Quand Enzo composait, il était seul au monde. D'abord, il s'était débrouillé pour prendre une horaire qui ne serait utilisée par personne : même si il pouvait passer quand il voulait au studio de son père, il arrivait que celui-ci soit loué à tel ou tel ami de son paternel, et ce n'étaient pas les meilleures conditions pour créer de nouveaux chefs d'oeuvre. Tout seul dans l'une des salles d'enregistrement, un casque balançant un fond musical en boucle sur lequel il rajoutait différents instruments, au feeling, Enzo n'était plus que musique.

C'était plus qu'une passion, c'était un besoin. Pour lui, jouer, composer était vital, et c'était probablement ce qui le rendait le plus heureux au monde. Quand il avait un instrument entre les doigts, il ne fallait même pas essayer de lui parler, c'était peine perdue. Remplaçant la petit guitare qu'il avait achetée en Afrique du sud quelques années auparavant pour en prendre une autre, plus large, de fabrication américaine, il se remit à l'ouvrage un sourire aux lèvres, maugréant des paroles pas encore très bien établies en même temps qu'il enregistrait ses extraits.

Alors bien sûr, lorsque les branchements d'une salle adjacente surchauffèrent et sautèrent, Enzo ne s'en rendit même pas compte. Ca aurait même pu rester comme ça un long moment si une odeur de cramé n'avait pas fini par arriver au travers des deux portes qui le séparaient d'un foyer déjà bien entamé. Relevant la tête en reniflant, Enzo resta un instant interdit. Et lorsqu'il retira son casque, il se mit immédiatement à paniquer en plissant les yeux : l'alarme incendie s'était déclenchée et, si il ne l'avait pas entendue avec le casque sur les oreilles, celle-ci lui transperçait désormais les tympans. Le temps qu'il sorte de la salle d'enregistrement, passe par le monitoring et arrive dans le couloir, le feu s'y était propagé et il eut un mouvement de recul devant la chaleur. « Merde, putain ! Y'a quelqu'un ?! » tenta-t-il de s'assurer en jetant un regard brouillé par la fumée alentours. Aucune réponse ; il ne savait pas si il devait en être rassuré ou au contraire, inquiété. Il était tout seul au milieu d'un feu, et... et sa guitare fétiche était dans la salle du fond. Cette guitare, la première que lui avait offert son père adoptif et qui l'accompagnait presque partout, était (aussi étrange que ça puisse paraître) presque un membre à part entière de la famille, il ne pouvait pas partir sans elle. « Merde merde merde merde... » Après un instant d'hésitation, Enzo attrapa le plaid que sa petite soeur avait laissé en partant, un peu plus tôt, et le lança pour tasser les flammes en avançant tant bien que mal jusqu'à la porte du fond.

Enzo n'avait pensé qu'à sa guitare : c'était pourtant tellement dérisoire ! Après une probablement trop courte hésitation, le jeune homme s'était élancé jusqu'au fond du studio pour sauver la guitare : un bout de bois et quelques cordes, mettant sa vie en danger. Le jeune homme avait vraiment des priorités discutables, mais il n'avait pas vraiment réfléchi avant d'aller directement à ce qu'il considérait comme le plus important.

Finalement, le jeune homme réussit à atteindre le studio du fond et s'empara de sa guitare en la serrant contre lui. Pressé, il ne jeta même pas un regard au reste des affaires que lui, son père et les autres musiciens avaient laissé et s'était de nouveau élancé jusqu'à l'extérieur : seulement, lorsqu'il fut de nouveau dans le couloir, le feu dans celui-ci avait repris de plus belle. Il tenta de nouveau la tactique du plaid de sa soeur mais au bout d'un moment, celui-ci prit également feu et après avoir écrasé ce nouveau début d'incendie avec ses pieds, la chose n'était d'aucun usage. Le temps qu'il réfléchisse à ses autres alternatives, la fumée avait envahi son nez et sa gorge et il commençait à suffoquer. Dans son esprit, il cria un gros "fais chier !" mais ne voulait même pas essayer de le prononcer : il manquait clairement d'air. Se souvenant des préceptes qu'il avait appris lors d'un stage de premiers secours, il s'agenouilla et, la guitare toujours contre lui, chercha l'air au ras du sol. Bientôt, ce furent ses yeux qui commencèrent à le piquer. Allait-il mourir là, comme ça, dans un studio, enlacé à sa guitare ? C'était poétique, mais il n'était vraiment pas intéressé.

« Monsieur, vous m'entendez ? » entendit-il une voix lui dire après un temps qui lui sembla une éternité. Enzo rouvrit les yeux et les cligna, pleurant presque à cause de la fumée, et toussa en voulant lui dire simplement "oui", se contentant de refermer la bouche et de hocher la tête comme il pouvait. Il mit du temps à analyser la présence d'un pompier qu'il identifia tant bien que mal par la voix comme étant une femme, mais il ne vit le second pompier que lorsque la jeune femme reprit la parole. « Nous allons vous sortir d'ici ne vous inquiéter pas, d'accord. » Enzo, totalement dépassé par la situation, hocha une nouvelle fois la tête et tenta de se redresser, aidé de la jeune femme, mais se dégagea rapidement. « Ma... Guitare. » dit-il simplement, pas sûr qu'elle l'ait entendu, avant d'agripper cette dernière par le manche pour la mettre en travers de son corps, encore aussi intéressé à l'idée de sauver sa vie que l'existence de sa guitare. Il hocha une nouvelle fois la tête pour signaler qu'il était prêt et toussa bruyamment en tentant un regard qu'il plissa devant lui, incapable de voir la sortie mais rassuré de ne plus être seul et, qui plus est, en compagnie de professionnels.