Depuis quelques mois, la vie de Kayla était soudainement devenue trépidante et particulièrement excitante. En réalité, c’est une rencontre fortuite qui avait tout changé pour elle. Clyde. Ce garçon qu’elle avait rencontré au cours d’une soirée, qui n’avait pas tardé à la démasquer, et pour cause. Tout comme elle, le jeune homme était adepte d’escroqueries en tout genre et à ses côtés, Kayla était clairement passée à la vitesse supérieure. Au-delà des petites arnaques qu’elle avait pour habitude de perpétrer en vidant le portefeuille de chacune de ses conquêtes, la sud-africaine s’attaquait désormais à des objectifs bien plus importants. Les bijouteries, villas de luxe et autres banques étaient son nouveau terrain de jeu. La jeune femme n’avait jamais eu froid aux yeux, mais associée à Clyde, elle se sentait d’autant plus forte et intouchable. Alors, doucement mais sûrement, elle basculait dans une vie bien plus dangereuse que celle qu’elle avait connue jusqu’ici.

Histoire de se « faire la main » avant de s’attaquer à des structures placées sous haute protection, les deux acolytes criminels avaient donc commencé par cambrioler quelques villas New-yorkaises. Et c’est au cours d’un de leurs entrainements que Kayla avait connu son premier faux pas. Seulement voilà, la jeune femme étant bien trop fière pour s’avouer vaincue, elle avait préféré continuer sans rien dire, et faire comme si les éclats de verre qui avaient entaillé son bras ne lui avaient fait ni chaud ni froid. Comme d’habitude, elle avait serré les dents et terminé ce qu’elle était venue faire sans ciller. Ce n’est qu’en rentrant chez elle qu’elle daigna se préoccuper un peu plus de sa blessure. Cette dernière était plutôt douloureuse et chacun des mouvements de la jeune femme lui arrachait une grimace en rouvrant ses plaies ensanglantées. Si seulement elle s’y était prise autrement pour briser cette satanée vitre ! Au moins, ce petit incident pourrait lui servir de leçon… A plusieurs reprises, la jeune femme tenta de se soigner, d’appliquer des pansements sur son bras meurtris, de désinfecter ses plaies mais à chaque fois, la douleur l’obligeait à abandonner. Les yeux rougis par les larmes qu’elle n’avait su retenir à force de toucher ses blessures, Kayla se résigna à monter dans un taxi. Elle prit bien soin de dissimuler son bras dans un amoncellement de tissu, et indique le plus naturellement du monde la direction de l’hôpital au chauffeur dont le regard lui paraissait bien trop suspicieux.

A peine arrivée au Lenox Hill, Kayla demanda à rencontrer le docteur Swarovski. Elle savait pertinemment qu’il n’avait rien à voir avec son problème, mais il était bel et bien la seule personne qu’elle était susceptible de connaître ici. Sa présence avait toujours eu quelque chose de rassurant pour elle, et elle ne tolèrerait pas qu’un autre médecin vienne s’occuper d’elle. Et puis s’il y en avait un qu’elle pourrait tenter d’embobiner pour ne pas raconter la vérité concernant ses blessures, c’était bien lui ! C’est donc en maintenant son bras tout contre elle et en soupirant à peu près toutes les trente secondes que Kayla s’installa sur un lit en attendant qu’une infirmière veuille bien aller dénicher son ami quelque part dans l’hôpital.

