Kayla n’avait pas énormément de jours de congés, mais son job lui convenait très bien comme ça. Après tout, elle n’avait que son emploi de serveuse à l’Awesome pour gagner sa vie, et parfois les fins de mois étaient un peu rudes. Dans ces cas-là, elle trouvait toujours un pigeon (un homme quoi) à mettre dans son lit pour pouvoir lui voler quelques billets pendant son sommeil. C’était une façon comme une autre de passer ses fins de mois plus sereinement. Et mieux que ça : c’était une technique terriblement efficace, du moment qu’on savait choisir ses proies. Mais de ce côté-là, Kayla n’avait aucun soucis à se faire, elle était passée maître dans l’art de repérer les beaux garçons aux portefeuilles bien remplis.

La jeune femme profitait donc de son jour de congés pour faire des courses, flâner dans les magasins en se retenant de les dévaliser, et toutes ces choses banales que les new-yorkaises avaient pour habitude de faire quasiment tous les jours. Sans vraiment avoir de plan précis, Kayla se laissait porter par ses envies, et très vite son après-midi shopping se transforma en marathon dans la ville. D’ailleurs, ses pieds compressés dans ses petites chaussures à talons commençaient à le lui faire sentir. Le quartier dans lequel elle se trouvait semblait être Brooklyn, ce qui lui confirma qu’elle avait déjà fait pas mal de chemin depuis son appartement. Elle avait besoin d’une pause, un café, quelque chose à manger peut-être… juste histoire de reposer ses jambes quelques instants. Ce n’est que lorsque son regard sonda les alentours qu’elle put identifier précisément l’endroit où elle se trouvait. Devant elle, une énorme porte d’entrée d’un immeuble qu’elle connaissait bien, et pour cause. Elle était déjà entrée dans ce bâtiment, et y avait même passé de très TRES bons moments. La plupart du temps, elle était venue ici de nuit mais elle reconnaissait l’entrée malgré tout. Un sourire se dessina presque immédiatement sur ses lèvres, et elle prit la direction du porche sans plus attendre.

L’immeuble en question abritait en fait l’appartement d’Austin, une des innombrables conquêtes de la jeune serveuse. Mais cette conquête-là était… spéciale. Même si elle n’en disait rien et qu’elle chassait cette idée de son esprit aussitôt qu’elle pointait, Kayla ne mettait pas Austin dans le même panier que les autres hommes avec qui elle avait l’habitude de coucher. D’ailleurs, elle ne connaissait même pas la véritable raison qui la poussait à faire ça… Quelque chose sur son visage, dans son attitude la faisait craquer, et cette petite faiblesse était totalement inavouable pour elle. Alors elle se contentait de le voir, bien plus souvent que les autres, sans jamais rien évoquer du statut à part qu’elle lui accordait. En arrivant devant la porte de l’appartement d’Austin, le sourire de Kayla se fit plus séducteur. Elle sonna deux fois, puis attendit qu’il vienne lui ouvrir en arrangeant ses cheveux. Mieux qu’un simple café, une petite sieste améliorée avec lui paraissait être une idée parfaitement appropriée pour se détendre.

Qui dit mercredi, dit pas d'école pour les enfants. Qui dit pas d'école pour les enfants, dit jour de congé pour Austin. Car oui, étant jeune papa d'une petite fille de cinq ans, il n'avait d'autre choix que d'être là pour s'occuper d'elle lorsqu'elle n'avait pas l'école. Il demandait déjà suffisamment d'aide autour de lui entre ses frères et soeurs et son meilleur ami pour garder la petite à midi ou après l'école quand il travaillait les autres jours de la semaine, il ne voulait pas abuser de leur gentillesse. Heureusement que son patron était compréhensif... enfin, façon de parler. Car si le jeune mécanicien voulait avoir ses mercredis de congé, il devait rallonger son temps de travail les jours où il travaillait. Deal. C'était ainsi donc qu'il tentait d'organiser sa semaine depuis plus d'un an et demi maintenant, depuis son arrivée à New York. Et ça lui réussissait plutôt bien.

