murmurais-je en collant mon front contre le sien, tandis que ma main droite glissait sur son cou. « Anna… » Répétais-je en plongeant mes yeux dans les siens. « Est-ce que ça doit toujours se passer comme ça entre nous ? Pourquoi les choses sont-elles à la fois simples et compliquées ? N’y-a-t-il pas un juste milieu ? Ou sommes-nous juste incapables de le trouver ? » Soufflais-je à quelques millimètres de ses lèvres.

Mon regard ne quittait pas le sien. J’étais complètement perdu, désorienté. Mes pensées s’articulaient mal, j’avais l’impression de saigner de l’intérieur. Souffrir, comme jamais. Parce que je savais que ce baiser n’avait aucun sens ; qu’Anna avait agi par simple envie. Malheureusement, j’aurais voulu que ce soit pour une autre raison. Sans parler du fait que je venais presque de lui révéler que j’aurais aimé être en couple avec elle. Oui, définitivement, la peur et l’angoisse me font dire tout et n’importe quoi. De l’anecdote aux sentiments les plus profondément enfouis en moi.

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

« Regarde mes mains. » Dis-je en les levants vers les yeux d’Anna. « Franchement, tu crois qu’elles sont faites pour te masser ? » Demandais-je, amusé.

J’ai reposé mes mains sur mes cuisses, fermant les yeux, et profitant du contact des mains d’Anna sur mes épaules. C’est fou comme un massage peut vous faire ressentir des émotions aussi diverses que contradictoires. Dans un sens, ce massage était la meilleure chose qui m’était arrivée depuis des semaines. Il sonnait comme une réconciliation entre Anna et moi, même si cette bonne entente ne serait sans doute que temporaire. Et d’un autre côté, je détestais ce massage. Je le détestais parce que j’étais faible ; parce que c’était me faire du mal inutilement.

« Tu crois vraiment que ce moment arrivera ? Honnêtement, je ne pense pas. » Murmurais-je en baissant les yeux.

Entre Anna et moi, il n’y avait jamais eu de moment opportun. Ou plutôt, il n’y en avait plus depuis des années. Nos chemins étaient trop différents, nos caractères trop obtus pour que l’un ou l’autre abdique. Depuis quelques mois maintenant, il y avait toujours ce climat d’incertitude entre nous. Les choses pouvaient déraper à n’importe quel moment, dans n’importe quelle situation. Notre relation était de plus en plus platonique, de plus en plus explosive. Et je commençais à en ressentir les effets.

J’étais encore perdu dans mes pensées lorsque j’ai senti les lèvres d’Anna se poser sur les miennes. Moment délicieux, qui se reproduisait pour la deuxième fois dans ma vie ; néanmoins, cet instant était très différent du premier. J’ai décidé de profiter de l’instant présent, sachant qu’il ne se reproduirait sans doute pas de si tôt. J’ai fermé les yeux, me laissant totalement aller.

Pourtant, ce fût de courte durée. Anna ne tarda pas à détacher ses lèvres des miennes. Mon front se colla aux siens, alors que j’exprimais à voix haute mes doutes. J’étais perdu, totalement perdu même. Une partie de moi me hurlait d’avouer la vérité ; de dire à Anna que j’étais raide dingue d’elle depuis des mois, qu’elle m’obsédait jour et nuit, que son souvenir me hantait à chaque instant. Mais l’autre partie me disait de partir, de fuir le plus loin possible, tant qu’il en était encore temps. Parce que si je restais là, si je continuais à jouer avec le feu comme en ce moment, je courais droit à la catastrophe.

« Le trouver ensemble, tu veux dire ? » Murmurais-je en la regardant. « Je ne suis pas sur d’y parvenir… Je ne supporte pas l’idée de te partager. » Avouais-je en baissant les yeux, alors que je faisais référence à son métier d’escort girl.

