Apollinaria était plutôt du genre à voir des signes partout. Et c’était ce qui lui arrivait depuis quelques jours. A chaque fois qu’elle allumait la télévision, elle ne pouvait soupirer en entendant parler de cette fichue crise qui traumatisait la terre entière, ou plutôt, qui l’agaçait, elle. Elle avait quelques actions qui fonctionnaient bien en ce moment et ce n’était certainement pas le moment d’en rajouter une couche. Elle détestait perdre, dans n’importe quelle situation et celle-ci en faisait également partie. Elle avait quelques rudiments en matière de bourse et engageait également un spécialiste qui lui coûtait très cher et elle comptait rentabiliser l’investissement. Pas qu’elle ait spécialement besoin d’argent, ça non, elle s’en rendait bien compte, qu’entre l’argent de ses parents biologiques, notamment de sa mère décédée, ceux de ses parents adoptifs et de l’héritage qu’elle avait fait d’Alexandr, elle avait de quoi certainement faire vivre une population. Et c’est également pour cela qu’elle donnait de l’argent à des associations caritatives ou humanitaires. C’était comme un devoir qu’elle remplissait avec plaisir. Mais pour continuer d’accomplir cela, il fallait que la terre et le marché tournent normalement. Elle ne supporterait pas de voir qu’elle n’avait pas réagi au bon moment et qu’elle avait perdu actions ou argent ou encore crédibilité. Certainement pas. En tout cas, ce qui était sûr, c’est qu’à force de parler tout le temps de traders et de cours de la bourse, elle avait fait le lien avec Clyde. Ca faisait tellement longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus et la dernière fois, il avait une fois de plus tenté de la faire sortir de sa soirée mondaine. Elle savait bien qu’elle n’agissait plus comme elle l’avait fait auparavant. Juste avant qu’elle ne se marie avec Alexandr, ils avaient été en Suède pendant l’été et la plupart de leurs frasques avaient défrayé la chronique, chose assez rare pour la famille royale luxembourgeoise. Le château avait réussi à endiguer le plus gros et avait caché certaines choses plutôt moches. C’est à ce moment-là que la jeune femme s’était rendue compte de l’importance des médias et qu’elle avait compris qu’ils étaient partout. Oui mais voilà, ce soir, elle avait envie d’autre chose, de changer, de retrouver ce qu’elle avait laissé derrière elle, juste le temps d’une soirée. Après tout, la probabilité qu’elle se retrouve dans les journaux people était très faible. Aux Etats-Unis, on ne le connaissait pas réellement et on peinait à situer le Luxembourg sur une carte. Elle se rappelait encore avoir dû montrer à Milo où ils avaient mis les pieds quand elle l’avait embarqué dans ses valises sur le vieux continent. Les journaux l’avaient sans doute oubliée, elle, la tranquille et sage princesse veuve qui réussit ses études. Ils ne se rendaient pas compte une seule seconde de ce qui pouvait se tramer dans cette famille si parfaite.

Bref, il fallait qu’elle sorte. Elle attrapa une robe et des talons et remonta la rue vers l’appartement de Clyde, espérant qu’elle soit la seule représentante du sexe féminin ce soir, ce qui n’était pas forcément des plus aisés quand on connaissait un minimum le jeune homme. Elle entra dans le hall et se faufila dans l’ascenseur. Arrivés à l’étage voulu, elle sortit et se planta devant une porte qu’elle frappa délicatement. A peine celle-ci ouverte qu’elle lança, d’un air assuré « Bien que ça me fasse mal de le reconnaître, tu avais raison, j’ai besoin de sortir. Oh, et surtout, si tu as une fille chez toi, jarte-la, je passe d’abord. » Une fois cela dit, elle eut un petit sourire en regardant Clyde.

