Faible. Elvia avait eut l’extraordinaire faiblesse de ne pas résister une seconde à Gabriel et pourtant, elle ne l’avait pas regretté pour autant. Mais ce qu’ils avaient vécu n’induisait pas pour autant qu’elle était en mesure de parler au prince de façon libre et expansive. Vraiment, depuis des jours, les moments pendant lesquels ils se voyaient étaient de plus en plus rares, et extrêmement fugaces à vrai dire. Certes, la jolie suisse comprenait tout à fait qu’il soit diablement occupé avec ses nouvelles fonctions princières, mais même le soir, c’est à peine s’ils pouvaient retrouver une sorte d’intimité plus vive. A plusieurs reprises, pourtant, Elvia avait tenté de le faire valoir auprès de Charles-Henri, qui ne pouvait malheureusement jamais lui promettre de lui réserver un créneau suffisamment large sur l’agenda de sa majesté pour qu’elle puisse parler d’un problème particulièrement épineux s’abattant pourtant sur ses frêles épaules. En désespoir de cause, la jeune femme avait accentué ses entraînements, passant un temps considérable à la patinoire se trouvant à proximité du palais et étant tout spécifiquement réservée pour elle. S’éprouver lors de la nouvelle chorégraphie qu’elle avait imaginée pour son prochain concours lui permettait de garder les idées claires et d’essayer de fomenter un plan tenant la route pour réussir à parler à Gabriel. C’était ça ou espérer qu’il ne finisse par se rendre compte qu’elle avait pris du poids mais de grossissait que de deux endroits en particulier : le ventre d’un côté, la poitrine de l’autre.

Nouveau réveil, nouvelle journée, mais à peine le réveil eut-il sonné que Gabriel avait déjà quitté le lit. Diable, mais il ne tenait pas en place une seconde le temps qu’elle puisse au moins glisser quelques mots ?! « Tu te rends compte que je suis en couple avec un courant d’air ? » souffla-t-elle alors qu’il quittait justement la salle de bain. A ceci près qu’Elvia n’avait pas envie de rire ou même de rougir, elle était sincèrement agacée par cet état de fait. Prince ou pas, il fallait que cela cesse, tout de suite et maintenant. « Sans doute faut-il que je t’envoie un télégramme pour que tu prennes conscience que je dois te parler de quelque chose de capital ? Oh je sais, inutile de me répondre que tu as un emploi du temps très chargé, que l’on t’en demande beaucoup et j’en passe… Charles-Henri me l’a très régulièrement répété pendant ces trois dernières semaines. Mais même prendre un rendez-vous avec toi n’est pas possible, te rends-tu compte ? » Elvia se leva du lit pour enfiler la première robe qui lui tomba sous la main, poussant un nombre plutôt impressionnant de soupir, la gorge nouée. Elle ne voulait pas annoncer une chose pareille à la va-vite, sous le fallacieux prétexte qu’ils n’avaient même pas une heure devant eux. « Je suppose que cela peut attendre, oublie ce que je viens de dire » énonça-t-elle finalement. Qui l’aurait cru, elle jouait les vraies femmes cette fois, avec sa part de complexité et de crises !

