Enchaîner les heures de travail de traduction sur un texte de plus de mille mots, en faisant passer un cerveau du russe à l'anglais est un travail épuisant. C'est pour ça que le jour de repos existe. La plupart des personnes l'utilise pour dormir et se prélasser toute une journée dans un appartement aux meubles lustrés, prendre du temps pour soi, faire du shopping... Oh oui, j'aurais pu aussi faire tout ça, surtout que ce n'est pas l'argent qui me manquerai. J'étais arrivée un mois plus tôt et je réalisais lentement que je ne connaissais pas New York. Pourtant, n'importe qui aurait aimé se balader près de la Statue de la Liberté, fouler l'une des pelouses de Central Park ou encore admirer la vue sublime qu'offre le pont de Brooklyn. Alors aujourd'hui, j'avais décidé de visiter un peu la ville. Munie d'un bon plan ainsi que d'un parapluie, je sortais affronter le froid de l'hiver et les goûtes d'eau que les nuages lâchaient par millier.

Au début, j'avais décidé de me rendre près de la statue de la Liberté. Je m'étais donc dirigée en sa direction mais au fur et à mesure que j'avançais, j'avais perdu ma carte. Oui, j'avais perdu ma carte ! Comment cela pouvait-il être possible? Je n'en avais aucune idée. J'avais dû m'arrêter et la poser quelque part et l'oublier... ou alors elle m'avait glissée des mains mais j'aurais dû la sentir m'échapper, non? Enfin bref, j'étais perdue dans le dédale des rues new yorkaises, seule. Une personne qui faisait son jogging, les écouteurs dans les oreilles. Un groupe de touristes japonais s'arrêtant toutes les deux minutes pour prendre une photo. Le guide agitant maladroitement un horrible drapeau, manquant d'envoyer son coude dans l'oeil d'un autre passant. Un autre parlant tout seul... Je suis sûre que si quelqu'un se déciderait à rester assis sur un banc pour observer la foule, il passerait son temps à rire et apprendrait beaucoup sur l'espèce humaine. En tout cas, c'est ce que j'ai fait pendant au moins dix bonnes minutes, attendant la personne qui pourrait me sauver. Tournant légèrement la tête, j'aperçu un homme qui semblait aussi perdu que moi, je décidai de m'avancer prudemment de lui. « Salut... » lui lançai-je, pas très sûre de moi. Je ne savais pas s'il parlait ma langue, s'il connaissait la ville, peut-être même qu'il allait me frapper parce que je venais de lui adresser un mot. On rencontre des gens tellement bizarres dans cette ville, alors à force, on imagine tous les scénarios possibles. « Je suis un peu perdue... Tu sais pas où on est? » continuai-je. Ce n'est qu'une fois avoir finie ma phrase que je me rendis compte que je l'avais tutoyé alors qu'on ne se connaissait même pas. C'était toujours comme ça quand je me sentais trop à l'aise... j'en oubliais même la politesse.

La pluie tombait sur New-York. Il y faisait un froid digne des tréfonds de la Sibérie et pourtant, Trevor trainait dehors comme si tout allait bien. Mais en réalité, le jeune homme s’accordait une de ses énièmes séances « d’observation » à travers cette ville qui lui était encore pour le moins étrangère. Et autant dire que dans sa situation, il valait mieux connaître tous les coins et recoins de la Grosse Pomme, juste au cas où. Car chaque jour supplémentaire qu’il passait ici était une sorte de victoire pour l’italien. Il se savait traqué et recherché par une horde de mafieux, et il les connaissait tous assez bien pour savoir qu’ils finiraient par lui tomber dessus. La tendresse n’étant pas leur principale qualité, Trevor savait aussi que ce jour-là signerait certainement la fin de sa cavale, et peut-être même celle de sa vie. Le jeune homme était bien conscient de tout cela depuis qu’il avait quitté Milan et pourtant, il avait prit le risque. Il avait joué avec le feu… pour la bonne cause. Car chaque jour de plus passé à New-York était aussi pour lui une tranche de vie, la vraie vie, celle qu’il avait toujours rêvé d’avoir et que son père et ses responsabilités lui avaient refusé et interdit.

Alors ce temps de chien était pour lui l’occasion d’arpentait les rues sans risquer de croiser tout un tas de gens indésirables, mais aussi et surtout dangereux pour sa propre sécurité. Une fois libéré du restaurant miteux dans lequel il travaillait, l’italien s’était alors lancé à l’assaut du quartier de Manhattan. Downtown plus précisément. Mais après plusieurs heures d’errances, force était de constater que son sens de l’orientation commençait à lui faire défaut. Il s’était laissé prendre à son propre jeu en cherchant à inspecter les moindres recoins du quartier, et se retrouvait désormais totalement perdu. Il marchait prudemment, prenant bien soin de scruter chaque passage dérobé, chaque porche et chaque rue mal éclairée. Certains auraient pu croire qu’il allait au devant du danger en agissant de la sorte mais pour lui, c’était une sorte de démarche pour se rassurer. S’il savait où vivaient ses ennemis, il serait plus facile pour lui de les éviter. Mais alors qu’il continuait sa route au hasard, une voix le fit quasiment sursauter derrière lui. Brusquement, il se retourna et tomba nez-à-nez avec une jeune femme blonde dont les grands yeux clairs ne tardèrent pas à attirer toute son attention. « Je suis un peu perdue... Tu sais pas où on est? »

