« Tes services sont requis d'urgence, femme. Dans 1h chez toi ? » Bonnie reçut ce texto en pleine séance maquillage, entre deux sets de photos. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas reçu de messages de Ronon. Ils se connaissaient depuis pas mal de temps, et se faisaient mutuellement confiance. Il était l'une des personnages à qui elle faisait le plus confiance en fait, et c'était beaucoup. Peu la connaissaient si bien qu'il la connaissait, et elle laissait tomber sa carapace en sa présence. Avec lui elle n'était plus la Bonnie désagréable, chiante et capricieuse que tout le monde connaissait. Elle n'eut pas le temps de répondre, sa maquilleuse lui enleva le téléphone des mains sans prévenir et la poussa de sa chaise. Depuis qu'elle n'était plus assistante chez Greenwalt, elle avait récupéré un travail chez Dior. Elle l'avait tant attendue, sa place dans l'entreprise familiale, qu'elle profitait de chaque instant passé à travailler pour elle. Bien sûr, se contente d'être belle et de ne rien dire (faire la potiche quoi) était loin d'être ce dont elle avait rêvé depuis qu'elle était en âge de comprendre ce en quoi consistait le travail de son père et de son grand-père. Elle avait sué pendant quatre longues années à étudier le monde des affaires et de la finance, elle avait fini par obtenir son diplôme, non sans difficulté, pour pouvoir avoir une place de choix chez Dior. Ce qu'elle voulait, le Saint Graal, c'était de devenir PDG à son tour. De reprendre complètement les rennes. Mais elle en était très loin. Elle n'avait aucun mot à dire ou presque, et était écartée de toutes les discussions qui ne concernaient pas l'image de la marque. Elle se sentait vraiment inutile, mais prenait son mal en patience, elle savait qu'un jour son travail serait récompensé. Il ne fallait tout de même pas oublier qu'elle avait donné de sa personne pour espionner un concurrent, et même si ça n'avait pas donné le résultat escompté, elle était prête à recommencer n'importe quand. Elle était prête à faire n'importe quoi pour avoir un brin de reconnaissance de la part de son PDG de frère. Michael avait beau lui dire que c'était le cas, elle sentait qu'il ne lui faisait pas encore totalement confiance. C'était peut-être dû à son jeune âge. Mais soit, se plaindre ne changeait rien au fait qu'elle devait s'en tenir à son rôle de mannequin.

La séance photo ne serait certainement pas terminée dans une heure. Le message de son ami avait attisé la curiosité, ainsi que son inquiétude ("urgence") de Bonnie, puis comme elle ne l'avait pas vu seul depuis un petit moment, elle avait d'autant plus envie de s'échapper du studio. Le pire était qu'elle n'avait pas pu répondre au brésilien pour le prévenir qu'elle serait en retard. Elle ne voulait pas le faire attendre dans le froid (l'hiver new yorkai était loin d'être clément en ce début d'année 2012). La brune prit donc la pose pendant encore une bonne heure, suivant les conseils du photographe à la lettre. L'envie n'était pas là, partie depuis bien longtemps, mais elle se devait de faire le minimum, même si elle faisait semblant. Elle savait combien il ne fallait pas contrarier un photographe de mode, ces bêtes là étaient particulièrement irritables. Voyez, on n'avait pas le droit de contrarier un génie à l'oeuvre. Au bout d'un moment cela dit, trouvant que tout ce cinéma s'éternisait, elle prit la direction de la sortie, sans passer par les vestiaires. Elle s'excusa bien sûr au passage, prétextant un rendez-vous important avec son frère. Personne ne pouvait lui en vouloir si c'était pour voir le patron. Elle regretta bien vite d'être sortie sans se changer : il faisait très froid, et elle portait une robe très courte sous son manteau. Là, elle se haïssait et pesta intérieurement contre son frère, le photographe, tout le monde.