Une semaine. Il lui demandait d’attendre encore une semaine alors que la jolie suisse voyait déjà son extraordinaire patience faire des heures supplémentaires de plus en plus coûteuses et insupportable. Elvia s’habillait avec des gestes agacés, pressés, nerveux. N’avoir que dix minutes devant elle n’était pas suffisant, pas pour ce qu’elle avait à annoncer justement. D’autant qu’à peine aurait-elle pu ouvrir la bouche que déjà, le portable de Gabriel sonnait en fanfare, la réduisant d’un même coup au silence. Oh bien sûr, Elvia prit l’appareil en main mais il ne fallait plus s’attendre à ce qu’elle reste sage et silencieuse alors que toute cette situation lui montait rigoureusement au cerveau. « Dix minutes ! Tu te rends compte de ce que tu dis ?! Dix minutes à m’accorder alors que je voudrais te parler de quelque chose de très important ! Tu m’écoutes ou bien suis-je en train de m’exprimer face à un fantôme qui de toute évidence à une ouïe fort bien bouchée ? Je ne veux pas que tu te libères je voudrais juste être assurée d’avoir un moment à nous où ton fichu portable ne sonnerait pas toutes les trente secondes et où tu ne me dirais pas que tu n’as que dix minutes pour moi ! » Elvia ferma les yeux pour tâcher de calmer cette colère ne lui ressemblant pas, se rendant bien compte que ses sautes d’humeur avaient une fâcheuse tendance à se rapprocher d’autant que les semaines filaient sur le calendrier du temps. « Tu vas devoir décrocher toi-même » eut-elle juste le temps de dire avant de filer jusqu’à la salle de bain, poursuivie par une nausée particulièrement virulente. Par chance, celle-ci passa relativement vite, mais la pâleur qu’elle put voir dans le miroir lui flanqua une frousse particulière. Elle se faisait réellement peur, et pourtant, rester allongée dans cette chambre à attendre que Gabriel ait un moment à lui accorder n’était pas envisageable une seconde.

La jolie suisse retourna dans la pièce principale pour se choisir une tenue d’entraînement, mais le cœur n’y était particulièrement pas aujourd’hui. Elle aurait aimé chasser l’intégralité des doutes qui frappaient son esprit sans relâche depuis trois semaines. « Oh je suis certaine que Charles-Henri saura très bien s’occuper de ton agenda à New York également, je n’ai absolument aucun doute là-dessus » conclut-elle en essayant d’être moins hargneuse, reprenant peu à peu cette compréhension dont elle savait si bien faire preuve autrefois, bien qu’à nouveau, le cœur n’y soit pas. « Pour être honnête je ne sais pas si je tiendrais encore une semaine à ce rythme. »

Elvia avait beau être agacée et avoir envie de hurler le désespoir qui s’abattait continuellement sur ses épaules, loin d’elle l’envie d’aller jusqu’à rompre. Cette situation lui demandait certes de nombreux efforts et son énergie s’amoindrissait d’autant au fil des jours, mais il était hors de question qu’elle soit passée par autant d’épreuves pour rien. Non, vraiment, elle ne pourrait pas l’accepter. Le problème, c’est qu’elle avait l’impression d’avoir mille et une choses à dire sans obtenir le moindre temps pour se faire. Cette situation ne pouvait plus durer et il fallait trouver une solution avant que sa santé ne finisse par en pâtir d’une manière ou d’une autre. Elvia ne connaissait que trop bien son corps, elle avait été si souventes fois aux bords du précipice qu’elle préférait mille fois prévenir que guérir cette fois. « Non je n’ai pas mes règles, justement tu vois ! » s’écria-t-elle avant de baisser immédiatement d’un ton, se faisant littéralement peur à elle-même. Vraiment, il était plus que temps que Charles-Henri arrête ses conneries et qu’on lui rende son ours mal léché des grands jours, sans quoi elle ne donnait pas cher de sa peau. D’autant que les rares soirs où il ne rentrait pas à des points d’heure, elle avait à peine l’occasion de l’embrasser que déjà, il s’endormait tout contre elle comme s’il s’agissait de la chose la plus logique au monde. « Bien sûr que non je ne veux pas rompre Gabriel !! Mais comprends-moi une seconde : j’ai de nombreuses questions auxquelles j’ai absolument besoin de réponses le plus rapidement possible et tu n’es jamais là ! Ce n’est pas une question de pardon je pense avoir été suffisamment claire sur le fait que je te pardonnais… pourquoi aurais-je traversé tant d’épreuves dans le cas contraire ? Mais qui me dit que dans une semaine ça ne va pas être la même histoire et qu’au final, cette discussion que j’essaye d’avoir avec toi depuis trois semaines n’aura jamais lieu ? »