Etait-elle sérieuse ? Se moquait-elle de lui en constatant qu’il était complètement perdu ? Méfiant, Trevor fronça les sourcils et s’accorda un temps de réflexion avant de répondre. Il sonda littéralement le regard de son interlocutrice. Elle n’était visiblement pas très sure d’elle, et c’est en constatant cela qu’il se rasséréna un peu. « Je ne vais pas t’être d’une très grande aide… j’en ai pas la moindre idée. » déclara-t-il finalement en haussant les épaules. C’est alors qu’un bruit de ferraille se fit entendre derrière eux, faisant sursauter Trevor pour de bon et même quasiment bousculer la jeune femme qu’il n’aurait visiblement pas hésité à prendre comme bouclier humain. Mais en voyant un chien débouler de la rue en question, l’italien comprit qu’il s’était affolé pour rien et se recula, un peu honteux. « Oh, c’est… pardon. Je… je ferai mieux de ne pas rester ici trop longtemps… » enchaîna-t-il d’un ton grave, ne cessant de scruter les gens autour d’eux. Trevor était bien trop sur la défensive, mais cette capacité qu’il avait apprit à développer lui sauverait la mise un jour, il en était certain.

A vrai dire, Lindsay n'avait pas vraiment l'habitude de se perdre. Le plus souvent, ses GPS et ses cartes ultra-précises l'en empêchaient, mais là elle se retrouvait seule, sans aucun repère dans une ville qui lui était pour le moins étrangère. Elle n'avait pas résisté longtemps à l'envie d'aborder quelqu'un pour espérer retrouver son chemin par la suite. Mauvais choix : il se trouvait que la personne qu'elle avait interpellée était aussi perdue qu'elle. Elle laissa échapper un léger soupir. Au moins, elle n'était plus seule mais il ne fallait pas tarder... en plus de la pluie, la nuit n'allait pas tarder à tomber, lâchant délibérément toutes sortes de fous prêts à vous faire subir les pires horreurs. Elle en était sûre. La blonde était prête à ouvrir la bouche pour répondre mais un bruit sourd provenant de derrière eux l'en empêcha. Elle se retourna aussitôt pour observer la source de ce raffut, bien plus curieuse qu'inquiète. Ce qui ne semblait pas être le cas de son voisin qu'un sursaut venait de secouer tout entier. La japonaise reposa alors ses yeux sur lui. A son expression, elle pu y voir de la panique ainsi que de l'inquiétude. Si infime qu'elle aurait été, Lindsay aurait quand même réussit à la trouver sur n'importe quel visage mais celui qui se tenait à côté d'elle ne semblait pas avoir pris la peine de cacher les émotions qui le troublait.

Passant une main dans ses cheveux, elle finit par prendre la parole, essayant de parler de la manière la plus douce possible. « Ça va aller?... » Bien sûr, elle savait bien qu'il n'allait pas commencer à lui déballer tous ses problèmes mais c'était une façon pour elle de s'assurer qu'il n'allait pas s'évanouir ou fuir sur le champ. Elle avait compris qu'une personne qui réagissait comme ça à un simple bruit était sur les nerfs et certainement pas pour une raison futile. Le chien n'allait pas le manger et puisqu'il était aussi perdu qu'elle, la jeune fille ne voyait pas du tout où il pouvait aller, si ce n'était pour se perdre encore plus dans cette grande ville. « Maintenant? Enfin... » lui demanda-t-elle. « Vaudrait mieux savoir où on est. Je vais demander ! » ajouta-t-elle. Elle brisa ensuite la distance qui la séparait d'un bâtiment annoncé comme étant une sorte de bar. Dès qu'elle eut posé un pied un l'intérieur, la chaleur, la fumée et l'odeur la prirent. Tout ce qu'elle espérait était qu'elle réussisse à trouver où est-ce qu'ils pouvaient bien avoir atterris. Elle ne voulait plus traîner longtemps.

Constamment sur la défensive, Trevor n’avait pas su se contrôler lorsque ce bruit avait retenti derrière lui. Pour sauver sa peau, le jeune homme était prêt à tout. Et le fait de savoir que chaque jour de plus passé à New-York le mettait de plus en plus en danger contribuait à cette méfiance continuelle. Mais face à cette fille qu’il ne connaissait même pas, Trevor se retrouvait tout à coup honteux. Le vacarme n’avait en réalité été qu’un chien, et son cerveau avait carburé à plein régime, échafaudant les théories les plus alambiquées quant à un éventuel collaborateur de son père qui aurait fini par le retrouver. L’italien se maudissait intérieurement en repensant au comportement qu’il venait d’avoir. D’une part, il s’était fait passé pour un véritable imbécile. Mais il avait aussi et surtout risqué de mettre la puce à l’oreille de cette inconnue quant au secret qu’il cachait depuis son arrivée à New-York.

Visiblement (et légitimement) surprise par la réaction de Trevor, la jeune femme lui demanda s’il allait bien. L’italien secoua la tête en adoptant un air presque sévère, malgré lui. En un sens, il était relativement vexé de s’être montré si faible et ridicule en face d’elle. « Vaudrait mieux savoir où on est. Je vais demander ! » s’exclama alors sa voisine lorsqu’il émit l’envie de s’en aller. Et sans qu’il ne puisse dire ni faire quoi que ce soit, elle s’éclipsa en direction du bâtiment le plus proche, qui se trouvait être un bar. Trevor fronça les sourcils et s’élança derrière elle pour la rattraper mais elle fut plus rapide, et pénétra dans l’établissement avant lui. L’italien ignorait s’il s’agissait d’une bonne idée, mais il se glissa à son tour dans le bar ans pouvoir s’empêcher de sonder le visage de chacun des clients avec une grande méfiance. Puis il retrouva la jeune femme et grommela un « Tu crois que ces ivrognes vont pouvoir nous aider ? » à peine audible. La clientèle de l’endroit ne lui inspirait pas forcément confiance, et cela n’avait rien à voir avec sa méfiance habituelle.