Andrea & Sora

Elle était complètement folle, à présent c’était une certitude et pourtant ils avaient tous été derrière elle, ils l’avaient tous poussé à le faire dans l’espoir que ça lui change les idées, mais aussi pour la faire sortir. Elle ignorait ce qui lui était passée par la tête lorsqu’elle avait lu cette présentation de ce concours. L’idée l’avait emballé alors qu’elle n’avait pas pris le moindre cours, alors qu’elle ignorait même si elle était capable d’aligner deux notes sans chanter complètement faux. Bien sûr, comme beaucoup de personnes elle chantait sous la douche, mais c’était sous la douche et pas devant tout un tas de personnes qu’elle ne connaissait même pas. La guatémaltèque n’aurait pas dû autant angoisser, elle le savait très bien mais c’était plus fort qu’elle et son estomac se tordait encore et encore au point de lui donner la nausée. Elle était mannequin bon sang ! Elle avait fait plusieurs défilés déjà, elle avait pris l’habitude d’être entourée de tous un tas de personnes depuis deux ans, de devoir défiler sur un podium en essayant de faire taire l’angoisse vis-à-vis d’une probable chute. Elle avait marché avec des escarpins aux talons vertigineux qui auraient pu la faire tomber au moindre faux pas, mais elle s’en était toujours sortie, ça ne devait pas être bien plus difficile. Toutefois, elle n’arrivait tout de même pas à savoir ce qui lui était passé par la tête le soir où elle avait pris le temps d’en discuter avec sa famille.

Carol avait immédiatement été emballée par l’histoire tandis que Doug avait été un peu plus réticent jugeant qu’il était peut-être un peu tôt pour qu’elle se mette à la lumière. Cependant, après une longue discussion il avait changé d’avis et s’était persuadé que finalement ça lui ferait le plus grand bien. Au final, Sora elle-même avait vu ça comme une bonne chose. Elle ne s’était même pas entraînée ou tout du moins pas à haute voix. Elle avait revu son répertoire de chansons pour sélectionner celles qui l’intéressaient le plus, elle avait rempli le formulaire pour ce concours et avait passé les quelques jours le précédent à s’imprégner de la musique et des paroles. Voilà qu’à présent elle se trouvait en coulisses avec une angoisse pas possible qui lui retournait l’estomac et qu’elle tremblait comme une feuille. Ce n’était peut-être pas si bon que ça pour elle, pas alors qu’elle angoissait tellement à l’idée d’entendre bientôt son prénom et de se voir obligée de se traîner sur la scène. Sora aurait très bien pu prendre la fuite, mais elle le refusait, pas alors que dans la salle ses parents adoptifs attendaient après elle. C’était beaucoup de pression mais la guatémaltèque s’efforça de se convaincre du contraire, de se persuader que ce n’était qu’un jeu et que de toute manière elle n’était pas véritablement là pour gagner. « Sora, c’est ça ? ». Sortie de ses pensées, la guatémaltèque posa les yeux sur la jeune femme qui venait de la rejoindre et attendait avec une pointe d’impatience qu’elle lui réponde. Opinant du chef, l’inconnue lui adressa un sourire et commença à lui tourner autour pour la munir du matériel nécessaire pour s’assurer que son micro fonctionnerait une fois sur scène.

« C’est à toi dans une minute. » ajouta-t-elle avant de disparaitre. Si c’était censé la rassurer, ce n’était pas du tout le cas. Bon dieu, mais à quoi pensait-elle ? N’ayant pas le temps d’y réfléchir plus longtemps, elle fut directement envoyée sur scène, sa main se crispant automatique autour du micro tandis que son regarda balayait la salle et éveillait un vent de panique en elle. Sora ferma les yeux l’espace d’un instant et tenta de se calmer en revoyant les souvenirs de sa mère et elle en train de cuisiner à Champerico tout en chantant. Certes c’était en espagnol mais elle était capable de le faire, Sora s’en persuada jusqu’à ouvrir de nouveau les yeux et faire signe pour que la musique soit lancée. Un classique … elle s’était persuadée que chanter un classique serait une bon départ pour elle quitte à faire monter la barre un peu plus haut si jamais elle réussissait. La musique démarrant, c’était après elle qu’on attendait et Sora fit abstraction de tout le reste pour se focaliser sur les paroles et laissa sa voix se dévoiler au reste du monde pour finalement se laisser totalement bercer par la musique. Le reste elle l’oublia, c’était comme pour les défilés, une fois lancée la peur diminuait petit à petit pour disparaitre totalement et ce fut également le cas ce soir tandis que les minutes s’écoulaient et que la jeune femme chantait sans le moindre mal jusqu’à ce que la musique se coupe et que les applaudissements retentissent. Sourire aux lèvres et le souffle légèrement coupé à cause de cette angoisse qui l’avait tout de même gagné, la guatémaltèque regagna les coulisses où la même jeune femme ôta son micro avant de lui permettre de rejoindre le groupe des participants qui étaient déjà passés, tremblant plus que jamais.