Elvia le regardait droit dans les yeux, nettement moins virulente dans ses derniers propos… elle faisait juste valoir qu’elle avait aussi droit à un brin de disponibilité de sa part ou bien sa présence ici ne servait à rien. « Je sais que tu veux que tes parents soient fiers et je sais que tu mets une pression très forte sur tes épaules, mais une femme ce n’est pas qu’une jolie chose qui sent bon et qui a la peau douce. Ca aime bien avoir un peu d’attention de temps en temps et ne pas avoir constamment l’impression de passer au trente-sixième plan. Sinon tu peux me dire pourquoi je suis ici ? » La jeune femme, littéralement calmée par ses propres propos, baissa la tête en entendant Charles-Henri tambouriner à la porte. Même cinq minutes il n’était manifestement pas capable de les leur accorder. « Tu es attendu je crois. »

« Elvy il faut simplement que… tu te reposes. Je suis sûre que mon frère va finir par entendre raison et voir qu’il se passe réellement quelque chose ! » En désespoir de cause, Elvia avait trouvé un réconfort certain auprès de Cissy, la jeune sœur de Gabriel. Non seulement celle-ci était agréablement compréhensive mais elle était médecin par-dessus le marché… quoi de mieux que d’interroger un professionnel de la santé lorsque l’on est paniqué et aussi tendu que la corde d’un arc ? Par chance, la jeune princesse parvint à la rassurer temporairement et c’est donc nettement plus détendue qu’elle décrocha lors de l’appel de Gabriel. Ne pas perdre son sang froid, surtout ne pas perdre son sang froid. « Mais tu n’es pas censé finir ton discours tard ? » demanda-t-elle sans reproches dans le fond de sa voix. A vrai dire, la jolie suisse finissait par être perdue à force de voir l’emploi du temps du prince constamment modifié. « Réserve et je t’attendrais là bas. Ne fais pas le mur plus longtemps sinon Charles-Henri est capable de te coller une réception quelconque ce soir… » Elvia mit fin à l’appel quelques secondes plus tard en mettant en lumière le fait qu’elle doive s’entraîner, chose absolument véridique, mais avant, une idée lumineuse lui avait traversée l’esprit : glisser un mot dans le dossier que Gabriel allait certainement repasser chercher avant son discours puisqu’il contenait justement celui-ci. Ledit mot fut relativement bref, à vrai dire : « Gabriel, je suis enceinte. Puisque je n’arrive pas à te le dire oralement, autant te l’écrire. Ne me tiens pas rigueur d’avoir fini par opter pour cette solution… je n’en peux plus de cette distance et de ce silence entre nous. J’espère simplement que la nouvelle te fera réagir… »

Elvia avait simplement glissé la feuille dans le dossier, en première ligne, avant de partir s’adonner à sa discipline préférée : le patinage. Certes, elle ne put malheureusement pas en faire aussi longtemps qu’elle l’avait voulu, fatigue accumulée oblige, mais rien ne sembla l’empêcher de se rendre illico presto dans les vestiaires pour se changer à nouveau et repartir en direction du palais. Le cruel dilemme du jour serait : quelle robe mettre pour aller attendre Gabriel au restaurant… la jolie suisse avait sorti un nombre plutôt impressionnant de « prétendantes » lorsqu’elle tomba sur celle qu’elle portait le jour du bal, où elle s’était avancée masquée pour tâcher de le reconquérir. Le clin d’œil lui plut particulièrement mais sa joie fut brusquement amoindrie par un sursaut d’anthologie alors que la porte venait de s’ouvrir à la volée. « Charles-Henri si c’est vous, vous avez manqué de me faire mourir d’une crise cardiaque ! Je pensais que vous frappiez, d’ordinaire… de toute évidence il faut que je réapprenne à me calmer. » Sauf que ce n’était pas le majordome… pour une fois, il n’était aucunement fautif !

