Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Kat avait claqué la porte, et absolument rien n’avait changé pour Chris. Dès l’instant où elle l’avait quitté, il était devenu une sorte de zombie, l’ombre d’un homme qui errait à travers son appartement jonché de bouteilles de whisky vides, passant du canapé aux toilettes en traversant le nuage de fumée qui s’était formé dans le salon. La barbe épaisse qui s’était invitée sur son visage témoignait de la négligence de Chris, qui ne prenait même plus la peine de sortir pour aller travailler. Au contraire, il préférait s’enfermer dans l’obscurité et l’air étouffant de son appartement, en vidant un nombre incalculable de bouteilles et de paquets de cigarettes. Dans sa tête, c’était tout ce qu’il lui restait à faire. Il avait perdu celle qu’il aimait, celle à qui il tenait le plus au monde, et tout était de sa faute. Il passait donc ses journées à se lamenter, à se détester et à imaginer ce quelle pouvait bien être en train de faire. Chris savait pertinemment qu’il l’avait blessée. Et le fait de l’imaginer complètement détruite lui faisait d’autant plus mal. Mais d’un autre côté, il n’en savait rien. Il ne savait pas vraiment comment elle prenait la chose, si elle en était déjà remise, si elle avait trouvé d’autres bras pour se consoler, ou si au contraire elle était dans un état proche du sien. Sans vraiment pouvoir se l’avouer, Chris espérait néanmoins qu’elle aille bien, malgré tout, malgré ce qu’il lui avait fait. Si Kat pouvait retrouver le sourire dans les bras d’un autre, alors pourquoi pas… Le canadien en arrivait à se dire qu’elle serait bien mieux aux côtés d’un autre. Quelqu’un qui saurait prendre soin d’elle bien mieux que ce qu’il n’avait pu le faire.

Même s’il ne faisait rien de ses journées, à part boire, fumer et jouer de la guitare, Chris avait l’impression d’être constamment fatigué. C’est pourquoi, après avoir joué une énième ballade sur les cordes de sa guitare, l’étalagiste la déposa au pied du canapé et s’étala de tout son long en laissant sa cigarette à moitié consumée au bord du cendrier. Il sombra rapidement dans un sommeil des plus agités. En réalité, depuis le départ de Kat, il n’était jamais parvenu à dormir correctement. Le fait de ne plus la tenir dans ses bras, de ne plus sentir sa respiration et ses caresses sur lui l’empêchait de s’endormir paisiblement. Ses rêves, lorsqu’il s’en souvenait, tournaient tous autour d’une seule et même personne : Kat. Pendant son sommeil troublé, il lui sembla entendre du bruit mais le jeune homme n’eut pas la force de se réveiller, et replongea presque instantanément après avoir lâché une sorte de grognement.

Ce n’est que quelques dizaines de minutes plus tard qui Chris recommença à bouger. Et au fur et à mesure qu’il refaisait surface, il lui semblait pouvoir sentir un air nouveau, un peu de fraicheur qui entrait dans l’appartement. En fronçant les sourcils, il ouvrit un œil puis se figea en apercevant une silhouette plus que familière en face de lui. Elle était de dos, mais il l’avait reconnue sans aucune difficulté. « Kat ! »[Haha !] Elle était là, chez lui. D’un bond, il se redressa sur le canapé pour faire bonne figure, mais réalisa très vite que c’était peine perdue. Son regard se posa tout autour de lui, et il laissa tomber ses épaules en soupirant. Jamais elle n’aurait du le voir comme ça. Ill se sentait terriblement honteux et mal à l’aise, et n’osa même pas relever la tête pour la regarder dans les yeux. De toute façon, il valait mieux qu’elle reste loin de son regard. C’était moins douloureux. De sa voix rendue plus grave par l’alcool et la cigarette, il articula : « Pour…pourquoi tu es là ? »

Chris avait tant de fois imaginé que Kat serait là à son réveil, que tout irait bien et que leurs différents n’étaient qu’un mauvais rêve… Il lui fallut par conséquent quelques instants pour se persuader que cette fois-ci, elle était bel et bien là devant lui, et qu’il n’était pas encore une fois en train de rêver. D’ailleurs, son mal de tête et le chaos qui régnait tout autour de lui le rappela bien vite à la dure réalité. Il était devenu une véritable épave, vivant dans ce qui ne ressemblait même plus à un appartement, et il ne pouvait qu’offrir un bien triste spectacle à son ex-petite amie. Il avait honte, honte de ce qu’il était devenu mais surtout honte qu’elle puisse le voir comme ça. Ce n’était pas prévu, du tout, elle n’était plus censée le croiser et encore moins rencontrer cette ombre qui avait prit sa place. Mais sans qu’il ne puisse s’imaginer pourquoi ni comment, Kat était venue. En regardant son dos et sa chevelure, l’envie de se lever et d’aller la prendre dans ses bras pour tout arranger lui effleura l’esprit. Mais bien vite, il réalisa que c’était loin d’être la solution, et que quoi qu’il fasse, il restait cet impardonnable traitre qu’elle avait quitté quelques semaines plus tôt. A vrai dire, le fait de la voir là, juste en face de lui, lui faisait bien plus mal que ce qu’il aurait pu penser. Il s’était imaginé que sa simple présence pourrait l’apaiser et le faire se sentir mieux. Mais au contraire, elle ne faisait que lui rappeler ce qu’il avait perdu, et c’était à peine supportable.