Si elle avait été complètement paniquée à l’idée de monter sur scène, cette peur avait totalement disparu une fois qu’elle avait laissé sa voix envahir toute la salle. Elle connaissait cette sensation de peur avant le grand show pour l’avoir déjà expérimenté à plusieurs reprises. Elle était mannequin depuis près de deux ans et malgré ça la jeune femme avait toujours eu la crainte de manquer quelque chose ou voire tout simplement de tomber une fois en train de défiler sur le podium. Elle n’était pas la plus adroite des jeunes femmes – autant le dire clairement – et les talons vertigineux qu’elle se devait parfois de porter pour aller avec l’une des tenues étaient de loin sa plus grande peur à chaque grand défilé. Ce soir était différent dans le sens où sa tenue était bien plus décontractée et que si jamais elle venait à l’abîmer ça ne serait pas la fin du monde. Pourtant son angoisse était assez similaire, elle était même identique. Elle avait senti son estomac se contracter douloureusement tandis que son rythme cardiaque n’avait eu de cesse d’accélérer. C’était de la peur mélangée à de l’angoisse ce qui ne faisait pas toujours bon effet et la guatémaltèque fut même surprise de ne pas tourner de l’œil avant même d’avoir quitté les coulisses.

Cependant, comme pour son travail dans le mannequinat, une fois qu’elle était lancée plus rien ne pouvait l’arrêter – hormis la fin de la musique. Elle oublia bien rapidement tous les regards rivés sur elle et se laissa emporter par ce talent qu’elle ne se connaissait pas. Sora n’avait jamais chanté devant qui que ce soit, pas même les personnes qui lui étaient le plus proches. Elle aimait la musique comme tout le monde et elle fredonnait bien souvent les airs qui lui plaisaient le plus mais c’était bien tout – si on mettait de côté la chansonnette sous la douche. Elle n’avait jamais pris le moindre cours de chant et s’était contentée de jouer de la flûte lorsqu’elle était au lycée, autant dire que ça n’allait pas bien loin. Pourtant, même si elle n’était pas douée pour savoir si quelqu’un chantait faux ou non, elle due néanmoins se rendre à l’évidence qu’elle-même n’était pas si mauvaise au vu des applaudissements et sifflements qui retentirent dans la salle lorsqu’elle eut fini. Quelque part elle était soulagée de voir qu’elle n’était pas une catastrophe et qu’elle ne venait pas de se ridiculiser. C’était un moyen de reprendre confiance en elle alors qu’elle n’avait de cesse de se dévaloriser depuis un petit moment. « C’était génial. ». Son regard chercha brièvement la personne qui venait de s’adresser à elle tandis qu’elle avait rejoint les coulisses. Les yeux posés sur le jeune homme qu’elle ne connaissait pas, Sora ne put s’empêcher de lui adresser un large sourire de remerciement, encore trop secouée par le stress pour parvenir à aligner le moindre mot.

« On fraternise pas avec l’ennemi ! ». Un sourcil arqué et le regard posé à présent sur la demoiselle qui accompagnait visiblement l’inconnu, Sora n’eut pas même le temps de répliquer quoi que ce soit que déjà tous les deux partaient sur scène la laissant à nouveau seule pour les écouter chanter en se balançant doucement au rythme de la musique. Si le fameux Andrea – de ce qu’elle avait cru comprendre lorsqu’il avait été présenté au public – trouvait que sa chanson à elle était génial, la guatémaltèque ne voyait pas ce qu’elle pouvait dire de sa voix à lui tant elle était impressionnée par son timbre. Loin de se préoccuper du commentaire de la jeune femme qui accompagnait Andrea, lorsque tous les deux revinrent dans les coulisses, Sora se glissa doucement vers eux, un sourire amical dessiné sur ses lèvres. « Vous avez été impressionnants. » déclara-t-elle en étant aussi sincère que possible et sans prêter attention à la demoiselle près de lui. « Tu as une sacrée voix d’ailleurs … oh et … je m’appelle Sora au fait. ». Le vouvoiement, la guatémaltèque l’avait totalement laissé de côté comme la jeune Kennedy – c’était le prénom qu’elle avait entendu – uniquement par vengeance puérile de l’avoir qualifié d’ennemie alors qu’elle-même ne participait à ce concours que pour se changer les idées vis-à-vis de ce qu’elle avait pu traverser dernièrement.