Elvia avait gardé nerveusement sa robe entre ses doigts et sentit le tissu plier contre l’étreinte de ceux-ci lorsque Gabriel débarqua en trombe dans la chambre. Ce n’était pas Charles-Henri comme elle l’avait cru mais bien le journaliste lui-même, lui balançant une phrase qui la fit se renfrogner aussitôt. Certes, son ton de voix ne laissait pas réellement entendre de reproche mais difficile de trouver les mots énoncés agréables. La jeune femme fronça donc les sourcils en se retournant, blessée qu’il ne trouve même pas une phrase aimable à dire alors que cela faisait trois semaines qu’elle paniquait rien qu’à y penser. « Oh pardon, c’est vrai qu’il aurait peut-être mieux valut que je ménage les susceptibilités royales, après tout cela ne fait jamais que trois semaines que je quémande une toute petite heure d’audience pour justement l’annoncer de façon moins brutale ! » Elvia leva les yeux au ciel d’exaspération, rangeant chaque robe dans son placard, y compris celle qu’elle avait pourtant choisie pour la sortie prévue ce soir. Autant dire qu’il avait réussi à lui couper l’envie en une seule phrase. A la décharge de la jeune femme, face à toute la peur panique qu’elle ressentait, cette réaction était à des lieues de ce qu’elle avait attendu et espéré. Mais peut-être n’était-ce pas une bonne nouvelle, justement. Peut-être s’était-elle enflammée un peu trop vite et que justement, Gabriel ne voulait pas de tout ceci…

« Je t’avais dit que c’était important. Je te l’avais dit, je ne t’ai pas pris en traître ! Mais comment aurais-je dû faire à ton avis, hein ? Me taire jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour prendre une décision ? Ou rentrer sur New York en douce pour avorter ? Je ne savais pas quoi faire, voilà ! Je n’ai jamais prétendu être taillée pour gérer le chaos et face à la solitude insupportable dans laquelle tu m’as jetée pendant ces dernières semaines, j’ai fais comme j’ai pu ! » Elvia ravala ses larmes, interdisant à ses yeux de se montrer ne serait-ce que légèrement humides tant elle préférait oublier le fait d’avoir encore plus honte qu’en cet instant. « Je suis fatiguée Gabriel. Il a fallut que j’aille quémander un câlin et des conseils à ta sœur qui n’a que vingt-trois ans et qui HEUREUSEMENT a été en mesure de répondre à mes questions ! Je me suis dit que puisque tu étais toujours sur le front, glisser un mot dans ce qui s’y rattachait directement était une idée désespérée comme une autre. Maintenant si tu préférais que je t’appelle depuis New York puisque ça fait trois semaines que je retarde les examens médicaux qui s’imposent pour que cela ne te fasse pas de tort, tu n’as qu’un mot à dire et je prends le premier avion. »

Au départ, en voyant Gabriel gesticuler et aller jusqu’à boire un verre de scotch directement au goulot de la bouteille, Elvia déglutit avec difficulté. Difficile de savoir s’il le prenait bien ou non, s’il paniquait ou au contraire cherchait simplement à digérer la nouvelle pour mieux s’en réjouir la seconde d’après. La jeune femme ne le quittait pas des yeux, littéralement pendue à ses lèvres comme s’il pouvait la libérer de sa propre panique d’un seul mot. Une chance, il ne voulait pas qu’elle avorte… cette simple idée lui donnait la nausée rien qu’à y songer pendant une seconde, alors le faire, jamais elle n’en serait capable ! « Et c’est grave que toute l’assemblée soit au courant ? » demanda-t-elle en toute bonne foi, tout à fait étrangère aux usages de la cour. De toute évidence, si Charles Henri avait été présent, sûrement aurait-il bondit sur cette occasion pour lui faire un cours de protocole mais par chance, ils étaient simplement tous les deux pour la première fois depuis trois semaines et bientôt, Elvia put enfin à nouveau se laisser bercer par la douce chaleur que lui offrait son ours. Cette fois-ci, elle ne put décemment se retenir et de longues larmes de soulagement se mirent à couler sournoisement, son corps se mettant à trembler en relâchant l’intégralité de cette pression qui s’était placée insidieusement contre ses épaules. « Oui un bébé… et je prenais la pilule mais je l’ai oubliée lors du bal, je pense donc que nous l’avons conçu le lendemain. En tout cas c’est le calcul que j’ai pu faire avec les indications de Cissy. Mais Gabriel, pitié, dis-moi que tu ne vas pas encore me laisser parce que je ne le supporterais pas… »