Alors qu’elle attendait seule dans la chambre dans laquelle on l’avait placée, Kayla n’avait de cesse de faire les cent pas. Tout en maintenant son bras ensanglanté et endolori par ses vaines tentatives de soin, elle ne pouvait s’empêcher de traverser et retraverser la salle dans tous les sens. Bien sûr, la jeune femme ressentait une certaine appréhension, et c’était bien légitime. Après tout, sa blessure n’était pas due à une activité que tout le monde pratiquait, et encore moins à quelque chose qu’elle pouvait clairement expliquer, même à Wayne. C’est au moment où elle décida de sortir de cette chambre pour aller s’en prendre à la première infirmière qui lui tombait sous la main que le jeune chirurgien fit son entrée, affublé d’un espèce de chapeau que Kayla trouva, à première vue, ridicule. Mais bien loin d’elle l’idée de vexer son amie d’entrée, elle prit bien soin de se taire à ce sujet, et de suivre ses toutes premières instructions qui consistaient à s’asseoir sagement. Elle n’avait pas encore totalement découvert son bras blessé que déjà, Wayne adopta un ton des plus suspicieux : « Si tu n’as rien à te reprocher et que personne n’est mort, pourquoi ne pas laisser le toubib qui t’avait prise en charge s’occuper de tes sutures ? Ça ne sera pas moins pénible ! » La jeune femme commença par déglutir, puis tenta d’afficher un sourire le plus détendu possible pour lui répondre. « Je voulais simplement te voir toi ! Je ne connais personne d’autre ici, et je ne veux pas laisser n’importe qui s’occuper de moi, c’est tout ! » expliqua-t-elle en se donnant des airs supérieurs qui pourraient expliquer son extrême exigence.

La jeune femme observa d’un œil méfiant son ami mettre ses gants, et grimaça par avance en pensant au pénible moment qu’elle allait devoir passer, dans tous les sens du terme. « Tu me dois donc des explications pour m’avoir appelé moi. Que t’est-il arrivé ? Epargne-moi un hypothétique mensonge, par pitié. La vérité. » Kayla leva immédiatement les yeux au ciel, comme pour lui signifier que jamais elle ne pourrait lui mentir, ni même inventer une vérité arrangée. Et pourtant, c’est précisément ce qu’elle fit tout en découvrant enfin l’intégralité de ses blessures. « Bah… tu vois, en travaillant dans un bar, c’est assez fréquent de croiser des verres brisés ! Et ce soir, une bagarre a éclaté près du comptoir… Les mecs ont prit tout ce qui leur passait sous la main, c’était… la cata ! Ça volait de partout, et j’ai voulu me protéger et… voilà ! » termina-t-elle en désignant son bras. Et comme pour en rajouter une couche, elle haussa les épaules en affichant une petite moue faussement contrariée : « C’est dangereux d’être barmaid finalement ! »

Ce n’était pas la douleur, ni même la perspective de voir son bras charcuté par le chirurgien qui inquiétait Kayla. La seule et unique chose qui la tracassait à ce moment précis était bel et bien de trouver un moyen de cacher la vérité à Wayne. Non pas qu’elle avait pour habitude de lui mentir, bien au contraire. Il se trouvait être l‘un des seuls hommes avec qui elle s’autorisait à être sincère, et cela constituait déjà un bel exploit pour elle. Cependant, elle ne comptait pas lui avouer qu’elle trempait depuis peu dans des magouilles bien plus importantes que celles d’avant. En s’associant avec Clyde, elle avait un peu signé un pacte avec le diable. Et même si elle en était pleinement consciente, elle adorait ça. Pour elle, ce surplus d’adrénaline ainsi que le butin qui se dessinait à chacune de leurs arnaques était tut ce dont elle avait besoin pour vivre. Enfin vivre comme elle l’entendait, sans avoir à se soucier de son passé et de tous ses souvenirs amers sur lesquels elle avait bien du mal à tirer un trait depuis son arrivée à New-York. Kayla savait que Wayne n’apprécierait certainement pas de la connaitre en tant que braqueuse de banque, et que son seul but serait alors de la détourner de ses nouvelles activités, tout en la sermonnant copieusement. Alors, par tous les moyens, elle allait tenter d’effacer les soupçons qui naissaient déjà dans l’esprit du jeune homme.

