Athena & Maël

C’était probablement une erreur de se rendre ici. Sans doute aurait-il mieux fait de faire demi-tour, mais il n’y était pas arrivé. Ce jour était particulier et il s’était senti aimanté par cet endroit toute la journée. Il avait été incapable de se concentrer sur quoi que ce soit, pas même sur les dossiers qu’il avait ramené chez lui afin de prendre un peu d’avance. Faire ses rapports n’avait même pas été envisagé et sa petite sœur avait même tenté de lui changer les idées, en vain. Chloé savait pertinemment que ce jour était difficile pour lui et que peu importe les efforts qu’il faisait, son esprit ne tournait autour que d’une seule chose. Pourtant, il avait essayé toute la journée. Puisqu’il était de congé, il avait dû trouver de quoi s’occuper et pour lui son appartement n’avait jamais été aussi propre et bien rangé qu’aujourd’hui. A peine avait-il ouvert les yeux et posé ces derniers en direction de son réveil qu’il avait su que ce jour allait lui être insupportable. Le russo-français n’avait quasiment pas prononcé un seul mot de la matinée et il s’était contenté de longs regards avec sa sœur en guise de conversation. Ils se comprenaient parfaitement ainsi, surtout à cette date anniversaire. Anniversaire … comment pouvait-il encore considéré ce jour comme un anniversaire alors qu’y penser le faisait autant souffrir ?

Il haïssait son existence juste pour ce fait, pour cet évènement qui avait tout dévasté et qui l’avait mené à devenir un homme à femmes, lui qui avait pourtant toujours détesté agir ainsi. Son petit-déjeuner – qui se résumait à un café noir sans sucre – prit, il s’était occupé de ranger tout l’appartement, de nettoyer les moindres recoins de ce dernier les écouteurs de son iPod enfoncés dans ses oreilles pour tâcher au mieux de s’occuper l’esprit. Malheureusement, ça ne dura que le temps de la matinée et une fois qu’il n’eut plus rien à faire, une fois sa douche prise pour se séparer de la sueur, Maël avait essayé de se focaliser sur son travail lui qui ne semblait jamais se satisfaire de celui qu’il avait à faire au bureau. Le jeune homme ignorait de quelle manière le temps avait pu s’écouler aussi rapidement. Il s’était assis devant son ordinateur portable, il avait ouvert son logiciel de traitement de texte puis avait fait face à la page plage sans faire le moindre mouvement, sans même bouger le petit doigt. Peu importait les efforts qu’il pouvait faire, aujourd’hui tout ne tournait qu’autour de ça et qu’autour d’elle. A chaque fois que son regard déviait inconsciemment vers la date et l’heure affichées sur son écran, il ressentait un pincement au cœur et avait l’envie furieuse de frapper dans le premier mur qui croiserait son chemin. A la place, il resta assis un long moment sur sa chaise et lorsqu’enfin son regard dévia consciemment en direction de l’heure, ses sourcils se froncèrent. Pratiquement quatre heures s’étaient écoulées sans même qu’il ne s’en rende compte.

Laissant échapper un soupire, Maël passa sa main sur son visage à plusieurs reprises puis croisa les bras contre son torse le regard de nouveau posé sur son écran. Il devait sortir de là, il devait s’aérer et ce fut ce qui le poussa à se rendre à cet endroit précis alors que tout lui semblait être plus douloureux dès lors que le paysage changeait. Comment avoir l’impression d’être toujours à New York lorsqu’on voyait cette petite île qui ressemblait bien plus à un petit village de pêcheurs ? Il avait toujours apprécié cet endroit et il avait même parfois espéré pouvoir s’y installer, mais cette idée lui était tout bonnement sortie de la tête une fois son histoire terminée. Une fois arrivé à la destination qu’il avait en tête, Maël passa quelques minutes de plus dans son véhicule à fixer l’étendu d’eau devant lui avant de trouver le courage de sortir. L’air marin lui rappela à quel point lui aimait ce lieu et même s’il était également un rappel de sa relation passée avec Athena, le jeune homme se risqua à se rendre jusqu’à la petite plage où il avait pris le courage de la demander en mariage, persuadé que tous les deux auraient une vie un tant soit peu calme et rangée. Le sable était frais à cette heure de la soirée et ce ne fut pas ce qui l’empêcha de se séparer de ses chaussures et d’avancer pieds nus dans le sable jusqu’à rejoindre tout un tas de rochers un peu plus loin, prenant place sur l’un d’eux pour faire face à l’eau. Il aimait cet endroit, il aimait ce qu’il pouvait lui rappeler et y venir pour ce qui aurait dû être les trois ans de sa vie de couple lui semblait être parfaitement logique même s’il était évident qu’il aurait préféré ne pas avoir le cœur aussi lourd en ce jour.