Ce jour là, il avait donc congé et avait bien l'intention de profiter de ce moment de libre pour passer du temps avec son rayon de soleil. Il s'était levé relativement tôt le matin, n'arrivant pas à faire la grasse matinée, et s'était préparé sans se presser avant de rapidement descendre à la boulangerie voisine à son immeuble afin d'acheter de quoi petit-déjeuner. De retour dans son appartement, il trouva Lua assise devant la télévision, en pyjama, qui l'attendait patiemment. Ils passèrent donc directement à table, la petite fille aidant son papa de bon coeur pour mettre les couverts. Puis ils dégustèrent les viennoiseries fraîchement achetées en discutant, en rigolant. Austin avait une chance incroyable. Ayant récupéré sa fille quatre ans après sa naissance, il s'était attendu à ce que rien ne soit simple, à ce que la petite le déteste et que son éducation se montre être la croix et la bannière. Mais il s'était trompé. Les premières semaines avaient été, certes, compliquées. Mais très rapidement, ils s'étaient liés étroitement, comme si aucune année ne les avaient séparés. Et aujourd'hui, ils formaient une véritable famille à eux deux. Lua était la personne la plus précieuse pour Austin et la petite fille était très attachée à son papa. Comme quoi, toute mauvaise histoire n'a pas forcément de fin désastreuse. Soit. Le repas terminé, le jeune père autorisa sa fille à traîner un peu devant la télévision et rangea tranquillement la cuisine durant ce temps, avant de s'attaquer aux deux chambres. Quand il eut terminé sont rangement, il alla attraper sa fille au salon et la porta jusqu'à la salle de bain alors qu'elle gesticulait en rigolant. Il lui fit couler un bain et resta assis sur le sol, près de la baignoire, pour jouer avec elle, tenant des figurines d'animaux qu'ils s'amusaient à faire bouger et parler. Austin retombait en enfance. Cela pouvait sembler niais, mais c'était des instants de partage comme celui-ci qu'il aimait partager avec sa fille.

Quand le mécanicien entendit qu'on sonna deux fois à la porte, il était toujours dans la salle de bain, aidant cette fois Lua à se laver. Se relevant, il s'essuya les mains avec un linge et demanda à la petite de rester calme, le temps qu'il revienne, avant de quitter la pièce et de traverser l'appartement. Il arriva rapidement dans l'entrée et n'attendit pas une seconde de plus pour ouvrir le verrous avant de tirer la porte vers lui. Son regard se porta rapidement sur la jeune femme qui se tenait sur le seuil. « Kayla ? » demanda-t-il, comme s'il peinait à la reconnaître. Kayla, c'était une de ses conquêtes. Mais une conquête différente car, au lieu de l'avoir mise une fois dans son lit avant de passer à une autre sans se soucier d'elle, il l'avait ramenée chez lui plus d'une fois, passant du bon temps avec elle à chaque fois. Un plan cul ? Appelez ça comme vous le voudrez. Mais Kayla dégageait quelque chose qui faisait qu'il n'arrivait pas à lui résister quand elle débarquait chez lui. Pourtant, aujourd'hui était différent. La demoiselle était venue ici bon nombres de fois, mais jamais Lua n'avait été présente, car le jeune père prenait soin de partir à la conquête du genre féminin uniquement quand la petite était chez sa soeur ou sous un autre toit. Et il faut aussi préciser qu'Austin évitait de parler de sa fille à ses conquêtes. Kayla n'était donc pas au courant, et pourtant, ce ne fut pas un détail qui lui percuta l'esprit au moment où son regard croisa celui de la jeune femme. « Qu'est-ce que tu fais ici ? » s'enquit-il en lui souriant agréablement, appuyant un de ses avant-bras contre l'encadrement de la porte, au niveau de sa tête, sa main restant posée sur la poignée.


Désolée, c'est pas top comme début ):