« Ta sœur m'a demandé de passer... » Instantanément, Chris fronça les sourcils. Elle avait quoi ?! Pourquoi sa sœur se mêlait-elle de ces histoires-là ? Et surtout, pourquoi Kat lui avait-elle obéit ? Tant de questions qu’il aurait aimé lui posé mais que bizarrement, il n’osait pas formuler devant elle. Et avant même qu’elle ne lui en ait laissé le temps, Kat lâcha un « Tu devrais aller prendre une douche. » en se retournant. Le canadien commença par hausser les épaules en soupirant. « Pour quoi faire… » Puis, lorsqu’il recroisa furtivement le regard de Kat, il ne put s’empêcher de capituler. « D’accord… »

C’est au moment où Chris croisa pour la première fois depuis des semaines le miroir de la salle de bain qu’il se figea, prenant légèrement conscience de ce qu’il était devenu. Le jeune homme ferma les yeux pendant un moment, en s’appuyant contre l’évier, puis s’empara du premier tube d’aspirine qu’il trouva pour calmer son mal de tête. Puis, tel un robot, il entra dans la cabine de douche, et en ressortit quelques minutes plus tard sans forcément se sentir plus frais. Il daigna tout de même enfiler d’autres vêtements, et se contenta de remettre en place ses cheveux mouillés d’un geste de la main. Puis il se redirigea silencieusement vers le salon. Là, il observa Kat pendant quelques instants, puis soupira de nouveau. « Elle n’aurait jamais du te demander ça. Et tu n’aurais pas du accepter… » Lorsqu’il regardait l’état dans lequel était son appartement, Chris se disait qu’il valait mieux qu’il y reste seul, et que personne n’ait à voir ça. Mais il était trop tard maintenant, et sa sœur ne lui avait pas envoyé n’importe qui… Après avoir déglutit et prit son courage à deux mains, l’étalagiste leva les yeux vers Kat, et lui posa la question qui le taraudait depuis qu’il l’avait aperçue : « Est-ce que… tu… enfin, ça… ça va ? »

Le fait de prendre une douche aurait du l’aider à se sentir mieux, lui rafraichir les idées et lui permettre d’y voir plus clair dans cette situation à laquelle il ne s’était pas préparé. Pourtant, il avait espéré depuis le début que Kat vienne, même s’il était conscient que ça n’arrangerait rien. Il avait juste désiré sa présence, parce qu’il en avait besoin. Et maintenant qu’elle était là, le canadien n’avait rien à lui dire. Son esprit était encore tellement embué par l’alcool et la fumée qu’il se sentait incapable d’entretenir une conversation constructive avec elle. Et puis de toute façon, que pouvait-il bien lui dire de plus ? Elle savait l’essentiel, et Chris ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie. Autant pour elle que pour lui. La blessure était encore bien trop douloureuse pour ça.

Lorsque Chris aborda le sujet de sa sœur, il vit à l’attitude de Kat que c’était une erreur. Une fois de plus, il aurait visiblement mieux fait de se taire. Et d’ailleurs, Kat lui signifia bien que tout était de sa faute à lui, qu’il aurait du lui parler avant, tout lui expliquer, ce qui lui aurait évité d’avoir à venir le voir ici. Chris ne put donc dresser qu’une conclusion, qui le blessa un peu plus que ce qu’il était déjà : le fait de le voir était pour Kat une corvée dont elle se serait volontiers passée. Il ne signifiait donc plus rien pour elle… L’étalagiste s’imaginait déjà faire figure de pauvre type, quasiment clochard qui vivait reclus dans son appartement alors qu’elle avait du refaire sa vie après lui. Il allait certainement un peu vite en besogne, mais c’est exactement le sentiment que cette entrevue lui inspira. Penaud, il baissa une nouvelle fois la tête sans savoir quoi répondre. Il ne trouvait aucun moyen de se défendre, aucune bonne excuse, aucun mot juste… Alors il laissait couler. Après tout, qu’est-ce que ça pouvait bien changer ? Plus il la voyait, et plus Kat lui paraissait inaccessible. Elle était définitivement partie, et tout espoir de la retrouver un jour s’amenuisait de plus en plus.

Malgré tout, malgré sa douleur et son désespoir, le canadien retomba indéniablement sur la question qu’il se posait depuis des semaines entières. Et Kat parut un peu déstabilisée par cette initiative. Le hochement de tête qu’elle lui accorda ne répondit pas vraiment à sa question, mais Chris s’en contenta, et rebaissa bien vite les yeux lorsqu’elle déclara : « Je te retourne pas la question... » Il était tellement pathétique que la jeune femme ne prenait même pas la peine de le questionner. Son était physique et celui de son appartement parlaient pour lui. Mais contre toute attente, Kat reprit la parole, et ce pour lui proposer une solution. Certes, elle n’était pas vraiment au goût du canadien, mais c’était mieux que rien. Au moins, ils avaient l’occasion de parler tous les deux, de faire se croiser leurs regards, de se trouver dans la même pièce, tout simplement. « Euh… ça doit faire… j’en sais rien. » Il aurait voulu dire « depuis que tu es partie » mais se retint au dernier moment, conscient que la vérité n’arrangerait pas la situation déjà si tendue. « Longtemps. » conclut-il alors pour ne prendre aucun risque. « Mais qu’est-ce que j’irai faire dehors de toute façon… Tout seul en plus ! »Chris n’y mettait pas du sien et il en était conscient. Ais pour lui, plus rien n’avait de goût ni d’intérêt. Avant, il serait sorti pour se balader avec elle, pour lui montrer une de ses vitrines ou simplement pour s’asseoir dans un par cet la cajoler en attendant le soleil couchant. Mais maintenant, il se retrouvait sans aucun but, sans aucune occupation digne de ce nom. Il avait l’impression de ne servir à rien, et qu’il soit dedans ou dehors, rien de tout ça ne changerait. C’est donc avec une mine résignée qu’il s’installa de nouveau dans son canapé et empoigna sa guitare, recommençant nonchalamment à jouer quelques accords d’une mélodie romantique.