Venir toquer à la porte de Clyde était une bonne idée pour être sûre que sa soirée serait mouvementée. Après tout, elle l’avait voulu. Elle était venue de son plein gré, ce qui n’était pas toujours le cas avec le jeune homme. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, il l’avait entrainée de force hors d’une soirée mondaine qui l’ennuyait à mourir, entourée de personnes qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Elle avait la désagréable sensation qu’elle commençait à se lasser d’aller seule aux réceptions mondaines. Autrefois elle y allait avec ses parents adoptifs, Alexandr ou même Kat mais certainement pas seule. Mais les années défilant, elle semblait avoir de plus en plus de réceptions assommantes à défier seule. Et ça suffisait comme ça, elle commençait à en avoir un peu marre de cette manie de la mettre dans toutes les réceptions un tant soit peu importante où elle devait jouer un rôle de bonniche et s’était dit qu’elle n’irait qu’à celles qu’elle aurait choisies, ainsi sa présence serait plus remarquée et plus appréciée. Et elle aurait également plus de temps pour travailler. C’était son avant dernière année à Columbia et elle savait qu’elle devait mettre les bouchées doubles, rien que pour elle. Finalement, son diplôme ne lui servirait pas tant que ça, à part être reconnue dans la presse royale comme une personne instruite. Elle ne s’était jamais vraiment posé la question de savoir ce qu’elle allait faire plus tard tant son avenir semblait tracé d’encre dorée. Avant de se marier avec Alexandr, elle aurait sans doute repris la banque familiale au Luxembourg et puis tout s’était précipité. Mais maintenant, elle n’était pas sûre de vouloir être la potiche qui se traine dans toutes les soirées mondaines, les associations caritatives et qui ne travaillaient pas en dehors. Elle n’était pas destinée à monter sur un trône dorénavant et, bien qu’il y ait cette histoire de mariage avec Nathan, ça n’allait pas se faire et donc, il fallait qu’elle trouve quelque chose. Bref, beaucoup trop de questions et pas assez de réponses. Il lui fallait une compagnie et Clyde était la personne toute trouvée.

Apollinaria toqua alors, sûre d’elle et s’obligeant à ne pas penser afin de ne pas regretter son choix. Il allait certainement la charrier sur le fait qu’il avait manifestement raison et elle tord mais tant pis. Elle était prête à encaisser. Il ouvrit alors la porte, comme s’il attendait quelqu’un. Son visage se détendit quand il la vit et elle en profita pour lancer sa petite litanie. Malgré tout, son regard se ferma automatiquement et elle n’eut pas le temps de se demander ce qui se passait qu’il répondait déjà, d’un ton extrêmement glacial qui la surpris « T'en fais pas pour ça. Ce qui me servait de petite amie s'est barré avec un pâtissier. » Apollinaria souleva un sourcil, intriguée et passablement surprise. Etait-il sérieux ? Depuis quand il avait une petite-amie ? Et depuis quand surtout, il la laissait partir pour quelqu’un d’autre ? Ca n’allait pas fort… Elle tenta alors une approche, un peu maladroite mais c’était tellement surprenant comme nouvelle ! « Et depuis quand tu laisses une fille partir pour un autre sans bouger ? Surtout, un pâtissier ? Non, mais… vraiment ? » demanda-t-elle avec un petit air dédaigneux. Elle n’avait rien contre les pâtissiers mais il fallait avouer qu’elle ne comprenait pas tout. Il la laissa entrer et elle se fit guider jusqu’au bar où il avait vraisemblablement déjà commencé à ouvrir les bouteilles d’alcool. « Elle n'était pas si intéressante que cela, de toutes façons. » La jeune femme souleva une fois plus son sourcil élégamment, un peu perturbée. « Tu sortais vraiment avec une fille ? » demanda-t-elle, en appuyant sur l’adverbe. Ca lui paraissait tellement saugrenu, d’où lui venait cette idée alors qu’il n’avait jamais soulevé l’hypothèse même de former un jour un vrai couple. De plus, elle se sentit un peu lésée de n’avoir pas été mise au courant de cette affaire et de ne l’apprendre qu’une fois finie. Elle aurait pu avoir son avis là-dedans quand même ! La native d’Odessa le regarda finir d’un trait son verre et elle songea qu’il devait vraiment y tenir pour réagir de la sorte. Et ça l’angoissa un peu, à vrai dire. Il était censé être celui qui devait l’aider à ne pas tomber justement ! Il lui tendit finalement un verre qu’elle dut accepter puisqu’il ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Après tout, ça ne lui ferait pas de mal. « Qu'est-ce qui se passe ? » Elle but une gorgée de son verre, ne pouvant s’empêcher de grimacer légèrement. Ca n’était décidément pas son alcool préféré. C’était bien ça le problème avec les amis, ils savent toujours où mettre le doigt où ça fait mal. Particulièrement Clyde, par ailleurs. Il était doué dans cette matière… Elle lui lança un air désapprobateur, comme s’il n’était pas du tout question de lui et que toute sa vie ne tournait pas autour de lui et de ce foutu mariage. « Vous vous tournez autour depuis si longtemps que vous m'épuisez. Couchez ensemble ça réglera le problème. La dernière collection de lingerie Dior devrait achever de te convaincre. » Apollinaria ne se laissa pas prendre par le cynisme de sa voix, qui ne faisait qu’augmenter lorsqu’il n’était pas bien et répondit d’un ton particulièrement calme « Peut-être que je n’ai pas envie que ce soit lui l’a voie. De toute façon, je l’ai reçue en cadeau il y a quelques jours et je peux t’assurer qu’elle n’a rien d’exceptionnel… » Puis, elle avala une nouvelle rasade de son verre, s’apercevant qu’on s’y faisait plutôt bien de ce goût finalement.