Le temps qui s’écoula entre le moment où elle avait sonné et le moment où la porte s’ouvrit parut durer une éternité pour les pauvres pieds endoloris de Kayla. Si bien qu’elle en arriva même à la conclusion qu’il n’était peut-être tout simplement pas là. Après tout, ce n’est pas parce qu’elle était en congés que tout le monde devait l’être en même temps (bien que la foule de pimbèches se pressant autour d’elle dans les magasins le lui avait laissé penser). Mais au moment où Austin se décida enfin à ouvrir la porte, la jeune femme put clairement lire de la surprise sur son visage. Voire même quelque chose d’encore pire, qu’elle avait un peu de mal à se représenter. « Kayla ? » D’accord… Ce genre d’accueil faisait toujours plaisir… La jeune serveuse avait un peu l’impression d’être arrivée au mauvais moment et pourtant, en jetant un coup d’œil par-dessus l’épaule d’Austin, rien ne paraissait différent de d’habitude. « Qu'est-ce que tu fais ici ? » reprit-il en prenant tout de même la peine de lui sourire, cette fois. Une main sur la poignée de la porte et l’autre contre l’encadrement, le jeune homme faisait office de barrière humaine, empêchant Kayla de pénétrer dans l’appartement. Cette dernière ne put d’ailleurs pas dissimuler un petit froncement de sourcils suspicieux, qu’elle effaça bien vite en le troquant contre un nouveau sourire ravageur.

« Hé bien… C’est comme ça que tu m’accueilles maintenant ? » dit-elle d’un ton volontairement nonchalant. Et tout en parlant, elle posa une de ses mains sur le torse du jeune homme sans le lâcher des yeux. En la laissant se balader librement, la jeune femme s’approcha de lui et lui vola un baiser, juste au coin des lèvres pour lui laisser un goût d’inachevé. Sans prendre la peine de lui demander si elle le dérangeait, Kayla le poussa vers l’intérieur de l’appartement afin de s’y introduire à son tour. Ce faisant, elle lança un regard circulaire dans la pièce, histoire de vérifier qu’il n’y avait là aucune autre femme, ce qui pourrait éventuellement expliquer la retenue d’Austin. « Je suis en congés aujourd’hui, alors je suis sortie pour faire les magasins. Et je me suis retrouvée ici… comme j’ai mal aux pieds et que je suis fatiguée, je suis venue chercher du réconfort chez toi… » déclara-t-elle en braquant sur lui un regard des plus provocateurs. Comme si elle avait été dans son propre appartement, la jeune serveuse retira ses chaussures et les déposa par terre, juste à côté de la porte d’entrée. En sentant le revêtement du sol sous ses pieds, un sourire satisfait se dessina sur son visage. Mais bien vite, elle reporta son attention sur Austin qui ne semblait pas plus à l’aise que lorsqu’il lui avait ouvert la porte. « Et toi alors ? Tu ne travailles pas non plus à ce que je vois… »

Le froncement de sourcils qui rendit le visage de Kayla suspicieux ne passa pas inaperçu. Conscient qu'il ne réagissait pas de la même manière que d'habitude, il se préparait déjà mentalement à devoir des explications claire à la demoiselle. Il ne pourrait pas encore lui cacher l'existence de sa fille, il allait devoir les présenter et expliquer à Kayla pourquoi il ne lui en avait pas parlé plus tôt. Mais il fut coupé dans ses réflexions quand il constata que la jeune femme se rapprocha dangereusement de lui pour venir poser sa main sur son torse, mais qu'elle s'amusa ensuite à balader. « Hé bien… C’est comme ça que tu m’accueilles maintenant ? » Austin rigola gentiment à sa remarque et, alors qu'elle venait de lui voler un baiser au coin des lèvres, il tenta de se justifier une première fois. « Excuse-moi ma belle, c'est juste que je ne m'attendais pas à te voir ici aujourd'hui. » C'était vrai. En se levant ce matin, il avait été loin d'imaginer passer l'après-midi avec elle. Et pourtant, la voilà devant lui qui, à présent, le poussait gentiment à l'intérieur. Sans y opposer de résistance, l'américain recula et la laissa passer pour fermer la porte alors qu'elle observait les environ. Que croyait-elle trouver ? Un autre femme ? Ça aurait pu être le cas, mais non.