Bonnie arriva en courant devant son immeuble. Essoufflée, elle se stoppa juste devant Ronon, qui attendait patiemment. Elle ne savait pas depuis quand il attendait, et un air désolé pris possession de son visage. « Je suis très en retard? Je suis vraiment désolée, j'étais au travail, je ne pouvais pas te répondre et... » Elle s'arrêta puis repris son souffle, essayant de se calmer. Là, elle sourit, et prit son ami dans ses bras. « Ça fait longtemps! Je suis contente de te voir. » Elle le libéra, le fit entrer dans l'immeuble. Là, il faisait bien plus chaud, et la jeune femme soupira de bonheur. Ils arrivèrent vite à son appartement, son grand, gigantesque appartement et le fit s'installer au salon. Elle le laissa seul un instant, le temps de poser son manteau, de prendre deux bières à la cuisine. Quand elle revint vers lui, sa curiosité mêlée à son inquiétude reprenant le dessus, elle ne perdit pas de temps en banalités. « Alors, que me vaut ce plaisir? Rien de grave j'espère? ». Elle prit place à côté de lui. « Je dois avouer être un peu inquiète. »

Il faisait un froid à ne pas sortir un doigt dehors et pourtant, Ronon était adossé à l'immeuble comme en plein été. Son manteau ne le protégeait que très superficiellement, mais il était tellement préoccupé qu'il ne le remarquait qu'à peine. Il ne sut pas exactement bien de temps il attendit, les bras croisés sur son torse et l'esprit ailleurs, mais le bruit des talons de Bonnie le ramenèrent à la réalité. « Je suis très en retard? Je suis vraiment désolée, j'étais au travail, je ne pouvais pas te répondre et... » Ronon se redressa et adressa un sourire soulagé à la jeune femme, la serrant dans ses bras lorsqu'elle s'avança pour faire de même. Il balança son excuse d'un geste de la main pour lui montrer que ça lui importait peu et qu'il n'avait pas attendu tant que ça. « Ça fait longtemps! Je suis contente de te voir. » Un nouveau sourire, et Ronon pénétrait à la suite de la jeune fille dans son immeuble. Il était déjà bien assez content qu'elle se soit dépêchée pour le rejoindre. Il ne prononça pas un mot du trajet, les mains dans ses poches pour les réchauffer, et s'installa dans le salon comme chez lui.

Ce ne fut que lorsque la jeune femme lui ramena une bière que le jeune homme se détendit. « Alors, que me vaut ce plaisir? Rien de grave j'espère? » Ronon grimaça et retira le bouchon de sa bière en un instant avant de répondre. « Hm, tout dépend du point de vue. » maugréa-t-il. Le fait d'avoir Bonnie devant lui le soulageait - elle le connaissait plus que n'importe qui à New York. Etrange de voir comme ces deux jeunes adultes qui n'auraient dû que passer une nuit ensemble avaient fini par devenir de vrais amis et confidents. Si Ronon avait d'abord été attiré par sa plastique et son attitude suffisante, il n'avait pas tardé à voir en elle une réelle personne de confiance. « Je dois avouer être un peu inquiète. » Ronon releva le regard vers la jeune femme et lui adressa un regard quelque peu désolé. « Panique pas, hein. De toute façon ça va plus te faire rire qu'autre chose. » Il inspira profondément avant de se tourner vers Bonnie et de prendre une voix solennelle.

« Je suis en manque, Bonnie. Genre, vraiment. » avoua-t-il avant de soupirer et de poser ses coudes sur ses cuisses avant d'enfermer sa tête dans ses mains. « C'est atroce. Par exemple, tu vois, là, toi. » Il releva la tête et désigna la robe de Bonnie qui laissait largement apparaître ses courbes et dévoiler ses jambes : un régale. « Je devrais déjà avoir élaboré au moins 10 scénarios impliquant toi, moi et les meubles de ton appart. Et pourtant, quedalle ! » s'exclama-t-il en cédant réellement à la panique et en laissant sa voix porter. Il secoua la tête, affligé par son propre comportement. « Je crois que j'ai vraiment déconné... Je me suis trop attaché à quelqu'un et maintenant, je suis incapable de penser à autre chose, ou à quelqu'un d'autre. » Cette fois-ci, il plaça ses mains sur chacune de ses tempes. « Ca craint tellement ! » s'exclama-t-il. Il poussa un nouveau soupir et se laissa tomber dans le fond du canapé avant de reprendre la parole. « Et puis regarde-moi là, c'est affligeant, j'étais un homme un vrai, un lion, et ça fait deux semaines que je ne peux plus penser qu'à elle. Je suis devenu une fille. » gémit-il en fronçant les sourcils.