Sora ne voyait pas du tout ce concours comme une compétition. Elle n’était pas venue là pour gagner mais bien pour essayer de se changer les idées et pour se dépasser. Si elle gagnait tant mieux, mais si la jeune femme venait à perdre ce n’était pas non plus la fin du monde, loin de là. Kennedy, qui accompagnait donc Andrea, ne semblait pas du tout du même avis et puisque la Guatémaltèque était rarement du genre à se laisser marcher sur les pieds elle ne mit pas de temps à snober la jeune femme ne serait-ce que pour ne pas faire attention à ses propos qui pouvaient être blessants si elle s’était adressée à une personne un tant soit peu susceptible. Andrea, lui, semblait bien plus enclin à la discussion mais aussi plus agréable que la jeune femme et ce fut tout naturellement qu’elle vint tout d’abord s’adresser au jeune homme, le félicitant pour sa prestation sur scène où il avait dévoilé un timbre de voix que Sora trouvait impressionnant. « Je sais. Ils l’ont dit tout à l’heure et je l’ai retenu. C’est très joli. Moi c’est Andréa. Merci pour le compliment. Tu le penses ? ». Un petit sourire étira le coin des lèvres de la jeune femme qui opine du chef. Elle était parfaitement sincère, ce n’était pas pour « pactiser avec l’ennemi » mais bien parce qu’elle trouvait que le jeune homme avait de quoi faire carrière sans problème si vraiment il le désirait.

Néanmoins, elle n’eut pas le temps de répondre plus en détail à sa question que déjà le présentateur montait sur scène pour annoncer qui seraient les gagnants de ce concours. « Eh voilà le moment tant attendu des récompenses. A la troisième place… Natacha Dorringhton et Michael Torch. ». Debout dans les coulisses près d’Andrea, lorsque les deux jeunes gens passèrent devant eux, les quelques autres concurrents applaudirent puis le silence reprit place à la fois dans les coulisses et dans le public. « A la deuxième place…. Jordan Cooper et Elena Sanders ». Nouveau tonnerre d’applaudissement et Sora croisa le regard du jeune homme à ses côtés qui lui adressa un sourire qu’elle lui rendit sans le moindre mal. Il était vrai qu’elle était stressée, mais c’était bien moins handicapant que lorsqu’elle avait été à quelques secondes de monter sur scène et chanter devant toutes ces personnes qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. « Avant de vous annoncer le gagnant sachez déjà cher public que notre choix a était modifié après réflexions, une personne nous ayant rappelé les règles de participations aux concours. Pouvait concourir des duos et SEULEMENT des duos. Aussi nous somme dans le regret de disqualifier Mademoiselle Sora Emmagan-Scott. ». Les sourcils de la Guatémaltèque se froncèrent légèrement tandis qu’elle sentait l’agacement l’envahir, sûrement due à une déception à laquelle elle ne s’attendait pas.

Toutefois, elle resta silencieuse tandis qu’Andrea et Kennedy entraient sur scène étant donné qu’ils étaient les heureux gagnants du concours, mais à peine eurent-ils un pied en-dehors des coulisses qu’une tornade brune la força à se tourner tandis qu’un hoquet de surprise la gagnait. « C’est inadmissible ! ». Les yeux grands ouverts et bouché bée, Sora regardait sa mère sans être capable de trouver ce qu’elle pouvait dire pour la calmer – elle doute que qui que ce soit ou que ce soit puisse le faire de toute manière. « Si vraiment il ne s’agissait que de duos, ils n’auraient même pas dû te laisser monter sur cette scène ! Je vais aller parler de tout ça au jury. ». Malheureusement pour Sora, les mots prononcés par Carol mirent bien trop de temps à venir jusqu’à son cerveau et sa mère était déjà loin lorsque la jeune fille comprit la signification de ses paroles. Ça ne sentait pas bon, vraiment pas bon pour elle comme pour bien des personnes. La colère du mère était quelque chose, mais la colère de Carol O’Neill était une toute autre paire de gants et elle revint à elle que lorsque les candidats revinrent en coulisse. « Je crois que vous feriez mieux de rester dans les parages. » Dit-elle plus à l’adresse à Andrea – seule personne avec qui elle avait un tant soit peu sympathisé – qu’à l’adresse des autres, le regard toujours posé en direction de l’endroit où sa mère avait disparu.