« Je suis en congés aujourd’hui, alors je suis sortie pour faire les magasins. Et je me suis retrouvée ici… comme j’ai mal aux pieds et que je suis fatiguée, je suis venue chercher du réconfort chez toi… » Les propos de Kayla auraient, en temps normal, susciter une énorme attention chez le mécanicien qui n'aurait pas attendu plus de quelques secondes avant de la prendre contre lui pour l'emmener dans sa chambre. Mais là, il ne pouvait pas. Il s'était toujours juré de ne jamais offrir ce genre de spectacle à Lua, il était donc hors de question qu'il succombe au charme de la demoiselle, quel que soit le nombre de regards provocateurs qu'elle pouvait lui lancer. Pourtant, il ne la repoussa pas et se contenta de retenir un rire en souriant vaguement alors que la serveuse se déchaussait. « Et toi alors ? Tu ne travailles pas non plus à ce que je vois… » Judicieuse remarque. Mercredi était un jour en plein milieu de semaine durant lequel Austin était censé travailler comme tout adulte. Mais ce n'était pas le cas, et Kayla en ignorait la cause. « J'ai congé chaque mercredi. Je garde— » commença-t-il, presque sûr de lui, avant d'être interrompu par un « Papaaaaa ! » en provenance de la salle de bain. Soudainement inquiet, Austin regarda la jeune femme en grimaçant et la pria de l'excuser avant de se ruer dans la pièce où il avait délaissé sa fille.

Arrivé dans la salle de bain, il constata heureusement que Lua l'avait simplement appelé parce qu'elle se demandait ce qu'il fabriquait pour être aussi long à revenir. Soufflant de soulagement, le jeune père lui sourit et s'assit sur le rebord de la baignoire tout en enclenchant l'eau, puis fit fonctionner le pommeau de douche pour rincer la gamine qui fermait les yeux à s'en fendre les paupières pour ne pas recevoir de shampoing dans les yeux, tout en rigolant doucement. Tout en s'exécutant dans sa tache, Austin détourna son regard vers la porte : Kayla s'y tenait et le fixait. Il ne parvenait pas à lire exactement l'expression de son visage. Était-ce de la surprise ? De l'incompréhension ? De la déception ? Il n'en savait rien. Mais quoi qu'il en soit, il tenta d'apaiser la situation en lançant les présentation. « Kayla, je te présente Lua. » déclara-t-il en souriant du mieux qu'il pouvait avant de regarder sa fille et de lui dire « C'est Kayla, une amie. » Lua le regarda et dévia ses yeux bruns en direction de la jeune femme qui lui était inconnu pour lui sourire et lui lancer un « Bonjour Kayla ! » enthousiaste. Austin lui sourit tendrement, puis il regarda son "amie" qui, il était conscient, ne devait pas comprendre grand chose à la situation. Il aurait espéré ne pas lui annoncer cela dans de telles circonstances, il aurait même aimé ne jamais avoir à lui en parler. Mais à présent, il n'avait plus le choix. Il se lança donc et prononça les mots qu'il redoutait quelque peu. « C'est ma fille. » Et il resta en suspend, espérant que Kayla ne piquerait pas la mouche soudainement.

Austin avait beau ne pas s’attendre à la voir ici à ce moment-là, Kayla le trouvait quand même particulièrement bizarre. D’abord surprise par sa réaction plutôt mitigée, elle avait décidé de passer outre, et de rentre coute que coute chez lui pour s’y mettre à son aise. D’habitude, c’était lui qui la poussait à entrer chez lui et qui s’occupait de la mettre à l’aise… Mais puisqu’il n’avait pas l’air décidé, la jeune femme voulait bien échanger les rôles pour une fois. « J'ai congé chaque mercredi. Je garde— »[/b] Austin n’eut pas le temps de finir sa phrase. Un cri strident résonna dans l’appartement, et celui-ci pétrifia Kayla. « Papaaaaa ! » Avait-elle bien comprit ce qu’elle devait comprendre ? C’était impossible, elle avait du rêver… Mais elle ne put demander confirmation au jeune homme qui avait déjà déguerpi en courant. En fronçant les sourcils, la jeune serveuse le suivit. Elle était à la fois curieuse de découvrir ce qui se tramait, et anxieuse à l’idée d’avoir bien comprit ce qu’elle s’imaginait.