Bonnie arqua un sourcil. Qu'est ce qui pouvait bien avoir le mérite de mettre Ronon dans un tel état et être susceptible de faire rire la jeune femme par la même occasion ? Elle le laissa continuer, l'écoutant attentivement et buvant quelques gorgées de bière entre ses paroles. Le moins que l'on puisse dire était qu'il était réellement paniqué. Cela se voyait à son attitude, aux intonations de sa voix.

Ce qu'elle entendit la surpris. S'il y avait bien une chose à laquelle elle ne se serait pas attendue, c'était bien celle là. En soit, Ronon qui pensait à une fille n'avait rien de surprenant. C'était même monnaie courante, partout, tout le temps, il n'avait presque que ça en tête. Mais ladite fille n'occupait en général ses pensées que le temps d'une soirée, ça n'allait jamais plus loin. Que diable lui était-il arrivé ? Lui qui ne connaissait pas la définition du mot attachement, qui refusait catégoriquement de penser à un futur avec une fille au delà du lever du jour suivant le début de leur 'relation. Il n'y avait qu'avec elle que ça avait été différent : ils n'avaient même pas pu aller jusqu'au bout , le brésilien ayant eu une panne. C'était peut-être pour ça qu'ils se voyaient toujours d'ailleurs. Il n'avait pas à culpabiliser de ne pas la rappeler étant donné qu'ils n'avaient rien fait. Bonnie ne lui en aurait sans doute pas voulu de toute façon. Ils avaient bien sur réessayé. Mais jamais ils n'ont pu. Du coup à présent, elle était devenue son amie, sa confidente, et l'aidait quand il avait un problème. Seulement jamais elle n'aurait pensé devoir l'aider avec une fille. Une fille qui occupait ses pensées depuis deux semaines en plus de ça ? C'était un réel problème. Bonnie ouvrit la bouche dès qu'il eut fini et lâcha spontanément un « Oh. » qui voulait dire 'Je vois bien le problème, mais ce n'est pas si grave'. Même si elle concevait sa perception de la vie amoureuse, et qu'elle était pas mal du genre à pratiquer celle-ci également, une part en elle se doutait que ça allait finir par arriver. Elle se risqua à sourire.

« Je ne sais pas qui est cette fille mais elle a bien réussi son coup ! A te retourner la tête de cette façon et te mettre dans cet état ! » S'exclama t-elle, presque enthousiaste. Ce n'était peut-être pas une si mauvaise chose tout compte fait. « Bois donc un coup, ça te fera du bien. » Bonnie était vraiment curieuse de savoir qui était cette fameuse fille qui avait réussi à le marquer suffisament pour envahir l'esprit de Ronon pendant deux semaines. Parce que c'était un véritable exploit. « Ne sois pas si fataliste, ce n'est pas si grave que ça... » Elle hésita un instant, puis continua. « ... Tu ne crois pas que ça aurait dû finir par arriver ? Tu ne pouvais pas continuer comme ça éternellement. » Il ne fallait peut-être pas encore parler de couple à ce stade, on parlait de Ronon, mais vu ses propos, c'était en bonne voie. « Tu sais être avec quelqu'un et s'attacher ce n'est pas si horrible que ça en l'air. Regarde, j'ai survécu. » A sa dernière remarque, sa plainte concernant le fait d'être devenue une fille, elle lui donna une petite tape sur l'épaule. « C'est pas si mal non plus d'être une fille. J'ai survécu à ça aussi ! » Elle se mit à rire, espérant que cela aiderait son ami à se détendre. Il prenait tout cela très au sérieux en tout cas. « Nan mais sérieusement, c'est qui cette fille ? Comment elle est ? » lui demanda t-elle tout en se redressant sur son siège. Il était venu là parce qu'il avait besoin qu'elle l'aide, elle n'avait pas le droit de plaisanter.