Le simple fait d’aller prendre une douche avait été un grand pas pour Chris, et cela démontrait bien à quel point l’épave qu’il était devenu faisait pitié. Jamais il ne se serait cru capable de venir comme ça, aussi triste, aussi renfermé. Il était resté debout après tout ce qu’il avait vécu durant son enfance, et là, pour une simple rupture, il s’effondrait. Mais le hic était là. Il ne s’agissait pas d’une « simple rupture ». Cette fois on parlait de Kat, et elle n’avait absolument rien d’ordinaire aux yeux de Chris. Depuis des mois elle avait été son quotidien, la première chose à laquelle il pensait le matin, la dernière avec laquelle il s’endormait le soir. Tout ce qu’il faisait de ses journées, quelque part, il le faisait pour elle. Et du jour au lendemain, il s’était retrouvé seul, livré à lui-même, sans même pouvoir compter sur ses frères et sœurs puisqu’il ne leur avait rien dit. Pour la première fois de sa vie, il n’avait aucun soutien sur qui s’appuyer, et le résultat était là. Chris était visiblement incapable de surmonter quoi que ce soit, du moment qu’il était seul. Ou bien était-ce l’importance que son histoire avec Kat avait prise qui le rendait comme ça ? L’étalagiste n’en savait rien et à vrai dire, il se fichait pas mal de savoir comment il en était arrivé là. Dans un sens, c’était bien fait pour lui. Il avait tout détruit, avait blessé la femme qu’il aimait, alors il devait payer.

Se laissant une fois de plus choir dans son canapé, Chris se saisit de celle qui était devenue sa meilleure amie : sa guitare. Et c’est précisément ce sujet que Kat utilisa pour relancer un semblant de conversation. Elle voulait qu’il aille jouer de la guitare dehors ? Surpris, le jeune homme se contenta d’un « Non ! » qu’il aurait espéré plus catégorique. Il savait qu’il ressemblait désormais à un sans-abri mais tout de même ! Et puis de toute façon, il n’aimait pas jouer devant les gens, à l’exception de Kat. Et dehors, les gens l’entendraient, inévitablement. Mais au moment où elle suggéra qu’elle pourrait l’accompagner, le canadien releva les yeux vers elle. Dans ces conditions, c’était différent. Si elle acceptait d’aller faire un tour avec lui, aussi bref soit-il, il pouvait certainement revoir sa décision. « Euh… tu… oui, d’accord ! » balbutia-t-il maladroitement. « Enfin… si on pouvait juste marcher… je veux dire sans la guitare. J’ai pas envie que les gens me jettent des pièces… » Et pour la première fois depuis des lustres, un maigre sourire étira le coin de ses lèvres, alors que ses yeux n’avaient pas quitté Kat un seul instant. Contre toute attente, le jeune homme s’extirpa du canapé, et fit signe à son interlocutrice d’attendre quelques minutes. Il se dirigea alors vers sa chambre, mais déglutit douloureusement en y entrant. Ici, rien n’avait changé. La pièce avait été épargnée du chaos puisqu’il n’y avait pas pénétré depuis des semaines. Et en revoyant ce lit où tout avait basculé, Chris sentit sa gorge se serrer. Mais il décida de ne pas en faire cas et fonça vers son armoire pour attraper un blouson.

Une fois prêt, il quitta l’appartement un peu hésitant, mais en compagnie de Kat. En sortant, il sentit l’air frais fouetter son visage, et la lumière lui fit quasiment plisser les yeux. Mais malgré la gène et la timidité qu’il éprouvait face à son ex-petite amie, le fait de se retrouver à l’extérieur semblait lui faire un bien fou.

Par sa simple présence, Kat paraissait être capable de guérir Chris de tous ses maux. Et la raison était simple : c’est son absence qui avait tué le Chris qu’elle avait connu. Et même si celui-ci semblait vouloir revivre, la distance entre eux était encore bien trop grande pour qu’il le fasse naturellement. Mais petit à petit, timidement, le canadien retrouvait des expressions et un comportement plus « conventionnel », l’apothéose de tout cela étant son esquisse de sourire. Kat y répondit d’ailleurs presque immédiatement, ce qui incita Chris à se lancer dans la contemplation de la jeune femme. Depuis combien de temps n’avait-il pas vu ce sourire qu’il aimait tant ? Tout ce que l’étalagiste pouvait dire, c’était qu’il lui avait terriblement manqué, et que le fait de le revoir lui faisait un bien fou. Peut-être plus que de simplement revoir Kat, la voir sourire lui réchauffait le cœur, lui faisant même oublier l’espace d’un instant qu’il avait réduit leur histoire à néant. En la regardant, il les vit tous les deux, en couple, se tenant la main sur les bords du Nil où ils avaient fait cette croisière magique. Mais Chris finit tout de même par détacher les yeux de sa belle, et se leva avec un entrain qui le surprenait lui-même.

Alors qu’il ne savait pas trop par où commencer, Kat lui simplifia la tâche, et le canadien n’eut qu’à la suivre dans la volée d’escaliers qui les séparait encore de l’extérieur. Presque aussitôt ils se mirent à marcher côte à côte. D’ordinaire, le silence ne dérangeait pas Chris, bien au contraire. Mais cette fois, il lui trouvait quelque chose de déplaisant… Kat était apparemment aussi mal à l’aise que lui, et aucun des deux jeune gens ne semblait décidé à reprendre la parole. De temps en temps, l’étalagiste osait un regard de côté, tombant tour à tour sur la main puis l’épaule de Kat. Pour lui, c’était tellement étrange de marcher comme ça, sans pouvoir lui tenir la main ou la sentir blottie sous son bras. Si bien que cette petite promenade qui se voulait réparatrice se transforma vite en un parcours des plus mélancoliques pour le jeune homme. Tout un tas de regrets refaisait surface, alors qu’il savait très bien que rien ne changerait, et qu’il n’était pas vraiment en droit de refaire un pas vers Kat. Il l’avait assez blessée comme ça.

