Longue journée, angoissante journée, même. Comme d'habitude depuis trois trois semaines en fait. Paniquée, j'étais complètement paniquée. Je mourrais de peur même. Soraya allait finalement arriver, bientôt, le neuf avril prochain plus précisément. La date fatidique et officielle était tombée, pour mon plus grand déplaisir. Beaucoup me trouverait horrible n'est-ce pas ? S'ils s'immisçaient dans mes pensées et y lisaient que je ne voulais pas retrouver ma fille, que je ne voulais pas l'élever, que je l'avais toujours refusé. Et je pourrais les comprendre; ce serait légitime. Seulement j'avais peur, j'étais terrorisée. Il fallait me comprendre. Je ne lui avais jamais parlé, je ne m'en étais jamais occupé. Je savais tout juste à quoi elle ressemblait. Et encore c'était parce que mon père m'avait retrouvé, me contraignant à correspondre avec lui. Il m'envoyait donc des photos, presque tous les mois. Ainsi pouvais-je suivre son évolution. Fait qui, bien que je me refusais à l'admettre ( - pour ne pas souffrir - ) me faisait un bien fou. Papa lui parlait de moi, elle savait que j'étais sa mère biologique, elle l'avait toujours sû apparemment. Pauvre Petite, elle devait être complètement perdue ! Elle qui avait grandi avec ma soeur et son mari, elle qui avait été élevée par deux parents, dans un environnement stable et doux, je n'osais pas imaginer à quel point elle devait être paniquée de débarquer ici et de vivre avec une inconnue.Moi. Cette mère qu'elle n'avait jamais vu. Nous paniquions toutes les deux, j'en étais persuadée. Et le pire dans tous cela ? C'est que je ne saurais même pas comment la consoler, comment la calmer. Bien sûr mon père m'avait promis de l'accompagné ( - bien que j'ai d'abord refusé - ), de rester un peu, le temps qu'elle s'adapte. Mais cela ne durerait pas une éternité et, un jour ou l'autre je devrais bien me débrouiller. Le plus tôt serait le mieux selon lui. Aussi avait-il décidé de ne pas venir s'installer chez moi et de dormir à l'hôtel, le temps qu'il serait ici. Je trouvais cela ridicule, il allait se ruiner. Mais il m'avait assuré que ce serait un moyen comme un autre de me retrouver seule avec ma fille. Il m'avait assuré que c'était nécessaire et bénéfique. Je me souvenais encore du jour où il m'avait annoncé tout ça... J'avais eu envie de l'étrangler, puis de pleurer et enfin de lui rire au nez. Sentiments loin de se ressembler, j'avais pu le constater, mais... j'avais mis ça sur le compte du désespoir. Quoi qu'il en soit, j'avais commencé à me préparer à leur arrivée. Faisant bon nombre d'achats divers, accommodant ma chambre d'amis, me surprenant même à y prendre du plaisir. Plaisir de courte durée cependant, puisque bientôt l'inquiétude m'assaillait, de nouveau. Elle ne semblait jamais réellement me quitter, en fait.

Une semaine. Un peu plus d'une semaine et elle serait là. Face à moi. Moi qui n'ai jamais côtoyé d'enfants de ma vie, moi qui ne savais pas comment m'y prendre, ni même ce dont elle aurait vraiment besoin, j'allais devoir en prendre soin. J'avais besoin d'aide, c'était un fait. Et je ne voyais qu'une personne capable de me conseiller, m'apaisant dans le même temps. Merwan. Mon adorable Merwan. Ami proche et cousin d'Adan. Depuis la mort de ce dernier, il avait toujours été la pour moi. M'aidant à m'installer et à prendre un nouveau départ. Le considérant presque comme un membre à part entière de ma famille, je savais que je pouvais compter sur lui, je savais qu'il serait toujours là. Aussi m'empressais-je de lui envoyer un message.

" SMS : Hello Merwan. Comment tu vas ? Je suis désolé de te déranger comme ça, tu as peut-être mieux à faire, mais j'ai vraiment besoin de toi. Soraya sera bientôt là, j'ai la date officielle. Je flippe complètement. Tu sais t'y prendre avec les gosses, toi. Alors si tu le veux bien, je te donne rendez-vous au café en bas de chez moi. Nous prendrons un verre. Ta compagnie me manque en plus. Je t'embrasse. Manue. "

Je n'attendis pas sa réponse bien longtemps. Positif, il me dit qu'il partait dès maintenant. Souriante, je rangeais deux, trois bricoles et enfilais ma veste, quittant l'appartement. Cinq minutes plus tard, j'entrais dans le café et m'asseyait à une table reculée où je décidais de l'attendre, patiemment.