« Je ne sais pas qui est cette fille mais elle a bien réussi son coup ! A te retourner la tête de cette façon et te mettre dans cet état ! Bois donc un coup, ça te fera du bien. » Ronon s'exécuta immédiatement et but une longue gorgée de sa bière avant de soupirer bruyamment alors que le breuvage passait dans son oesophage. Ce n'était pas aussi radical que des alcools plus forts mais c'était déjà ça. « Ne sois pas si fataliste, ce n'est pas si grave que ça... Tu ne crois pas que ça aurait dû finir par arriver ? Tu ne pouvais pas continuer comme ça éternellement. » Ronon tourna la tête vers son amie mais, à sa tête, il était clair que ce n'était pas à ces paroles qu'il s'attendait. Il se renfrogna et répliqua aussitôt. « Bah si, c'était le plan... » maugréa-t-il en s'enfonçant un peu plus dans le canapé. A vrai dire, il s'y complaisait bien, dans ce rôle de tombeur qu'il s'était donné. Il en avait à vrai dire toujours eu l'attitude, mais il n'y avait eu, jusqu'à son dernier souffle, que Gabriela qui ai jamais compté pour lui. Au Brésil, même si il avait du succès auprès des filles, il n'avait d'yeux que pour son amie d'enfance - il s'était bien rattrapé depuis. Il se détendit à peine lorsque Bonnie tenta de le faire rire mais la curiosité qu'elle montra pour Sutton lui arracha un sourire surpris et amusé. « Nan mais sérieusement, c'est qui cette fille ? Comment elle est ? » Ronon resta d'abord silencieux, haussant les épaules sans vraiment savoir comment la décrire. « Elle est... » commença-t-il en laissant sa phrase en suspens pour se redresser et poser ses coudes sur ses cuisses et réfléchir. « ... Un peu comme moi, en fait. Enfin, au début c'était juste physique entre nous. » Peut-être que ça avait été ça, le problème : le fait qu'ils aient tous les deux de nature "dominante". Il secoua la tête en soupirant. « Sincèrement, je sais pas comment c'est arrivé... Comment j'en suis venu à ne finir par penser qu'à elle et à totalement arrêter de chasser. » Un léger sourire qu'il ne put empêcher se colla sur ses lèvres. « On a commencé par suivre l'autre en soirée pour finir la nuit ensemble, et après on passait totalement la partie fête pour nous retrouver n'importe où pour... bah, baiser. Et on a fini par... parler. » Le brésilien grimaça. Il n'avait pas l'habitude de parler, surtout pas aux femmes qu'il mettait dans son lit. « Ca va faire trois semaines qu'on se parle plus, elle m'a tapé une crise de jalousie sortie de nulle part et euh... Je lui ai dit que je voulais plus qu'on se voie. » Le jeune homme secoua une nouvelle fois la tête et cette fois-ci, leva les yeux vers Bonnie. « Je lui ai parlé de Gaby. » avoua-t-il gravement.

Bonnie était l'une des rares personnes à New York à connaître "Gaby". Aussi étrange que ça puisse paraître, quand Ronon s'était retrouvé impuissant devant la jeune femme, il avait ressenti le besoin de s'expliquer. C'était peu après son arrivée à New York et, à ce moment-là, il était... fragile, il fallait l'avouer. Encore dévasté par la mort de celle qu'il considérait encore comme la femme de sa vie, il avait été incapable de passer à autre chose avec Bonnie et en fin de compte, elle s'était avérée être une oreille incroyable et une amie exceptionnelle pour lui. « Le problème c'est que... J'ai autant l'impression de tromper Gaby avec elle que de la tromper avec Gaby... » tenta-t-il d'expliquer finalement en buvant d'une seule gorgée la fin de sa bière. « C'est moi qui lui ai dit de partir, je peux pas retourner la voir. Ce qu'il me faut, c'est un électrochoc, ou... une perte de mémoire, j'en sais rien. »

Pardon, PARDON pour ça