« Tiger. » Ce simple nom fit brusquement sortir Chris de ses pensées. La jeune femme avait finalement trouvé le courage avant lui de relancer un semblant de conversation. Cependant, il put noter qu’elle s’appliquait à ne pas le regarder directement, ce qui l’arrangeait bien puisqu’il n’était pas sûr de la réaction qu’il pourrait avoir en croisant son regard. « Il va bien... Tu voudras peut-être le récupérer pour un temps ? » Surpris, Chris reconsidéra la question à plusieurs reprises, avant de secouer la tête. « Non… Enfin, ça me ferait plaisir de le voir mais… je sais que tu t’en occupes bien. Et puis il est content quand il est avec toi… » Comme si leur rupture était définitivement consumée, et qu’ils en étaient au point de se partager leurs affaires (ce que Chris s’était refusé à envisager jusqu’ici), il ajouta : « C’est toi qui l’avait trouvé… tu peux le garder. » Il retint juste à temps un soupir de désespoir qui voulait s’échapper d’entre ses lèvres, et détourna vite la tête pour cacher son expression attristée. Trouvant un banc libre sur la promenade, Chris le désigna à Ka avant de s’y installer. Les yeux rivés loin devant lui, il flanqua les mains dans ses poches et déglutit péniblement. « Je… C’est bien que tu sois venue… Enfin… Merci. »

Aussitôt eut-il prononcé sa phrase que Chris vit Kat serrer les dents. Il lui avait fait mal, encore, mais comment pouvait-il faire autrement ? En la blessant de la sorte il se blessait tout autant, mais ne voyait pourtant pas d’autre solution. Il ne faisait qu’énoncer la vérité, aussi douloureuse soit-elle. Chris ne voulait plus se voiler la face. S’il se faisait de faux espoirs, la chute serait encore plus lourde et il le savait. Alors il préférait se résigner, comme s’il était déjà trop tard pour rattraper quoi que ce soit, comme s’il avait définitivement tiré un trait sur leur relation. Evidemment, c’était bien loin d’être la vérité, mais il s’efforçait de voir les choses comme ça, s’imaginant que la pilule serait alors plus facile à avaler.

Après s’être installé sur un banc libre, l’étalagiste se décida enfin à faire ce à quoi il aurait du penser il y a longtemps déjà : remercier Kat. Après tout, ça n’avait pas l’air d’être une partie de plaisir pour elle non plus, et si elle n’avait pas été sollicitée par Anna, Chris s’imaginait bien que ne serait jamais venue d’elle-même. Et pourtant, la jeune femme persistait en disant que ce n’était pas grand-chose et qu’elle n’avait rien fait. Peut-être n’en avait-elle pas conscience, mais au contraire, elle avait fait beaucoup pour lui aujourd’hui. Sans elle, il ne serait jamais sorti de son appartement, il aurait encore moins souri, et il se serait certainement terré une nouvelle fois dans l’alcool et la nicotine. Par sa simple présence, elle semblait avoir balayé tous les mauvais côtés du fantôme qu’était devenu Chris ces dernières semaines. C’est pourquoi il esquissa une grimace à peine visible avant de lui répondre d’un air absent : « Tu as fait bien plus que ça… »

Mais ce que Ka déclara par la suite le fit immédiatement sortir de cet état de quasi-torpeur dans lequel il se trouvait. Elle ne comprenait pas ? Comment pouvait-elle ne pas comprendre ?! Il tourna vivement la tête vers elle en ouvrant la bouche pour protester, mais le seul contact de leurs yeux le calma instantanément. Penaud, il baissa la tête et soupira longuement. Il savait précisément ce qu’il avait envie de lui dire, ce qu’il fallait qu’elle sache et qu’elle comprenne, mais les mots ne semblaient pas vouloir sortir de sa bouche. Ce n’était même pas de la timidité… Peut-être un peu de gêne, et encore… Mais Chris se savait tellement fautif qu’il en avait même du mal à s’exprimer. Après avoir gonflé ses poumons d’air et prit son courage à deux mains, il commença : « Tu… tu me manques Kat. Sans toi c’est… je sais pas, comme si je n’avais plus le goût à rien. Tout ce que j’entreprends a juste l’air inutile… parce que t’es pas là. Et je sais que tout ça c’est à cause de moi. Et je m’en veux… » Plus affecté par ce qu’il disait qu’il n’aurait pu le penser, le canadien marqua une pause. Sa gorge se nouait, et avant qu’il ne puisse plus prononcer le moindre mot, il décida de terminer : « Je t’ai fait du mal, et ça me tue… Je sais que tu ne peux pas me pardonner mais… mais encore une fois, je veux que tu comprennes que je m’en veux. Je… j’arrive pas vraiment à vivre sans toi tu vois… » Chris termina en déglutissant, et replanta rapidement son regard au loin, comme pour ne pas voir la réaction de Kat, et ne pas lui montrer la tristesse qui faisait désormais briller ses yeux.