« Je suis désolée Seph', j'ai complètement zappé... tu peux gérer ça toute seule? Promis demain je suis tout à toi... » Athena se frottait le front, gardant son Iphone collé à son oreille, alors qu'elle était toujours allongée dans son lit, malgré que le réveil lui indiquait treize heures. La jeune femme reposait finalement son portable sur l'oreiller vide à ses côtés avant d'enfoncer un peu plus sa tête sous les draps. Elle avait réussit à zapper son rendez-vous à la banque pour obtenir un prêt en compagnie de son amie, prêt qui leur permettrait d'ouvrir leur propre cabinet. Lorsqu'elles avaient reçu le rendez-vous, Athena s'était pourtant dit qu'il était impossible qu'elle l'oublie, vu l'importance de cette date pour elle, et voila qu'aujourd'hui, elle se trouvait toujours en pyjama et n'y avait pas pensé une seule seconde. La jeune femme n'arrivait d'ailleurs pas à penser à quoi que ce soit et s'était concentrée depuis quelques heures sur son ventre plat. Elle serait environ de 8 mois à ce jour, si tout n'avait pas viré au cauchemar... Maël aurait surement préparé quelque chose de spécial sans que ce soit trop fatiguant, la chambre vide serait décorée pour accueillir une petite fille, ou un petit garçon, et sa vie serait parfaite. Au lieu de ça, elle était immobilisée dans un lit, sans rien ni personne.

Vers 14h00, Athena trouvait enfin un peu de courage pour se rendre à la douche et s'habiller. La jeune femme envisageait a plusieurs reprises de l'appeler, de lui donner rendez-vous pour qu'ils traversent cette journée ensembles, mais c'était être masochiste et elle finissait toujours par reposer son portable. Ça ne pouvait qu'empirer les choses, que la rendre encore plus mal qu'elle ne l'était. Après tout, elle venait de survivre à la moitié de la journée, ne restait plus qu'à tenir le reste. Chaque journée était difficile depuis leur séparation, chaque soir elle avait l'impression d'avoir gagner en ne craquant pas pour aller le voir, mais cette journée ci était particulière et encore plus douloureuse que les autres. Après avoir manger durant plus de deux heures des céréales devant des magasines people, Athena avait enfin de bonnes nouvelles qui la sortait de ses pensées quelques secondes : leur prêt était accordé. Elles allaient bel et bien diriger leur propre cabinet, comme elles en avaient toujours rêvés. Cette petite pointe de bonheur restait pourtant minime et passagère, puisque ses pensées se tournaient à nouveau vers Maël.

Rien ne pouvait être pire que rester enfermée dans cet appartement, Athena finissait par attraper ses clés de voiture pour conduire vers City Island, la musique lui perforant presque les oreilles tant elle allait fort. Elle avait l'impression qu'augmenter le volume pouvait couper court à ses pensées, mais au fond rien ne pouvait aider, surement pas l'endroit où elle se rendait, mais peu importe. Une fois garée, la jeune femme continuait à pieds, sentant une boule se former dans sa gorge à chacun de ses pas qui la rapprochait du lieu où il avait posé un genou à terre pour faire d'elle sa femme. A quelques mètres des rochers, la géorgienne s'arrêtait net, sentant les larmes lui monter aux yeux. Ce serait sans doute encore plus douloureux dans quelques heures, voir quelques minutes, mais pour l'instant, elle se sentait enfin heureuse pour la première fois de la journée. Le fait de le voir là lui prouvait qu'il n'avait pas tourné la page, et aussi égoïste que ce soit, elle était soulagée de le constater. À pas lents, Athena se rapprochait en prenant soin de ne pas tomber avant d'arriver à ses côtés, où elle s'installait sans le moindre mot, sans même savoir s'il avait capté sa présence jusque là. « Joyeux anniversaire... » finissait-elle par lui souffler, sans pouvoir empêcher les tremblements dans sa voix. Même si Athena savait que le but n'était pas de rendre les choses encore plus difficiles qu'elles ne l'étaient, elle glissait sa main dans la sienne avec un certain soulagement, déposant un baiser sur son bras avant de poser sa tête sur celui-ci.

Jamais il n’aurait pensé pouvoir se sentir aussi mal pour une simple journée … du moins simple aux yeux des autres. Pour lui ce n’était pas le cas, ce ne serait probablement jamais le cas puisqu’elle lui rappelait tellement de choses. Auparavant il n’avait pas été un homme à femmes comme il pouvait l’être aujourd’hui. Il avait toujours été sérieux, enfin un minimum. Il aimait les femmes, il avait aimé avoir des aventures – certaines parfois plus courtes que d’autres – mais il s’était toujours efforcé d’être respectueux envers la gente féminine, bien loin de l’homme qu’il était aujourd’hui. Le jeune homme avait aimé par le passé ou du moins il avait pensé le faire, mais le véritable amour il savait qu’il ne l’avait éprouvé qu’auprès d’une seule jeune femme qui répondait au doux nom d’Athena. A ses yeux elle avait été la bonne, la personne avec qui il voulait passer le reste de sa vie, fonder une famille et vieillir. Il ne s’était peut-être pas inventé tout un tas de scénarios pour leur futur, mais le principal avait été tout tracé. Le russo-français ne pouvait pas dire qu’il n’avait jamais été heureux, ce serait mentir, mais il l’avait d’autant plus été aux côtés de la jeune femme et il regrettait amèrement les moments qu’ils avaient pu passer tous les deux. Il s’était senti revivre auprès de la jeune femme, comme si enfin il accomplissait quelque chose de bien, comme si enfin il avait le droit à un tant soit peu de bonheur au sein d’une famille déchirée par les mensonges d’un père plongé dans des affaires illégales.