Autant dire qu’elle écarquilla deux grands yeux surpris en le voyant prendre son téléphone en main, ouvrir la fenêtre et le balancer sans préavis comme s’il s’agissait de la chose la plus évidente du monde. Cela parvint à arracher un rire amusé à Elvia, qui essuya doucement ses larmes avant de ne s’étonner plus encore face à sa proposition. « Tu veux que l’on fuie clandestinement, Gabriel Renaldi ? » lui demanda-t-elle sans l’ombre d’une colère ou d’un agacement. Elle s’empara plutôt du visage de son prince pour lier ses lèvres aux siennes avec tendresse, geste qu’elle avait l’impression de ne pas avoir pu avoir depuis des lustres… « Je ne connais pas la campagne génovienne mais même avec des nausées je pense être capable de marcher sur la durée… enfin un moment à nous ! Tu ne peux pas savoir à quel point ça me soulage que tu sois avec moi mon ours… je sais que le fait de glisser la nouvelle au milieu de ton discours n’était pas l’idée de l’année mais j’avais vraiment besoin que tu le saches, je ne pouvais pas me permettre d’attendre encore une semaine pour pouvoir t’en parler ! Cissy m’a prévenu qu’avec ma greffe du cœur ça n’allait pas forcément être évident pour moi mais je pourrais supporter la chose si tu es avec moi. Tu es… tu es content mon ours ? »

« Avec toi et pour toi, je suis toujours prête, mon ours ! » s’exclama-t-elle avant même que de répondre aux potentielles interrogations de Gabriel au sujet de sa santé. Elvia s’était énormément renseignée sur la question, à vrai dire… le mot « danger » s’était inscrit dans son esprit à l’instant même où ce maudit test avait viré au rose, la portant jusqu’aux frontières du paroxysme de la peur. La jolie suisse n’en dormait plus la nuit, peinait à réfléchir avec discernement et, s’il avait fallut qu’elle attende encore une semaine pour pouvoir parler à Gabriel, sûrement aurait-elle totalement perdu l’esprit. Elle peinait d’ailleurs à se rendre compte de ce revirement de situation : ils venaient de faire une véritable mission commando aux cuisines et, désormais à l’étable, s’activaient pour faire en sorte de partir au plus tôt. Une chance que la mère d’Elvia possède justement un ranch et qu’elle se soit très souvent rendue là bas pour s’entraîner à l’équitation… elle n’était pas mauvaise, d’ailleurs, bien que sa discipline de prédilection reste envers et contre tout le patinage artistique. Ce contact avec la nature lui rappelait cependant sa belle Suisse, autant dire que rien ne pouvait lui faire plus plaisir qu’une promenade équestre jusqu’au chalet dont Gabriel avait somme toute hérité. « Tu sais, tout à l’heure, il ne fallait pas y voir le mot « risque ». Le risque zéro n’existera jamais et j’en saurais sûrement bien davantage lorsque j’aurais réellement pu faire des examens approfondis mais d’après ta sœur, si je fais très attention et que je me repose énormément, il n’y aura aucune encombre. En d’autres termes, et il va certainement falloir t’y faire… tu devras me supporter pendant encore de très longues années car mon petit cœur est robuste, foi de sportive de haut niveau. Le seul sacrifice que je vais malheureusement devoir faire, c’est dire adieu à ma discipline. Ce ne sera certainement plus possible. Mes derniers entraînements m’ont littéralement épuisée alors que j’étais tout à fait capable de les enchaîner autrefois. » Elvia avait tenté la chose, sans forcer, mais elle n’était pas stupide au point d’insister à tout prix. Elle préférait mille fois leur offrir une famille plutôt que de continuer d’être une grande patineuse qui serait seule au sommet. Vraiment, elle était prête à faire ce choix si Gabriel était avec elle. « Pourquoi Charles-Henri panique-t-il, au juste ? » osa-t-elle cependant demander tandis qu’elle grimpait justement sur la jument où elle avait placé sa partie des provisions ainsi que ses affaires de rechange.