Lorsque Kat se leva pour aller s’accouder à la barrière tout près de leur banc, Chris voulut d’abord la suivre. Mais, peut-être trop honteux et mal à l’aise, il se contenta de baisser la tête sans broncher. Néanmoins, il releva les yeux pour l’observer et se lança dans une admiration presque coupable de son dos et de ses cheveux. Elle avait tourné les talons, et il n’osait pas la rejoindre. Pourtant, l’étalagiste aurait tant voulu l’enlacer, pouvoir la rassurer et lui dire que tout ça n’était qu’un mauvais rêve… C’est d’ailleurs ce qu’il essayait de se dire dans les moments où l’envie de remonter la pente le prenait. Mais la réalité était bien trop douloureuse, et elle s’empressait de le rattraper à chaque fois. « Tu me manques aussi... » A la simple entente de cet aveu, le cœur du canadien se serra, et il dut déglutir pour dénouer sa gorge qui semblait vouloir faire obstacle à tout ce qu’il était susceptible de dire. Incapable de se détacher de cette silhouette qu’il aimait tant, Chris garda ses yeux rivés sur Kat alors qu’elle lui tournait toujours le dos. Ce n’est qu’au moment où elle bougea, où elle daigna se retourner vers lui qu’il s’empressa de baisser de nouveau la tête. Comme un enfant timide, il se mit à fixer le bout de ses chaussures usées et s’appliqua à ne surtout pas regarder son ex-petite amie, que ce soit dans les yeux ou pas.

Il ne pouvait pas continuer à vivre comme ça. Telle était la conclusion de la danseuse qui le fit finalement relever le nez vers elle. Chris savait tout ça, il en était conscient et n’avait d’ailleurs jamais voulu finir comme ça. Mais les faits étaient là, et il n’y pouvait rien. Malgré tous les efforts qu’il avait essayé de fournir en se voyant sombrer de la sorte, il avait quand même poursuivi sa chute… jusqu’à en arriver là où il était aujourd’hui. « ...Tu dis que tu peux pas vivre sans moi, mais tu vivais bien avant, et t'avais pas besoin de moi. T'as ton travail, ta famille, tes amis, ton chat que je n'ai d'ailleurs pas vu tout à l'heure, c'est inquiétant... » Dans un sens, elle n’avait pas tort. Avant elle, il avait tout. Tout ce qui lui faisait envie lorsqu’il était enfant, et tout ce dont un garçon de son âge pouvait rêver. Seulement voilà, elle était arrivé et avait bousculé tout son petit monde, et se trace paraissait être indélébile. Concernant son chat, Chris s’avoua à lui-même qu’il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où il pouvait bien être. Cela faisait des jours entiers qu’il ne l’avait pas croisé, et il espéra alors pour sa survie qu’Anna l’avait emporté avec elle en voyant l’état de son frère. Et concernant tout le reste… Chris n’avait plus vraiment de travail, ni de vie sociale d’ailleurs. Lorsque ses frère et sœurs venaient le voir, ils le trouvaient simplement affalé dans son canapé, en train de boire ou de dormir. Bref, tout ce qui faisait sa vie avant s’était envolé avec le départ de Kat. Elle avait laissé un vide que rien ne semblait pouvoir combler. Et malgré tout, elle lui assurait qu’il devait passer au-dessus de tout ça. « Je sais… C’est juste… trop dur. J’ai essayé, crois-moi Kat. J’y arrive pas. » conclut-il avec dépit.

Mais la révélation suivante fit l’effet d’un coup de massue sur la tête du canadien qui n’avait pas particulièrement besoin de ça. Kat partait. Pendant un moment. Sans pouvoir se contrôler, et avec un regard rempli de désespoir et d’incompréhension, Chris s’exclama : « Quoi ? » Un sentiment de peur s’invita alors dans l’esprit du jeune homme qui paniquait déjà à l’idée de ne plus jamais revoir Kat. « Non ! Reste ! Je veux dire… tu… tu pars ? … Où ? » questionna-t-il en sentant son cœur s’emballer dans l’attente d’une réponse qu’il craignait déjà.

S’il avait su… Chris se serait « réjoui » bien moins vite de revoir Kat en face de lui. Alors qu’il venait de se persuader que sa présence était le seul remède contre l’état dans lequel il était, la belle lui annonçait qu’elle partait. Médecins Sans Frontières, l’Afrique… A vrai dire, l’étalagiste ne savait pas s’il devait s’étonner ou non de sa décision. Dans un sens, le monde auquel Kat voulait se confronter était tellement éloigné de celui dans lequel elle vivait ! Mais il la savait particulièrement passionnée par la médecine, et assez douce, gentille et ouverte pour se lancer dans ce genre d’expériences. Le canadien aurait pu être fier d’elle, et il l’était d’ailleurs ! Mais le fait qu’il lui faille s’éloigner de lui pour mener à bien ce projet effaçait tout le reste à ses yeux. De plus, elle affirmait que si elle avait choisi de partir, c’était précisément pour ne plus le croiser, pour tenter d’oublier leur histoire et son visage… et ça, c’était dur à encaisser. Elle avait eu une façon bien différente de faire face à leur rupture, certainement beaucoup plus utile et distinguée, mais le résultat était le même. Elle souffrait, et elle n’avait qu’une envie : filer vers une nouvelle vie pour rayer le nom de Chris de la liste de ses erreurs de jeunesse. Abattu, le jeune homme avait de nouveau baissé la tête et baissé les épaules. Que pouvait-il répondre à cela de toute façon ? Même s’il voulait la retenir, il se savait être la cause de son départ et par respect pour les choix de Kat, il n’avait pas le droit de la faire douter. Elle avait certainement prit une bonne décision, ce qu’elle allait faire là-bas serait grand, et ce même si elle était loin de lui.