La journée s'était déroulée on ne peut plus normalement, du moins pour moi : je l'avais passée au lit, à récupérer les heures de sommeil. Cette semaine, j'étais de nuit à l’hôpital. C'était le genre de pause qui coûtait cher à une relation, quand il y en avait une. La seule personne que je voyais en ce moment était Nolà, un peu plus qu'une amie, mais loin d'être ma petite amie. Elle bossait elle aussi à l’hôpital, cela facilitait tout entre nous. Elle comprenait mes horaires, comme je le faisais avec les siens et au fond, si l'on se voyait deux fois par semaine, c'était largement suffisait. Au fond, j'aimais faire les nuits. Cela m'empêchait de passer la journée à ruminer sur le bon temps. Lorsque je rentrais, je passais la matinée à récupérer et ensuite, j'avais l'après midi devant moi pour profiter du temps et de mes amis, même si généralement ceux ci bossaient à l'heure ou j'étais libre. Je commençais l'après midi par un jogging au central park. J'avais toujours été assez sportif sans passer par un sport en particulier, j'aimais courir et me rendre en salle de sport pour me défouler, pour garder la forme et à l'époque pour garder une ligne parfaite, puisque je payais mes études grâce à plusieurs shooting photos. De retour dans mon appartement, je recevais un sms au moment de passer sous la douche. Manuela. Il fallait bien avouer qu'avec le boulot et les problèmes de Nolà, je l'avais quelques peu délaissée ces derniers jours, on s'était à peine parler. Je tapotais vite fait une réponse sur mon clavier, laissant le portable sur le rebord de l'évier.

« Coucou ma belle. Compte sur moi dans une trentaine de minutes, Merwan. »

Le temps de prendre cette douche et de la rejoindre. Une fois fait, je descendais avec simplement mon portable, mes clés et mon porte feuille en poche. Je comprenais tout à fait l'angoisse de Manuela mais je voulais la rassurer. Elle avait une chance unique, celle de récupérer sa fille, de l'élever jour après jour et elle ne devait pas laisser passer cette chance. Si aujourd'hui elle stressait, demain elle réaliserait que c'était une bonne chose. Lyla faisait tout pour me priver au maximum de mon fils, je ne pouvais qu'envier Manuela à cet instant précis. Je ne savais pas quand Lyla réaliserait l'erreur qu'elle faisait en nous privant l'un de l'autre, mais en vue des quatre années qui venaient de passer, je commençais à me dire que ce moment ne viendrait jamais. Arrivée face au café, j'entrais et la cherchais du regard. Tout en posant une main sur son épaule, je la contournais avant de déposer un baiser sur son front.

« Désolé pour l'attente... Comment tu vas? »

Je prenais place en face d'elle après nos salutations et posait mes mains sur les siennes, de manière rassurante. J'étais moi excité à l'idée de connaître ma nièce mais je prenais que moi pour ne pas montrer cet excès d'impatience. Je voulais qu'elle sache que je comprenais son angoisse et surtout que je serais là, à toute heure une fois que la petite serait là, et bien avant cela. Je n'avais pas le diplôme du père parfait vu le peu de temps qui m'était accordé avec mon fils, mais je m'en sortais toujours du mieux que je le pouvais. Après tout, à part beaucoup d'attention, de surveillance, un enfant n'en demandait pas tant que cela, même si dans un premier temps, il était facile de se laisser submerger par les évènements.