En arrivant à hauteur de l’encadrement de la porte de la salle de bain, Kayla s’immobilisa bouche bée. Elle dut même fermer les yeux un instant puis les rouvrir pour être bien certaine que ce qu’elle voyait était réelle. Et lorsqu’elle en prit conscience pour de bon, son cœur se serra instantanément. Elle avait bel et bien comprit en quoi consistait l’appel qu’elle venait d’entendre… Austin avait une fille. La jeune serveuse aurait put s’attendre à tout sauf à ça. Venant de lui, ça lui paraissait totalement irréel. Lorsqu’elle le fréquentait et jusque dans leurs moments les plus intimes, il n’avait absolument rien d’un père. Et il ne lui en avait d’ailleurs jamais parlé. « Bonjour Kayla ! » Ces simples mots si enthousiastes de la part de la petite fille suffirent à briser le cœur de Kayla. Avec un sourire amer et des yeux à la limite d’être embués, elle lui répondit : « Bonjour… » Sa voix était timide, plus faible qu’elle ne l’avait jamais été. Une nouvelle fois, la jeune femme ferma les yeux et prit une profonde inspiration comme pour se donner du courage. « C'est ma fille. » La jeune femme acquiesça en rouvrant les yeux. Evidemment, c’était sa fille. Il en avait une lui…

Toutes les images de sa propre grossesse revenaient soudain hanter son esprit. Elle aussi elle aurait pu être comme lui, elle aurait pu s’occuper de sa fille ou de son fils comme il le faisait… Mais son destin semblait en avoir décidé autrement puisqu’elle avait perdu son bébé quelques temps à peine après être arrivée à New-York. Sans jamais l’avoir connu, sans jamais l’avoir vu, Kayla restait avec ce gout d’inachevé, le cœur rempli de regrets. Même si cette naissance n’était pas prévue dans son programme, elle s’était surprise à s’imaginer en maman. Mais tous ces projets qu’elle avait échafaudés s’étaient écroulés avec cette fausse couche. C’est d’ailleurs depuis ce jour et depuis cette désillusion que Kayla était devenue celle qu’elle était aujourd’hui. La mâchoire serrée, elle resta immobile devant cette porte, devant l’apparent bonheur d’Austin avec sa fille en attendant sagement qu’il daigne sortir et lui expliquer tout ça. Depuis longtemps, la jeune femme s’interdisait formellement de pleurer, mais elle devait avouer que cette fois, la tâche était plus qu’ardue, presque insurmontable…

Kayla semblait être clouée au sol, incapable de tout mouvement, sans qu’aucune parole ne puisse sortir de sa bouche. La vision d’Austin en compagnie de sa fille qu’elle venait d’avoir l’avait soufflée, et elle faisait tout pour se convaincre qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Mais la petite voix fluette de Lua la ramena sur terre, et planta par la même occasion un énorme coup de couteau dans son cœur. En la regardant, elle ne pouvait s’empêcher de penser à cet enfant qu’elle avait porté, elle, Kayla Burns. La Kayla Burns du passé, qui n’avait définitivement plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Si tout c’était passé autrement, elle serait peut-être maman. Elle aurait peut-être une petite fille aussi jolie que celle qui la regardait en ce moment avec de grands yeux, elle serait peut-être encore en Afrique du Sud avec celui qui serait devenu son mari, faisant ainsi le bonheur de ses parents. Mais aujourd’hui, elle était là, à trainer de lit en lit, à s’enfermer à l’Awesome pour gagner l’argent dont elle avait besoin pour vivre, sans pouvoir se séparer des regrets liés à son passé. Et pourtant, elle n’en parlait jamais. Personne ici à New-York n’était au courant de son histoire et c’était très bien comme ça. Mais quoi quelle en dise, ce silence rendait son fardeau encore plus lourd à porter, et le simple fait d’être nez-à-nez avec cette petite fille semblait suffire à la faire craquer. Mais elle n’avait pas le droit, elle se l’était toujours interdit et ce n’était certainement pas sous les yeux d’Austin que ça devait arriver. Seulement voilà, pour l’une des premières fois de sa vie, les émotions de la jeune serveuse semblaient prendre le pas sur tout le reste.

Telle un robot, Kayla se poussa lorsqu’Austin le lui demanda, mais elle n’en demeura pas moins immobile, plantée à côté de la porte attendant qu’il revienne vers elle. Elle suivit des yeux tout son petit manège, sans vraiment prendre conscience de ce qu’il faisait vraiment. Le regard de la jeune femme était partagé entre le vide et la peine, et malgré tous ses efforts elle ne parvint pas à corriger cela. Même lorsque son hôte finit par revenir à sa hauteur, elle se contenta de déposer ce même regard sur lui. Quand il lui demanda si elle voulait boire quelque chose, la seule réponse qui traversa la barrière de ses mâchoires serrées fut un « Non » lâché dans un souffle.