Elvia espérait de tout son cœur pouvoir remonter sur des patins après l’accouchement, mais d’un autre côté… il ne fallait pas se leurrer, la grande époque de sa carrière était terminée depuis longtemps. Pour un peu, elle trouvait cela particulièrement cruel de n’avoir plus besoin de se cacher pour patiner et d’avoir eu les pires ennuis l’éloignant justement de sa discipline favorite, là où elle s’exprimait le plus, avec le plus de liberté… « Je sais que je pourrais très bien m’y remettre… mais ce ne sera jamais pareil. Mes entraînements comme lorsque j’étais véritable championne olympique ne me laissaient pas de répit ou de temps pour le reste, même s’ils me comblaient au-delà des mots. Aujourd’hui… j’ai trouvé autre chose qui me comble. Je n’ai pas envie de ne me concentrer que sur une discipline en laissant de côté le plus important : le fait que nous allons fonder une famille… d’autant que j’approche de l’âge de la retraite comme tout sportif de haut niveau qui a vingt-neuf ans ! » Elvia ironisait la chose, certes, mais un semblant de nostalgie persistait néanmoins. Dire adieu à son rêve n’était guère agréable et l’attristait, certes, mais elle se disait qu’elle resterait toujours la patineuse ayant eu le plus de médailles d’or de l’histoire, sans oublier ses nombreuses victoires en championnats du monde. Son palmarès n’était plus à prouver et derrière, elle gagnait tellement plus encore… quelqu’un qu’elle pourrait attendre chaque soir un sourire aux lèvres, qu’elle serrerait dans ses bras et aimerait chaque jour avec patience et attention. C’était cela, son nouveau rêve. « Mariage ? » La jolie suisse rougit violemment et son cheval s’emballa soudainement, la portant bien au-delà de la position de Gabriel jusqu’à ce qu’elle ne puisse le stabiliser, évitant ainsi une catastrophe. Il ne manquerait plus qu’elle se casse le coccyx ! « Oh mon ours mais je ne veux pas que tu te sentes obligé de m’épouser !! Ce n’était pas le but de la manœuvre et je ne veux pas devenir une profiteuse !! Tu me crois, hein ? Hein ?! » Panique. Elvia sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, alors qu’elle lui lançait un regard presque désespéré. Certes, elle serait ravie qu’il la demande un jour en mariage, mais le mot « obligatoire » l’effrayait. Après tout, la demoiselle était bien née hors mariage… « Hem… je suis habituée au ranch de ma mère mais je me suis faite au tintamarre de New York… j’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil depuis qu’il n’y a que du calme qui perce mes tympans. Mais… tu voudrais que l’on cherche une maison ? » C’était encore surréaliste. Elvia s’empressa de se pincer tant elle avait du mal à y croire et de fait, son cheval restait immobile face à son inaction…