Mais le directeur entra, et nous coupa en plein élan. Il nous dévisagea quelques secondes, prenant sans doute conscience qu’il venait d’interrompre un moment crucial. Anna se redressa, et fit face au directeur, alors que je restais par terre, à genou. J’ai écarquillé les yeux alors qu’il annonçait que nous serions obligés de passer la nuit dans la banque, et qu’il était venu pour nous apporter des couvertures ainsi qu’un peu de nourriture. J’ai attendu qu’il sorte pour me retourner vers Anna.

« J’y survivrai pas, c’est sur, c’est certain. La nuit, ce sera pire… » Murmurais-je en baissant les yeux.

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

J’avais toujours été quelqu’un de pessimiste, dans la vie. Je n’avais jamais, ou très rarement, envisagé que le meilleur puisse m’arriver. C’est pour ça, sans doute, que je doutais terriblement de ma relation avec Anna. Pour moi, c’était clair : le temps de quelques heures, nos différents étaient mis de côté. Les choses s’arrangeaient, mais ça ne serait qu’éphémère. Nous ressortirions de la banque, et les choses recommenceraient comme avant. J’en étais persuadé.

« Comment oublier ? J’ai l’impression qu’on passe notre temps à se disputer, et à se réconcilier. Rien ne va jamais entre nous, sauf dans les situations critiques… J’aimerai vraiment que les choses soient plus simples, tellement mieux. Comme avant, comme quand on avait douze ans. »

Pourtant, les choses avaient évolué d’une manière totalement inattendue. Anna m’avait embrassé ; c’était elle qui avait fait le premier pas. Mon front, désormais collé contre le sien, me faisait perdre tous mes repères. Anna. Anna. Anna. Il n’y avait plus qu’elle qui comptait. Elle, et uniquement elle. Le monde pouvait s’écrouler sous mes pieds, tant que j’étais avec Anna, tout allait bien.

Et quelques secondes plus tard, lorsque j’ai émis quelques doutes quant à notre relation en dehors de la banque, soit dans la vie réelle, j’ai senti Anna se détacher de moi, pour s’éloigner. Je ne pouvais pas supporter le fait qu’elle soit escort. Si Anna n’avait été qu’une conquête parmi tant d’autant, ça n’aurait eu aucun impact. Mais là, je savais très bien que ce n’était pas le cas. Anna était spéciale, Anna était la bonne personne. Ma bonne personne. Alors non, pour moi, il était inenvisageable qu’elle poursuive ce métier tout en sortant avec moi. J’étais trop jaloux, trop impulsif pour pouvoir supporter ça. Et sans doute trop faible.

« Je sais Anna, je sais tout ça. » Murmurais-je en me rapprochant d’elle. Mes mains se posèrent sur ses joues, alors que je poursuivais : « Mais laisse moi t’aider, Anna… Je te promets que je vais te tirer de là, que je vais te débarrasser de tout ça. Tu dois me faire confiance… »

Le directeur vint nous interrompre. Juste au moment où il ne fallait pas, comme d’habitude. Je l’ai regardé nous déposer deux couvertures et quelques plats préparés. J’ai attendu que le directeur sorte pour pouvoir laisser échapper ma peur. Anna se dirigea vers moi, et s’assit en face de moi. Sa main passa dans la mienne, alors qu’elle tentait de me rassurer.

« Dormir ? » Répétais-je, hébété. « Heureusement que tu es là, d’ailleurs… Merci. »

« You're not the hell, you're just my hell. Why
don't you see I'm dying without you, honey ? »

Les choses n’avaient jamais été simples, entre Anna et moi. Même lorsque nous avions douze ans. Certes, à l’époque, on s’entendait mieux. C’était plus facile, moins prise de tête. Nous avions eu des accrochages, mais ils n’avaient jamais été dramatiques. Je me souvenais encore du jour où Duncan avait eu vingt ans. Il avait fait une fête, chez lui, et j’avais été convié, bien évidemment. Anna avait fait une apparition lors de la soirée, et j’avais eu du mal à détacher mes yeux de cette beauté si parfaite. Si seulement Anna n’avait pas été… Elle ; la sœur de Duncan, tellement jeune… Pour la première fois ce soir là, je m’étais plu à imaginer une quelconque aventure avec Anna. Cette idée ne m’avait jamais réellement quitté, mais j’avais tout fait pour la reléguer au second plan.

