Les examens se poursuivaient sa relâche depuis la sortie de Gabriel de l'hôpital. Heureusement, il pouvait compter sur la gentillesse de Charlie pour l'emmener et le rechercher lors de ces journées particulièrement éprouvantes. Dès qu'il aurait retrouvé la vue, il se l'était promis à lui-même, elle aurait droit à une belle surprise, du genre un bon repas cuisiné maison. Il lui devait bien ça. Après ce qu'il lui avait fait endurer, à savoir la laisser seule, l'abandonner lâchement pour fuir un monde auquel il n'avait pas envie d'appartenir, sans même chercher à la convaincre de venir avec lui, elle aurait très bien pu se contenter de lui fermer la porte au nez et d'oublier jusqu'à son visage. Mais non, elle était toujours là, malgré ses erreurs du passé qu'il tentait aujourd'hui de faire oublier, ou du moins de se faire pardonner.

Sa convalescence n'était pas simple. Maintenant qu'il était habitué à la perte d'un de ces sens, la vie se trouvait à nouveau un peu simplifié mais il ne comptait même plus le nombre de poteaux qu'il s'était pris ou de portes qu'il n'arrivait pas à ouvrir, tirant dessus frénétiquement alors qu'un large écriteau qu'il ne pouvait voir lui indiquait de pousser. Heureusement, il avait su trouver du réconfort dans ce long combat qu'il était encore loin d'avoir gagné. D'abord grâce au personnel hospitalier, d'une grande patience et d'une grande gentillesse, les infirmières endurant toujours sans râler ses crises d'angoisse ou de colère envers ce corps qui refusait de lui répondre normalement. Mais aussi auprès d'autres patients dans les réunions collectives de thérapie organisées par l'armée. C'est avec un autre blessé de guerre qu'il avait fini par lier de vrais liens, le jeune homme n'étant pas sociable de nature, c'était un petit miracle dans son existence. Un membre de l'armée qui comme lui, s'était retrouvé blessé de façon grave, échappant de peu à la mort, et devant encore lutter au jour le jour pour ne pas sombrer dans des travers plus graves. Quand on revient d'une épreuve comme celle de la guerre, l'alcool, la drogue ou tout autre sorte d'addiction deviennent rapidement des échappatoires faciles.

Gabriel finissait sa séance de rééducation avec son kiné qu'il venait de remercier chaleureusement. Son pied lui faisait un mal de chien mais il refusait de prendre les antidouleurs puissants qu'on lui avait prescrit. Pas la peine d'ajouter "drogué" à la suite de ses nombreuses pathologies. Au comptoir d'accueil du service, il prend le temps de chercher son téléphone pour envoyer un SMS à Charlie et la prévenir qu'elle pourra venir le récupérer dès qu'elle a un moment. Il n'allait pas non plus exiger qu'elle se présente dans l'immédiat, il pouvait très bien attendre quelques heures à la cafétéria. Il sent une présence à côté de lui, bientôt confirmée par les voix de deux internes de l'hôpital.
-Toi aussi t'as été affecté là ? Il paraît qu'ils ont gardé qu'un interne en assistant pour la greffe de Hastings.
Le nom est trop peu familier pour que ce soit un hasard. Le jeune homme se râcle la gorge, cherchant à attirer l'attention des deux futurs chirurgiens dans sa direction, sans pour autant être sûr et certain d'y arriver.
-Vous parlez de Aaron Hastings ?
Le blanc qui suit sa question ne peut avoir que deux significations : il a visé juste ou il ne s'adresse à personne et les internes ont préféré laisser l'aveugle discuter avec lui-même.
-C'est le cas monsieur. Vous faites partie de la famille ?
-Oui. En quelque sorte. Est-ce qu'il y a possibilité de le voir ?
-Pas avant la fin de l'intervention. Mais vous pouvez rester en salle d'attente, on viendra vous prévenir dès sont réveil.

L'attente avait été longue. Sans avoir moyen de connaître l'heure, il ne pouvait que se fier à son appréciation du temps passé sur les bancs en bois inconfortable de la salle d'attente, grignotant de temps en temps des chips ou autre chose qu'il finissait par réussir à faire tomber du distributeur automatique. C'est bien là qu'on se rendait compte que rien dans son monde, même pas dans un hôpital, n'était adapté aux problèmes oculaires. Composant à nouveau un chiffre au hasard, il tape du poing quand un bip sonore lui indique qu'encore une fois, ce n'est pas une combinaison valide. Une main se pose sur son épaule.
-Monsieur Hastings est en salle de réveil. Je vous y emmène.
Un peu nerveux, il hoche de la tête, suivant le bruit des pas de l'infirmière jusqu'à la chambre de son ami. Il prend place sur la chaise qu'elle lui indique en le guidant et les laisse enfin seul dans la petite pièce. Un long silence s'en suit. Est-il réveillé ? Peut-être pas mais comment savoir. Des tas de machine font des bruits dans tous les sens et l'empêchent de se concentrer efficacement.
-Salut mon vieux. T'es réveillé ou t'es toujours dans le coltard ?
Il tend ensuite l'oreille, cherchant à distinguer parmi l'appareillage médical un froissement de drap, n'importe quoi qui pourrait lui indiquer qu'il ne parle pas à un comateux.