« Je suppose que si je te disais que je veux me mettre à poser nue pour des photographes tu t’y opposerais ? » demanda Elvia, au comble du rougissement, mais n’ayant néanmoins pas pu s’empêcher de faire preuve de ce brin d’insolence qu’on lui connaissait si peu. A croire que Dillon avait fini par déteindre sur elle, au bout du compte. « Ne crie pas mon ours, je plaisante bien évidemment… être coach me plairait beaucoup. Je resterai en contact avec le terrain de cette manière… j’apprécie Javier et il m’a beaucoup aidée mais si je peux faire quelque chose en rapport avec ma discipline de prédilection je crois que je sauterai sur l’occasion. Mais je ne veux pas non plus être trop… privilégiée. Je peux essayer de m’en sortir toute seule tu sais. » Peut-être était-ce de la fierté ou la conscience la plus intense du fait qu’il lui donnait tellement déjà. Ceci dit, Elvia aurait presque préféré que la suite de leur conversation continue de tourner sur leurs avenirs professionnels respectifs et non pas sur un mariage contraint, chose qui la faisait paniquer au-delà des mots bien que cela fasse manifestement rire Gabriel. Elle se permit néanmoins de laisser un petit sourire malicieux peupler ses lèvres alors qu’il lui assurait de pas être homme à se laisser imposer quoi que ce soit… « Il a tout de même fallut que j’ai l’impression d’être dans la peau d’Hercules lors de ses douze travaux pour t’avouer la chose ! » Ce n’était aucunement dit avec méchanceté, elle le défiait simplement pour lui faire comprendre qu’au final si, il lui était arrivé de se voir infliger des choses dans un passé très proche. Elvia n’était pas quelqu’un de facilement rancunier, ou même facilement vexée, mais il n’en demeure pas moins que toute cette panique avait fini par la rendre plus méfiante. Comme une blessure béante qui peine à se refermer totalement. « Vieux ? Tu n’es pas vieux mon ours… enfin en ce qui me concerne, je crois que je n’ai jamais supporté les appartements. J’aime les grands espaces, le sentiment d’être libre. Je veux pouvoir me dire que dans une pièce, je peux exposer des kilos de bouquins ou bien une simple chaîne hi-fi pour faire du sport. Je veux aussi pouvoir me dire qu’en traversant la rue, je peux tomber dans la Pampa et non pas sur une grande avenue aux spots lights éblouissants et très polluée… à chaque fois que j’en avais l’occasion, je partais me réfugier au ranch de ma mère, ne serait-ce que pour quelques heures. J’aime New York, c’est chez moi désormais… mais si je pouvais mélanger la sensation d’espace et de liberté que j’éprouve en Suisse dans une maison à New York, alors je crois que je serais la plus heureuse femme du monde. » Elvia s’était soudainement enflammée dans son discours, ses traits laissant échapper un sérieux à couper le souffle mais ses yeux, eux, laissaient entrevoir de véritables pétales de rose. Elle vivait chaque mot comme si elle n’avait plus rien d’autre à souhaiter, comme s’il s’agissait de son tout dernier souhait. « Mais je crois qu’en vérité… je pourrais vivre n’importe où puisque toi et le bébé êtes mon nouveau rêve. »