« Je suis désolé de ne pas t'avoir parlé de Lua. C'est juste que c'est... compliqué. » Les yeux cette fois complètement embués de larmes, Kayla acquiesça amèrement. Elle se sentait blessée et trahie sans même savoir pourquoi, car elle n’avait aucune raison de l’être. Austin n’était qu’une conquête parmi d’autres, peut-être un peu plus important certes, mais elle n’allait de toute façon certainement pas finir sa vie avec lui. Et pourtant, l’existence de cette petite la touchait plus que ce qu’elle l’aurait souhaité. « Ouais… surement. » lâcha-t-elle finalement d’une voix faible. « Mais t’aurais du me le dire. » Sous-entendu : ça m’aurait évité de pleurer devant toi. En resserrant la mâchoire, Kayla passa près d’Austin sans un regard, allant trouver au plus vite la première fenêtre pour y plonger son regard, et ainsi cacher les larmes qui roulaient désormais sur ses joues. Elle se détestait, profondément, et elle détestait par-dessus tout ses sentiments débordants qui allaient éveillés tous les soupçons du jeune homme derrière elle.

La rage et la colère qu’elle éprouvait envers elle-même rendait les larmes de Kayla encore plus difficiles à retenir. Foutu principe de ne jamais pleurer, et encore moins devant un « public ». Encore moins devant Austin. Cette fois elle s’était fait avoir, elle le savait, elle le sentait. Dès l’instant où ses yeux s’étaient embués elle avait comprit que la partie était perdue. Alors Kayla avait tout tenté pour se cacher, mais c’est sans grande surprise qu’elle entendit Austin la suivre jusqu’à la fenêtre. Au moment où elle aurait voulu être seule, il était là pour elle, évidemment. C’était toujours comme ça. Et pire que d’être simplement là, la jeune serveuse sentit une de ses mains se poser dans son dos, provoquant au passage une montée de frissons qu’elle ne put réprimer. Mais très vite, elle se décala pour se détacher de ce contact qu’elle ne souhaitait pas. S’il voulait jouer les chevaliers servants et les gros bras pour la consoler, il s’était trompé de fille. Personne ne consolait Kayla Burns, parce qu’elle n’en avait tout simplement pas besoin. Elle était bien plus forte que ça. Et pourtant, aujourd’hui plus que jamais, elle se sentait flancher. Seuls deux petits yeux brillants braqués sur elle avaient suffit à réduire tous ses efforts à néant.

« Eh Kayla... crois-moi, si j'avais su que ça te mettrait dans un tel état, je t'en aurais parlé. » Mais bien sûr… La jeune femme se contenta d’acquiescer d’un léger mouvement de tête, et attrapa une cigarette dans le paquet qu’il lui tendait. Ce n’est certainement pas avec ses mots et ses phrases toutes faites qu’Austin réussirait à la faire se sentir mieux, mais une cigarette, c’était déjà un bon point de départ. Elle attendit qu’il allume la sienne, puis s’empara de son briquet pour en faire de même. Immédiatement, elle tira une longue bouffée en fermant les yeux. La nicotine était de loin une des seules choses qui soient capables de la calmer. Pour autant, elle ne fit pas l’honneur à Austin de reprendre la parole en premier, et le laissa se débrouiller seul pour briser ce silence pesant qui s’était installé entre eux. « C'est juste que... j'ai pas l'habitude d'en parler à mes conquêtes. D'en parler tout court. Je préfère éviter. » En s’efforçant de chasser les larmes de ses yeux encore humides, la jeune femme se contenta d’un bref : « Ouais. » En réalité, elle comprenait le comportement du jeune homme, du moins elle en avait l’impression. Mais Kayla n’avait aucune envie de l’avouer, alors elle se tut.

Tirant quelques bouffées de plus sur sa cigarette, la jeune serveuse sentait sa colère redescendre doucement, mais sa gorge restait serrée. Le regard perdu au loin, elle s’imaginait toujours la vie qui aurait pu être la sienne si elle n’avait pas perdu le bébé. Puis, sans même y prendre garde, elle ouvrit la bouche, attendit quelques instants, et finit par lâcher : « J’aurai pu être comme toi. Comme vous. » La mâchoire de Kayla se resserra aussitôt. Une fois de plus elle avait été faible, et elle s’était laissée emportée par ses émotions. Elle en avait trop dit, mais elle se sentait bizarrement soulagée. Comme plus légère, libérée d’un minuscule poids. Cependant, elle n’osa pas reposer son regard sur Austin qui se tenait toujours à ses côtés. Il allait savoir, deviner de lui-même, et il serait ainsi la première personne à connaître la véritable histoire de Kayla, ou plutôt une partie de celle-ci.