« Je vais t’administrer un anesthésiant local pour t’aider à supporter. Tu vas quand même déguster, je ne te le cache pas, mais cela sera nettement plus supportable avec ça. » En s’efforçant de rester impassible, la jeune femme acquiesça et serra les dents lorsque Wayne lui administra la piqure à proprement parler. Ce n’était certainement pas une partie de plaisir pour elle, mais Kayla était bien plus forte que ça. Elle avait appris à l’être, et cette carapace qu’elle s’était forgée au cours des années lui servait décidément à se protéger en toutes circonstances. Le chirurgien s‘attela ensuite à retirer tous les morceaux de verre encore présents dans la plaie d’une Kayla qui faisait de son mieux pour ne rien laissait paraitre de la douleur qui était encore bien présente malgré l’anesthésiant. « Je vais paraître comme un affreux rabat-joie, mais si ton discours est effectivement vrai… il faut que tu me donnes le nom de ton fabricant de verre : je ne savais pas que l’on pouvait en faire d’aussi grands ! » lâcha alors le jeune homme, au plus grand dam de sa patiente qui décida de jouer sur la corde de la confiance. C’était risqué, mais il valait mieux ça que d’avouer purement et simplement ce qu’il lui était arrivé. « Quoi, tu ne me crois pas ?! Je vois… la confiance règne ! Merci… » souffla-t-elle d’un air faussement déçu avant de grimacer sous le coup d’une manipulation un peu plus douloureuse du jeune homme. « Concentre-toi plutôt là-dessus, je ne veux pas avoir à revenir dans deux jours parce que tu auras oublié un éclat de verre ! »

En venant ici, Kayla avait bien été consciente que Wayne voudrait en savoir plus. Seulement voilà, elle savait aussi que n’importe quel autre médecin aurait cherché à avoir des informations sur les circonstances douteuses de son accident. Et s’il y en avait bien un qu’elle pouvait se mettre dans la poche, c’était Wayne. De toutes ses forces, Kayla essayait de le convaincre que tout allait bien mais elle pouvait clairement lire dans le regard du jeune homme qu’il ne pouvait s’empêcher de douter de sa sincérité. Et force était de constater qu’il avait raison. « Je vais commencer… prête ? » prévint-il avant de s’atteler à recoudre le bras de la jeune femme. Quasiment imperturbable, elle hocha la tête et serra les dents en prévision d’une douleur qu’elle s’imaginait déjà horrible. Kayla détourna également les yeux, mais se laissa néanmoins faire sans broncher. Sa capacité de résistance l’impressionnait presque elle-même, même si elle aurait préféré que Wayne ne s’attarde pas trop, et qu’elle puisse ainsi rentrer chez elle.

Mais comme si rien ne pouvait le détourner de son idée première, le chirurgien ne tarda pas à revenir à la charge en lui faisant remarquer qu’elle était particulièrement sur la défensive. Kayla avait pourtant cru cacher ce qu’elle ressentait convenablement… mais visiblement, ce n’était pas le cas. Elle avait un peu l’impression qu’il lisait en elle comme dans un livre ouvert, et c’était assez désagréable. Surtout pour quelqu’un comme elle qui avait tant de choses à cacher. Mais malgré la pression que tentait de lui mettre son ami, la sud-africaine restait muette comme une tombe. Dans son propre intérêt comme dans celui de Wayne, elle préférait garder ses nouvelles activités secrètes. En vérité, elle savait que s’il apprenait qu’elle était devenue une experte en escroquerie, il ne pourrait résister à l’envie de s’en mêler pour la « sauver », la « protéger », ou elle ne savait quoi encore… Et contrairement à ce qu’il pourrait croire, Kayla n’avait pas besoin de lui. Elle n’avait jamais eu besoin de personne à New-York, et ce n’était certainement pas aujourd’hui que cela allait changer. Wayne marqua une pause un peu plus longue que les précédentes, et la jeune femme espéra qu’il daigne enfin la lâcher avec ses suspicions. Mais c’était peine perdue, et elle ne tarda pas à s’en rendre compte.

« Alors dis-moi : bagarre dans ton bar, sérieusement ? De toute manière, tu as deux options : on peut la jouer cool, tu me dis tout à moi et ça s’arrête là vu que je suis sous le secret professionnel ; soit je continue à avoir des doutes et je devrais malheureusement en avertir les autorités. Obligation légale… je ne tiens pas à savoir que tu es en danger et n’avoir rien fait. » Cette fois, Kayla se figea. Etait-il réellement en droit de faire ça ? De LUI faire ça ? « Je te dis que je ne suis pas en danger Wayne ! Arrête de t’inquiéter pour rien, tout va bien. Et même si ce n’était pas le cas, je ne vois pas en quoi ça te concernerait ! » cracha-t-elle alors, bien plus agressive que ce qu’elle aurait voulu. Immédiatement, ses paupières se fermèrent et elle soupira d’un air agacé. Sans le vouloir, elle venait certainement de se trahir et ainsi de confirmer à Wayne toutes ses inquiétudes.