Elvia retint un rire en voyant que Gabriel se renfrognait petit à petit, vexé. Sa vengeance fut basse bien évidemment, mais la jolie suisse ne l’avait pas volé à vrai dire. Elle ne se vexa donc pas à son tour, passant outre ce qu’il venait de dire pour reprendre, imperturbable : « Mais si c’était toi qui me prenait en photo ? » ajouta-t-elle malicieusement, fidèle à cette part plus assurée et moins en retrait qu’elle avait dévoilée en « jouant » justement Alicia. Après tout, Elvia ne serait ni vexée ni même totalement gênée si Gabriel était derrière l’objectif, cela lui paraissait presque logique. Ils étaient un couple après tout, non ? Une petite séance du genre ne pourrait que les rapprocher après ces semaines amères, silencieuses, insupportables. Sans doute la libido d’Elvia avait-elle vu son blason se redorer progressivement face à des sensations totalement nouvelles. « La dernière fois j’ai eu un orgasme rien qu’en m’asseyant sur le lit… » avoua-t-elle à sa plus grande honte, les joues couleur carmin. Elle n’était pas coutumière de ce genre d’aveu et pourtant, à qui d’autre pourrait-elle bien en parler ! Dommage, Gabriel était rentré extrêmement tard ce jour là et s’était écroulé de fatigue avant même qu’elle n’ait pu lui faire la moindre avance. « J’avais tenté la dentelle noire ce jour là ! » râla-t-elle, faussement vexée. Même si la jolie suisse comprenait à quel point le quotidien de son ours avait été complexe et chargé pendant ces trois dernières semaines, elle regrettait le fait qu’ils aient perdu un tel temps en représentations, discours royaux et autres choseries du genre qui ne leur laissait rien aujourd’hui. En tout cas rien d’autre qui ne s’assimile pas à du regret. « J’aime ton programme mon ours, Staten Island est une merveilleuse idée… j’ai hâte de vivre cette vie où nous serons les seuls à décider des tenants et des aboutissants… peut-être qu’Alicia fera à nouveau son apparition, mais si tu la mets dans ton lit, je crois que tu auras à faire à moi ! » Par chance, ils arrivaient justement devant un magnifique chalet et Elvia supposa qu’il s’agissait de celui de Gabriel… en tout cas, il avait l’air largement assez spacieux pour deux, et, plus important encore, il était entouré par la nature. Voilà qui allait aider la demoiselle à se ressourcer… « Son altesse aurait-elle l’extrême obligeance de m’aider à descendre ? »

Elvia ne manqua pas de retenir un immense rire face à la réaction de Gabriel : il ne l’avait pas volé non plus ! Certes, aucun mensonge ne s’était échappé de ses jolies lèvres, et elle aurait très bien pu éviter de lui raconter la chose de façon à la fois si innocente et osée, mais Elvia n’avait décemment pas pu s’en empêcher. Cela dit, bien loin d’être le genre de femme à parler de ces choses à tout bout de champ, elle n’en remit pas une couche et se contenta par la suite de s’émerveiller du décor s’imposant à leurs deux. Vraiment, ils allaient passer deux jours absolument fantastiques, et quand bien même un brin de ménage était à prévoir pour que la demeure soit confortable, la jolie suisse n’avait pas peur de devoir retrousser ses manches, bien au contraire. Elle profita cependant de la magnifique vue d’un lac d’une paix à couper le souffle offerte à ses yeux émeraudes, frémissant littéralement alors que son ours vint lui entourer la taille, créant une proximité qui, elle n’allait pas mentir, lui avait affreusement manqué. Ici et maintenant ils pouvaient tous deux se permettre d’être eux-mêmes : pas de protocole, pas d’obligation, pas de majordome prêt à les harceler… rien qu’eux deux et tout le temps du monde pour ne penser qu’à la suite des évènements. « Mais si j’enlevais mes vêtements je risquerais de prendre froid ! » protesta-t-elle faussement tout en resserrant néanmoins son étreinte en se lovant davantage dans les bras de Gabriel. Elle n’éclata de rire qu’ensuite, alors qu’il revenait sur le sujet qu’elle avait préalablement abordé de façon on ne peut plus légère… « Ce lieu est paradisiaque » répondit-elle dans un premier temps, comme pour le rassurer sur le fait qu’elle ne comptait pas s’enfuir à grandes enjambées et qu’elle était au contraire ravie qu’ils puissent se retrouver enfin tous les deux… « Disons qu’aussi vrai que je deviens extrêmement sensible aux odeurs, c’est tout mon corps qui me donne l’impression d’être littéralement à vif ! Et puis… ça me titille tout le temps. Impossible de mettre des jupes dans de telles conditions ! Tu n’imagines pas… » avoua-t-elle avec sincérité, le rouge aux joues. Elvia n’était pas nécessairement à l’aise avec ce sujet et pourtant, elle se surprenait à en parler sans même éprouver d’hésitation… « Mais tu as parlé de ménage, n’est-ce pas ? Ca ne devrait pas nous prendre la nuit ! » Ou comment tenter, à sa façon, de jongler entre le chaud et le froid car elle avait l’impression que son être était déjà en feu…