Si on lui avait dit un jour qu’elle craquerait aussi facilement, Kayla aurait très certainement ri. Elle se savait plus forte que ça, ou du moins elle pensait l’être. Mais face Austin, face à sa fille, l’armure qu’elle s’était construite au il du temps s’était immédiatement fissurée. Et pire que ça : elle avait avoué à demi-mot qu’elle aussi aurait pu vivre le même genre d’histoire. Elle aurait pu avoir une fille, ou un fils, quelqu’un aurait pu l’appeler maman… Mais finalement rien de tout ça n’était arrivé. Un simple regard en direction d’Austin fut suffisant pour qu’elle voie que le jeune homme avait compris. Elle s’était vendue, et ce pour la première fois de sa vie. Avant lui, personne n’avait ne serait-ce que soupçonné une telle histoire, un tel passé. En le cachant tout au fond d’elle, Kayla avait toujours su protéger son secret. Et dans les moments les plus durs, la jeune femme s’arrangeait toujours pour rester seule. En compagnie de son chien elle pouvait parler et pleurer à sa guise, sans éveiller le moindre soupçon vis-à-vis de son entourage.

Pour éviter tout autre dérapage, Kayla décida de se terrer dans un mutisme salvateur qui, elle l’espérait, suffirait à créer une distance assez importante entre Austin et elle, qui l’empêcherait de lui poser d’autres questions. Son regard azur était braqué au loin, devant elle, et ses seuls mouvements destinés à porter sa cigarette jusqu’à sa bouche de temps en temps. Mais à sa plus grande déception, son voisin décida de reprendre la parole. D’une manière qu’elle n’aurait pas pu imaginer, d’ailleurs. « Si tu veux en parler... je sais être une oreille attentive. » Kayla étouffa tout à coup un rire amer, avant d’enchainer presque ironiquement : « Ah oui ? Depuis quand… ? » Elle était méchante. Austin avait pourtant l’air sincère mais pour sa défense, elle avait plus l’habitude de le voir dans un lit que dans le rôle du confident rassurant. Et puis de toute façon, elle n’avait aucune envie de parler, il aurait du le savoir. Elle en avait déjà trop dit alors désormais, se taire était une obligation.

Le silence devenait pesant, presque oppressant. Et même si elle faisait mine de ne pas le remarquer, il devenait de plus en plus insupportable pour la jeune femme. Elle finit donc par baisser la tête et se racla la gorge. « Excuse-moi… Mais non, je ne veux pas en parler. Pourquoi je le ferai de toute façon… » Kayla tira une dernière bouffée sur sa cigarette avant de la jeter par la fenêtre et de reportr son regard sur Austin. « Oublie tout ça tu veux ? Ca n’a pas d’importance. » La jeune femme n’était pas très à l’aise, mais elle s’efforçait de retrouver une certaine contenance, qu’elle savait néanmoins particulièrement fragile. « Je… je crois que je devrais y aller. Et euh… je sais pas si c’est une bonne idée de se revoir. Enfin… c’est… j’en sais rien.

Kayla était amère, et elle n’hésitait pas à cracher son venin sur Austin, tout en sachant que ce dernier essayait de l’aider comme il le pouvait. Mais la jeune femme n’en avait rien à faire. En vérité, elle avait horreur de ça. Si elle avait besoin d’aide, cela signifiait qu’elle était faible, et elle ne tolérait pas que quelqu’un puisse s’en apercevoir. Depuis qu’elle était arrivée à New York, elle avait voulu donner l’image d’une fille forte, d’une fille qu’absolument rien ne pouvait atteindre et encore moins faire vaciller. Mais à cause de la présence de sa fille, Austin était le premier devant qui la jeune femme se dévoilait. Jamais auparavant elle n’avait éveillé le moindre soupçon auprès de quiconque, et ça lui convenait très bien comme ça. Au moment même où la jeune femme se moqua de lui, Austin se vexa et lui rappela que sa porte était toujours ouverte. Sans pour autant s’écarter de la fenêtre où elle terminait sa cigarette, Kayla apprécia néanmoins le fait que son hôte s’éloigne d’elle. Un peu d’air, voilà tout ce dont elle avait besoin. Finalement, elle prenait le fait de l’avoir vexé comme une opportunité, un moyen de ne plus parler d’elle et de son passé, un moyen de ne plus parler du tout. Et dans un cas comme celui là, le silence n’avait absolument rien de pesant. Au contraire, il était plutôt salvateur aux yeux de Kayla.