Il avait fini par ôter de son esprit que la plupart des familles russes étaient maudites depuis des siècles et qu’eux deux allaient pouvoir être heureux, faire ce dont ils avaient pu parler pendant des heures. Malheureusement, l’un comme l’autre étaient tombés de haut lorsque la mère d’Athena lui avait révélé qu’ils étaient de la famille, qu’il était son cousin. Dès lors tout s’était effondré autour d’eux et Maël éprouvait encore bien des difficultés à se relever. Il enchaîné les relations et aucune n’était sérieuse, point sur lequel sa petite sœur aimait le taquiner. Pour lui, aucune femme ne serait capable de remplacer Athena ou peut-être que si, mais Maël refusait de l’avouer et d’essayer de passer totalement à autre chose et pourtant c’était sans doute ce dont il avait réellement besoin. Seulement, tout chez la géorgienne lui manquait affreusement. Il pensait régulièrement à leurs fous rires qui n’étaient partis de rien. Il revoyait sans cesse son sourire et son regard dans son esprit et il repensait régulièrement à tous ces moments où il avait pu la serrer contre lui et avoir l’impression qu’hormis eux deux, rien d’autre ne comptait. Le jeune homme avait conscience que c’était de la torture qu’il s’infligeait lui-même mais c’était plus fort que lui. Il ne voulait pas oublier, il ne voulait pas passer à autre chose et il espérait secrètement qu’il trouverait un moyen pour prouver que les dires de la mère de la jeune femme étaient faux, que ce n’était qu’une façon de tenter de les détruire mais que leur amour serait plus fort que tout.

Aujourd’hui plus que n’importe quel autre jour, Maël ne pouvait pas ôter cet espoir totalement fou de sa tête. C’était supposé être leur journée, les trois ans d’une relation qu’ils avaient chérie alors que maintenant ce n’était qu’une journée qui ne faisait que de redoubler la douleur dans sa poitrine. Sans doute était-il masochiste sur les bords. Revenir à cet endroit qui avait une telle signification dans sa relation passée était douloureux, mais Maël en avait éprouvé le besoin toute la journée. Il aimait cet endroit. Il aimait le calme de City Island ainsi que son paysage qui lui donnait toujours la sensation d’être loin de l’oppression que New York pouvait avoir sur lui. Ici il pouvait respirer, oublier son travail, oublier l’empressement des habitants la grosse pomme et ici il pouvait se rappeler des bons moments devenus douloureux. Le regard rivé sur l’étendue d’eau devant lui, Maël s’était forcé à faire abstraction de tout ce qui l’entourait. Il profitait de l’air marin et du calme pour laisser sa douleur sortir dans l’espoir qu’ainsi elle allait doucement se dissiper, après tout ne dit-on pas qu’il faut parfois traiter le mal par le mal ? La guerre aurait pu se dérouler juste à ses pieds que le jeune homme n’y aurait pas prêté la moindre attention alors entendre quelqu’un le rejoindre c’était encore pire. Maël ne l’avait même pas vu prendre place à ses côtés. Il n’avait pas reconnu cette présence qui lui manquait tant et cette chevelure blonde qu’il aimait tellement.

En réalité, ce ne fut qu’en sentant des doigts s’entrelacés aux siens que le russo-français revint à lui et posa les yeux vers sa voisine, son cœur se serrant un peu plus dans sa poitrine face aux traits de son visage auxquels il rêvait depuis qu’il était debout. « Joyeux anniversaire... ». Même s’il s’était douté qu’elle ne risquait pas d’oublier, Maël ne pensait pas la voir venir ici, à croire qu’ils étaient aussi masochistes l’un que l’autre. Un soupire lui échappa et il resta silencieux, les yeux posés sur la jeune femme qui avait calé sa tête contre son bras et enfin il se décida à faire entendre sa voix. « Joyeux anniversaire … ». Sa joue alla se poser contre la tête d’Athena et son regard se posa de nouveau en direction de l’eau tandis que son pouce caressait affectueusement le dessus de la main de la jeune femme. S’il avait pensé qu’être en sa présence en ce jour allait être douloureux, le jeune homme devait bien reconnaître que ce n’était pas le cas. En réalité, il se sentait plus apaisé et surtout moins seul à affronter cette journée qu’il avait fini par redouter. « Tu me manques, tu sais … ». Ce n’était pas dans son intention de remuer le couteau dans la plaie, mais il éprouvait le besoin de le lui dire, d’exprimer enfin à haute voix le fait que depuis leur séparation il avait la sensation d’avoir un énorme vide à la place du cœur. Jamais il n’aurait cru possible de pouvoir s’attacher autant à une personne au point de souffrir si intensément une fois cette personne disparue mais comme l’avait si bien écrit l’auteur Alphonse de Lamartine : « un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. ».