Aurait-elle réagit différemment si elle avait pu entendre la discussion entre Andrea et Kennedy ? C’était fort probable, même certain. Bien qu’elle soit en règle générale assez douce, Sora avait tout de même son caractère et elle ne supportait pas le fait qu’on tente de la blesser. Toutefois, elle aurait sans doute mis du temps à trouver le bon moyen de mettre sa vengeance à exécution étant donné qu’elle ne connaissait pas assez Kennedy pour la blesser et elle savait surtout qu’elle n’était pas prête de la revoir. En somme, Sora l’aurait sans doute très mal prit, mais elle aurait été incapable de réagir au quart de tour comme sa mère adoptive avait pu le faire quelques minutes auparavant. Mais si elle n’avait pas compris qu’elle avait été dénoncé, ce fait vint à elle petit à petit et la Guatémaltèque ne put s’empêcher d’éprouver une certaine colère même si elle n’avait pas la moindre idée de sur qui elle devait la rejeter. Tous étaient ici pour gagner, c’était une compétition et Sora savait ce que ça impliquait. Pour trouver qui l’avait dénoncé se serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin : impossible à accomplir. « Je suis désolé. Sincèrement. Kennedy n’aurait jamais dût aller voir le jury. Je suis vraiment vraiment désolé. Tu dois être très déçue… ».

Les sourcils de la demoiselle se froncèrent légèrement tandis qu’elle faisait face à Andrea, visiblement surprise par ses propos. Finalement, ce n’était peut-être pas si impossible que ça puisque le jeune homme venait de dénoncer lui-même la fautive quant à sa disqualification. Le regard de la Guatémaltèque alla se poser sur la jeune femme qu’elle ne put s’empêcher de fusiller du regard tandis que l’envie furieuse de lui en coller une la gagnait un peu plus d’instant en instant. Ce ne fut qu’en voyant la main d’Andrea tenant la coupe entrer dans son champ de vision qu’elle tourna à nouveau la tête vers lui. Les yeux d’abord posés sur la coupe, elle tâcha de comprendre la signification de ce geste avant de lever la tête vers le jeune homme. « Tiens j’te la donne. Elle aurait dût être à toi. ». Sora ouvrit la bouche prête à refuser gentiment ce geste qui la touchait beaucoup, mais elle n’en eut pas le temps que déjà une femme s’approchait d’eux et lui fit immédiatement de l’ombre. Puisqu’elle ne tenait pas à déranger, elle se décala de quelques pas sur le côté et croisa les bras contre sa poitrine, son regard voyageant d’Andrea à la jeune femme et vice versa. « Je veux que vous et Melle Kerrigan enregistré un single pour moi. Je me présente Cynthia Dolores, agent artistique. ».

De nouveau, la jeune fille sentit la colère la gagner et elle tourna la tête vers la fameuse mademoiselle Kerrigan avec de nouveau cette envie folle furieuse de lui sauter dessus pour lui en coller une et faire disparaître une bonne fois pour toute ce sourire triomphant des lèvres de cette jeune femme qu’elle n’aimait définitivement pas. « J’enregistrerais rien avec Kennedy, si vous voulez un duo ça sera moi et Sora ! ». Lorsqu’elle entendit son prénom sortir de la bouche d’Andrea, Sora tourna brusquement la tête vers lui et l’agent qu’elle avait face à elle. Cynthia Dolores posa alors ses yeux sur elle et lui donna l’impression de l’analyser au rayon x avant de s’approcher doucement d’elle, un sourire peu rassurant aux lèvres – du moins aux yeux de la demoiselle. « Très bien … est-ce que ça vous intéresserez ? ». La bouche à moitié ouverte, son regard voyagea à la recherche d’une aide quelconque puis se posa sur Kennedy et ses yeux croisant le regard de la demoiselle, elle su immédiatement ce qu’elle allait répondre. « Oui … » Commença-t-elle avec un sourire narquois aux lèvres à l’adresse de Kennedy avant de détourner son attention vers l’agent. « Je suis totalement intéressée. ». C’était puérile, elle en avait conscience, mais Kennedy était celle qui avait cherché à lui nuire et ne dit-on pas que l’on récolte que ce que l’on sème ?