Je n'attendis pas Merwan bien longtemps. Comme promis, il me rejoignit à peine une demi-heure plus tard, le sourire aux lèvres. J'étais d'ailleurs si occupée à feuilleter "Vogue" sur le moment, que je ne le vis même pas entrer. Sa main, alors posée sur mon épaule, manqua même de me faire tomber en syncope. Sursaut de surprise dissipé, je le laissais tranquillement me saluer avant de le regarder s'éloigner et rejoindre la chaise disposée face à moi. Il s'y assit, définitivement incapable de décrocher ce sourire, ce bonheur de son visage. Quel ange ! pensais-je souvent lorsque je l'évoquais. Il était adorable, il l'avait toujours été. Rien que la manière dont il me saluait l'était. Beaucoup se seraient contentés d'une simple bise - façon commune de se dire bonjour -, mais Merwan lui, m'embrassait toujours le front, presque de manière paternel; comme il l'aurait fait avec un enfant en fait. Et sa douceur était une des choses que j'aimais le plus en lui. Je savais que, quoiqu'il arrive je pourrais toujours compter sur lui, il serait toujours là, il me protègerait toujours et on en dira ce qu'on en voudra, mais... ça faisait du bien de se savoir soutenue.

Sans plus de cérémonie Merwan me demanda - après s'être excusé de s'être fait attendre, ce qui n'était pas vraiment le cas finalement - comment je me sentais ? Et à dire vrai, je ne le savais pas vraiment. Depuis que j'avais appris que Soraya arriverait bientôt des tas d'idées, de sentiments différents se bousculaient dans ma tête et pour être totalement honnête je ne savais pas comment les gérer. Tout comme je ne savais pas, comment la gérer, elle. Cette petite princesse, ce petit ange. Cette merveilleuse petite fille qu'on allait bientôt arracher à la famille qu'elle avait toujours connu pour la conduire chez une parfaite inconnue, présentement incapable de veiller sur elle. Merwan voulait savoir comment j'allais, peut-être regretterait-il d'avoir posé la question en fin de compte.

« Comment je vais ? J'en sais trop rien, j'me sens... vide. Tu vois ? Peut-être un peu...perturbée aussi. Je ne sais pas trop quoi faire, ni comment prendre la chose. Je pense que j'appréhende surtout. J'ai peur de ne pas y arriver tu vois ? Bien sûr mon père m'a promis de rester quelques semaines, le temps qu'on apprenne à se connaître elle et moi mais... je ne suis même pas sûr de le vouloir ici. Je ne suis même pas certaine de vouloir m'occuper d'elle. Je sais, c'est horrible ce que je dis là, mais elle est le portrait craché d'Adan et je commence à peine à faire le deuil. La voir tous les jours ça va être tellement... douloureux. J'pourrais pas supporter ça, je ne pourrais pas. Tu comprends ? » .

Émue, je retenais tant bien que mal mes larmes. J'essayais d'être forte, je faisais face - comme d'habitude -, mais je savais que je ne pourrais pas me battre éternellement et qu'un jour viendrait où je craquerais de nouveau. Prochainement.

J'avais prit place dans la vie de Manuela en m'imposant un peu et il fallait bien avouer que par moment, il m'arrivait de le regretter. J'étais celui qu'il l'avait plus ou moins embarquée ici, éloignée de son Espagne natale. J'étais sans doute responsable de cet éloignement avec sa fille et quand je voyais l'état dans lequel elle se trouvait à l'idée de la revoir, je culpabilisais énormément. Peut-être qu'à l'époque, la meilleure solution aurait été de la soutenir là bas et ne pas la faire bouger de milliers de kilomètres mais sur le coup, cela m'avait sembler être une bonne solution.

« Pas de larmes, je ne veux pas te voir pleurer... » ajoutais-je d'un ton prévenant mais également pour détendre l’atmosphère même si cela semblait impossible aujourd'hui. Au fond, pleurer lui ferait peut-être du bien mais j'avais toujours du mal à voir sa peine. C'était se voiler la face, mais j'aimais la voir sourire et non souffrir.

« Tu vas y arriver... Ça te semble impossible maintenant, mais une fois qu'elle sera là, ça ira. Malgré Anton, je ne peux pas vraiment dire que j'ai de l'expérience avec les enfants, mais c'est une question d'habitude, tout des petits gestes qui viennent naturellement avec le temps. Et puis je serai là aussi... Je ne veux pas que tu hésites une seule fois à m'appeler... Je suis persuadé que Soraya va t’amener beaucoup plus de bonheur que de peine. Même si elle te rappelle Adam, c'est quand même le meilleur souvenir qu'il pouvait te laisser, non? »

En fait, je ne savais pas du tout quels mots utilisés pour la rassurer. Je n'étais pas à sa place, quelle qu’ai été ma peine au décès de mon cousin, ce n'était pas la même peine que ressentait Manue. Et puis, élever une petite fille que vous n'aviez jamais vu, elle était en droit de paniquer. Moi même, j'avais parfois de petit stress lorsque mon fils venait passé le weekend à l’appartement, alors que je le voyais au minimum une fois par mois. C'était peu, mais c'était mieux que rien. Je concluais en la rassurant de plus belle, même si je n'étais pas certain que mes paroles aient un réel impact sur ses doutes.