Ce n’est que lorsqu’Austin s’installa dans son canapé que la jeune femme daigna s’excuser, à demi-mot. Et avant même qu’il n’ait le temps d’ajouter quoi que ce soit, Kayla tenta de s’échapper, de fuir une nouvelle fois devant le « danger » et l’envie apparente qu’Austin avait de continuer à parler du sujet qui fâchait. Il ne tarda d’ailleurs pas à lui démontrer qu’elle avait raison de vouloir s’en aller avant que leur petite conversation ne reprenne. « Tu crois franchement que me fuir comme ça va t'aider ? » En effet, ça ne l’aiderait peut-être pas beaucoup. Mais est-ce que le fait de rester avec lui l’aiderait davantage ?! Kayla en doutait. De toute façon, quoi qu’il dise ou quoi qu’il fasse, il ne pourrait jamais comprendre ce qu’elle avait vécu, alors à quoi bon discuter ? Ressasser tous ces souvenirs n’était certainement pas une thérapie pour la jeune femme, bien au contraire. Cela ne faisait que réveiller la douleur qu’elle essayait d’enfouir au fond d’elle par tous les moyens depuis tant d’années. La jeune serveuse passa devant Austin sans même lui accorder un regard, et alors qu’elle se dirigeait vers la porte qu’il l’avait invitée à prendre quelques minutes plus tôt, elle fut contrainte de s’arrêter en entendant ce qu’il lui disait. Sans le lui montrer, elle ferma douloureusement les yeux et soupira sans même se retourner vers lui. « Tu ne peux définitivement pas comprendre. Tout ça parce que TOI, tu as encore ta fille, elle est là avec toi, tous les jours ! » cracha-t-elle en tentant de masquer au mieux les tremolo dans sa voix. Ce n’est que lorsqu’il lui assura qu’elle n’était pas seule que Kayla se retourna presque violemment vers Austin. Si ses yeux avaient pu tuer, ils n’auraient d’ailleurs laissé aucune chance au jeune homme. Evidemment quelle était tout seule ! Celui qui aurait été le père de son enfant était parti depuis longtemps, elle-même avait fuit ses parents, alors qui pouvait-elle encore avoir ? Bien sûr elle avait quelques amis, elle avait ses conquêtes, mais personne n’était susceptible de combler le vide que son enfant avait laissé en elle. « Comment est-ce que tu peux dire ça ? Qu’est-ce que tu en sais Austin ?! Tu ne sais même pas d’où je viens, avec qui j’ai grandi, qui j’ai aimé, ni avec qui j’ai vécu ! J’ai tout quitté pour venir à New-York, j’ai fait en sorte que personne ne me suive jusqu’ici alors oui je suis toute seule, et c’est très bien comme ça ! » Kayla avait serré les points, et ses bras en tremblaient presque. Malgré elle, elle tourna la tête vers la porte de la chambre de Lua, et une nouvelle larme qu’elle attribuait plutôt à la rage qu’à la tristesse coula le long de sa joue sans même qu’elle ne cherche à la retenir ni à la cacher. Au point où elle en était de toute façon… Baissant totalement les bras, Kayla finit par tourner les talons et quitter le salon pour fuir cet appartement au plus vite. En découvrant ses chaussures au pied de la porte d’entrée, elle leva les yeux au ciel en songeant que si elle avait su, elle les aurait gardées aux pieds, elle aurait ainsi pu gagner du temps. En essuyant une nouvelle larme sur sa joue, elle se baissa et s’attela donc à remettre ses talons hauts dont la sangle paraissait tellement compliquée à boucler avec ses yeux embués.