« Trompé », « aller voir ailleurs », « tourner la page », « Lucja »… Tout ce que Kat déblatérait semblait être un concentré de ce que Chris avait craint d’entendre. Tant de fois il s’était imaginé des retrouvailles potentielles… et à chaque fois il avait rêvé d’éviter ce genre de conversations, ce genre de situations. Mais désormais ils en étaient là, et c’était malheureusement bien la réalité. Comme si elle se laissait emporter par la haine qu’elle devait éprouver pour lui, Kat devenait de plus en plus incisive, de plus en plus blessante et Chris du remonter son regard de chien battu vers elle pour tenter de la faire taire. Ce qu’elle fit d’ailleurs en s’excusant alors qu’elle était au bord des larmes. Pour Chris, le supplice était à la limite du supportable. L’avoir comme ça en face de lui, les larmes aux yeux, et ne rien pouvoir y faire parce que la seule et unique cause de tout ça, c’était lui. D’ordinaire il se serait précipité, l’aurait prise dans ses bras et caressé ses cheveux en lui murmurant des choses qui la rassureraient, mais il n’était clairement plus en droit de faire ça. Tout ce qu’il pouvait faire était la regarder pleurer et s’éloigner sans rien dire, sans bouger.

« Ce que je veux dire, c'est... que tu dois essayer plus fort, gérer de ton côté et te dire que j'en ferais autant en Namibie... » Le jeune homme secoua la tête presque ironiquement avant de soupirer longuement. Elle lui en demandait définitivement trop : gérer la situation, tout en sachant qu’elle se trouvait à des milliers de kilomètres de lui, en ignorant ce qu’elle était en train de faire et si elle allait bien… c’était mission impossible. Après un énorme blanc, ce fut au tour de Chris de se lever et de se diriger vers la barrière en face d’eux. Il avait besoin d’air, ou d’alcool, de quelque chose qui pourrait lui changer les idées quoi. Maintenant, il crevait d’envie de retourner s’enfermer dans son appartement devenu miteux, et de faire comme si rien de tout cela n’était arrivé. Sans réfléchir et sans même la regarder, il commença donc à s’éloigner, reprenant le chemin qui les avait tous les deux menés jusqu’ici. Mais bien vite il stoppa sa course, et resta planté au milieu du chemin, immobile, tournant le dos à Kat. Sans qu’il n’en prenne vraiment conscience, ses yeux s’étaient également embués et c’est un regard humide qu’il tourna finalement vers la jeune femme. « Je… je pourrai avoir des nouvelles ? Au moins savoir comment tu vas ? » Une fois de plus il dut déglutir, puis se racler légèrement la gorge afin de s’éclaircir la voix. « Kat… » {Bwahahah} « Je peux pas… » … te laisser partir, telle était la fin de la phrase qu’il était sur le point de prononcer, juste avant qu’il croise proprement le regard de la jeune femme. Il s’arrêta net, et comme s’il baissait instantanément les bras, déclara : « Ta décision est prise hm… ? » Il la connaissait trop bien pour savoir que si elle l’avait décidé, rien ni personne ne pourrait la faire changer d’avis, et encore moins lui.

Chris ne voulait pas perdre la face devant Kat, mais la mission était visiblement plus compliquée que prévu. Alors, comme pour se protéger, la seule solution qu’il trouva fut de fuir. Une fois seul dans son appartement, loin du regard de son ex-petite amie, il pourrait se laisser aller. Essuyer quelques larmes s’il en ressentait le besoin, vider une énième bouteille de whisky, et un paquet de cigarettes… Tout cela était devenu son quotidien depuis que Kat était partie. En la voyant arriver comme un mirage chez lui quelques heures plus tôt, il avait réellement cru que tout pourrait s’arranger. Que le fait de la revoir allait soulager sa douleur, le pousser à se reprendre, à redevenir un homme et à abandonner ce fantôme qui avait prit sa place. Mais jamais, même dans les pires scénarios, Chris n’avait pu deviner ce qui l’attendait. Cette annonce fracassante que Kat lui avait réservée, et qui avait immédiatement réduit tous les efforts du jeune homme à néant. En une fraction de seconde, il était retombé lourdement au fin fond de la détresse qui l’habitait depuis plusieurs semaines. Cependant, et en prenant conscience qu’il ne reverrait certainement pas la jeune femme avant longtemps, Chris décida de faire volte-face, et de se repositionner face à Kat, aussi difficile l’épreuve soit-elle. Il voulait des nouvelles, ne serait-ce qu’un signe, une preuve qu’elle allait bien ou mieux : qu’elle pensait un peu à lui. A première vue, Kat sembla plutôt surprise, mais elle finit par accepter, et le canadien accueillit cette réponse avec un tel soulagement qu’il laissa échapper un léger soupir. A bien y réfléchir, ce n’était pas grand-chose. Mais ce simple geste représentait le seul moyen que Chris avait trouvé pour rester en contact avec elle. C’est d’ailleurs tout ce qu’il désirait : ne pas la laisser s’éloigner, ne pas la laisser sortir de sa vie comme s’ils n’avaient plus rien à faire ensemble. Quoi qu’elle en pense, Chris était toujours amoureux d’elle, plus que jamais.

Lorsque le canadien voulut s’assurer que sa décision était définitive, Kat lui avoua qu’elle avait peur. Et ça, Chris pouvait parfaitement le concevoir. Une telle expérience était déjà très impressionnante vue de l’extérieur, alors le jeune homme n’imaginait même pas ce que Kat pouvait ressentir. Il aurait voulu la rassurer, comme il l’aurait fait en temps normal mais concrètement, il ne pouvait plus rien faire pour elle. Alors lorsqu’elle lui assura que tout irait bien, Chris se contenta d’acquiescer en silence. Bien sûr que non, tout n’irait pas bien. En tous cas pas pour lui. Mais avait-il vraiment le choix ? Kat serait tellement occupée là-bas qu’elle n’aurait certainement pas le temps de broyer du noir comme lui pourrait le faire en restant seul à New-York.

Comme pour retarder le moment où il devrait la quitter, Chris décida alors de revenir sur le sujet Tiger. Si elle partait, qui s’en occuperait ? Le canadien s’imaginait déjà le chaton entre les mains de Ben, et à cette simple pensée ses mâchoires se serrèrent. Il reprit une longue inspiration puis demanda : « Mais alors… Tiger… Qu’est-ce que tu vas en faire en attendant ? »

D’une surprise salvatrice, la présence de Kat se transformait peu à peu en une nouvelle épreuve pour Chris. Et tout ça parce qu’elle venait de lui annoncer qu’elle était sur le point de partir loi, très loin de lui. Finalement, son retour avait été tellement éphémère que le canadien se demandait s’il n’aurait pas préféré ne pas la revoir du tout. Tant d’espoir et de soulagement lavaient animé lorsqu’il avait croisé le regard de Kat que la tristesse et l’amertume de devoir la quitter étaient d’autant plus grandes. Mais comme elle le lui avait dit, sa décision était prise, il n’y avait donc pas à revenir là-dessus. Et quand bien même, Chris n’avait pas assez d’audace pour tenter de la faire renoncer à ce projet néanmoins louable qu’elle s’était fixé. Mais malgré sa déception et sa résignation, l’étalagiste trouva encore le moyen de s’inquiéter pour Tiger. Après tout, ce chaton était un peu leur bébé à tous les deux. Même si c’est Kat qui l’avait trouvé, le petit animal leur rappelait à tous les deux des souvenirs relativement forts. Ce soir-là, elle l’avait embrassé. Pour la première fois. Et comme un idiot, il n’avait pas réagi, la plongeant alors dans une gêne et une incertitude auxquelles il avait finalement mis un terme en craquant à son tour. L’arrivée de Tiger correspondait presque minute pour minute au début de leur histoire… qui était désormais terminée. Mais Chris prenait comme un devoir le fait que leur chaton aille bien, et que personne d’autre qu’eux ne puisse s’en occuper. Surtout pas Ben. « Non non, je… je savais pas que tu partais mais… puisque tu ne seras pas là pour t’occuper de lui, je le ferai. » Limage de son propre chat, et de l’état de son appartement lui traversa alors l’esprit, et comme pour se justifier sur les bons soins qu’il donnerait à Tiger, il ajouta : « Je te promet de m’en occuper du mieux que je peux… »

Mais dans le discours de la jeune femme, un prénom interpella particulièrement Chris. Tallulah… Jamais auparavant il n’avait entendu Kat parler dune Tallulah, et le regard qu’il lui lança sembla suffire pour qu’elle lui fournisse de plus amples explications. « Tu la connais peut-être, d'ailleurs ! Elle est chanteuse, genre super connue. Tallulah Wellington ? » Même s’il était lui-même musicien amateur, Chris ne pouvait pas se targuer d’être à la pointe des musiques du moment, et il se contenta de hausser un sourcil, puis les épaules, signifiant ainsi que cette chanteuse ne lui disait pas grand-chose. « C'est ma demi-soeur... Et elle est plutôt géniale dans son genre. » Sans aucune raison apparente, cette nouvelle eut l’effet d’un nouveau coup de massue sur la tête de Chris. En vérité, le fait qu’il apprenne que Kat avait une demi-sœur de cette façon là venait tout juste de lui renvoyer la distance qui s‘était créée entre eux en pleine figure. Avant, ils partageaient tout ou presque et du jour au lendemain : plus rien. Le canadien n’avait même pas soupçonné une telle histoire, alors qu’elle était définitivement d’une grande importance pour Kat. « Oh… je… je savais pas que tu avais une demi-sœur… C’est… cool. » se contenta-t-il de dire en baissant les yeux. Tout à coup, il avait l’impression d’être un illustre étranger devant Kat, et ça lui faisait mal. Très mal. « Mais… je peux te demander comment tu as su ? » Chris était blessé mais curieux, et dune certaine manière, c’était sa façon à lui de continuer à faire partie de la vie de Kat, en sachant ce qu’il s’y passait, ce qu’elle faisait, et avec qui.

Sa décision était prise. Contre toute attente, Chris allait s’occuper de Tiger pendant l’absence de Kat. Aux vues de ce qu’il était devenu en l’espace de quelques semaines, le jeune homme ne faisait pas vraiment figure de « papa » idéal pour le petit animal. Mais parce qu’il s’agissait de LEUR chat, de celui qui avait marqué à sa manière le début de leur histoire, Chris saurait faire les efforts qui s’imposaient. Peut-être était-ce simplement un symbole, mais le canadien avait presque l’impression qu’en prenant soin de Tiger, il continuait à faire vivre un semblant de lien entre Kat et lui. Bien sûr elle serait loin d’eux, mais le chaton resterait toujours leur propriété commune. « D'accord, je viendrais te l'apporter avant de partir alors... » Chris était prêt à accepter, trop content de pour revoir Kat une dernière fois avant qu’elle ne parte pour de bon. Mais justement, il se prit à imaginer brièvement la scène, et un frisson parcourut son dos. Il n’avait jamais vraiment aimé les adieux, et avait pour habitude de les fuir autant que possible. Et cet adieu là s’annonçait déjà comme le plus déchirant de toute sa vie. A l’heure qu’il était, Chris ne se sentait pas à la hauteur pour ce genre d’épreuve. Se connaissant, il savait que dans un excès de désespoir, il risquait de tout foutre en l’air. Définitivement. C’est donc d’un ton un brin gêné qu’il se permit de demander : « Euh… je… si ça ne te dérange pas trop, je préférerai le récupérer maintenant. C’est plus facile… je crois. Enfin tu vois… si on attend le dernier moment… » Le jeune homme décida de ne pas finir sa phrase mais une fois de plus, il était persuadé que son ex-petite amie avait comprit exactement où il voulait en venir.

Côté claques en pleine figure, Chris ne semblait plus être à ça près. Et Kat l’en gratifia d’ailleurs d’une nouvelle en lui apprenant qu’elle n’avait pas prit soin de lui parler de sa demi-sœur alors qu’elle en connaissait déjà l’existence à leur retour d’Egypte. Bien sûr c’était délicat, bien sûr ce n’était pas clair… Mais tout de même. Le canadien s’était imaginé qu’ils étaient censés tout partager durant leur relation… visiblement à tort. Mais l’heure n’était pas vraiment aux explications houleuses, et Chris s’efforça de ravaler ses revendications e ses réflexions qui auraient pu s’avérer blessantes pour Kat. Au lieu de ça, il se contenta d’acquiescer d’un simple hochement de tête, comme si finalement, il n’en avait plus grand-chose à faire.

« Oh, au fait - j'ai vidé tout ce qui restait dans ton frigo... Pas grand chose, mais tout avait une date d'expiration dépassée depuis un moment alors... Tu vas peut-être avoir besoin d'aller faire quelques courses. » Chris sentit que la jeune femme cherchait plus à changer de sujet qu’à lui donner des conseils. Et au passage, elle lui rappela peut-être inconsciemment qu’il était devenu un véritable déchet, même plus capable de gérer le contenu de son frigo. Mais quoi qu’il en dise, ce geste le touchait, aussi stupide soit-il, et il ne put que souffler un « Ouais… merci » quasi-honteux en guise de remerciement.

Chris était bien conscient que le fait de récupérer Tiger allait marquer plus qu’officiellement ses adieux avec Kat. Mais, un peu à l’image d’un pansement qu’on enlèverait rapidement pour que la douleur passe plus vite, l’étalagiste avait souhaité ne pas faire trainer les choses. Il voulait des au revoir brefs, sans effusions, sans larmes, loin des clichés pathétiques des vieilles séries télé. Et tout ça parce qu’il se savait bien trop faible, et incapable de gérer des adieux de dernières minutes, auxquels il aurait pu penser avec anxiété pendant des jours et des jours. En agissant vite, il espérait ne pas avoir le temps de cogiter ni de comprendre ce qui était en train de lui arriver. Et tant pis s’il réalisait plus tard, et qu’il craquait une fois chez lui. Au moins il serait seul et à l’abri des regards.

C’est donc d’un simple hochement de tête presque soulagé que Chris acquiesça et se mit à suivre Kat. Ou plutôt à la poursuivre. En effet, la jeune femme semblait participer à une course chronométrée dans es rues de New-York, ne laissant pas une seule chance au jeune étalagiste de marcher à ses côtés. Maos paradoxalement, cette distance arrangeait bien Chris. Il ne se sentait tout bonnement pas capable de pouvoir faire la conversation comme ça, comme si de rien n’était alors que son seul désir était de la dissuader de partir. Pendant tout le trajet jusqu’à la voiture, le canadien ne quitta pas des yeux cette chevelure blonde qui dansait devant lui, comme un violent rappel de tout ce qu’il avait perdu en trompant Kat. Elle représentait à la fois ce qu’il voulait le plus au monde, mais aussi et surtout ce qu’il ne pourrait certainement plus jamais avoir. Cependant, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui, d’où son mal-être et son état actuel.

Même si le chemin lui parut interminable, ils finirent tout de même par arriver devant la voiture de Kat, dans laquelle la jeune femme s’engouffra sans un mot. Après un bref soupir, Chris en fit de même et boucla sa ceinture de sécurité. Et à partir de ce moment-là… le silence. Coupés des bruits de la rue, ils se retrouvaient là tous les deux, et aucun d’entre eux ne semblait vouloir prendre la parole. Kat faisait semblant de se concentrer sur ses manœuvres, et Chris était tout particulièrement absorbé dans la contemplation de la rue à travers la vitre. Mais cette atmosphère, et la lourdeur qu’imposait leur silence était quasi-insoutenable pour le jeune homme qui finit par céder. Il se permit d’allumer l’autoradio sans rien demander. Mais malheureusement pour lui, la musique qu’il se mit à diffuser ne fut autre qu’une chanson salement romantique. Une de celles qui lui aurait fait poser sa main sur la cuisse de Kat, et peut-être même chantonner pour elle. Ils seraient alors partis pour trouver un coin tranquille, d’où ils pourraient avoir une belle vue et auraient pu passer des heures simplement enlacés tous les deux, à regarder un coucher de soleil par exemple. Et plus si affinités à l’arrière de la voiture… Mais tout ça n’était clairement plus envisageable pour eux, et en sortant brusquement de ses pensées, Chris flanqua un coup dans l’autoradio qui se tut immédiatement, laissant place à un silence encore plus lourd qu’avant. Le jeune homme ferma alors les yeux en laissant échapper un long soupir, et passa douloureusement une de ses mains sur son visage.

Finalement, et après plusieurs minutes, Chris se décida à prendre une nouvelle fois son courage à deux mains, et déclara d’une voix un brin éraillée : « C’est… c’est vraiment bien ce que tu vas faire là-bas. Ca va être une sacrée expérience… t’es courageuse. »