« Tu vas t'en sortir à merveille avec elle. »

Hj ; aucune excuse, on peut même plus appeler ça du retard >< Désolé

« Pas de larmes, je ne veux pas te voir pleurer... » reprenait-il calmement, une fois mon monologue terminé. Qu'il se rassure cependant, je ferai tout mon possible pour ne pas craquer, du moins j'allais essayer; en commençant par chasser cette vilaine fuyarde qui s'échappait bientôt de mon œil, dévalant ma joue sans attendre. J'avais horreur de craquer en public et la simple idée de pleurer comme une petite fille, devant un ami m'horripilait, ce n'était pas pour me donner en spectacle devant les propriétaires et clients de l'endroit. Seulement, le problème avec les larmes, c'est qu'on ne choisissait pas. Si l'idée leur venait de couler à flots, il était difficile de les arrêter et ce, particulièrement chez une dure à cuire telle que moi qui ne se laissait que rarement aller. D'ailleurs, il me fallait désormais renifler et prendre de grandes inspirations pour ne pas craquer. C'est ce qu'on appelait retenir sa peine et bon sang, je n'avais jamais réalisé à quel point cela pouvait être difficile. Il fallait dire que d'ordinaire je pleurais et/ou déprimais surtout dans mon lit. Quoi qu'il en soit, je me devais de rester forte ne serait-ce que pour mon ami Merwan, qui ne supportait pas de me voir souffrir. Pour en avoir déjà fait l'expérience, je savais que ma tristesse le plongeait lui-même dans une peine profonde; ce qui le rendait d'autant plus mal à l'aise. Malgré toutes les qualités que je pouvais lui reconnaître, il n'avait jamais été très doué pour cacher ses sentiments et encore moins sa gêne.

Par contre, et pour ce qui était de rassurer les gens, voir même de les consoler, c'était un as en la matière. Délicat, il savait toujours comment s'y prendre, quels mots utiliser, voir même quel ton employer. Bien qu'il pensait présentement le contraire, il s'en sortait à merveille. Et ces encouragements m'allaient droit au cœur, je ne regrettais pas de l'avoir retrouvé. De même il m'avait manqué. Malgré tout, je n'étais pas complètement rassurée; aussi et tout en posant ma main sur la sienne, j'ajoutais, émue : « Tu as l'air si confiant, Merwan, tu sembles me vouer une telle confiance, je ne suis pas sûre de la mériter. Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas aussi forte. Je ne suis même pas sûre d'être faite pour ça; être mère ça ne me ressemble pas. J'ai dû apprendre à me débrouiller seule, j'ai mené un certain train de vie ces quatre dernières années et je ne suis pas certaine qu'il concorde avec les besoins d'une petite fille. Pire encore, j'ai peur de ne pas réussir à m'en occuper, de ne pas réussir à changer et à l'aimer. Je ne doute pas que voir son visage me réconfortera parfois, mais d'un autre côté comment puis-je être sûre que le souvenir même indirect d'Adan, ce souvenir qu'elle porte inévitablement en elle, sur son visage, ne m'apportera pas plus de souffrance que de bonheur au final ? Regarde » l'interpellais-je en sortant une photo de la petite de mon portefeuille « elle lui ressemble tellement; c'est troublant n'est-ce pas ? » Peut-être un peu trop. « J'ai tellement peur, tellement peur de ne pas être à la hauteur. Tellement peur de le décevoir, où qu’il soit. Et je me sens tellement coupable. De sa mort, de l’abandon, tout ça. Je… » je fondais en larmes. BON SANG MANUELA ! Pestais-je intérieurement. « Excuses-moi je… Trop de pression. Il fallait que ça sorte, je suppose. Mais parle-moi plutôt de toi...» concluais-je en séchant timidement mes larmes.