J’avais une dizaine d’année lorsque j’avais rencontré Duncan. Nous nous étions tout de suite entendus ; rapidement, nous sommes devenus le duo parfait, celui que les gens enviaient. D’ailleurs, ce duo avait perduré, encore et encore, jusqu’à ce que Duncan ne se pose sérieusement, et devienne papa. Depuis ce moment, comme pour mieux me convaincre que j’avais raison de ne pas suivre le même choix de vie que Duncan, j’avais fait de mon mieux pour faire l’inverse de mon meilleur ami. Il arrêtait les sorties ? Je sortais deux fois plus qu’auparavant. Il arrêtait de boire jusqu’à tout oublier ? J’enchaînais les whiskys. Il avait décidé de se poser avec une fille ? J’accumulais les conquêtes. J’étais pathétique.
« Je sais. »

Je me suis tu, avant de baisser les yeux. J’étais mal à l’aise ; intérieurement, je me demandais si j’avais bien fait de rentrer. J’aurais peut-être dû rester un peu plus longtemps en France, pour oublier tout ça. Recommencer à zéro là-bas. Bye bye le passé de mannequin, la débauche, et tout ce qui allait bien avec ça. Et surtout, partir pour oublier Anna. La fuir, rester loin, arrêter de souffrir par sa faute.

Mais, alors que je ne m’y attendais pas, Anna me parla d’un éventuel avenir en dehors. Pas uniquement dans cette banque, non. A la ville. Ensemble. Tous les deux. J’étais resté hébété quelques instants, puis j’avais repris contenance. Il était absolument hors de question que je sorte avec elle, vu le métier qu’elle faisait. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas. C’était au dessus de mes forces.

J’ai haussé les épaules alors qu’elle me disait que je risquais de me faire tuer. Elle n’exagérait pas, je le savais, je pouvais le voir dans ses yeux. Mais j’étais prêt à prendre le risque, vraiment. Parce qu’Anna en valait vraiment la peine. J’ai posé mes mains sur ses joues, avant de plonger mon regard dans le sien.

« Anna, écoute-moi. Je sais que tu ne me mens pas, et je sais aussi que tu as peur pour moi. » Murmurais-je. « Mais tu sais… Moi aussi, j’ai peur pour toi. Tu pars les soirs, et je ne sais jamais si tu vas rentrer. Je ne sais jamais comment ça va se passer, si tu vas être avec quelqu’un de correct ou pas, si tu vas devoir faire des… Des choses avec tes clients alors que tu n’en as pas envie. Anna, même en y mettant la meilleure volonté du monde, je ne pourrais pas sortir avec toi en sachant que je dois te partager avec d’autres. » Avouais-je. « Anna, si vraiment tu as peur… Viens, on s’en va. On s’en va, loin, pour six mois. On reviendra quand les choses se seront calmées. »

J’étais sérieux, vraiment. J’étais prêt à tout quitter pour elle, là, maintenant, tout de suite. Partir n’avait aucune importance, tant que j’étais accompagné d’Anna. Mes mains glissèrent jusqu’à ses épaules, alors que je secouais légèrement la tête. J’étais en train de perdre pied, complètement. Anna me rendait complètement dingue. Et à trop jouer avec le feu, j’allais finir par me brûler.

Je me suis détaché d’elle, avant d’aller m’asseoir. J’abdiquais. Rien ne serait jamais possible, hors de cette banque. Anna se détourna de moi, avant de se diriger vers les paquets que le directeur avait déposé. Elle revient avec la nourriture, et s’assit à mes côtés.

« C’est gentil. » Murmurais-je en posant ma tête sur son épaule. « Pas vraiment. » Dis-je alors qu’elle ouvrait le carton de vivres.