Kayla n’en croyait tout simplement pas ses yeux. D’ordinaire, c’était plutôt elle qui tenait tête aux autres et qui s’arrangeait pour retourner la situation en sa faveur. Mais aujourd’hui, Wayne ne voulait visiblement rien savoir. Il se montrait plus têtu que jamais et malgré l’insistance de Kayla, il semblait résolument déterminé à savoir exactement ce qu’il lui était arrivé. « Est-ce que j’ai l’air d’un pauvre couillon que tu peux manipuler rien qu’en battant des cils, Kayla ? C’est cette impression que je donne, tu crois ? » Une nouvelle fois, la jeune femme serra les dents. Elle aurait bien été tentée de tout laisser tomber, et de s’en aller en le plantant là malgré sa blessure et malgré la douleur toujours aussi présente. Mais le chirurgien avait déjà commencé à la recoudre, et il lui était donc impossible de se dérober de cette façon, aussi lâche soit-elle. Alors, sans bouger, Kayla fut contrainte d’écouter le laïus que Wayne lui réservait encore. Il ne se priva d‘ailleurs pas de lui rappeler que son métier l’obligeait à dénoncer la moindre blessure suspecte. Elle qui avait espéré qu’en le demandant lui, elle pourrait s’en sortir sans encombres… L’inquiétude grandissant du jeune homme lui paraissait à la fois flatteuse et terriblement encombrante. Même si les gestes experts du chirurgien n’en laissaient rien paraître, la jeune femme pouvait clairement voir qu’il était agacé. Mais elle ne comptait pas lâcher l’affaire pour autant. « Wayne s’il-te-plait… Si je suis venue te trouver toi, c’est justement parce que je te fais confiance, et que je pensais que tu pourrais me laisser tranquille avec ça… »

Elle avait beau y mettre toute sa bonne volonté, Kayla ne parvenait pas à faire entendre raison à son ami. Intérieurement, elle se maudissait d’avoir été faible au point de se rendre aux urgences pour se faire soigner. Elle était allée au devant de complications certaines, en croyant dur comme fer qu’elle pourrait s’en sortir. Mais Wayne ne semblait pas exactement du même avis qu’elle… « Dernière chance : tu craches ta valda ou c’est avec un flic que tu vas te dépatouiller. Tu me connais, je tiens facilement mes promesses. » cracha-t-il, comme un dernier recours. Laissant échapper un long soupir empreint de désespoir, Kayla chercha alors à capter le regard de son ami, pour lui faire comprendre qu’elle était bel et bien sincère. D’ailleurs, il n’y avait bien qu’avec lui qu’elle pouvait se permettre de l’être. « Ne fais pas ça… » souffla-t-elle presque en le suppliant. « Je te demande de me faire confiance pour cette fois… Je sais que tout ça peut te paraitre très louche, mais je t’assure que je serai encore plus en danger si jamais les flics viennent se mêler de ça. Je gère, Wayne. Et si j’étais réellement en danger, tu serais le premier au courant… » Pour la première fois depuis le début de l’intervention, Kayla était sincère. Et elle espérait d’ailleurs que son ami le comprenne, et daigna la laisser repartir sans demander plus d’informations. Elle ne voulait pas l’inquiéter, mais elle voulait encore moins avoir la police à ses trousses. Alors par tous les moyens, elle allait tenter de le rassurer. Décidément, le fait d’avoir de vrais amis avait aussi son lot d’inconvénients que la jeune femme découvrait petit à petit avec une certaine déception. A cet instant précis, elle se prenait d'ailleurs à regretter le temps où elle ne faisait confiance à personne, et où elle traçait son chemin seule sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit.