La matinée était fraîche. Le soleil s'était levé difficilement sur New-York en cette journée de septembre. Il aimait ce temps-là, ce temps d'automne, ces couleurs vives et contrastées. La luminosité, les nuages, les arbres, l'humidité de l'air, tout avait attrait à l'automne alors que quelques jours auparavant, il faisait encore une chaleur rayonnante propre aux températures estivales. Le ciel était d'un bleu intense, un bleu céruléen tacheté d'énormes nuages boursoufflés. Il adorait cette journée.
Rafaël avait donc profité de la fraîcheur pour reprendre son activité physique là où il l'avait laissé avant l'été. En sortant de son minuscule appartement de Brooklyn, il était déjà dans le ton : un jogging blanc, des baskets noires, tout comme son sweat à capuche. Son portable à la main, il avait déjà des écouteurs dans les oreilles et sélectionnait une musique entraînante pour se donner du courage. Il avait décidé de commencer par Greenwich Village, tout d'abord parce que le cadre était idéalement agréable et spacieux et ensuite parce que cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas mis les pieds et son envie le poussait dans ce quartier de Manhattan. Brooklyn n'était pas situé très loin, mais il avait perdu pas mal d'endurance et préférait donc rejoindre ce coin de la ville en métro. Ses jambes et ses poumons lui diraient après quelques kilomètres s'il était capable de rentrer chez lui en courant ou s'il serait préférable de prendre à nouveau les transports en commun.

Une fois arrivé dans le quartier recherché, le jeune homme commença sa course à pied, la musique à plein volume. Le quartier était relativement fleuri et verdoyant pour un quartier urbain, et il ne regretta pas son choix. Manhattan, Greenwich Village ... Que de souvenirs ! Combien de fois, durant son adolescence, s'était-il rendu ici pour passer des journées entières à errer dans les rues avec ses amis ? Combien de fois avait-il utilisé ce même métro pour sortir en cachette en pleine semaine ou pour rejoindre sa petite amie de l'époque ?
Pendant longtemps, il s'était demandé s'il avait fait le bon choix en reniant sa famille, ses origines et son statut social. Même lui reconnaissait le premier que les débuts n'avaient pas été évident. Mais Rafaël ne regrettait rien. Il avait compris que l'argent ne signifiait pas nécessairement l'accès au bonheur, en tout cas ce n'était pas sa définition à lui du bonheur. Beaucoup de personnes lui avaient alors tourné le dos notamment bon nombre de ses prétendus "amis". L'adolescent avait alors réalisé que plus de la moitié des gens qu'il fréquentait ne l'approchait que par intérêt, vu le contenu de son compte en banque personnel. Sur ce, il avait tout rendu à son père, sans chercher à garder un seul centime de la somme astronomique qui dormait dans un coin de la banque de New-York. Sa vie n'était pas luxueuse -lui savait ce qu'était le luxe- mais elle lui convenait parfaitement. Son voyage à l'étranger pendant une année lui avait permis de découvrir d'autres traditions, d'autres cultures et d'autres rapports à l'argent.
Le seul point sensible de sa nouvelle situation sociale était son appartement. Son minuscule studio, il le détestait. Mais pour rien au monde il ne serait retourner voir son père pour ramper devant lui et l'implorer de l'aider. C'était une fierté, une des seules de Rafaël.

Les musiques défilaient dans ses oreilles comme les pensées défilaient dans sa tête. Au final, il n'avait réussi qu'à raviver des souvenirs, plus ou moins agréables. Et le comble c'est qu'il était épuisé, haletant et suant comme un bœuf. Il décida de s'arrêter un instant. Pour reprendre convenablement sa respiration, il marcha encore de longues minutes. Le pseudo sportif était alors dans un petit parc très verdoyant composé vieux arbres garnis de feuilles et de petites allées discrètes, parfaites pour les joggeurs. Il arriva aux abords d'une pompe à eau ; il puisa sur le manche pour se désaltérer longuement et s'aspergea le visage du liquide frais. Il s'essuya rapidement et décida de se reposer encore une autre demi-douzaine de minutes avant de reprendre sa course. Le jeune New-Yorkais consulta l'heure sur son smartphone et constata qu'il ne restait qu'une heure avant midi. Il était assis, les coudes sur les genoux et ses mains pianotant sur son téléphone sans fil entre ces derniers. Il n'y avait pas grand monde, ce matin-là ; un couple promenait une poussette, deux gamins avec leurs skates s'amusaient dans les allées tandis qu'une grand-mère profitait de l'air frais sur un autre banc.

C'est alors qu'il aperçut au coin de l’œil une fine silhouette se faufiler discrètement mais rapidement vers lui. Rafaël redressa la tête, intrigué. C'était une jeune femme qui, comme lui, avait profité de son temps libre pour aller s'échauffer un peu. Il aurait continué ses activités si quelque chose chez cette femme ne l'avait interpellé. Il ne sut quoi, mais elle avait quelque chose de particulier. Il lui semblait l'avoir déjà croisé. Il ne savait pas où, il ne savait pas quand, il ne savait pas avec qui, mais il l'avait déjà rencontré, c'était certain. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, il l'observait d'avantage. Sa chevelure blonde et très bouclée était sagement rassemblée en une queue de cheval. Rafaël se leva, prêt à repartir -quitte à la suivre si elle ne s'arrêtait pas. Et c'est en se levant qu'il vit ses yeux. Des yeux bleus, à la limite du vert. Des yeux intenses, profonds, qu'il avait scruté plus d'une fois, il s'en souvenait à présent. Ces yeux l'avaient suivi tant de fois dans le passé ; des petits yeux qui ne le quittaient pas lors de leurs cours de danse, des yeux qui s'interrogeaient en sa présence durant leur adolescence, des yeux qui étaient partis de l'autre côté de l'océan Atlantique pendant toute une année. Des yeux qu'il avait perdu de vue, clairement. Et qu'il avait recroisé quelques semaines plus tôt, lors d'une soirée, ou au café, il ne s'en souvenait même plus lui-même. Marley Rose. C'était bien elle, en chair et en os. Il était évident qu'elle ne l'avait reconnu lorsqu'il avait tenté de la séduire. Lui non plus, d'ailleurs, ne s'était pas rendu compte de sa véritable identité. Jusqu'à ce qu'il ne croise directement ce regard meurtrier et qu'il se fasse remballer sans pouvoir se présenter. C'était le moment ou jamais. Elle arrivait à son niveau. Il décida alors d'attirer son attention par la plus simple des façons. Il remit ses écouteurs dans les oreilles, l'air de rien, puis s'avança en plein milieu de l'allée, comme s'il ne l'avait pas vu alors qu'il savait pertinemment qu'elle allait être obligée de s'arrêter pour ne pas lui rentrer dedans. Quand elle ne fut plus qu'à un mètre de lui, il tourna la tête vers elle, et un sourire se dessina sur ses lèvres.

« Marley Rose ? Heureux de te revoir. »

Fier de sa petite mise en scène, il enleva à nouveau ses écouteurs pour entendre sa réponse. Rien n'était moins sûr que la réciprocité de sa phrase. Au contraire, il ne se sentirait nullement étonné si elle l'expédiait une nouvelle fois. Vu les circonstances de leur dernière rencontre, Rafaël s'amusait légèrement de la situation mais il tentait de ne rien laisser paraître. Après tout, il valait mieux éviter qu'elle le prenne pour un malade ou pire, pour un voyeur qui la suivait. Ce n'était pas son but.
Il regarda à nouveau la belle blonde de bas en haut, sans se gêner.

Mais c'était étrange, cette rencontre. Il retournait à Manhattan, plus précisément dans Greenwich Village qui lui rappelait son adolescence, il repensait à ses parents et rencontrait une connaissance de cette époque. Bizarrement, il se sentait redevenir Edward et Rafaël semblait disparaître de minutes en minutes ...

Elle n'avait pas du tout eut l'intention de s'arrêter, effectivement. Rafaël était plutôt fier de lui, en fin de compte. La belle semblait en revanche relativement contrariée à son encontre. Il n'y avait pas vraiment de quoi, mais Rafa l'excusait. On ne pouvait pas vraiment dire, après tout, qu'elle l'appréciait réellement. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, Marley n'avait visiblement pas apprécié d'être draguée par un simple serveur. Oui, parce que même si Rafaël est officiellement assistant vétérinaire, il lui arrive aussi d'avoir un second job de façon ponctuelle : serveur lors de soirées mondaines -après tout, il était l'un des mieux placés pour satisfaire les exigences de ce milieu, même si cela le rebutait un peu de devoir faire ça pour combler ses fins de mois- ou encore livreur de pizzas remplaçant pour un ou deux week-ends dans le mois. C'était donc en tant que serveur qu'il avait retrouvé Marley Rose. C'était d'ailleurs l'organisatrice de la soirée, et il avait été stupéfait de la revoir ainsi, après des années sans se voir. Elle avait bien changé. Elle avait grandi, bien sûr, elle s'était affirmée en tant que femme, et elle avait mûri aussi. Mais elle avait tout de même gardé ces mêmes yeux d'un bleu cristallin, les mêmes yeux que ceux de son enfance. Apparemment, lui aussi avait changé car elle ne l'avait pas du tout reconnu. A moins qu'elle n'ait fait semblant de ne pas se souvenir de lui. Évidemment, il préférait sa première hypothèse.

En attendant, dans ce parc de Greenwich Village, elle l'avait bien vu et le prenait désormais pour le serveur collant et lourdingue qui n'arrêtait pas de lui tourner autour. Ce n'était pas vraiment le cas, d'ailleurs. Parce qu'il ne la connaissait plus, de toute évidence. Certes, elle était très mignonne mais Rafaël avait juste envie de s'amuser et c'était ce qu'il se concentrait à faire en soirées.

Marley Rose prit la parole. Il ne put s'empêcher de rire lorsqu'elle prit une voix méprisante en lui suggérant d'être plus correct envers elle. Il ne se souvenait pas que, durant leur enfance, elle avait été si 'cul-pincé'. Il ne s'était pas imaginé qu'elle était devenue une de ces filles de la haute aussi belles que superficielles. Malheureusement, et comme il le redoutait, Rafaël réalisait que ce monde de luxe l'avait modelé comme ses parents l'auraient souhaité pour Rafaël. Il était un peu déçu, mais il ne se permit pas d'autres jugements ; au fond, il y avait peut-être quelque chose qu'il ignorait.

« Tu te souviens de moi ? Rien d'autre ne m'aurait fait plus plaisir, vraiment ! »

Il aimait tourner cette conversation en dérision. Étrangement, alors qu'il la connaissait que trop peu, il s'amusait à la taquiner et il se permettait de se moquer gentiment d'elle alors qu'il n'aurait jamais tenté une telle expérience avec une si vague connaissance. Mais au point où il en était au niveau de son estime, il ne pouvait pas être plus bas. Donc autant prendre ça sur un ton léger.
Remarquant enfin sa tenue de sport, son iPod, sa gourde et sa respiration essoufflée, il comprit qu'elle aussi courrait. Peut-être dans le même but que lui, soit retrouver son endurance d'antan. Histoire de la provoquer encore un peu, il ajouta.

« Alors, Milady, comme ça on fait sa petite course du dimanche ? Mais où est donc votre garde du corps ? »

S'afficha alors sur son visage un grand sourire taquin qui illumina ses yeux d'une lueur maline et amusée. Sympa, pour des retrouvailles pareilles ! A tout instant, le jeune homme s'attendait à ce que Marley Rose l'envoie bouler. Ce qui n'allait sûrement pas tarder ...

Marley semblait vraiment agacée par la situation, ce qui avait le don de profondemment amuser le jeune new-yorkais. Cette image qu'elle donnait d'elle, cette prétention exagérée, cet égocentrisme feint, Rafaël n'y croyait pas. Pire, il trouvait toute cette mascarade absolument ridicule, il devait l'admettre. Cependant, pour faire durer le plaisir, il préférait au contraire pousser la belle dans ses derniers retranchements. La faire enrager lui procurait un certain plaisir sadique, mais pas pervers. Elle lui sortait le grand jeu, se faisant passer pour l'une des plus grandes célébrités de la Grosse Pomme. Elle n'avait pas a lui parler. Tout ce petit jeu comme quoi elle ne devait pas lui adresser la parole, Raf ne savait quoi en penser. Jouait-elle avec lui, elle aussi, ou se comportait-elle aussi de la sorte avec tous ceux qu'elle estimait ne pas devoir s'approcher d'elle ? Rafaël savait malgré lui a quel point pouvait peser une telle réputation que celle de leurs parents respectifs. Mais visiblement, au contraire de lui, Marley n'avait pas renoncé à cette vie de facilités.

Elle ne l'appréciait pas, c'était clair. Comment aurait-il pu en être autrement ? Pourtant de nature impatiente, Rafaël s'accorda un certain temps avant de faire céder Marley. Il n'envisageait pas forcément de la séduire ou de la conquérir, mais simplement de lui donner une leçon, de lui faire comprendre que même les gens simples sont des personnes enrichissantes, des personnes qui donnent la peine d'être rencontrées, reconnues et écoutées.

La deuxième fois qu'elle prit la parole, Edward ne put s'empêcher de lâcher un pouffement de rire. Non mais elle était vraiment sérieuse, la ? Et en plus si elle croyait qu'en disant ceci elle parviendrait a convaincre Rafaël de lâcher prise et de céder a ses caprices, elle se fourrait le doigt de l'oeil. Marley n'avait pas vraiment grand chose en commun avec la petite fillette joueuse et chipie d'autrefois. Mais Ed se plaisait a redécouvrir sa partenaire de danse. D'ailleurs, il se promit de ne lui dévoiler son identité véritable le plus tard possible.
Le blondinet repensa aux paroles prononcées par Sa Majesté, notamment en ce qui concernait le jogging. En bon macho qui se respecte, Raf ne put résister a la tentation de vanter outre mesure ses qualités de mâle.

" Je parie une invitation à déjeuner que je te bats quand tu veux a la course ! "

Prétentieux ? Oui, surement un peu trop. Surtout que c'était la première fois depuis deux mois qu'il reprenait l'entraînement, qu'il avait déjà parcouru un chemin d'un peu moins de dix kilomètres et que cela lui suffisait pour sentir ses jambes faiblir. Mais qu'importe ? Il était prêt a faire un dernier petit sacrifice, le jeu en valait la chandelle. Encore fallait-il que la demoiselle accepte, mais il n'avait pas trop d'inquiétude de ce côté là. Rafaël continua a parler, histoire de convaincre totalement la jeune femme de marcher dans sa combine et de la faire réagir au quart de tour.

" Prête à relever le défi, beauté ? Ou préfères-tu t'asseoir sur ce banc pour éviter d'avoir trop honte ? "

Il adorait jouer à ce jeu là avec les femmes, leur faisant croire qu'elles tenaient les rênes du jeu alors qu'au final, sa capacité d'influence les faisaient céder à ses propres desseins personnels. Avec un dernier sourire envers la blonde sportive, il s'élança sur le sentier, au pas de course, pour donner le signal du départ. Ce qu'il n'avait peut-être pas prévu, en revanche, c'est qu'elle était largement capable de le laminer à la course. Mais il était bien trop fier pour envisager une telle possibilité. Dommage pour lui ...

Quelle surprise lorsque Marley accepta le défi qu'il lui avait lancé ! Honnêtement, Rafaël croyait qu'elle allait décliner sa proposition, l'envoyer bouler et continuer sa course matinale. Cela devenait intéressant, vraiment. Rafaël esquissa un sourire, encore. Elle le mettait de bonne humeur de façon évidente. Il ne savait pourquoi, parce qu'après tout il ne la connaissait plus vraiment, mais le jeu auquel il jouait avec elle l'amusait beaucoup et il appréciait d'autant plus le fait qu'elle marchait dans sa combine. Un autre aspect relativement jouissif résidait dans le fait que Marley Rose ignorait totalement qui il était ; elle le prenait sûrement pour un tombeur, qui collectionnait les conquêtes en soirées, et c'était d'ailleurs ce qu'il était. Mais elle ignorait qu'il n'était pas seulement cette version pauvre et superficielle du séducteur ; et elle ignorait encore plus qu'elle savait qu'il n'était pas que ça. Lui révéler sa véritable identité, lui dire que Rafaël et Edward ne faisaient qu'un était très tentant ; il aurait voulu savoir sa réaction, voir comment elle aurait réagi. Mais c'était encore plus tentant de la laisser dans l'obscurité et de lui montrer qu'il n'avait pas besoin d'un nom particulier pour se faire apprécier d'elle.

Dans tous les cas, Rafaël sortirait vainqueur. Même s'il perdait à la course, même s'il la laissait gagner, il en sortirait gagnant, car mine de rien, elle avait tout de même accepter son invitation à dîner. Elle ne s'en était peut-être même pas rendu compte, mais dans tous les cas, elle ne pouvait plus faire marche arrière. Comme pour confirmer leur pacte, il répéta après elle :

« Le premier qui sort du parc a gagné, c'est compris. »

Tout beau, tout fier, il partit sur les chapeaux de roues, s'envolant presque jusqu'à l'arrivée. Lorsqu'il se retourna au bout de dix minutes, il ne l'aperçut pas derrière lui. D'abord enjoué et fier de sa victoire à venir, il réalisa soudain qu'elle aurait pu le duper en lui faisant croire qu'elle relevait son défi pour finalement s'absenter en pleine course. Maugréant contre lui-même, il ralentit l'allure quasiment jusqu'au pas pour voir si la belle blonde allait apparaître dans les prochaines minutes. Ne la voyant toujours pas arriver, il s'insulta lui-même de pauvre imbécile. Elle était beaucoup plus maline qu'il ne le pensait à la base.
Alors qu'il allait faire demi-tour en marchant, la tête marquée par son échec, une bombe blonde en jogging passant à vive allure sous son nez, sans faire davantage attention à lui. Dès qu'il la vit, un sourire inonda immédiatement tout le visage de Rafaël. Voyant qu'elle avançait vite -un peu trop vite à son goût- il reprit la course. Le joggeur réussit à parvenir à son niveau et alors qu'ils couraient à l'unisson, il s'enquit de son état.

« Alors, beauté, tu tiens encore le coup ? Ne te fatigue pas trop quand même. Je n'ai pas envie de t'abîmer pour notre première sortie. »

Il se voulait dragueur et déstabilisant. C'était peut-être lâche, voir complètement anti-jeu, mais il ne le faisait pas pour gagner, uniquement pour la charrier et tester jusqu'à quel point il pouvait aller pour plaisanter.
Pendant les dix dernières minutes du parcours, ils courraient côte à côte, sans parler véritablement -la jeune femme semblait concentrée et il ne souhaitait pas la déstabiliser outre mesure de peur de se faire accuser de tricherie mais en fait, il refusait surtout de la forcer à parler.
Alors qu'ils ne restaient qu'une demi-douzaine de minutes avant l'arrivée, Marley accéléra subitement. Elle courrait tellement vite qu'il n'eut pas le temps de comprendre sa douleur. Soit dit en passant, elle était très jolie à regarder de derrière, surtout lorsqu'elle courrait : ses hanches gracieuses de balançaient de droite à gauche et sa queue de cheval semblait mystérieusement animée par il ne savait quelle force.
Lui aussi se mit donc à courir plus vite ; il était absolument hors de question qu'elle le devance sur la ligne d'arrivée. Mais malgré tout ses efforts, il arriva après facilement quinze minutes de retard sur Marley Rose, ce qui était absolument énorme. Hors d'haleine, il marcha sur quelques mètres avant de poser sa main droite sur sa hanche. Une grimace passa sur son visage ; l'air froid lui brûlait les poumons, ses jambes le faisaient souffrir et il entendait son sang battre terriblement fort au niveau de ses tempes. Il se plia en deux, laissant ses bras ballants pour retrouver sa respiration. Toujours aussi épuisé, il s'effondra dans l'herbe verte à proximité de la sortie. Elle allait le tuer ! C'était clair qu'il avait surestimé ses propres capacités, mais il ne s'attendait pas à une telle défaite ! Il devait s'incliner, c'était certain. Les jambes fléchis, toujours dans l'herbe, il l'observa. Bien que soufflant un peu, elle ne semblait pas autant perturbée que lui par cette folle course.

Toujours au sol, il conclut :

« J'ai préféré te laisser gagner. Ce n'est qu'une question de galanterie, après tout. »

C'était faux, évidemment. Il avait mis toutes ses tripes dans ce défi. Et Marley Rose n'avait besoin de rien pour comprendre qu'il s'était fait laminé comme un bleu ...

Il rit lorsqu'elle l'accusa de se trouver des excuses pour ne pas s'avouer vaincu. Elle avait entièrement raison. Rire avec Marley lui faisait un bien fou ; il était heureux de la retrouver après tant d'années de césure. A croire que ces deux-là étaient faits pour s'entendre et que le destin avait décidé de les réunir à nouveau. peut-être était-ce un signe, mais Rafaël ne s'attardait pas trop à ce genre de pensées. Au contraire, il préférait préférer de l'instant présent.
Lorsque Marley s'installa à ses côtés, il se redressa. Son essouflement s'atténuait de minutes en minutes. Il avait tellement chaud qu'il enleva son sweat épais en le faisant passer par dessus sa tête, le décoiffant légèrement. Le jeune homme passa alors une main rapide dans ses cheveux -en même temps pour y mettre un peu d'ordre mais aussi pour découvrir son degré de sueur. Lorsque sa main ressortit de ses cheveux, elle était trempée et il grimaça de dégoût. Il ne devait pas être très présentable en l'état actuel des choses.

Cependant, elle prit la parole une seconde fois : « Tu as intérêt à bien prévoir ton porte feuille, j’ai le regret de d’annoncer, que j’ai toujours une véritable fin de loup ... je vais te ruiner c’est certain ...»
Il ne put s'empêcher de sourire, même si quelque chose au fond de lui venait de se serrer. Rafaël n'était pas mal à l'aise à proprement parler mais il savait qu'au final, elle avait raison. Vu son salaire, il ne pouvait décemment pas se permettre, en plus de son loyer pour un studio minable, se payer un restaurant toutes les semaines. Evidemment, il ne doutait pas que la belle avait des goûts de luxe, à en juger par sa tenue, son iPod et sa prétention d'apparence. Mais malgré ses envies, il allait devoir se restreindre à un restaurant relativement populaire. Ce qui le consolait, en revanche, c'est qu'il existait à New-York un tel nombre de restaurants multiples et variés qu'il était certain d'en trouver un à leur convenance. L'assistant vétérinaire sourit davantage à sa dernière phrase. Après tout, que savait-elle de l'état de son porte-monnaie ? Résolu à semer le trouble dans son esprit, il lança cette remarque évasive :

« Ne t'inquiètes pas pour mon porte-monnaie. Tu pourrais avoir des surprises ... »

Sans s'attarder plus sur ce point, il se leva, s'épousseta brièvement le jogging et tendit la main à Marley Rose pour l'aider à se lever.

« Tu as déjà une idée d'où tu compte m'emmener ? » demanda la voix aigue de Marley.

Cette question était tout à fait légitime et logique dans le fil de la conversation. Il hocha la tête en signe d'approbation puis, sans donner de détails, il consulta l'heure sur son portable qui lui indiqua qu'il leur restait un peu moins de deux heures avant l'heure du déjeuner. Rafaël concentra son attention sur Marley avant de lui répondre :

« Tu ne crois tout de même pas que je vais t'emmener déjeuner dans un tel état ! Je suis peut-être lourdingue, mais j'ai une certaine connaissance des bonnes manières ! Rejoins-moi dans deux heures, à Brooklyn Heights. Je t'enverrai l'adresse du resto. »

Il écrivit l'adresse sur son portable et la lui envoya après lui avoir demandé son numéro. Taquin, il ne put s'empêcher d'ajouter :

« N'arrives pas en retard, si possible ... »

Mais cette condition s'accompagna d'un sourire tout à fait charmant et d'un clin d’œil. Après quoi, Rafaël commença à tourner les talons pour rentrer chez lui et se doucher avant l'heure fatidique.


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